Archives Mensuelles: mars 2013

HAMMER AND BOLTER [N°10]

Bonjour à tous, et bienvenue dans la revue critique de ce dixième numéro de Hammer & Bolter, le webzine que le Warp nous envie. Croyez le ou non, aucun eldar ne pointera le bout de ses oreilles cette fois-ci, malgré le cover art Iyandenesque que vous pouvez admirer ci-dessous. On se consolera en constatant l’absence d’interview dans ce numéro, idéalement remplacée par un extrait de l’Aurelian du bon Aaron Dembski-Bowden. N°10, je t’aime déjà.

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The Last Charge – A. Hoare [WFB] :

Trois mois après avoir fait ses premières armes dans Hammer & Bolter (Manbane, dans la tranche haute du lisible), Andy Hoare nous revient avec une nouvelle beaucoup plus ambitieuse, et malheureusement, bien moins réussie que la précédente. Autopsie d’un fiasco littéraire.

Commençons par fixer le cadre de l’histoire. Cette fois, foin de sorciers impériaux emo (comprendre, du Collège Améthyste) poursuivis par des hommes-bêtes incontinents, Andy préférant se frotter à de l’épique XXL et livrer sa propre version d’un des multiples hauts-faits guerriers dépeints dans les livres d’armée de Warhammer. Why not. Le lecteur se retrouve donc dans la cité bretonnienne de Brionne, à l’aube de la page la plus sanglante de son histoire, c’est à dire le siège mené par le Maître des Bêtes Rakarth en 1974*.

>Histoire de montrer à quel point sa nouvelle est chiadée, Hoare la fait précéder d’un petit paragraphe chargé d’introduire son propos avec toute la classe et le mystère que quelques lignes écrites à la manière d’un chroniqueur du XIIIème siècle** (et en italiques, parce que plus c’est penché, plus c’est classe et mystérieux, c’est bien connu) peuvent apporter à une nouvelle d’heroic-fantasy. Et voici donc l’histoire de la cité de Brionne, bien-aimée du Duc Corentin… (traduction littérale de la dernière phrase de ce mini-prologue – si tu ne frétilles pas d’anticipation sur ton siège ami lecteur, tu es un nécron avec la gueule de bois).

Bref, comme vous l’avez compris, c’est Corentin le citéphile qui endosse la défroque du héros dans ce compte-rendu bancal de la chute de Brionne. Visiblement inspiré par le personnage de Reinhardt Metzger, chevalier grabataire et cardiaque se découvrant une vocation de chasseur de vampires à la veille de la retraite (Curse Of The Necrarch), Corentin est une relique ambulante ayant tout vu, tout combattu et tout exterminu au cours de sa longue carrière martiale. Arrivé au point de quasi péremption pour ce qui concerne les choses de la guerre (et pour les bretonniens, ça passe systématiquement par des rhumatismes aux genoux***), notre paladin grisonnant se rend dans la chapelle du Graal de son château pour demander à la Dame du Lac de lui accorder une dernière bataille digne de ce nom avant qu’il ne commence à sucrer les fraises. Magnanime, cette dernière consent, par demoiselle interposée, à sa requête. Mais un peu troll dans l’âme, elle ne se contente pas d’envoyer à son champion une petite manticore constipée ou quelques centaines d’orques en maraude, préférant plutôt le confronter à l’armada de Rakarth (que j’ai plutôt du mal à considérer comme un instrument de la Dame du Lac, mais les voies divines sont impénétrables). Sympa pour les pécores de Brionne, qui auraient sans doute préféré être laissés en dehors de ce dernier tour de piste. Mais bon, il s’agissait (d’après la manière dont Hoare présente son histoire) pour la déesse de donner une petite leçon d’humilité à Corentin, un noble dessein qui vaut bien qu’on lui sacrifie quelques milliers de manants.

La suite et le gros de la nouvelle sont consacrés à la préparation narrative de la bataille entre hommes et elfes, climax guerrier qui demande pas mal d’espace et passe par plusieurs étapes. Le débarquement des druchiis d’abord, qui donne à Hoare l’occasion de détailler la puissance de l’ost de Rakarth, puis la mobilisation des défenseurs de Brionne, afin d’équilibrer les descriptions. Vient ensuite l’entrevue entre les deux généraux, le Maître des Bêtes exposant ses conditions à son adversaire, qui s’empresse évidemment de les refuser avec toute la morgue chevaleresque dont il est capable, condamnant de fait les défenseurs à l’annihilation en cas de défaite (ce qui n’empêchera pas Brionne de se relever après le départ des pillards – comme quoi les elfes noirs ont une grande gueule et peu de patience – ). Après une nuit passée en prières sur les remparts, malgré son grand âge, ses articulations douloureuses et les suppliques de ses conseillers, Corentin se réveille juste à temps pour le début de l’assaut druchii, qui a vite fait de déborder les défenseurs.

On note au passage que le héros de Hoare est un curieux mélange d’impétuosité suicidaire et de résignation désespérée: empêché par ses propres chevaliers de mener la glorieuse sortie qui apparemment constituait sa seule stratégie, sous prétexte de préserver la vie du général dont Brionne a besoin pour espérer triompher, Corentin sombre dans une apathie évidemment peu productive, et contemple d’un air détaché son élite se faire décapsuler par les hydre de Rakarth, puis ses miliciens déserter les murs au premier monstre venu. Conclusion: ne mettez jamais un cyclothymique à la tête de votre garnison les enfants, c’est contre-productif.

Arrivé à ce stade de déroute avancé, notre malheureux duc enfourche sa monture et part seul à la rencontre des assaillants. Enfin. Il se dirige lentement vers les portes défoncées de sa cité, sourd au tumulte de la bataille et aux cris d’agonie de ses sujets, tandis que défilent devant ses yeux les souvenirs d’une vie de batailles au service de la Dame et du Royaume. Ça va chier sévère. On tourne la page pour lire la suite, et… We Are One by John French. Oh. Retour en arrière pour voir si on a pas sauté la conclusion dans notre impatience… Ce sont des choses qui arrivent. Mais non, il faut bien se rendre à l’évidence, The Last Charge se termine bien sur ce plan du vieux héros chevauchant vers son destin. Au lecteur d’imaginer la suite. Andy, t’est vraiment gonflé.

Avec le recul, ce parti-pris de favoriser la dimension philosophique (grosso modo: le héros a compris qu’il aurait mieux fait de demander une retraite paisible qu’une dernière bataille glorieuse, et son sort passé cette réalisation n’est pas important) sur la dimension narrative (et voici quelle fut la fin du duc Corentin, finalement occis par l’ennemi après avoir décapité 28 corsaires, éventré 12 furies, empalé 3 hydres de guerre, tabassé à mains nues une sorcière suprême et craché dans l’œil de Rakarth), traditionnellement privilégiée par les auteurs de la BL, se défend. Il aurait pu faire mouche si Hoare avait mieux mené sa barque, et laissé des indices aux lecteurs quant à son intention de conclure sa nouvelle de manière plus « détachée » que la moyenne. Malheureusement, tout indiquait au contraire un dénouement classique, avec un héros se frayant un chemin dans l’armée ennemie à la pointe de l’épée et un narrateur retranscrivant les moindres moulinets de cette dernière comme s’il était installé sur la croupe du destrier du noble paladin. Du coup, lors de ma première lecture de The Last Charge, j’ai vraiment eu l’impression que Hoare, manquant de place, avait du terminer sa nouvelle en catastrophe, juste avant l’épique final promis depuis les premières lignes de l’histoire.

Bref, des ambitions louables sabotées par une mise en place trop classique et convenue, pour un résultat final tristement bancal. Dommage Andy.

*: siège qui se terminera par une victoire nette des visiteurs après que les hydres druchii aient fracassé les portes de la ville (LA Elfes Noirs – V7).
**: les lecteurs ayant joué à Medieval II Total War sont appelés à se référer au baratin grandiloquent débité par le moine chauve pendant la cinématique d’introduction.
***: je suis sûr que ça a quelque chose à voir avec cette manie de tomber à genoux pour prier au début de chaque bataille. À force, ça doit bousiller les rotules.

We Are One – J. French [40K] :

We Are OneJohn French est de retour, et il est en pleine forme. Après deux nouvelles prometteuses (Hunted et The Last Remembrancer), le prospect de la BL poursuit son exploration des zones d’ombre du puissant Imperium de l’Humanité en dépeignant la longue traque par l’Inquisition de Phocron de l’Alpha Legion. Avec des protagonistes aussi retors, le lecteur était en droit d’attendre une nouvelle à twist final, chose plus facile à dire qu’à faire, et objectif que peu de contributeurs de Hammer & Bolter ont réussi à atteindre. Fort heureusement pour nous, French fait partie de ces gifted few capables de cacher leur jeu jusqu’au dernier moment afin de surprendre plaisamment leur public, une compétence qui ne peut l’amener qu’à prendre du galon au sein de la BL, et à rejoindre Aaron Dembski-Bowden dans le club très fermé des nouvelles valeurs sûres de la maison. C’est dit.

Ne voulant pas attenter à l’intégrité et à l’intérêt de cette nouvelle fort sympathique en exposant ses rouages narratifs, je me contenterai de tirer un parallèle entre We Are One et les trilogies inquisitoriales d’Abnett que sont Eisenhorn et Ravenor. Les similitudes entre le texte de French et les romans de ce dernier sont en effet tellement apparentes qu’il ne serait pas déplacé de parler d’hommage, ou a minima de clin d’œil appuyé de l’élève envers le maître.

Qu’il s’agisse du style employé (en particulier le choix d’une narration à la première personne, procédé utilisé par Abnett dans ses deux séries), du réalisme nerveux de l’action, ou encore du découpage chronologique de la traque, condensée en cinq tableaux, pour autant de confrontations directes entre l’Inquisiteur et sa proie ou les agents de cette dernière (le tout s’étalant sur un siècle), tout évoque les aventures trépidantes de Gregor Eisenhorn et de son équipe à la poursuite de son increvable nemesis Pontius Glaw. Le premier tableau donne même l’occasion à French de réaliser un audacieux mélange entre le triomphe de Thracian Prime (événement à la suite duquel Ravenor fut placé dans sa barquette surgelée) et la chute de Tanith, le tout en moins de six pages. Du beau boulot.

En conclusion, sans doute le meilleur texte de French à ce jour, et certainement la meilleure nouvelle de ce numéro de Hammer & Bolter. Gardez un œil sur ce petit gars, il a du potentiel.

Aurelian – A. Dembski-Bowden [HH] :

AurelianLa BL frappe fort en proposant un extrait du roman consacré par ABD à la plus mystique des légions Space Marines, les Word Bearers. L’Aurelian dont il est question ici se révèle être Aurelian Lorgar, primarque des porteurs du mot sacré de l’Empereur, et plus tard des insanités du Warp. Même si le but de l’opération était avant tout d’appâter le quidam afin de l’amener à acheter un bouquin comme par hasard uniquement édité en version deluxe ou super deluxe (respectivement vendues à 25 et 40 euros l’unité), on doit cependant remercier l’éditeur de promouvoir de cette façon des auteurs valant leur pesant de cacahuètes (ABD donc, mais aussi Abnett dans les numéros un et huit) plutôt que d’essayer de nous refourguer ses fonds de tiroirs*.

Situons notre propos. L’histoire commence sur le vaisseau amiral d’Horus, immédiatement après les évènements d’Isstvan V. La réunion de debriefing entre les primarques renégats va prendre un tour désagréable après que Lorgar, affecté à la fois par son petit pèlerinage dans l’Œil de la Terreur et le massacre de quelques milliers de ses neveux, ait percé à jour le secret de Fulgrim, plus tout à fait lui-même depuis la mort de Ferrus Manus. Peu enclin à laisser un démon posséder un de ses frères, Lorgar passe à l’attaque, provoquant un report du debrief’ et quelques dommages dans la salle de réunion. Horus réussit toutefois à convaincre son impulsif frangin de ne pas concasser la forme physique de Fulgrim, et renvoie un Lorgar furax réciter quelques catéchismes de haine dans son vaisseau pour se calmer les nerfs.

 Accueilli dans ses quartiers par une projection psychique de l’autre primarque sorcier rebelle, One-eye Magnus himself, Lorgar et ce dernier entament une petite discussion sur la nature intrinsèque du Warp, qui a tôt fait de déboucher sur un concours de celui qui a la plus grosse (puissance psychique).
Bref, c’est un Lorgar en pleine crise d’adolescence qui nous est dépeint par un Aaron Dembski-Bowden toujours aussi bon, et qui réussit sans peine à accrocher le lecteur dans les quelques pages qui lui ont été octroyées. On ressort de cet extrait avec l’envie de suivre les tribulations d’Aurelian et de ses fistons pendant ce moment crucial où la grande croisade se change en guerre civile, un engouement immédiat qui s’est traduit par un succès commercial pour la BL, qui a écoulé la totalité des copies imprimées d’Aurelian en quelques mois, malgré un rapport prix-contenu à la limite du foutage de gueule (le bouquin ne fait que 128 pages). Les anglophones radins mais curieux pourront se rabattre sur le résumé très complet du livre disponible sur le Lexicanum.

 *: l’extrait de The Fall Of Damnos de Nick Kyme constituant bien sûr l’exception confirmant la règle.

Phalanx – ch. 11 – B. Counter [40K] :

PhalanxLes choses n’en finissent plus de devenir sérieuses sur le Phalanx, tandis que la bataille finale entre le bien et le mal (c’est du Counter, hein) menace de détruire le vénérable vaisseau de l’intérieur. C’est un chapitre 100% action qui nous est proposé dans ce numéro, avec juste assez de discussions métaphysiques entre Vladimir (Maître de Chapitre des Imperial Fists, pour ceux qui auraient renoncé à suivre), Lysander (premier capitaine des jaunards) et l’inquisiteur Kolgo* pour que le tout ne soit pas trop indigeste à la lecture. Comme à chaque fois, ces quelques moments de calme avant la tempête (Warp) sont émaillés de counteries savoureuses, qu’il s’agisse de l’humour tellement détaché qu’il en devient montypythonesque de Vladimir (« Oh dear, je n’arriverai jamais à faire partir cette odeur démoniaque de mon vaisseau… ») ou du faux-raccord Calgarien permettant à un inquisiteur en armure terminator de tirer les cartes à ce dernier** (je rappelle que les cartes du tarot de l’Empereur sont faites en cristal).


Une autre brève accalmie de ce genre permet également aux Soul Drinkers « loyalistes » survivants de se rabibocher avec leurs adversaires, et tout ce petit monde de rejoindre la grosse baston au centre du Phalanx, où démons et Space Marines s’écharpent joyeusement en dégueulassant les reliques du chapitre. C’est le service nettoyage du vaisseau qui va être content.

Un peu plus loin, Sarpedon poursuit sa vendetta personnelle contre le gang des -os (Iktinos, chapelain blasé et Daenyathos, dreadnought philosophe), bien qu’il lui en coûte chèrement en terme de frères d’armes et de pattes chitineuses. Comme souligné précédemment, toute l’émotion que pourrait dégager la disparition des premiers est réduite à néant par leur relatif anonymat pour quiconque n’ayant pas lu la trilogie que Counter a consacré aux Soul Drinkers, un peu comme si on tombait sur la mort de Sanguinius sans avoir jamais rien lu de l’Hérésie d’Horus.


Adieu donc Nephael, Salk et Leucrontas, personnages apparemment importants d’une saga que j’aurais du lire avant de me mettre à la chronique de Hammer & Bolter. Tant pis. Adieu aussi Iktinos, pas foutu de faire la peau à son ex-patron, même après avoir chourré le sable laser de Darth Maul (ce que semble être le Soulspear, d’après la description qu’en fait Ben Counter). Dans la plus pure tradition des séries B d’action, le pauvre chapelain se retrouvera du mauvais côté de la traînée de promethium et fera une sortie à la Denethor après que Sarpedon ait balancé la réplique kioul de rigueur. Grand amateur de cliffhangers devant l’éternel, Counter n’a pas résisté à l’envie de laisser planer un vieux doute quant à la mort d’Iktinos, qui pourrait fort bien avoir survécu à l’immolation infligée par son adversaire. Réponse au prochain numéro.

*: pro-tip: toujours avoir un inquisiteur sous la main pour lui faire déblatérer des vérités pesantes sur la nature du Chaos, le devoir des servants de l’Empereur ou la couleur du papier peint de la chambre d’amis, vastes sujets qui permettent aux auteurs de la BL de montrer à quel point ils sont profonds et à leurs romans d’atteindre plus facilement le nombre de pages requis.

**: de Marneus Calgar, maître de chapitre des Ultramarines et seul être vivant capable de dégoupiller des grenades (frag et/ou anti-chars) avec une paire de gantelets énergétiques. Chapeau l’artiste.

Mountain Eater – A. Smillie [WFB] :

On termine avec une confuse, très confuse, balade du côté des Montagnes des Larmes, en compagnie de Darhur, chasseur ogre de son état. Race assez délaissée par les auteurs de la BL (je crois bien que seul Robert Earl a consacré un bouquin aux disciples de la Gueule – Wild Kingdoms – avant qu’Andy Smillie ne s’y colle), les ogres ne manquent cependant pas d’attraits pour un auteur en quête d’une bonne histoire à raconter, le premier d’entre eux étant évidemment une indéniable originalité ayant toutes les chances d’intéresser les lecteurs lassés de l’omniprésence des Spaces Marines dans la littérature de GW. Ajoutez à cela le potentiel violent, crade et comique (comique sanglant et grossier, mais comique tout de même) de ces gros mangeurs mal débourrés, un cadre exotique en diable et un bestiaire totalement renouvelé, et vous obtiendrez une base solide, qu’un auteur digne de ce nom aura tôt fait d’exploiter avec succès.
Malheureusement, les meilleures intentions ne suffisent pas à transformer le plomb en or, et les partis-pris les plus enthousiasmants ne peuvent compenser à eux seuls les incongruités monstrueuses que peuvent engendrer une narration épileptique et une intrigue insuffisamment charpentée. En clair, si Andy Smillie signe avec Mountain Eater une entrée fracassante dans Hammer & Bolter, c’est sa réputation d’auteur qui en fait les frais et finit éparpillée à la lecture de ce premier texte.

Les ennuis commencent rapidement pour Darhur et le lecteur, chacun se retrouvant confronté à une épreuve quasi insurmontable. Pour le chasseur, secondé par un croc de sabre nommé Golg ainsi qu’un trio de gnoblars (le vieux Snikkit, le fourbe Najkit et le crétin Brija) au comportement aussi douteux que l’utilité narrative, il s’agit de trouver et de tuer un Cannibale. La bestiole ayant décidé d’escalader le plus haut pic de la région en pleine tempête de neige, le job de Darhur tourne vite au chemin de croix.
Le lecteur, quant à lui, essaye tant bien que mal de comprendre le pourquoi du comment de cette quête, dont les tenants et les aboutissants ne cessent de varier au fil des pages. D’après ce que j’en ai compris, Darhur a été chassé de sa tribu après qu’il ait tué un Ventre-Dur, dont le gnoblar avait auparavant éborgné son croc de sabre. Seulement, Smillie sous-entend un peu plus loin que le tyran de la tribu a en fait envoyé le chasseur traquer la bête ayant boulotté son gnoblar porte-bonheur favori, et qu’il pourrait donc rentrer une fois la bête abattue.

À cette première contradiction viennent se greffer des lacunes évidentes en matière de storytelling, dont le trio des gnoblars fait principalement les frais. Concentré sur les personnages de Darhur et de Golg, Smillie oublie en effet régulièrement de développer les actions et les motivations des petits peaux vertes, dont on peine à suivre le parcours des plus hachés.
Ainsi, lorsque Darhur les envoie explorer une grotte au début de la nouvelle, Najkit balance tout d’un coup son couteau sur Snikkit, sans aucune explication. Il le rate. Fin de l’histoire. On ne saura jamais ce qu’a fait Snikkit pour mériter cette tentative de meurtre, ce dernier ne se formalisant même pas de la pulsion homicide de son comparse.
Un peu plus tard, quand la petite bande est attaquée par un Dos-Gris dont elle a envahie la caverne pour se mettre à l’abri d’une tempête de neige, l’auteur déclare soudainement que Najkit a bu tellement de pisse de yéti (on se saoule avec ce qu’on a sous la main) entre le moment où ils sont entrés s’abriter et le retour de la bête qu’il cuve tranquillement dans un coin pendant l’attaque… qui a pourtant l’air de se dérouler quelques instants après l’intrusion.
Ce manque de suivi, maladroitement rattrapé par quelques évocations balancées de temps en temps, est d’ailleurs particulièrement patent pendant la tempête de neige en question: à cette occasion, Smillie se consacre exclusivement au calvaire subi par Darhur, qui finit par tomber d’épuisement, et ne doit son salut qu’à l’acharnement de son croc de sabre, qui le réveille à force de morsure et le guide jusqu’à la tanière du yéti. On s’attendrait alors que l’auteur nous explique que les gnoblars ont péri des heures plus tôt, victimes des éléments déchaînés. Comment auraient-ils pu en effet survivre à une escalade capable d’épuiser un chasseur ogre à ce point? Et bien non, pas du tout, ils vont très bien (peut-être un peu froid tout de même), et arrivent dans la caverne quelques instants plus tard. Et quand Smillie fait dire à Darhur qu’il « les avait oubliés », comme pour justifier cette apparition miraculeuse, j’y vois comme un aveu de l’auteur de sa propre omission.

Finalement, l’inévitable confrontation entre le chasseur et sa proie se produit, et bien que souffrant des mêmes défauts que les reste de la nouvelle (narration hachée, faux-raccords, personnages « abandonnés » en cours de route), ce duel au sommet, dans tous les sens du terme, s’achève sur la victoire indiscutable de l’un des deux camps (ce qui constitue une petite satisfaction pour le lecteur, rendu méfiant à ce stade de la nouvelle). On s’attend alors à ce que l’auteur embraye sur une conclusion, son héros ayant accompli la quête qui lui était échue. Sauf que non. C’est pas fini. Loin de là. Smillie sort de son chapeau rien de moins qu’un géant de pierre affamé invoqué par un mage humain, paire improbable qui fera office de véritable boss de fin pour Darhur et ses sidekicks.
Évidemment, on ne saura jamais pourquoi le sorcier a pris la peine de se rendre à cet endroit (ni comment il a pu y arriver) pour bosser ses incantations, ni ce qu’il comptait faire de son golem. Ce dernier, construction magique, a d’ailleurs besoin de manger les bestioles hypnotisées par l’enchanteur (c’est alors qu’on comprend pourquoi le Cannibale avait soudainement développé une telle passion pour l’alpinisme) pour maintenir son intégrité… à moins que ce soit par pure gourmandise. Ce n’est pas expliqué non plus.
Bref, c’est la fête du slip, mais Darhur, sans doute aussi surpris que le lecteur, se contente de foncer dans le tas, ce qui constituait sans doute la meilleure chose à faire pour lui. Heureux l’esprit trop étroit pour le doute, comme dirait l’autre.

Au final, on ressort franchement étourdi de Mountain Eater, nouvelle dont le niveau de n’importenawak ne cesse de grimper depuis la première jusqu’à la dernière ligne. Plus fort que le TGCM, plus fort que le Deus Ex Machina, il y a Andy Smillie et sa terrifiante technique de « zapping narratif », le pire étant sans doute qu’il ne semble même pas avoir conscience des énormes lacunes dont son texte recèle. On ne peut qu’espérer qu’il corrige le tir dans ses prochaines livraisons, sans quoi il pourrait fort venir concurrencer Sarah Cawkwell pour le titre de pire auteur en activité de la BL.

En Conclusion, un numéro encore une fois très contrasté, French et Dembski-Bowden compensant tant bien que mal les errements des deux Andy (Hoare et Smillie), avec du Counter fidèle à lui-même, c’est à dire moyen, pour équilibrer le tout. À la prochaine!