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L’Âge des Mythes: la ‘GW-Fiction’ au temps de GW Books et Boxtree

Bonjour à tous! En préparant la critique du recueil Ignorant Armies, je suis tombé sur un article tout à fait intéressant, et rigoureusement indispensable à la bonne compréhension de notre propos, écrit par l’un des acteurs de cette époque héroïque, l’auteur Stephen (Steve) Baxter. Initialement publiée dans le magazine Vector en 2003, cette chronique passionnante des débuts de la GW-Fiction a été exhumée par le blog Pariedolia en 2016. Vous en trouverez ci-dessous une version traduite par votre serviteur (VO ici).

Beasts in Velvet

‘« Maudits soient tous les cochers humains et toutes leurs passagères », grommela Gotrek Gurnisson, ajoutant une malédiction en Khazalide…’

Il s’agit de l’incipit de ‘Geheimnisnacht‘ par William King, la première nouvelle du premier livre de fiction de Warhammer, l’anthologie Ignorant Armies, publié en 1989. D’innombrables livres, magazines et bandes dessinées prenant place dans les univers des très populaires wargames et jeux de rôle commercialisés par Games Workshop (GW) ont depuis suivi.

Il est fort probable que l’implication de David Pringle, alors rédacteur en chef d’Interzone, en tant que premier éditeur de GW de 1988 à 1991, ait joué un rôle dans la participation d’un certain nombre d’éminents écrivains de SF et Fantasy britanniques – contingent connu sous le nom de Génération Interzone – aux débuts de la « GW-Fiction ». Si mon propre apport fut modeste, deux nouvelles publiées en 1989 et en 1990; David Garnett (rq : David Ferring), Kim Newman (rq : Jack Yeovil), Brian Stableford (rq : Brian Craig), Ian Watson et d’autres ont contribué de façon bien plus significative. Aujourd’hui, GW publie et republie – en vastes quantités – des œuvres de fiction sous l’égide de sa filiale Black Library. Entre ces débuts modestes et l’époque contemporaine, la GW-Fiction a connu des hauts et des bas dignes d’une saga épique, convoquant tour à tour hobbyistes idéalistes et financiers pragmatiques, stakhanovistes diligents et rebelles effrontés, et faite à égales parts d’orthodoxies dogmatiques et d’hérésies plus ou moins tolérées, d’effondrements temporaires et de renaissances laborieuses, d’intrigantes options laissées inexplorées et de conflits sans cesse renouvelés entre licence artistique et respect de la propriété intellectuelle.

Comeback Tour

Cela fait un certain temps que je soutiens que quelqu’un devrait se pencher sérieusement sur cette saga. Et puisque personne plus qualifié que moi n’a relevé ce défi à ce jour, et que comme dit l’adage, on n’est jamais mieux servi… L’objectif de cette chronique sera de présenter une histoire informelle de la littérature GWesque, en particulier celle de la « période Pringle », sur la base des souvenirs personnels des personnes concernées, et, autant que possible en utilisant leurs propres mots. J’adorerais qu’une véritable étude universitaire soit menée sur la base de ce corpus, un jour.

Mon premier contact avec le projet GW-Fiction eut lieu à l’automne 1988, et prit la forme d’un appel de David Pringle.

Games Workshop a été créé dans le sud-ouest de Londres en 1975 par un groupe d’enthousiastes, parmi lesquels Steve Jackson et Ian Livingstone, qui s’étaient initiés au wargame pendant leurs études. S’ennuyant dans leur travail, ils conçurent le projet et lancèrent une nouvelle société, Games Workshop, spécialisée dans le développement et la vente de jeux innovants. Bien que leur premier catalogue fut marqué du sceau du classicisme, avec des jeux aussi originaux que le backgammon et le go, leur prédilection commune allait vers les jeux de Fantasy comme Lensman (1971), basé sur les romans de EE Smith, et s’inspirant de jeux basés sur des confits réels – tels que Diplomacy et Warlock.

Pour faire connaître GW, les amis créèrent un fanzine intitulé Owl and Weasel, dont un numéro trouva le chemin du développeur de jeux américain Gary Gygax. Ce dernier envoya à la jeune entreprise, pour revue critique, un exemplaire d’un nouveau jeu appelé Donjons & Dragons (D&D).

Publié par TSR Hobbies, D&D, en tant que premier RPG à disposer d’une véritable diffusion commerciale, révolutionna le jeu de rôle sur table. Un RPG comme D&D a un «univers» – le cadre fictif dans lequel se déroule le jeu – défini dans un ensemble de manuels. Les joueurs créent et contrôlent leurs personnages, avec lesquels ils s’identifient souvent étroitement. Il est possible d’utiliser des figurines en plomb pour représenter physiquement le personnage sur la table, mais dans les premiers jeux de rôle, l’intérêt des joueurs se portait en d’abord sur la qualité et la flexibilité des scénarios et des règles, plutôt que sur les produits dérivés.

Chaos ChildImmédiatement enthousiastes à propos de D&D et des jeux de rôle en général, Jackson et Livingstone signèrent rapidement un accord de distribution exclusif avec TSR sur le marché européen, pour une durée de trois ans – ils apprendraient plus tard que TSR était une toute jeune compagnie, dont les tentatives de faire distribuer D&D par les majors du secteur avaient jusqu’alors rencontré une ferme fin de non-recevoir –. Comme le souligne Cheryl Morgan, une ancienne camarade d’école de Kim Newman et Eugene Byrne ayant connu les prémices du jeu de rôle en Grande-Bretagne, GW a dès l’origine nourri de sérieuses ambitions commerciales.  ‘Même si Steve [Jackson] et Ian [Livingstone] étaient tous deux des passionnés, ils… voulaient également gagner beaucoup d’argent…’ Le pari fait par les deux amis à propos de D&D se révéla payant et les commandes se multiplièrent.

Jusqu’en mai 1976, GW fut géré depuis un appartement de Shepherd’s Bush (rq : un quartier de l’ouest de Londres). L’entreprise grandissant, Jackson et Livingstone louèrent un bureau à l’arrière d’une agence immobilière du sud de Londres, puis investirent un fonds de commerce à Hammersmith en 1977. À partir de 1978, GW commercialisa tous les RPG majeurs (TravelerRuneQuestMiddle Earth Roleplay…). Marc Gascoigne – qui rejoindra GW en tant qu’éditeur en 1984,  et deviendra plus tard éditeur au sein de la Black Library – souligne qu’à l’époque, tout jeu de rôle digne de ce nom était distribué par GW sur le territoire britannique.

Parallèlement à ces développements, GW commença à publier White Dwarf, un magazine spécialisé au format A4. Alors que Owl & Weasel était un fanzine dupliqué à la photocopieuse, White Dwarf fut conçu dès l’origine pour une diffusion beaucoup plus large, et était en conséquence d’une qualité de tirage bien supérieure, similaire à celle d’Interzone. Preuve du succès rencontré par cette nouvelle itération, au bout de dix-huit mois cette dernière était vendue dans les kiosques à journaux. Le ‘Dwarf présentait les produits de GW et d’autres fabricants, et gagna rapidement en popularité auprès de la communauté des joueurs. Un tout jeune Charles Stross y fit ses débuts d’auteurs, avec : ‘des profils de monstres pour D&D, à mon grand embarras, alors que j’avais 13-15 ans… J’ai découvert avec stupeur il y a quelques années que ces travaux de jeunesse avaient engendré leur propre jeu, qui dispose d’une réputation assez outrancière parmi la communauté des joueurs.’

Le succès ne se démentant pas, les activités commerciales de GW, initialement à destination des professionnels, s’ouvrirent au grand public, avec l’ouverture du premier magasin Games Workshop à Hammersmith (rq : un quartier de l’ouest de Londres). Dès le début, sa gestion fut confiée à une équipe de passionnés, dans le but de créer et cultiver un sentiment de communauté. Grâce à la publicité des White Dwarfs, le succès fut immédiat et d’autres magasins furent rapidement ouverts à Manchester, Birmingham, Sheffield, Nottingham et ailleurs.

Genevieve UndeadEn 1980, GW lança ses propres jeux de plateau – basés respectivement sur les franchises du Doctor Who et de Judge Dredd – sous le slogan « L’Empire Britannique Contre-Attaque! » (récupération publicitaire peu appréciée par George Lucas, qui obtint une modification de cette campagne marketing – le premier mais pas le dernier des démêlés juridiques de notre histoire –). S’en suivit la sortie du premier RPG siglé GW (Judge Dredd – The Roleplaying Game, co-écrit par Marc Gascoigne) en 1985, bientôt suivi du super-héroïque Golden Heroes.

Il devint bientôt évident que la vente de figurines, dont les jeunes joueurs (10 à 14 ans) raffolaient particulièrement, générait une marge bénéficiaire importante. Désireux de pénétrer ce marché porteur, GW créa une filiale à Nottingham, Citadel Miniatures, dont la croissance fut portée par les canaux de distribution (vente par correspondance et chaîne de magasins) et de publicité mis en place par la société mère. Le premier dirigeant de Citadel fut Bryan Ansell. Ansell, qui « avait commencé sa carrière en tant que fabricant de petits soldats », selon David Pringle, avait précédemment développé la populaire gamme de produits Asgard. Comme beaucoup d’autres figures du monde du jeu de l’époque, ses véritables débuts se firent cependant en tant que rédacteur en chef d’un fanzine, dans son cas le poétiquement nommé Trollcrusher.

En 1983, Citadel a lança la première itération de ce qui deviendrait sa franchise phare : Warhammer. Le jeu prenait place dans un univers d’heroic fantasy tolkienisant, et était  co-écrit par Ansell.

À la croisée des années 1980, le marché vécut une profonde évolution. Alors que les ventes de RPG ralentissaient, celles des figurines Warhammer progressaient fortement. En dépit d’investissements initiaux élevés, les marges réalisées sur des figurines en plomb se révélèrent être beaucoup plus élevées que celles des livres de jeux de rôle et les jeux de plateau, particulièrement grâce au réseau de distribution bien développé de GW.

Cette logique poussa l’équipe dirigeante de Citadel, menée par Ansell, à racheter la société mère à ses fondateurs au début de l’année 1986. S’en suivit une transformation du business model afin de se concentrer sur la vente de figurines et d’accessoires de jeux. Cheryl se souvient que Livingstone et Jackson avaient de toute façon connu le succès avec un autre de leur projet, la série de « Livres dont vous êtes le héros » de Fighting Fantasy. ‘Après avoir fait fortune, ils ont revendu [GW] à Bryan Ansell … Bryan était encore plus concentré sur l’argent que Steve et Ian, et il a fixé à GW des objectifs très spécifiques, avec un succès notable il faut le reconnaître (bien que cette réussite puisse également être mise au crédit de Tom Kirby [le bras droit d’Ansell])… Toute [sa] politique reposait sur la vente de figurines grâce aux jeux. ‘

Ces changements provoquèrent une controverse parmi la communauté de clients et fans historiques de GW, qui regrettèrent la perte manifeste de la philosophie hippie et estudiantine de la société, et son ralliement aux sirènes du corporatisme, tandis que le White Dwarf se muait visiblement en une rutilante machine marketing. Même au sein de l’entreprise, ce changement de management ne fit pas l’unanimité : dans le dernier numéro de White Dwarf publié par l’équipe d’origine, l’initiale de chaque partie du sommaire épelait ‘Sod Off Bryan Ansell’ ! (rq : Va ch*er Bryan Ansell !) Mais, comme le souligne Marc [Gascoigne], le rachat et la relocalisation d’une entreprise basée à Londres par un fabricant de Nottingham n’aurait de toute façon pas pu faire que des heureux. Certains membres du personnel londonien, y compris Marc (bien qu’il parte travailler pour Fighting Fantasy un an après l’avènement de l’ère Ansell) se plièrent cependant de bonne grâce à ces changements.

Deathwing

La nouvelle direction mit l’accent sur le développement de jeux riches en personnages, conçus pour servir de plate-forme à la vente de figurines et d’accessoires. 1986 vit la publication du jeu de rôle Warhammer Fantasy Roleplay ; à cette époque, le jeu de figurines du même nom en était à sa troisième édition. Ce RPG Warhammer fut un succès – la meilleure vente de RPG de 1987 au Royaume-Uni et la meilleure vente d’un RPG anglais à l’international plusieurs années durant selon Marc Gascoigne.

Au début de 1988, GW avait largement abandonné la vente des jeux d’autres fabricants pour se concentrer sur ses propres gammes. Les jeux majeurs de l’entreprise étaient Warhammer (décliné en wargame et RPG), Warhammer 40.000 (40K), un jeu de figurines se déroulant dans un univers de space opera grimdark, et Dark Future, un jeu de société et de figurines se déroulant dans un monde alternatif teinté de cyberpunk post-apocalyptique, et faisant la part belle aux poursuites en voiture. Dark Future, co-écrit par Marc Gascoigne, était une des démonstrations les plus manifestes du repositionnement de la société sur les jeux de figurines.

De nouvelles opportunités commerciales se firent jour. Certains créateurs de jeux de rôle avaient commencé à produire des œuvres de fiction associées aux univers dans lesquels se déroulaient leurs jeux, parfois avec des succès notables comme dans le cas de TSR (séries Weiss et Hickman Dragonlance). En janvier 1987, et à la suite du lancement réussi de Warhammer RPG, GW décida de tenter sa chance et de publier des recueils de nouvelles, peut-être même des romans, prenant place dans cet univers.

La saga de la « GW-Fiction » pouvait commencer.Demon Download

GW se tourna d’abord vers le (regretté) Richard Evans, qui officiait à l’époque comme éditeur chez Macdonald (rq : une maison d’édition britannique, pas la chaîne de fast-food), et lui demanda de recommander un « bon auteur fantastique » pour développer un livre basé sur l’univers de Warhammer. Richard soumit le nom de Mike Scott Rohan, qui se souvient: ‘comme à l’époque, j’étais le meilleur vendeur de Macdonald (fierté !), [Richard] m’a sollicité en ce sens. J’ai dit que je jetterai un œil sur leur proposition, mais comme je ne voulais pas que cela empiète sur mes travaux en cours, j’ai demandé la permission d’inclure mon collaborateur occasionnel et expert ès Vikings Allan Scott à la discussion. Ils ont accepté, et nous sommes rendus à leur siège pour une série de réunions de plus en plus étranges…’. Scott Rohan et Scott s’entendirent bien avec leur interlocuteur chez GW, dont l’expertise sur l’Allemagne du XVIème siècle, en plus d’impressionner Mike, avait influencé le développement de l’univers de Warhammer.

Mike poursuit: ‘Al et moi… reçûmes des propositions plutôt intéressantes d’un point de vue pécuniaire, et acceptâmes la proposition. Nous ne nourrissions aucune réserve sur ce projet, car nous avions le sentiment que nous pouvions être créatifs. Nous pensions pouvoir développer une intrigue se déroulant à la périphérie de l’univers de Warhammer, et qui éviterait autant que possible d’utiliser les personnages de leur jeu – et, si possible, les pasticher sans pitié…’ Malheureusement, la combinaison d’un manque de stabilité des interlocuteurs chez GW, et le criant manque d’expérience et d’intérêt de la part de certains membres de la hiérarchie de GW sur la manière de gérer des auteurs et le monde de l’édition en général, vint ralentir les progrès. Un directeur, rapporte Mike : ‘indiqua de façon très claire qu’il n’était pas intéressé par la qualité littéraire, et pour tout dire ne croyait pas qu’il soit possible d’obtenir un résultat qualitatif pour de la fiction fantastique. De son point de vue, les auteurs et les créatifs en général n’étaient qu’une bande de hippies chevelus que vous pouviez payer au lance-pierre… Nous avons donc naturellement décidé que [le livre] ne pourrait être écrit qu’au second degré, dans une optique picaresque assumée, et ne nous sommes pas gênés pour inclure des caricatures outrancières de nous-mêmes parmi les personnages principaux, et de certains des sales types de GW parmi les méchants…’

GW valida néanmoins le synopsis de Mike et Allan, mais des différends se firent jour à propos d’éléments susceptibles de porter atteinte au droit d’auteur de Tolkien. Finalement, les éditeurs abandonnèrent le contrat de GW. Mike et Allan réécrirent le livre en supprimant  toutes références à Warhammer et le faisant se dérouler dans un monde de leur création. Mike précise: ‘Rebaptisé A Spell of Empire, il a été publié par Orbit – qui appartient maintenant à Little, Brown – en 1992. Il a reçu un accueil plutôt favorable et a bénéficié de quatre éditions étrangères. Cela reste l’un des livres pour lesquels on me demande le plus souvent si une suite est prévue.’

Drachenfels

Cette débâcle ne découragea pas GW de retenter sa chance. La société se tourna cette fois-ci vers Penguin (rq : une maison d’édition britannique, qui a notamment publié une très belle, complète et commentée anthologie en trois volumes de l’œuvre de Lovecraft), et recruta David Langford pour démarcher des auteurs professionnels potentiellement intéressés par le projet.

David officiait comme critique littéraire pour White Dwarf, et était déjà à l’époque le robuste moyeu de la roue un peu voilée qu’est la SF britannique, ce qui faisait de lui un candidat parfait pour ce poste. En Janvier 1987, il adressa une proposition de collaboration à douze auteurs établis de ce microcosme – la collaboration de figures reconnues au projet étant nécessaire pour finaliser le contrat avec Penguin. La lettre était empreinte de l’humour particulier de Dave, et détaillait de façon honnête cette « proposition louche », en plus de donner des détails sur la nature du projet : ‘Comme vous pouvez l’imaginer, un dieu de la mort appelé Morr nécessitera quelques notions basiques d’étymologie, et le dieu de la maladie appelé Nurgle n’est pas lié au Goon Show (rq : une émission de radio humoristique diffusée sur la BBC dans les années 50, qui a influencé les Monty Pyton) pour autant que nous le sachions…’ ‘En termes de paiement,’ précise David, citant les managers de GW, ‘nous proposons les taux usuels, éventuellement complétés d’un léger intéressement sur les ventes, ces dernières ayant une chance d’être plus élevées que d’habitude…’ En Février, David fit un retour assez mitigé à GW. ‘En résumé: trois OUI, sept ALLEZ VOUS FAIRE VOIR, et deux réponses toujours attendues.’

Parmi les auteurs ayant décliné la proposition, on comptait John Brunner (rq : qui collaborera bien plus tard à la Black Library, avec ‘A Place of Quiet Assembly’), qui ‘désapprouvait fortement [l’initiative]’, Chris Evans, pour qui l’univers de Warhammer était ‘un embrouillamini de références diverses sans originalité… laissant très peu de place à un processus créatif’, et Chris Priest, auquel David se souvient d’avoir ‘proposé le projet de vive voix, et s’estimer heureux de s’en être tiré vivant’. Les autres fins de non-recevoir furent envoyées par Rob Holdstock, Tanith Lee, Lisa Tuttle et Ian Watson (rq : qui se fit finalement convaincre, comme nous le verrons plus tard). Les retours tardifs de Bob Shaw et Ramsey Campbell se révélèrent être également négatifs. David lui-même botta en touche: ‘Je doutais sérieusement de ma capacité à écrire ce type de fantasy avec un honnête premier degré.’

Deux des retours positifs vinrent de Garry Kilworth et de Brian Stableford, qui furent extrêmement honnêtes quant à leurs motivations: ‘Votre lettre est arrivée le même jour que mon relevé bancaire’, déclara ainsi Garry. Le troisième et dernier ‘oui’ fut envoyé par Terry Pratchett (!), qui écrivit : ‘Quel délicieux univers que le vôtre, et original sur bien des aspects. Pour citer Robert Robinson, il semble que vous ayez appris la langue des indigènes pour leur vendre vos verroteries. Mais, à la condition que personne ne s’offusque que je considère cette offre un tout petit moins sérieusement qu’elle semble se prendre elle-même, je serais a minima intéressé de savoir quels sont les « taux habituels » auxquels il est fait référence.’ Dans une note ultérieure, Terry écrivit: ‘Je me sens un peu comme le roi Hérode auquel on aurait demandé de contribuer à la gazette de l’Association des Jeunes Parents de Bethléem (rq : référence au Massacre des Innocents, ou le meurtre de tous les enfants de moins de deux ans de la région de Bethléem sur l’ordre de Hérode, qui voulait empêcher la venue du Messie).’

En fin de compte, l’entreprise échoua lorsque le contrat proposé par GW s’avéra inacceptable pour les auteurs intéressés. De toute évidence, l’entreprise n’avait toujours pas pris la mesure du marché qu’elle tentait de pénétrer – et Terry Pratchett n’a jamais écrit pour Games Workshop.

En 1988, GW fit une nouvelle tentative en vue de lancer une gamme de fictions liées à ses franchises. Cette fois, il fut décidé que l’éditeur serait GW lui-même, via une nouvelle filiale nommée GW Books. GW recruta David Pringle en tant qu’éditeur en chef et Ian Miller en tant que conseiller artistique.

 Ghost DancersDavid Pringle se souvient: ‘Ian Miller… était la personne qui m’a obtenu ce job chez GW… Il a mis sur pied le bureau de Brighton et était employé à plein temps comme conseiller artistique, avec un salaire plus élevé que le mien.’ Miller avait été le professeur d’arts plastiques d’un certain John Blanche, directeur artistique de GW: ce que Marc Gascoigne décrit comme du « Bosch-isme dément » était déjà au cœur de l’identité visuelle de Warhammer.

En 1988, Interzone existait depuis six ans et David Pringle était un nom très respectable dans le milieu de la science-fiction britannique. Sa capacité à mettre à contribution l’«écurie» des actuels et futurs auteurs d’Interzone ne faisait pas de doute. David résuma ses objectifs de la façon suivante: ‘Obtenir autant d’argent et d’opportunités de publication que possible pour les auteurs. Et bien sûr, c’était un gagne-pain pour moi également. Je pense que j’ai commencé avec un salaire de 13.000 £ (rq : environ 18.800 €) par an en Octobre 1988, et que je touchais 14.000 £ à mon départ en Octobre 1991′.

Des motivations moins terre à terre peuvent également être considérées. Ian Watson se souvient que ‘Bryan Ansell souhaitait ardemment lire de vrais romans écrits par de vrais auteurs traitant de ses univers bien-aimés. David Pringle a réussi à convaincre Bryan que cela était possible, en mettant à profit le vivier des contributeurs d’Interzone, à la condition que ces derniers puissent se partager dix mille livres sterling de royalties garanties par volume.’

Apprenant de ses déboires passés, GW commença par charger David Pringle d’établir un modèle de contrat robuste à destination de ses auteurs. Brian Stableford l’assista dans cette tâche.

À mesure que la perspective d’une GW-Fiction se solidifiait, certains observateurs eurent le sentiment que l’approche mercantile de GW se renforçait. David Langford raconte qu’en Octobre 1988 : ‘j’avais transféré mes revues littéraires de White Dwarf à GamesMaster… Ils avaient déjà laissé tomber toutes les critiques de jeux indépendants en faveur d’un matraquage sur les produits GW, et il semblait probable que les critiques de livres indépendants suivraient rapidement le même chemin – ce qui a bien été le cas au final… David Pringle a repris la colonne dans le Dwarf après mon départ, bien que je pense le vol de ma formule «Critical Mass» (rq : un jeu de mot anglais entre « masse critique » et « messe de la critique ») lui a été imposé par GW et n’était pas de son fait! Ses revues ont été publiées dans les numéros 107 à 109, et 111. David V. Barrett a ensuite repris le flambeau – en utilisant toujours mon titre – du numéro 112 au numéro 115. L’emprunt s’arrête au numéro 116, qui n’a pas de rubrique critique. DVB m’a dit (même si je ne me souviens pas exactement quand) qu’il avait démissionné après avoir subi des pressions de sa direction pour mettre de l’eau dans son vin’.

David Pringle, de son côté, commença à contacter de potentiels contributeurs.

InquisitorJ’étais encore nouveau dans le métier lorsque David Pringle m’a appelé. J’avais publié de nombreuses nouvelles dans Interzone et ailleurs, mais mon premier roman (Raft) ne sortirait pas avant 1990, je n’avais jamais écrit de la Fantasy et je ne pratiquais même pas de RPG! Mais relever de nouveaux défis ne me faisait pas peur, et la compensation financière proposée était des plus sympathiques: pas moins qu’un très respectable 1.000 £ (en royalties garanties) pour un texte de sept mille mots, bien au-delà des tarifs proposés par Interzone et de la plupart des commissionnaires à l’international. Il s’agissait cependant d’une pure « vacation littéraire » : les droits d’auteur de la fiction appartiendraient à GW, les auteurs s’engageant à renoncer à leur propriété intellectuelle en échange de royalties. Je serais bien payé, mais tout ce que je créerais appartiendrait à GW.

David m’a envoyé une pile de manuels de jeu GW, dans lesquels je me suis consciencieusement plongé. Les premières nouvelles devraient prendre place dans le monde fantastique de Warhammer, qui ressemblait plus ou moins à une Terre du XIVème siècle peuplée de sorciers, Elfes, Nains et autres figures classiques de la Fantasy. Le ‘Chaos’, le concept fondamental de cet univers, jouait le rôle d’élément perturbateur. Ce background m’est apparu comme un assemblage d’éléments provenant de sources familières, Tolkien parmi elles – Cheryl souligne que Warhammer était «désespérément peu original». David Langford parle ‘d’emprunts divers et variés’, fragments lovecraftiens inclus.

La question des origines évacuée, il fallait reconnaître qu’il s’agissait d’un monde complexe, laissant beaucoup de place pour la création d’histoires. Quelques idées me vinrent. La première, qui donna au final la nouvelle intitulée ‘The Star Boat’, était basée sur une trace de science-fiction que j’avais identifiée au cours de mes lectures : une race convenablement mystérieuse et quasiment éteinte ayant bénéficié d’une technologie de pointe (rq : les fameux primo-Slanns). L’histoire convoquerait un ‘Norse’ – Erik le Changepeau, ayant hérité de la malédiction du loup-garou de ses ancêtres – à la recherche de l’ancien vaisseau spatial susnommé. La deuxième nouvelle, ‘The Song’, serait un pastiche fantastique incluant un «détective» Elfe. David apprécia ces idées et les transmit à Andy Jones, son contact pour l’écriture de scénarios chez GW, qui demanda des changements mineurs par rapport à mes pitchs initiaux. Je me suis mis au travail – sur la foi de la parole donnée par David, car je n’avais encore signé aucun contrat. J’ai livré ‘Star Boat’ à la Noël de 1988 et ‘The Song’ fin Janvier 1989.

En Janvier 1989, David fournit, à nous autres auteurs, ‘quelques principes directeurs’. Nous apprîmes que notre lecteur cible était un ‘ado intelligent de 18 ans’, qu’il fallait éviter le sadisme et le sexe explicite, et que notre ‘ligne directrice devait être l’aventure fantastique’. Comme je pense que nous avions été nombreux à buter sur la nature de ce fameux ‘Chaos’, David précisa : ‘Il est important de garder à l’esprit que « chaos » et « mal » ne sont pas synonymes. Il peut y avoir de bons dieux du Chaos (de fait, les dieux de la loi eux-mêmes sont nés du Royaume du Chaos… )‘

Marc Gascoigne indique que le concept de ‘Chaos’ a été inspiré par la série Eternal Champion de Michael Moorcock, qui avait également influencé Dungeons and Dragons. Les concepteurs de GW avaient toutefois à cœur de rendre justice à cette notion, que D&D avait galvaudée à leur goût. Marc révèle que les gens de GW étaient également au courant de l’influence qu’avait eu le Three Hearts & Three Lions de Poul Anderson sur l’univers de Moorcock. Selon lui, les Elfes de Warhammer tiennent autant de The Broken Sword d’Anderson que de Tolkien.

 KonradPour nous les auteurs, ce genre de subtilités s’avérait parfois déroutant, et leur non-inclusion dans les manuels de jeu ne facilitait pas notre appropriation du ‘dogme’. Nous ne tardâmes pas à apprendre que rien n’était laissé au hasard, et que le clergé de Nottingham, dirigé par Bryan Ansell en personne, était un gardien vigilant du sacro-saint lore. J’avais déjà reçu des commentaires éditoriaux sur mes manuscrits de la part de David, et d’autres suivirent de la part d’Andy Jones, et même d’Ansell. Certaines de ces remarques portaient sur d’obscurs détails de background, mais d’autres touchaient à la structure du récit, que l’on aurait pensé être la seule prérogative de David. Plus tard, ce fut au tour de William King d’entrer dans la danse. Bill était un contributeur d’Interzone doublé d’un joueur de Warhammer doté d’une solide connaissance du fluff, et fut recruté directement par GW peu de temps après. Alex Stewart (Sandy Mitchell) se souvient de ces expériences avec contrariété: « [Bryan Ansell] imposait des dictats absurdes tels que « les histoires ne doivent jamais être écrites à la première personne » quelques jours après la rendue d’un draft tout à fait satisfaisant, par exemple. »

Avec le recul, je réalise que cela n’était pas propre à GW; la propriété intellectuelle d’autres franchises telles que Star Trek est tout aussi étroitement contrôlée. À l’époque, j’éprouvais des difficultés à rendre des copies qui satisfassent mes innombrables relecteurs. Mais cela faisait partie du métier, du moins le pensais-je, et me servirait sans doute dans la suite de ma carrière. Au final, le changement le plus difficile à réaliser fut de transformer en ‘halfling’ le protagoniste elfique de ‘The Song’, afin de faire le lien avec un personnage créé par Alex dans une autre nouvelle ! (rq : le « fameux » Sam Warble)

La tâche de David Pringle n’était pas plus aisée. Les détails des jeux ‘ne cessaient de changer, au gré des humeurs des démiurges de Nottingham, donc c’était difficile. J’avais un bureau à Brighton et […] je montais [sur Nottingham] environ une fois par mois, la première année tout du moins, mais j’étais très éloigné du cœur du réacteur et des changements quasi-quotidiens apportés au background. Cela dit, c’était mon choix – je serais devenu fou si j’avais dû travailler à Nottingham, dans l’atmosphère assez étrange du siège de GW.’

En 1989, après cette interminable gestation, les premières publications de GW, prenant place dans le monde de Warhammer Fantasy Battle, firent enfin leur apparition en librairie.

 Krokodil TearsMon ‘Star Boat’ apparut dans la première anthologie publiée par GW Books, intitulée Ignorant Armies, avec des nouvelles de William King, Charles Stross (Charles Davidson), Nicola Griffith, Brian Stableford (Brian Craig), Kim Newman (Jack Yeovil) et Paul McAuley (sous le pseudonyme de Sean Flynn, le nom du fils du fils disparu d’Errol Flynn!). Les autres anthologies publiées peu de temps après mirent à contribution Storm Constantine, Eugene Byrne, Charles Platt et Alex Stewart. C’était un casting des plus respectables.

Le livre en lui-même était un poche joliment produit, avec une couverture en couleurs et des illustrations intérieures, dont certaines de Jim Burns (rq : un des grands noms de l’illustration de genre) – bien que certains pensent que ‘le caractère idiosyncratique (rq : plutôt particulier) de la couverture a pu affecter la visibilité globale [du livre]’ (Peter Garratt dans Interzone #70, Mars 1991). Marc Gascoigne ajoute que les premiers tirages furent réalisés au format B, plus large que le poche traditionnel, avant que ce dernier ne devienne courant dans les librairies, ce qui put également engendrer des difficultés marketing opérationnel.

Tout le monde n’utilisait pas de pseudonymes. J’eu recours au subtil alias de ‘Steve Baxter’, dans la veine du ‘Iain M. Banks’ (rq : l’identité ‘secrète’ de l’auteur Ian Banks), afin de marquer la différence avec mes autres travaux. Je ne voyais pas l’intérêt de dissimuler mon identité aux lecteurs qui auraient pu être attirés par mes autres écrits, et je n’avais de toute façon pas honte du travail réalisé pour le compte de GW. Nicola Griffith abonde: ‘Lorsque j’ai choisi de ne pas utiliser un pseudonyme pour cette commission, presque tout le monde a pensé que j’étais folle… Pour moi, il s’agissait d’une conséquence logique de ma conviction profonde de ne jamais publier quoi que ce soit dont je ne sois pas fière, et prête à y attacher mon nom et ma réputation.’

Pour Nicola comme pour certains des auteurs les plus inexpérimentés (moi inclus), la collaboration avec GW fut une source d’apprentissage. ‘Travailler sur du Warhammer ne m’a apporté que du positif… De façon cruciale, [j’ai] appris à mettre en scène une histoire de façon consciente et structurée. Par histoire, j’englobe l’évolution du personnage et la progression de l’intrigue. Avant cette collaboration, j’avais tendance à utiliser la méthode dite du ‘j-attends-d-être-frappée-par-l-inspiration’ (qui nécessite d’atteindre une sorte de ’masse critique psychologique’, processus incertain et mal compris, sur lequel il est difficile d’influer). En d’autres termes, j’avais l’habitude de ressentir mes histoires de manière assez incohérente, puis d’essayer de les coucher sur le papier. Évidemment, ce processus créatif n’est pas vraiment compatible avec l’écriture de travaux commissionnés. Quand l’argent, les délais et d’autres contraintes sont entrés en ligne de mire, j’ai appris à atteler ma muse (généreuse pourvoyeuse en thèmes, métaphores, émois intérieurs et autres mignardises littéraires en tous genres) à la parfois terne, mais toujours robuste, voiture ‘intrigue’. L’astuce était d’imaginer un petit David Pringle flottant au-dessus de mon clavier, répétant à intervalles réguliers ‘Oui, oui, c’est très bien, mais quand est-ce qu’il se passe quelque chose ?’.

Nous fûmes invités à une soirée de lancement pour Ignorant Armies. Nicola se souvient: ‘Ça a été ma toute première séance de dédicace – Je m’en souviens encore très bien : moi, toi, Bill King, Alex [Stewart], Kim Newman et d’autres, signant à la chaîne dans un hôtel miteux de Birmingham et buvant de la bière (gracieusement offerte). Je pense que la bière gratuite est la raison pour laquelle je me souviens de cette soirée. Je n’avais jamais associé les termes ‘bière’ et gratuit’ auparavant. Je n’avais jamais fait de dédicace non plus, et ça m’a semblé plutôt cool.’

L’anthologie fut généreusement, bien que de façon légèrement incestueuse, critiquée dans Interzone (#33, Janvier 1990), par Neil McIntosh et Neil Jones. Ce dernier finirait par aller travailler pour GW, et le premier deviendrait un des auteurs de la Black Library (rq : série Stefan Kumansky, entre autres). Ils signèrent: ‘Verdict : c’est un succès… Une expérience équilibrée et très divertissante, à la fois pour le joueur de Warhammer (auquel le livre est principalement destiné) et pour l’amateur de littérature Sword & Sorcery.’

Les premiers romans, également publiés en 1989, incluaient le premier tome de la trilogie ‘Orfeo’ de Brian Stableford (‘Zaragoz’), et le ‘Drachenfels’ de Kim [Newman a.k.a. Jack Yeovil], le début de sa série vampirique ‘Genevieve’. Brian Stableford apprécia le projet: ‘Warhammer m’a fourni une occasion en or de m’essayer à un type de production qui m’intéressait de longue date, et certaines des nouvelles que j’ai réalisées dans ce cadre font partie de mes œuvres préférées.’

Le Drachenfels de Kim fut critiqué par John Clute (rq : un des critiques de science-fiction et fantasy les plus reconnus et respectés) en personne dans Interzone (#35, Mai 1990). Clute ne manqua pas de remarquer qu’il s’agissait d’une œuvre commissionnée, mais nota également une récurrence de la figure de l’acteur dans l’intrigue de Kim, ainsi que des références appuyées à divers films. Comme si ‘l’intrigue… intégrait de façon consciente son existence à l’intérieur d’une franchise, gagnant du même coup une paradoxale et ultime liberté par rapport à cette dernière’ (rq : une mise en abyme quoi). Kim déclara que l’intrigue lui avait été inspirée par Busby Berkeley (rq : un réalisateur et chorégraphe américain du début du XXème siècle).

Plague DaemonWarhammer inspira Kim. Il signa, avec une facilité apparente – et décourageante –, sept romans pour GW Books au cours de ces premières années, en plus de contribuer aux recueils de nouvelles. Kim réussit manifestement à composer avec (toujours) et se jouer (parfois) des instructions de Nottingham que d’aucuns trouvaient contraignantes. ‘J’étais convaincu que cela [le second degré] était inhérent à cet univers, qui faisait un usage régulier de références clairement identifiables – la ville de Bilbali dans ‘l’Espagne’ de Warhammer, l’Impératrice Magritta qui prit le pouvoir en 1979 et opprima son peuple (rq : clin d’œil à Margaret Thatcher)… Pour 40K,  certains arguaient que le divin et immortel Empereur de l’Humanité était en fait Cliff Richards’ (rq : un pionnier du rock anglais, et le 3ème artiste ayant vendu le plus de disques au Royaume-Uni, derrière les Beatles et Elvis Presley. Le Johnny Hallyday anglais). Marc met en opposition l’aspect sarcastique et pince-sans-rire typiquement britannique de Warhammer et le premier degré absolu de D&D. Kim acquiesce: ‘Je n’ai guère eu à me forcer pour intégrer quelques éléments satiriques ou absurdes dans mes écrits – j’avais retiré de mon expérience (assez limitée) de rôliste que la plupart des groupes incluent un bouffon assumé, je suppose que je faisais la même chose à mon niveau. J’ai également abordé des sujets sérieux, comme des problèmes sociaux, la corruption politique… ce qui a peut-être équilibré le tout. » Marc se rappelle en souriant d’un chapitre de ‘Genevieve Undead’ intitulé ‘The Cold Stark House‘, une parodie de Cold Comfort Farm (rq : un roman de Stella Gibbons parodiant les romans champêtres du début du XXème siècle) avec des vampires. Beaucoup de lecteurs ne relevèrent pas la référence, cependant.

L’entreprise ne s’attira pas que des retours positifs cependant. Dans une chronique dans ‘The Face’ (Mars 1990) sur l’état de la science-fiction britannique, Colin Greenland l’assimila à un retour de la pulp fiction. ‘GW s’appuie sur des novices enthousiastes usant de pseudonymes, contribuant à faire de la Fantasy insipide la norme, exactement comme lorsque Michael Moorcock s’est lancé il y a 30 ans’. Et dans sa critique, plutôt favorable de ‘Drachenfels’, publiée dans le GamesMaster du mois d’Août 1990, David Langford abonde : ‘Je dois avouer que je nourrissais quelques craintes à me plonger dans les livres de Games Workshop se déroulant dans, et donc potentiellement contaminés par, le monde de Warhammer, ce qui m’a poussé à en retarder la lecture. GW m’avait sollicité pour que je participe à ce projet il y a quelques temps, mais après avoir lu les manuels de jeu, j’ai conclu que ce n’était pas pour moi. Le jeu est peut-être excellent, mais l’univers dans lequel il se déroule relève de la Fantasy bas de gamme et désespérément resucée’. Un contributeur initial, sous couvert d’anonymat, enfonce le clou : ‘Je me suis dit : ‘Qu’ils aillent se faire voir’. Je me suis contenté d’écrire un roman d’aventures classique, saupoudré de quelques références à Warhammer pour qu’ils me fichent la paix’.

Même les critiques publiées pour ces ouvrages générèrent leur lot de controverses.  Dans un article de l’Interzone #70, Peter Garrat réfuta l’idée cynique que David Pringle avait comme plan de remplir Interzone de revues dithyrambiques des livres de GW, et souligna qu’au contraire, ces derniers avaient reçu ‘étonnamment peu d’attention pour des ouvrages intelligents et bien conçus’. En tout état de cause, la bonne et large réception de ces livres avait enchanté David Pringle. ‘Les excellentes critiques que certains des premiers livres, dont le ‘Drachenfels’ de Kim, reçurent dans Locus (rq: un des magazines de référence de la science-fiction et de la fantasy) nous satisfirent  tout particulièrement. On ne pouvait soupçonner les contributeurs de Locus de conflit d’intérêt, et l’avis positif qu’ils émirent sur nos ouvrages n’en eut donc que plus de poids.  Si Locus les estimait dignes d’être portés à l’attention du grand public SF/Fantasy, il n’y avait aucune raison qu’ils ne soient pas également abordés dans Interzone.’ Une critique acerbe de Gwyneth Jones de deux publications 40K dans l’Interzone #46 (Avril 1991) vint renforcer la thèse d’un traitement (relativement) impartial de la gamme.

Pour ma part, je visitai le siège de Games Workshop en compagnie de David en Février 1989. Nous eûmes droit à un tour complet de la petite usine où les figurines étaient peintes à la main, et rencontrâmes Bryan Ansell et d’autres cadres de l’entreprise, comme si nous avions été des chefs d’Etat en visite. Je pus me rendre compte à quel point ils étaient fiers et protecteurs de la propriété intellectuelle de leurs univers franchisés; c’était comme une visite au Vatican.

 Red THirstJ’ai soumis de nouvelles idées. Après avoir retravaillé le manuscrit de ‘Star Boat’, j’ai proposé d’écrire une suite, intitulée ‘Wood and Iron’, centrée sur l’invasion du monde médiéval-fantastique d’Erik par des pillards de 40K, à la technologie beaucoup plus avancée. Un troisième volet, ‘Titan vs. T Rex’, aurait mis en scène une bataille sans merci entre un des ‘robots ambulants’ de 40K et un lézard géant.  En Mars 1989, j’ai en outre soumis un pitch de roman pour 40K, appelé ‘Assassin’. David accusa réception de mes idées et me demanda d’avancer sur ‘Wood and Iron’, là encore avant qu’un contrat en bonne et due forme eut été signé.

En coulisses, cependant, les lignes étaient déjà en train de bouger.  David Pringle se souvient: «[Ian Miller] n’a tenu qu’un an environ. Ses relations avec Bryan Ansell et Tom Kirby n’avaient jamais été cordiales… Mais je n’ai pas tous les détails de cette affaire, à moins que j’aie réussi à les oublier (rq : Ambiance, ambiance…). J’ai fait profil bas et j’ai continué à éditer mes livres. Quand Ian est parti en claquant la porte, le type qu’il avait recruté pour nous servir d’assistant à tous les deux l’a suivi. Au final, à la fin de 1989 ou au début de 1990, je me suis retrouvé tout seul pour gérer le bureau de Brighton. Après que les choses se soient tassées, j’ai glissé le nom de Neil Jones au commandement suprême et ai été autorisé à le faire venir comme adjoint.’

En 1990, le rythme des publications s’accéléra. David Garnett, sous le pseudonyme de ‘David Ferring’, était un vieux briscard de la fiction commissionnée, et avait une manière bien à lui de gérer l’imposant corpus soumis par GW pour références : il pitcha une trilogie sur un héros nommé Konrad, et commença à l’écrire. ‘Konrad débute son aventure à un âge similaire à celui de la majorité de la clientèle de Warhammer, soit 11-14 ans. Il a grandi dans un petit village et ne connaît rien du monde extérieur. Le premier livre permet à tout le monde (lui, les lecteurs, et moi-même, au fur et à mesure de mes lectures des manuels de jeu) d’en apprendre plus sur le monde de Warhammer’.

Comme Kim, David n’hésita pas à inclure du second degré à ses travaux. ‘Lorsque je devais baptiser un de mes personnages, et compte tenu de l’influence germanique de l’Empire de Warhammer, j’inventais souvent un patronyme en prenant la première syllabe d’un nom de famille et en y ajoutant la ou les dernières syllabes d’un nom différent. Je dois reconnaître avoir utilisé la liste des joueurs (Ouest) allemands de la Coupe du Monde de 1990 pour ce faire. J’ai également mis à contribution quelques amis Allemands lors de leur séjour en Angleterre pour obtenir des noms qui sonnent convenablement germanique – comme le sorcier renégat ‘Litzenreich’ dans ma trilogie ‘Konrad’. En reconnaissance des services rendus, j’ai baptisé deux personnages secondaires de ‘Shadowbreed’ (le 2ème livre de la trilogie) du nom de ces amis, Gertraut et Rita. Mais quand le livre est sorti en Allemagne, sous le nom de ‘Schattenbrut’, ‘Gertraut’ fut « dé-germanisé » en ‘Gertraud’ (Rita, prénom non-Teutonique, fut cependant maintenu).

Le premier livre, ‘Konrad’, parut en 1990. La stratégie de David Garnett s’avéra payante; comme le fit remarquer la critique d’Interzone (#74, Août 1993), le lecteur adopte ‘le point de vue du personnage principal, qui passe une bonne partie du livre sans avoir la moindre idée de ce qui se passe autour de lui’, ce qui n’empêche pas le résultat final de dégager ’une impression d’un monde complexe et fantastique’. Bien que la série des ‘Konrad’ ait été moins favorablement reçue par la critique, elle semble faire partie des publications les plus populaires pour le public ciblé.

 Route 6661990 fut également l’année de sortie des premiers livres se déroulant dans l’univers du jeu Dark Future. Le roman ‘Demon Download’ de Kim Newman était le premier tome d’une future série, et fut accompagné d’une anthologie de courts formats baptisée d’après sa novella ‘Route 666’.

Dark Future inspira quelques-uns des ouvrages les plus intéressants et singuliers de GW Books. Cheryl Morgan se souvient que Dark Future ‘était conçu à l’origine comme un RPG cyberpunk, inspiré par des livres tels que ‘Neuromancien’ (‘Neuromancer’ – William Gibson), ‘Tous à Zanzibar’ (‘Stand on Zanzibar’ – John Brunner), ‘Soleil Vert’ (‘Make Room ! Make Room !’ – Harry Harrison), ‘Jack Barron et l’Eternité’ (‘Bug Jack Barron’ – Norman Spinrad), ‘Le Troupeau Aveugle’ (‘The Sheep Look Up’ – John Brunner), ‘Planète à gogos’ (‘The Space Merchants’ – Frederik Pohl & Cyril M. Kornbluth), etc…’ Ça avait été le projet personnel de Marc Gascoigne lors de son année à Nottingham, et aurait pu être le tout premier jeu de rôle cyberpunk au moment de sa sortie, qui coïncida avec la publication du ‘Comte Zéro’ (‘Count Zero’) de William Gibson. Mais’, ajoute Cheryl, ‘les pontes de GW décrétèrent qu’ils voulaient plutôt un jeu de combat avec des voitures, à la Mad Max. Avec le recul, c’était en effet bien mieux aligné avec les goûts de leur public cible, les adolescents ne s’intéressant pas encore aux filles et aux mobylettes. Et bien sûr, cela fit vendre beaucoup plus de figurines’. Néanmoins, Marc réussit à injecter une grande partie du background du RPG mort-né dans le livre de règles du jeu de voitures, dont il supervisa la réalisation. Ce changement de dernière minute reste perceptible à la lecture des premiers romans, en particulier ceux de Kim.

Kim développe: ‘Le matériel de départ était si mince que nous avions toute latitude pour développer l’univers. David Pringle, Alex Stewart, Eugene Byrne, Brian Stableford et moi avons pu nous faire plaisir à ce point de vue. Là où l’histoire devient complexe, c’est lorsqu’on sait qu’Alex et Eugene ont écrit des livres qui ne sont finalement pas sortis sous l’appellation Dark Future. Mon dessein initial était de réaliser deux trilogies, mais en cinq livres seulement ! Deux livres sur Sister Chantal (mon ‘Demon Download’ et le ‘Violent Tendency’ – terminé mais non publié –  d’Eugene, dont nous avons réalisé l’intrigue ensemble), deux livres sur Krokodil (‘Krokodil Tears’ et ‘Comeback Tour’), et un dernier volume collaboratif (‘United States Cavalry’) dans lequel les personnages se rencontrent et qui vient clore tous les arcs narratifs. Ce dernier ouvrage (qui aurait pu être décliné en plusieurs tomes, car il y avait beaucoup d’éléments à couvrir) aurait dû être une collaboration entre Eugene et moi,  et nous avions commencé à plancher sur son intrigue’. La charge de travail des deux compères empêcha toutefois le projet de se concrétiser. ‘Je me suis récemment (rq : l’article initial a été publié en Mai 2003) replongé dans nos notes [pour la série], et ai réalisé que nous avions probablement laissé passer notre chance. L’action se passe en 2000 et contient beaucoup d’éléments qui ont très mal vieilli.’

Assassin’ étant mon premier roman, j’avais demandé un an pour le terminer. De son côté, Kim pouvait rendre un manuscrit de 70.000 mots en seulement quatre semaines: ‘Pour la plupart de mes livres GW, je me suis astreint à la cadence suivante : 7.000 mots par jour, cinq jours par semaine, pendant une quinzaine, puis une semaine de congé, puis une semaine de révisions. […] Ce rythme soutenu m’a souvent permis de me concentrer sur un livre à la fois, au lieu de de devoir jongler entre plusieurs projets. Je pense que ma vitesse d’exécution a excusé le caractère parfois un peu « brut de décoffrage » de ma prose.’ Kim ajoute au sujet de son ‘Comeback Tour’ (Dark Future) qu’il n’avait de toutes façons pas prévu de consacrer plus de trois semaines à explorer le concept d’un Elvis mercenaire ! La stratégie de Kim s’avéra efficace, comme le nota Peter Garratt dans Interzone #70 (Mars 1991): ‘Bien qu’il soit de notoriété publique que Mr Yeovil est plus expéditif à la table d’écriture que Dr. Newman, comme le veut la tradition de la pulp fiction, les textes du premier sont en général plus réussis que ceux du second’.

 Ce fut à cette époque que furent publiés les premiers livres traitant de 40K.

ShadowbreedEut égard à mon passif d’auteur de hard-SF, David me demanda de lui soumettre des idées de romans pour cet univers de space-opera. 40K s’avéra cependant être un terrain de jeu difficile à exploiter de mon point de vue.  Confrontée à des menaces indicibles, l’humanité s’en est remise aux pouvoirs télépathiques d’un Empereur morbide et grotesque, et a sacrifié sa liberté sur l’autel de la survie. Le pitch de mon roman, ‘Assassin’, mettait en scène un Garde Impérial renégat élaborant un complot pour assassiner ce fameux Empereur. Mais les gardiens du dogme de GW déclarèrent que le projet de mon malheureux héros lui vaudrait une exécution quasi immédiate des mains de ses camarades, sans doute motivés par la perspective d’une mort tout aussi certaine s’ils avaient la mauvaise idée de le laisser faire. Pour ma part, je ne voyais pas comment développer des intrigues dignes de ce nom dans un environnement où le conflit est impossible (rq : mais la guerre est éternelle, ironiquement) et toute velléité de changement écrasée dans l’œuf : c’était comme écrire des histoires se déroulant dans une fourmilière.

Je n’étais clairement pas le seul à éprouve ce genre de difficultés. Barrington J. Bayley proposa quelques nouvelles de manière spontanée, et se rendit à Nottingham pour rencontrer Bryan Ansell et quelques autres. Visiblement peu inspiré par la perspective impériale, Barry se tourna vers les factions non-humaines de 40K: les Tyranides, des insectes sociaux intelligents (rq : c’est… une manière de les voir, en effet), et les Eldars, des Elfes à la technologie très avancée. Ces propositions intéressantes n’aboutirent cependant pas, malgré le soutien de David Pringle, qui se souvient: ‘Nous avons eu énormément de difficulté à faire accepter les idées de Barry à GW. Je ne pense pas que Bryan Ansell était fan. Heureusement, ils ont accepté de le prendre quand ils ont lancé Black Library, quelques années après, ce qui lui a permis de mettre à profit ses travaux préparatoires’.

Charles Stross complète: ‘Je me souviens d’avoir été invité et expédié par car à un séminaire d’une journée à Nottingham, afin d’entendre [Bryan Ansell] et ses séides prêcher l’Evangile du Bolter (qui pourrait se résumer à Violence! Totale! Maximale! Immédiate!), et nous interdire formellement de prendre la moindre liberté avec leur prrrrrrréééééciiiiiieuse (*gollum*) propriété intellectuelle.’

Mes réserves initiales ne m’empêchèrent toutefois pas de réaliser que cet univers disposait d’une certaine profondeur intellectuelle. Lors d’une visite à Nottingham, j’ai débattu de 40K et de son manque d’humanité avec Bryan Ansell. Il m’a donné l’exemple des adolescents Irakiens fonçant en scooter à travers des champs de mines (rq : Guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988) en avance du gros des troupes, persuadés de gagner ainsi leur place au paradis. Son point était que même notre monde prétendument moderne regorgeait de systèmes de croyances archaïques du point de vue de l’école de science-fiction « occidentale ». On ne pouvait pas reprocher à Ansell de ne pas avoir une vision claire de ce qu’il voulait. Certains estimèrent que les tenants de 40K, et dans une certaine mesure, ceux de Warhammer Fantasy Battle également, avaient été influencés par ses convictions politiques personnelles.  Cheryl se souvient: ‘Je n’ai rencontré [Ansell] que quelques fois, et ce qui m’a le plus marqué chez lui était son désir de vivre dans une gated community, avec des miradors et des mitrailleuses pour empêcher les fauteurs de trouble d’entrer. Il avait une philosophie de la vie très Texane’. Marc se rappelle qu’Ansell pouvait être un patron difficile pour ses employés, travailleur mais parfois capricieux et impulsif. Un des rôles de Tom Kirby semble d’avoir été de tempérer les coups de sang de son boss.

À titre personnel, Ansell s’est révélé être un client compliqué. Il défendait de façon véhémente sa propriété intellectuelle et vous ne vouliez certainement pas le mettre en rogne. Je reste convaincu qu’il aurait pu tirer davantage des talentueux auteurs que David Pringle avait attirés sur le projet, et dont il s’était attaché les services pour des sommes coquettes, s’il leur avait laissé une plus grande liberté créative.

D’autres ont cependant réussi à composer avec Ansell. Kim raconte que ‘Bryan Ansell… a vraiment aimé ‘Drachenfels’, au point d’arbitrer en mon sens quelques conflits de canon avec les livre de règles, qui changeaient tout le temps de toute façon. Je me souviens d’une de mes rares réunions à Nottingham, où il avait été question des grandes lignes de ‘Drachenfels’. Quelqu’un a dit que les règles ne permettaient pas que l’héroïne soit une vampire, et il a été proposé que Genevieve devienne une Elfe. Bryan a préféré changer les règles en question. J’ai utilisé cette anecdote dans le passage où la méchante actrice demande si son personnage ‘ne peut pas être une Elfe’ à la place d’un vampire’.

 Storm WarriorsDe son côté, Ian Watson commençait à trouver ses marques dans la jungle de 40K, après avoir décliné la première offre de David Langford en Janvier 1987. Il justifie sa décision : ‘Contribuer à un projet baptisé ‘Warhammer’ m’aurait causé un profond problème éthico-politique. J’aurais largement préféré ‘Peacefeather’ ! Mais’, ajoute-t-il, ‘c’était avant que je réalise que j’avais urgemment besoin de quelques milliers de dollars (et avant que Stanley Kubrick n’entre dans ma vie – rq : Watson a collaboré avec Kubrick, qui avait racheté les droits de la nouvelle ‘Supertoys Last All Summer Long’ de Brian Aldiss, sur l’adaptation d’‘Artificial Intelligence’, et son travail a été repris dans le film de Spielberg)…’

‘David [Pringle] m’avait initialement dirigé vers 40K parce que je suis un auteur de SF, et pas de Fantasy… J’ai donc potassé l’Encyclopaedia Psychotica Galactica’ et j’ai soumis une nouvelle d’essai, assez caricaturale je dois dire, pour 40K. Sous le patronage bienveillant de David, je me suis ensuite plongé dans les profondeurs hallucinées du 41ème millénaire, et je me suis fait plaisir en jouant la carte du grimest & darkest grimdark à fond. La sauce a pris et le résultat est la trilogie ‘Inquisition War’.

Inquisitor’, le premier tome de la trilogie imaginée par Ian, fut publié en 1990. L’approche suivie par Ian était habile. Toutes les histoires ont besoin de conflit, et dans le cas du héros de Ian, Jaq Draco, ce conflit ne vient pas des fissures théologiques apparentes de l’univers de GW, mais de la perte de son humanité afin de devenir un outil de l’Empereur. Peter Garratt jugea dans Interzone #70 que Ian avait livré ‘le portrait convaincant d’une société désespérément dysfonctionnelle, qui reste cependant préférable à toutes les autres alternatives’. Garratt voyait en Ian ‘le Jack Yeovil du lointain futur’. Satisfait de son travail, Ian fit partie des auteurs qui ne recoururent pas un pseudonyme pour ses collaborations avec GW.

Ian Watson se rendit à Nottingham à quelques reprises, ‘dont une fois pour une réunion généreusement fournie en vin et canapés, dont l’objet était de faire collaborer plusieurs auteurs sur un projet de roman sur les Space Marines. L’un d’entre nous (moi, en l’occurrence) fut chargé de créer les personnages et l’intrigue, et les autres étaient censés prendre la suite. Comme personne n’est revenu vers moi à ce sujet, j’ai fini par écrire le roman entier (rq : le fameux ‘Space Marine’) et je me suis encore une fois beaucoup amusé. Comme cela s’est fait entre l’écriture d’Inquisitor’ et celle de ‘Harlequin’ [le 2ème livre de la trilogie ‘Inquisitor War’], j’ai recruté l’un de mes Space Marines comme personnage principal de ce dernier. On peut donc vraiment considérer ‘Space Marine’ comme le quatrième livre de la trilogie’.

Quant à moi, j’ai continué à guetter un retour sur ma novella ‘Wood and Iron’ et sur les autres idées que j’avais soumises. Malheureusement, je finis par me brouiller avec GW à propos d’un retard de paiement en 1990. GW annula promptement nos pistes de collaboration, y compris, et à mon grand chagrin, car j’en avais terminé le manuscrit avant qu’un contrat ne soit signé, ‘Wood and Iron’. GW finit cependant par me payer ce qui m’était dû.

GW pouvait être assez brutal dans ses relations avec ses auteurs, son manque d’expérience dans le domaine n’aidant évidemment pas, et je ne fus pas le seul à faire les frais de péripéties similaires.  David Pringle évoque le cas de ‘Angus Wells… qui écrivit un roman entier en l’espace de quelques semaines, alors que je lui avais conseillé d’attendre la signature d’un contrat. Finalement, le manuscrit d’Angus fut rejeté sans cérémonie par Ansell & Cie. Vous pouvez imaginer sa colère…’

Ayant globalement apprécié mon expérience avec GW – et je considère d’ailleurs les travaux réalisés à ce titre comme toujours pertinents – j’ai regretté que cela se termine de cette façon. Après avoir retravaillé ‘Wood and Iron‘, je pus trouver un autre acquéreur pour cette nouvelle. ‘Titan vs. T Rex’ n’a hélas jamais vu le jour, mais je reste persuadé que l’idée avait du potentiel! Au bout du compte, j’ai tout de même appris quelques ficelles du métier, et sur la manière de l’exercer en tant que professionnel, qui m’ont été utiles pour la suite de ma carrière.

Nous ne le savions pas, mais l’ère Interzone de GW était sur le point de prendre fin.

Wolf Riders

En dépit d’une réception critique raisonnable, les premiers titres s’écoulèrent dans des quantités décevantes. Peut-être était-ce dû à une mauvaise identification du public cible. David Pringle se souvient: ‘J’explique cela par un marketing déficient, des prix prohibitifs et des choix de design de couvertures pas vraiment commerciaux. Si on remonte à la source du problème, cependant, on se rend compte que GW ne savait tout simplement pas comment vendre des livres’. Le choix de travailler avec une équipe de commerciaux externes (ABS) sur ce chantier n’a certainement pas facilité les choses. Marc note que les indépendants comme ABS ont souvent des difficultés à faire distribuer leurs produits par les grandes chaînes. ‘De plus’, ajoute David Pringle, ‘alors que Bryan Ansell était un grand support du projet, Tom Kirby était plutôt dubitatif à ce sujet (il m’avait déclaré qu’il détestait la Fantasy et que son auteur préféré était Jane Austen – rq : une auteur réaliste britannique du début du XIXème siècle)’.

D’autres changements prirent place chez GW, Tom Kirby menant à son terme un nouveau rachat de l’entreprise. Bryan Ansell, qui souhaitait tirer récolter les fruits de son investissement initial, vendit ses part et s’installa à Jersey, où il lança une petite entreprise de modélisme appelée Wargames Foundry (rq : qui commercialise des vieux modèles Citadel, notamment ceux des frères Perry). Bien que doté de qualités indéniables, Ansell avait été un patron et un client difficile, et son départ fit des heureux.

Ansell parti, le support dont avait bénéficié les activités littéraires de GW, et avec elles, les nouveaux projets d’écriture, se réduisirent comme peau de chagrin. Charles Stross commente: ‘J’avais écrit deux nouvelles, sans convaincre Dave [Pringle] de me commander un roman (un mal pour un bien, avec le recul), et les propositions de contribution aux recueils se sont espacées… J’étais sur le point de mettre en chantier une deuxième nouvelle 40K lorsque l’annonce est tombée: désolé, mais nous n’allons garder que quelques Stakhanovistes, et vous ne faîtes pas partie des heureux élus’.

Paul McAuley fut de nouveau approché après la publication de sa nouvelle ‘Apprentice Luck‘. ‘Nous eûmes une discussion à propos d’une série de space-opera, pour capitaliser sur le succès rencontré par les livres de Ian Watson. Cela ne déboucha que sur une visite, plutôt agréable je le reconnais, de leurs bureaux et du domicile du très serviable Bryan, où j’ai pu admirer sa collection de voitures et ses bootlegs de Van Morrison.’ Cette reprise de contact ne donna rien de concret, et Paul ne travailla plus pour GW.

Sans nouvelles de la part de GW, les auteurs ayant soumis des manuscrits validés mais encore non publiés commencèrent à s’inquiéter. David Garnett et Ian Watson avaient tous deux une trilogie en cours. Les livres d’Eugene Byrne et Alex Stewart – qui craignait de toute façon s’être brouillé avec Bryan Ansell pour ‘ne pas avoir traité sa précieuse propriété intellectuelle avec le respect dû’ –  pour Dark Future passèrent en pertes et profits lorsqu’il fut décidé d’arrêter le jeu. Alex avait convoqué la sagesse de Colin Greenland (rq : un auteur de SF britannique, ayant notamment écrit ‘Le Pays de Cocagne’). ‘Ils voulaient moins de développement des personnages et plus de violence. Je ne voyais pas l’intérêt de me plier à un cahier des charges qui allait à l’encontre de ce qui m‘intéressait dans l’écriture. Je pense que mon roman Dark Future en a fait les frais, et s’est trouvé rayé des tablettes. En fonction de l’interlocuteur, l’excuse officielle était soit qu’ils s’apprêtaient à sabrer le jeu, soit que les changements apportés par Kim au background initial étaient tellement importants que mon manuscrit s’en trouvait hors-sujet. La raison officieuse était qu’Ansell avait mis son veto’. Alex réussit à négocier une prime de dédommagement, mais il n’y a rien de pire pour un auteur qu’une œuvre terminée mais non publiée.

En définitive, GW stoppa tout bonnement de commander de nouveaux livres. Au début de 1991, Neil Jones avait repris le chemin des salles de classe après la fin de son année de contrat, et David Pringle se retrouva tout seul à Brighton. Il se souvient: ‘Ma troisième année [chez GW] se révéla être une sinécure payée, car ils ne m’ont pas autorisé à sortir le moindre livre ! Je venais au bureau et je travaillais sur mes projets Interzone’. Les ultimes publications de GW Books sortirent en Mai 1991 : le ‘Ghost Dancers’ (Dark Future) de Brian Stableford et le ‘Beasts in Velvet’ de Kim Newman.

David Pringle fut licencié en Octobre 1991. En Novembre, des rumeurs firent état d’une liquidation prochaine de GW Books. GW annonça qu’il ne s’agissait que d’un arrêt temporaire, mais GW Books ne devait plus sortir aucun livre.

L’histoire de la GW-Fiction était cependant loin d’être terminée.

ZaragozIl s’écoula presque un an avant qu’il soit question de conclure un partenariat avec un nouvel éditeur pour poursuivre la diffusion des titres de feu GW Books. Ce dernier était Boxtree, ‘le spécialiste incontesté des spins-off de séries télévisées et des livres sur la pêche’, persifla un chroniqueur d’Ansible (rq : un fanzine de SF dirigé par David Langford). Ce portrait peu flatteur n’était pas tout à fait exact. Boxtree avait commencé à publier des ouvrages franchisés en 1991 (et continuerait jusqu’en 1998), et GW aurait certainement pu plus mal tomber en termes de partenaire commercial.

On consulta David Pringle. ‘Je me suis rendu à Londres pour une réunion, où ils me proposèrent un poste de rédacteur consultant sur cette nouvelle gamme. Je n’aurais pas été salarié, ni bénéficié du versement d’un acompte, mais il a été vaguement question de quelques centaines de livres de commission pour chaque roman publié. Dans ces conditions, j’ai refusé.’

Des plans ambitieux furent échafaudés en vue d’une publication de la saga ‘Konrad‘ de Garnett et des livres 40K de Watson en Janvier 1993, puis des titres Dark Future en Août. Une péripétie inattendue vint perturber ce planning de sortie. En Novembre 1992, une bataille juridique débuta entre GW + Boxtree et la maison d’édition Bantam/Transworld. Cette dernière avait lancé une série de romans pour jeunes adultes, signée par l’auteur Laurence James, et intitulée… Dark Future. Ce fut Kim Newman qui vint porter cette coïncidence à la connaissance de GW. Bien que le jeu ne soit plus distribué, GW intenta une action en justice et la remporta. Au début du mois de Décembre 1992, Transworld fut condamné à retirer ses livres des rayons sous une semaine, et à couvrir les frais juridiques engagés par GW, à hauteur de 60.000 £. Par le truchement des appels, l’affaire devait traîner jusqu’en 1993.

Les textes de loi relatifs aux marques déposées et aux droits d’auteur ne sont pas faciles à interpréter même dans des situations relativement simples, ce qui n’était pas le cas ici. Laurence James alla jusqu’à comparer l’affaire à la question du Schleswig-Holstein (rq : un différend diplomatique très compliqué ayant impliqué les duchés en question, la couronne du Danemark et la confédération germanique). Ce jugement, et le choix de GW de ne faire aucun compromis sur la défense de sa propriété intellectuelle, suscita quelques controverses (voir les numéros 66 et 67 d’Ansible pour plus de détails). De l’avis de Kim : ‘Cette histoire était assez stupide, notamment car Dark Future avait déjà été enterré par GW à l’époque et qu’ils n’avaient pas prévu d’en faire grand-chose. Le nom n’était pas vraiment marquant, ni même pertinent quand on y réfléchit (le jeu et les livres prenaient place dans un univers alternatif plutôt que dans le futur), et il aurait été possible de le remplacer par quelque chose de mieux – j’avais un faible pour Route 666, que l’on a depuis retrouvé dans des livres, des films et sur des t-shirts’.

Cette controverse repoussa le lancement des premiers titres de Boxtree à Février 1993. La trilogie ‘Konrad’, incluant son dernier tome, jusque-là inédit ‘Warblade’, les romans ‘Inquisitor’ et ‘Space Marine’ d’Ian Watson, et un livre de Jack Yeovil, reçurent les honneurs de la première publication. Une soirée de lancement fort sympathique, à laquelle je participai comme reporter pour Ansible (#78), fut organisée dans une librairie d’Oxford. Les principaux auteurs firent une brève intervention et répondirent aux questions d’un public amical. David Ferring raconta qu’on l’avait forcé à retirer toutes ses blagues de la série ‘Konrad’, Jack Yeovil révéla que l’intrigue de ‘Drachenfels’ venait d’un film d’Orson Welles, et Ian Watson donna un cours sur l’origine du wargaming (qu’il fit remonter à HG Wells, en 1913), et démontra à un auditoire un peu surpris que la GW-Fiction – tout comme les jeux de figurines dont elle s’inspirait – avait une certaine noblesse car la plupart des événements de l’histoire humaine, dit-il, dérivent de psychoses de masse générées par des fantasmes. Un peu d’optimisme ne fait jamais de mal.

Ces remarques trouvèrent un écho certain dans les observations faites par Barrington J. Bayley dans une interview récente (Interzone #184, Novembre-Décembre 2002). L’univers fouillé de 40K ‘entraînait beaucoup de travail… avant même de commencer l’écriture à proprement parler, mais je l’appréciais [l’univers de 40K] pour son côté impitoyable totalement assumé. C’est un condensé des pires facettes du XXème siècle – l’autoritarisme sanglant, le racisme impitoyable… -, mais ces dernières sont des maux nécessaires. L’humanité ne pourrait survivre sans elles’.

Au cours des deux années qui suivirent, Boxtree sortit des nouvelles éditions de la trilogie ‘Orfeo’ de Brian Stableford, et des recueils de nouvelles de David Pringle. Les tomes deux (‘Harlequin’) et trois (‘Chaos Child’) de la trilogie inquisitoriale de Ian Watson furent également publiés pour la première fois.

En matière de nouvelles commissions, David Pringle avait recommandé Neil Jones à Boxtree en tant qu’éditeur consultant. ‘Cependant’, suppute David, ‘il est probable que Neil ait trouvé l’expérience très frustrante, en plus d’avoir travaillé à l’œil pour Boxtree. Je sais qu’il a collaboré avec Bill King, et a été impliqué dans la réalisation des premiers livres ‘Gotrek & Felix’. Son ami Neil McIntosh (dont le premier roman fut publié quelques années plus tard par la Black Library) fut également de la partie. Je me souviens que Neil et moi avons essayé de faire recruter John Meaney (rq : un auteur de SF britannique et contributeur d’Interzone) par Boxtree pour écrire du 40K. Je reste convaincu que John, avec son attrait pour le mysticisme, les arts martiaux, la science dure et les idées loufoques, aurait parfaitement fait l’affaire. Je pense que j’ai réussi, au moins pour un moment, à l’intéresser au projet, et à lui faire lire les romans de Ian Watson… Mais ça n’a rien donné’. Encore une autre conjoncture intrigante !

Boxtree commanda à Kim son quatrième et dernier livre pour Dark Future, ‘Route 666’, en Octobre 1993. Kim se souvient : ‘Route 666’ était la suite de la novella qui avait initié la série… Comme beaucoup de lecteurs avaient fait l’impasse [sur la novella], commencé avec les romans et s’étaient perdus dans l’intrigue, quand Boxtree a lancé une nouvelle édition, j’ai transformé la novella en un roman. Au fina, la saga a un début, et plutôt deux fois qu’une, mais pas vraiment de fin… Je pense que Boxtree avait un faible pour Dark Future, car contrairement aux autres franchises de GW, l’univers était plus compréhensible pour quelqu’un qui n’était pas familier des jeux de figurines – ce qui était le cas de Boxtree. J’ai bien aimé travailler avec eux et nous avons discuté d’autres projets, qui n’ont jamais rien donné’.

HarlequinDes tensions persistantes virent toutefois ternir les relations entre GW et son éditeur. En Octobre 1994, Ian Watson se rendit à un événement ludique à Birmingham pour marquer la sortie de ‘Harlequin’, et Boxtree fit le pari d’expédier trois cents exemplaires d’une coûteuse édition collector à couverture rigide sur place, sans savoir s’ils arriveraient à écouler leurs stocks. Finalement, tous les livres se vendirent avant même le début de la séance de dédicace. GW arrêta de distribuer ces hardback dans ses magasins, prétextant que leur taille n’était pas adaptée aux étagères (Ian fit cependant remarquer que le prix de vente élevé des livres les faisait peut-être entrer en concurrence avec les jeux de GW, dont les taux de marge étaient bien supérieurs). Ian eut également le sentiment que les gardiens du temple de GW voyaient d’un mauvais œil la déviance manifeste de ses ouvrages ; ‘40K était en pleine évolution (ou en pleine régression, si j’en crois certains des joueurs historiques, qui déplorèrent le tournant ‘jeuniste’ de l’univers) et mes livres étaient (a) trop particuliers, (b) trop cosmopolites, la tendance étant plutôt à concentrer l’action sur des petits périmètres, et (c) trop déconnectés des jeux, et aider à vendre ces derniers était le nerf de la guerre’.

Peut-être que la relation entre GW et Boxtree n’était pas faite pour durer, les objectifs poursuivis par les deux entreprises étant trop différents. Finalement, la licence accordée par GW à Boxtree expira, le second se fit racheter par Pan, et ce fut la fin de l’histoire. Le ‘Chaos Child’ de Ian Watson fut la dernière publication originale du couple GW/Boxtree, en Juin 1995.

Pour autant que l’on puisse en juger, Boxtree accomplit sa part du contrat de façon honnête et diligente, même si (comme cela fut souligné dans Ansible en Décembre 1993) un commercial n’ayant pas potassé ses dossiers avait un jour déclaré : ‘Nous travaillons avec la crème des auteurs – des écrivains comme Ian Newman et Kim Watson’.

Ce n’était pas encore l’épilogue de la GW-Fiction, cependant.

En 1997, GW, sur une inspiration de Tom Kirby, initia un nouveau projet de publication de fictions, appelé ‘Black Library’. La Black Library, vitrine de Black Library Publishing, fut pensée comme une maison d’édition qui appartiendrait au Groupe GW. Marc Gascoigne retourna chez GW en 1997 en tant qu’éditeur pour cette nouvelle entité, dont la direction fut confiée au vétéran Andy Jones. En Juillet 1997, GW lança un magazine de fictions inédites se déroulant dans les univers de Warhammer Fantasy Battle et 40.000, baptisé Inferno!. La première nouvelle publiée sous ce nouveau format, comme cela avait été le cas pour ‘Ignorant Armies’, était signée Bill King et mettait en scène Grotek (sic) le Tueur de Trolls et son compagnon Felix (rq : Il s’agit de la nouvelle ‘The Mutant Master’, effectivement au sommaire de l’Inferno! #1. Cependant, on peut arguer que la toute première nouvelle Inferno! est à mettre au crédit de Jonathan Green, dont le ‘The Hounds of Winter’ figura dans le pilote du magazine, inclus dans le White Dwarf de Juin 1997). En Août 1999, GW commença à publier de nouveaux romans de GW-Fiction siglés Black Library, et des rééditions d’anciens titres ne tardèrent pas à suivre.

Entre la fin du partenariat avec Boxtree et le lancement de la Black Library, les activités de GW avaient connu un développement spectaculaire. L’entreprise était devenue une multinationale cotée en bourse, pouvant se flatter d’un chiffre d’affaires annuel dépassant les 100 millions de livres sterling –  à 100 lieues de ses origines estudiantines. Après avoir tant fait pour protéger et promouvoir sa propriété intellectuelle, on peut ironiser sur le fait que GW commercialise maintenant des jeux Seigneur des Anneaux, une des inspirations principales de son univers Fantasy, comme de tant autres d’ailleurs. Aujourd’hui, Black Library Publishing se compose de Black Library, Warhammer Historical Wargames et GW Partworks. La Black Library est elle-même divisée en trois segments : les romans et recueils de GW-Fiction, les magazines et les projets spéciaux. À l’avenir, la maison d’édition prévoit de publier des ouvrages n’appartenant pas à la GW-Fiction, se déroulant dans d’autres univers franchisés (rq : on attend encore, ou alors j’ai mal regardé).

Le marketing de la Black Library est une affaire bien mieux rodée que celui de ses prédécesseurs, et son rythme de parution sans commune mesure. La Black Library publie deux ouvrages par mois, un pour Warhammer Fantasy Battle et un autre pour 40K. Les livres sont distribués aux États-Unis et en Australie par Simon & Schuster et bénéficient de licences d’exploitation pour huit autres langues (allemand, espagnol, italien, polonais, russe, finnois, tchèque et hongrois). Rien qu’en 2002, se sont rajoutés à ces sorties « classiques » cinq romans graphiques, treize comics, six numéros d’Inferno! et quatre livres de background ou d’illustrations. Le White Dwarf n’est pas édité par la Black Library, mais continue son rôle de support marketing des jeux GW. Il s’en vend plus de 70.000 exemplaires au Royaume-Uni chaque mois, et près de 250.000 dans le monde entier. On compte même des comics Warhammer. Les publications littéraires ont clairement été intégrées au business model de GW. David Garnett abonde: ‘Un des gérants de boutiques GW m’a récemment informé que les volumineux manuels [que nous avions utilisés comme référence] ne faisaient plus partie de la gamme, et que le meilleur moyen pour les joueurs de s’initier au background était de lire les romans.’

Space MarineAutre changement notable, les ouvrages de la Black Library sont désormais critiqués dans SFX plutôt que dans Interzone – ce que je vois comme une preuve de maturité de la part de GW – bien que GW continue à envoyer des exemplaires de tous ses romans à David [Pringle] avant leur sortie commerciale. Les critiques de SFX ne sont pas toujours dépourvues d’intérêt (rq : on sent une certaine rivalité entre Interzone et SFX…): ‘Bien que tous les auteurs de la Black Library travaillent dans les mêmes univers, il est intéressant de voir comment chacun d’eux parvient à trouver un angle d’attaque personnel et à l’explorer dans ses publications …’ (Eddie Robson, SFX Décembre 2002). Et certaines peuvent être mordantes: ‘Ecrire en devant puiser dans un catalogue préétabli de monstres, d’armes, de sortilèges et de clichés éculés, j’appelle ça du « karaoké littéraire »’ (Sam Croft, Janvier 2003).

Pendant les années 2001 et 2002, beaucoup d’anciens titres de GW Books furent réédités – y compris ma nouvelle ‘The Song’, dans un recueil intitulé ‘The Laughter of Dark Gods’ – dont des ouvrages de Kim Newman, Brian Stableford, Ian Watson et la série ‘Konrad’ de David Garnett. Kim se fendit en outre d’une anthologie de nouvelles: ‘J’ai soumis l’idée de regrouper tous mes courts formats – dont une novella inédite (‘Warhawk’) – complétés d’un nouveau texte (‘The Ibby the Fish Factor’) que j’ai écrit pour que le tout atteigne une longueur acceptable, et pour clore de façon satisfaisante quelques-uns des arcs narratifs que j’avais développés au fil des ans. Cela m’a donné l’occasion de mettre au goût du jour certains aspects de mes précédents travaux, qui commençaient à accuser leur âge… Les gens de la Black Library ont accueilli l’idée avec un enthousiasme et un intérêt que je n’avais plus connu après le départ de David Pringle et Neil Jones.’ Conséquence de l’arrêt définitif de Dark Future, les meilleurs (à mes yeux) livres de Kim sous le nom de Jack Yeovil n’ont pas bénéficié de cette réédition; mais Marc Gascoigne affirme qu’un reboot de Dark Future reste possible (rq : ça aussi, on l’attend toujours…).

Pour certains des plus anciennes publications de GW-Fiction, le respect du background des univers Warhammer se poursuit post mortem, si l’on peut dire. Cela explique pourquoi la Black Library a longtemps ignoré la trilogie ‘Inquisition War’ de Ian Watson. ‘Il semblait établi que mes livres ne seraient jamais réédités, malgré les innombrables mails en provenance d’Amérique, d’Australie, d’Allemagne et d’ailleurs faisant état de recherches frénétiques autant qu’infructueuses de la part de potentiels lecteurs. Après des années de transfert diligent de ces mails à la Black Library, GW a finalement accepté de republier mes ‘classiques’, agrémentés de préfaces romancées dénonçant ces derniers comme un tissu de mensonges hérétiques. La solution idéale, en quelque sorte…’

‘Avant cela, une dispute avait éclaté entre la Black Library et les concepteurs de jeux. À la faveur d’une réédition de ma nouvelle ‘Warped Stars’, mon adorable Grimm le Squat à la barbe pouilleuse, le sidekick comique par excellence, avait été changé en l’insipide Grill le Technoprêtre, sans que je sois consulté. Les concepteurs de jeux avaient insisté sur ce point car les Squats avaient entre-temps disparu de l’univers de 40K et n’étaient plus utilisés dans les jeux. Si ‘Inquisition War’ avait subi le même sort, la qualité des ouvrages en aurait été grandement affectée, car Grimm y joue un rôle central. Heureusement, la Black Library a réussi à sauver sa barbe…’ Les livres furent bien republiés au final, bien qu’Inquisitor’ soit renommé ‘Draco’ pour éviter toute confusion avec un produit portant le même nom (rq : le jeu Inquisitor, bien sûr).

Ian annonce: ‘Je serais partant pour écrire un quatrième livre pour cette… ‘trilogie’ car c’était mon plan initial (Boxtree avait exprimé son intérêt pour le projet en des termes non incertains). Mes personnages finissent le troisième tome dans une situation un peu délicate, l’un complètement fou, l’autre définitivement mort, et comme ils me sont assez sympathiques, je me devais de faire quelque chose. Bien sûr, ce dernier livre devrait être écrit dans le même esprit que les trois précédents, sinon à quoi bon ? Une autre préface expiatrice serait donc nécessaire…’ Marc confirme que des discussions sont actuellement en cours pour donner une conclusion à la ‘trilogie’. ‘Space Marine’, à l’inverse, ne reviendra probablement pas du fait du gouffre infranchissable séparant le roman des canons du background actuel de 40K, mais la Black Library envisage malgré tout de l’e-publier (rq : ce qui a bien été le cas).

En outre, l’approche littéraire de Ian ne correspond guère à la philosophie de la BL, qui mise davantage sur la production de récits basiques mais efficaces. ‘L’écriture de Watson, quoique de qualité, se dénote par un maniérisme caractéristique, qui peut parfois distraire le lecteur,’ souligne Eddie Robson dans sa critique de la réédition de ‘Harlequin’ (SFX Décembre 2002).

Brian Stableford signa, malgré la persistance des restrictions créatives imposées par le background de GW, deux nouveaux livres, dont un roman pour 40K intitulé ‘Pawns of Chaos’. Ce dernier fut considéré comme ‘plutôt inabouti de l’avis général (y compris du mien), mais [je] ne fus pas capable de rendre une meilleure copie, mon processus créatif se trouvant étouffé par leurs directives draconiennes’.

Alex Stewart rempila également. ‘[Après que GW] eut republié ma vieille nouvelle (rq : ‘The Tilean Rat’) pour Warhammer dans ‘The Laughter of Dark Gods’… ils finirent par me proposer de contribuer à Inferno!… Ils apprécièrent tellement ma première soumission (rq : ‘Fight or Flight’, les premières armes du désormais fameux Commissaire Ciaphas Cain) que je travaille désormais sur une série de nouvelles centrée sur ce personnage pour Inferno!, qui débouchera sur un roman en bonne due forme (rq : ‘For the Emperor!’). Je dois reconnaître que la nouvelle équipe est bien plus professionnelle et amène que la précédente. La Tchéka stalinienne de l’ère Ansell a fait son temps. Les retours sont rapides et positifs, les demandes de réécriture se limitent aux problèmes de continuité ou à l’amélioration d’un passage, et le background a été descendu de son piédestal : sa subversion est tolérée, voire encouragée dans certains cas.’

D’autres noms familiers collaborent de temps à autres avec la Black Library. Recalé à l’époque de GW Books, Barrington J. Bayley est devenu un contributeur d’Inferno !, et a publié le roman ‘Eye of Terror’ pour 40K. La suite qu’il avait prévue de donner à cet ouvrage n’a finalement pas été commandée par GW (rq : et Bayley est malheureusement mort avant que le projet ait pu être mené à bien. Il est possible de consulter le synopsis de ce roman mort-né – ‘An Age of Adventure’ – sur un fan site). D’un point de vue personnel, la publication en 1999 d’une nouvelle de Bayley mettant en scène une bataille entre des Titans et des dinosaures géants (‘Battle of the Archaeosaurs’) est venu raviver quelques souvenirs…

WarbladeCas à part parmi les représentants de la génération Interzone, William King n’a jamais pris ses distances avec la GW-Fiction. Ayant atteint la quarantaine, Bill continue d’écrire des nouvelles et des romans pour les univers de 40K et de Warhammer Fantasy Battle. Depuis ses modestes débuts dans Ignorant Armies, la paire Gotrek et Felix a survécu à sept romans à ce jour (dont certains constitués des premières nouvelles écrites par King), à commencer par le judicieusement nommé ‘Trollslayer’. Bill travaille également sur une série 40K consacrée à Ragnar, un guerrier ‘dont les instincts primordiaux sont libérés par l’implantation du Canis Helix sacré’ (ce Ragnar ressemble un peu à mon Erik the Were!). Bill parvient à travailler sur des fictions originales, mais il était un gamer avant d’être un écrivain professionnel. Je suis content pour lui, mais pour ma part j’avoue être heureux d’avoir tourné la page d’Erik the Were (rq : c’est très petit ça, Stephen)!

De nombreux nouveaux auteurs ont rejoint l’aventure de la GW-Fiction. Parmi les contributeurs phares de la maison, Marc cite Bill King (Gotrek et Felix, Space Wolf, et la trilogie Eldar), Dan Abnett (Les Fantômes de Gaunt, la série Eisenhorn), Graham McNeill (Ultramarines), Gav Thorpe (The Last Chancers, Slaves of Darkness), en plus d’une douzaine d’autres auteurs ayant deux ou trois ouvrages à leur actif. Dan Abnett, qui s’est fait un nom en travaillant sur diverses franchises allant de Scooby Doo à Thunderbirds et 2000AD, a signé (au moment où cet article est écrit) neuf romans pour Warhammer 40.000 et deux autres pour Warhammer Fantasy Battle pour le compte de la BL, et contribué à divers romans graphiques. Marc souligne qu’Abnett est le meilleur vendeur de la Black Library : son premier roman Les Fantômes de Gaunt, ‘First & Only’, s’est écoulé à plus de 50.000 exemplaires, et les ventes cumulées pour cette série approchent rapidement les 325.000 copies. Bill King peut se vanter de chiffres comparables.

Honor Guard’ du même Abnett, publié en 2001, est un exemple typique de la ligne éditoriale de l’époque moderne de la GW-Fiction. Le concept est assez intriguant (rq : si tu le dis, Steve), la saga étant centrée autour d’un commandant franc-tireur, Ibram Gaunt, menant ses fidèles «Fantômes» de soldats dans une mission à hauts risques pour mettre en sûreté les reliques d’une sainte ayant mené l’Humanité vers les étoiles dans un passé lointain (rq : pas tout à fait, non.). Il est certain que le livre mise beaucoup sur l’attrait sombre et intemporel qu’évoque la figure du soldat. Marc assure que le pitch original d’Abnett était ‘Sharpe (rq : une série télévisée britannique mettant en scène le Sergent Richard Sharpe – Sean Bean – en tant que soldat des guerres napoléoniennes) dans l’espace’, mais Gaunt a viré au Band of Brothers (rq : un livre de Stephen Ambrose retraçant le parcours de la 101ème Division Aéroportée de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale, adapté en 2001 en mini-série par Steven Spielberg) à la sauce space-opera. À la faveur de combats incessants, les Fantômes forgent de très forts liens de loyauté entre eux et leur officier. L’autoritarisme latent de l’univers de 40K n’empêche pas les soldats de tenir tête aux décisions stupides des clowns du Haut Commandement et de contrevenir aux ordres pour aller sauver leurs camarades. Les personnages ont une véritable profondeur : un des Fantômes développe un syndrome post-traumatique à la suite d’un bombardement, et Gaunt se met parfois des mines carabinées.

Mais nous ne sommes pas en présence de romans de guerre classique ; évoluant dans le cauchemardesque 41ème millénaire, les Fantômes sont avant tout les soldats de l’Empereur-Dieu de l’Humanité. La guerre éternelle est devenue le lot de la condition humaine : ‘L’Imperium est immense et recèle de merveilles, mais qu’en resterait-il si l’on ne se battait pas pour le défendre ? …Rien… L’humanité ne survivra pas à la guerre, c’est la guerre qui survivra à l’humanité’ (p. 210). Les civils sont envieux des soldats et la vie ‘normale’ – les marchés, les églises, les maisons – ne sert que de toile de fond aux pérégrinations des Fantômes.

L’univers de 40K – comme les drames antiques avant lui – est parcouru par des saints et des démons qui se mêlent des affaires des mortels. La cosmogonie de 40K peut également convoquer des envahisseurs extraterrestres et des technologies antiques – ‘Nous avons détecté une flotte ennemie traversant l’Immaterium dans notre direction’ (p. 92) – mais 40K s’écarte franchement de l’approche rationnelle de la hard SF. A la place, pour déformer Arthur C. Clarke, la technologie est indissociable du miracle. Gaunt et ses hommes sont profondément religieux: ils croient vraiment en ‘la nature divine de l’Empereur’ et sont prêts à donner leur vie à son service, en temps de paix comme de guerre. Cette conviction les libère de tout dilemme moral quant à leurs actions. On peut facilement les comparer au plus zélés de nos Croisés historiques.

On doit reconnaître à Abnett sa capacité à créer du conflit, essentiel à toute intrigue, sans enfreindre les règles de l’univers de 40K : Gaunt, par exemple, désobéira à ses ordres s’ils se révèlent en opposition avec sa foi, qui est au centre de son système de valeurs. Abnett réussit également à donner au lecteur une bonne impression de ce que c’est que de vivre au 41ème millénaire. Dans la description sérieuse de Gaunt et de ses Fantômes, j’ai ressenti des échos de notre monde moderne, dans lequel les GI de l’ère Bush, armés d’un équipement ultra-moderne, d’une foi chrétienne chevillée au corps et d’une inébranlable philosophie conservatrice, sont envoyés pacifier la Bosnie et le Golfe. Peut-être que Barry Bayley et Ian Watson avaient raison au final, et que le futur cauchemardesque promis par 40K est plus proche de notre monde moderne que je ne le pensais.

Loin de moi l’idée de dénigrer les accomplissements de la GW-Fiction. Marc avoue sans fard que la ligne directrice de la Black Library consiste à produire ‘de la pulp fiction robuste et divertissante, dans la droite ligne des ouvrages qui nous firent basculer dans la science-fiction et les wargames (Moorcock, Leiber, Anderson…) – sans pour autant sacrifier la qualité littéraire des ouvrages. Nous voulons être fiers de nos livres, et nous le sommes. Comme nous sommes fiers qu’ils soient distribués en librairies, et s’adressent à tous les fans de SF/Fantasy. En 2000, la National Library Association a décerné un prix à GW en récompense des services rendus en faveur de l’alphabétisation – nous sommes plutôt fiers d’avoir contribué à faire retourner des ados de 14 ans en bibliothèque. Oh, et je confirme que certains de nos romans ont bien été écrits à la première personne du singulier, et nous ont donné toute satisfaction.’

La GW-Fiction reposant sur des travaux de commission dans l’acceptation la plus classique du terme, on peut comprendre que peu d’auteurs soient capables de se sublimer tout en respectant les consignes strictes qui caractérisent ce type de productions. Il faut toutefois reconnaître que David Pringle, au temps héroïque de GW Books, fit tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir des résultats qualitatifs, tout en cherchant à promouvoir la carrière de ses charges. En imposant à ses contributeurs une base et des contraintes communes, les franchises de GW ont permis à chacun des auteurs concernés de s’affirmer, et la grande variété stylistique et narrative de nos travaux n’en ressort que davantage. Ainsi, les premières années de la GW-Fiction ont agi comme catalyseur et creuset pour la ‘génération Interzone’ – les sommaires des recueils de nouvelles de cette période apparaissent avec le recul comme autant d’instantanés de l’époque.

Beaucoup des auteurs ayant participé à l’aventure de la GW-Fiction gardent un souvenir assez positif de cette dernière. Brian Stableford opine : ‘Je suis très reconnaissant envers Games Workshop, qui a très significativement contribué à mon passage au statut d’auteur à plein temps (même si de façon temporaire, malheureusement) dès 1989. Tous les problèmes, finalement assez mineurs, qui se sont posés au fil des ans – certains d’eux causés par leur manque d’expérience en matière de publication lorsqu’ils se sont lancés, d’autres par les changements qui touchèrent l’industrie du jeu à cette époque, et les impacts de ces derniers sur leur ligne éditoriale – n’éclipseront jamais les conséquences extrêmement bénéfiques que GW eut, à intervalles réguliers, sur l’état – toujours fragile –  de mes finances… De mon point de vue, les univers de Warhammer se sont calcifiés, et avec eux les opportunités de création, depuis quelques années, mais cela ne m’a pas empêché de poursuivre des relations fructueuses et productives avec eux jusqu’à tout récemment. Je suis très heureux d’avoir pu bénéficier des opportunités que GW m’a procurées et espère que leurs activités de publication (et leurs activités de manière générale) continueront à se développer.’

Nicola Griffith envisage de replonger dans l’univers de Warhammer Fantasy Battle, mais selon ses propres règles. ‘Je réfléchis à me lancer dans une bonne vieille épopée de sword & sorcery, autour des personnages créés pour ‘The Other’ (‘Ignorant Armies’) et ‘The Voyage South’ (‘Red Thirst’). Lorsque j’en ai discuté avec Games Workshop il y a quelques années, ils ont eu la gentillesse de m’autoriser à les utiliser du moment que je changeais leurs noms (rq : du coup, c’est assez restrictif au final) et expurgeais mes travaux de toute référence à Warhammer… La jeune héroïne de ‘The Other’ m’intéresse de plus en plus : qui est-elle, d’où vient-elle, comment a-t-elle vécu sa transformation et sa guérison (rq : ‘The Other’ raconte l’histoire d’une ménestrel dont la jambe commence à muter après qu’elle ait reçu un éclat de malepierre dans la cuisse), comment est-elle parvenue à faire front et donner le change pendant cette épreuve, etc… Ce ne serait au final pas si éloigné de mes travaux postérieurs, qui tournent également autour du concept du changement (rq : Nicola Griffith, séide de Tzeentch ?).

En règle général, tous les auteurs chérissent leurs écrits, qu’il s’agisse de créations originales ou de travaux de commande. Kim Newman acquiesce: ‘Je les [mes vieux livres pour GW] aime bien. Sans doute parce que je les ai écrits très rapidement, il m’arrive d’être surpris par leur contenu. Le fait que les lecteurs et la critique aient reconnu que je ne me suis pas contenté de mettre le pilote automatique au moment de leur écriture – ce qui était la manière dont je pensais que ce genre d’ouvrage était produit, avant que cela me concerne –, doit également jouer dans cette appréciation positive. Dommage qu’ils soient restés confinés à la minorité de lecteurs-hobbyistes de Games Workshop, et n’aient pas trouvé un plus large public (mon ambition a toujours été d’écrire des romans qui pourraient intéresser autant les filles que les garçons), mais la messe n’est jamais totalement dite, je suppose…’ Le rêve de Kim semble toutefois se réaliser aux Etats-Unis, où, d’après Marc, 50 à 60% des ventes de livres de la Black Library se font à destination de personnes ne connaissant pas les jeux de Games Workshop.

Laissons le mot de la fin à Ian Watson : ‘Les livres que j’ai écrit pour 40K, qui ne ressemblent pas vraiment au reste de ma bibliographie, comptent encore aujourd’hui parmi mes ouvrages les plus populaires, tant en termes de ventes que de retours de fans… Je n’ai donc aucun problème avec le fait d’avoir contribué à la GW-Fiction, et sous mon propre nom qui plus est…  Cela m’a permis de découvrir, et d’être découvert par, une communauté très différente de celle des lecteurs de SF « classique », et nos interactions ont été, et restent, plutôt enrichissantes. J’ai même reçu des lettres de fans de mes romans de GW-Fiction dont j’aurais « changé la vie » (rq : pour le meilleur, j’espère). C’est pour moi la raison d’être d’un écrivain.’

Remerciements: Merci aux personnes suivantes d’avoir si généreusement accepté de partager leurs souvenirs avec moi (par ordre alphabétique) : David Garnett, Marc Gascoigne, Colin Greenland, Nicola Griffith, David Langford, Paul McAuley, Cheryl Morgan, Kim Newman, David Pringle, Mike Scott Rohan, Allan Scott, Brian Stableford, Alex Stewart, Charles Stross et Ian Watson. L’aide de Charles, Alex et Marc a été particulièrement utile pour la chronique des prémisses du wargame et la préhistoire de GW. Charles m’a dirigé vers http://www.fightingfantasy.com/fftale.htm, un compte rendu à la première personne sur la fondation de GW par Steve Jackson, et Marc m’a indiqué où trouver des éléments biographiques sur Ian Livingstone. L’Encyclopédie de la Science-Fiction (Clute/Nicholls – Orbit, 1993), et Ansible contiennent également des informations et références qui ont été utiles à la rédaction de cet article. Merci encore à Dave Langford, qui m’a mis à disposition sa correspondance de 1987 avec GW. Les critiques de David citées ci-dessus peuvent être consultées dans The Complete Critical Assembly (Cosmos 2001). Toute erreur ou omission relève de ma seule responsabilité (rq : ou de la mienne).

 

IGNORANT ARMIES [WFB]

Au commencement était le Verbe (selon certains), et le Chaos (selon d’autres). Même si l’amateur de Warhammer Fantasy Battle aurait tendance à se rapprocher de la genèse grecque antique plutôt que  de celle de l’évangile, la bonne réponse dans le cas qui nous intéresse est tout autre. Au commencement du background romancé de WFB était le recueil de nouvelles Ignorant Armies, publié en Octobre 1989 par GW Books. Le début d’une aventure qui se poursuit encore aujourd’hui, bien que ni la maison d’édition, ni les auteurs, ni même la franchise dans laquelle se déroulent les récits de cette première anthologie, ne soient encore des nôtres à ce jour1. Trente ans plus tard, il était sans doute temps de procéder à un petit inventaire, en forme d’hommage, de cet ouvrage fondateur, histoire de ne pas finir aussi ignorants que les osts décrits par Jack Yeovil dans la nouvelle qui a donné son titre à l’opus.

Sommaire Ignorant Armies (WFB)

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Collection de huit nouvelles illustrées (on savait vivre à l’époque) rassemblées par David Pringle en sa qualité de primo-éditeur de Games Workshop, Ignorant Armies explore le Vieux Monde dans sa sombre, et, il faut bien le remarquer, floue, singularité, alternant entre les forêts profondes du cœur de l’Empire et les jardins proprets de Bretonnie, en passant par les classiques donjons en ruines et désolations chaotiques du grand Nord. En ces temps héroïques où le « fameux » (en tout cas, de mon point de vue) BL style était encore à inventer, Pringle dut composer avec un aréopage d’auteurs ayant chacun leur propre style, résultant en un ouvrage protéiforme et hétérogène, à mille lieues des recueils soigneusement formatés – d’un point de vue stylistique, s’entend – qui sont aujourd’hui la norme pour les publications de la Black Library. Telle la bouteille de gnôle du grand-père, oubliée pendant des lustres dans l’obscurité fraîche de la cave familiale, et qui se retrouverait, sans que l’on sache trop comment, parmi les bouteilles de Beaujolais Nouveau au hasard d’une réunion de famille, il y a des chances que la dégustation de ce cru vintage fasse tousser plus d’un lecteur. Comme disent nos amis anglais, spécialistes devant l’éternel des consommations clivantes2, « it’s an acquired taste ». Cela ne doit cependant pas nous détourner de notre devoir de mémoire, et sous réserve que vous ne vous éloigniez pas trop du guide, je vous garantis que l’expérience que vous vous apprêtez à vivre sera, à défaut de plaisante (la maison ne prends pas ce genre d’engagements), au moins sans danger. Au commencement, donc, était le Verbe, le Verbe coloré et fleuri d’un Tueur de Trolls encore glabre et pas encore borgne, et très remonté contre les conducteurs de diligences…

1 : Pour les auteurs, je précise que cela signifie que les sept contributeurs d’Ignorant Armies ne travaillent plus pour la Black Library à ce jour et à ma connaissance (dur à dire avec tous ces noms de plume), et non qu’ils sont tous passés ad patres.

2 : Comment qualifier sinon un peuple qui soutient que la jelly est un dessert ? La jelly quoi. Les monstres.

Ignorant Armies

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Geheimnisnacht – W. King :

Geheimnisnacht

Art: John Sibbick

INTRIGUE:

C’est sur la route, non pas de Memphis, mais de Bogenhafen, que nous faisons la connaissance de nos héros, alors qu’ils viennent de se faire lourder sans ménagement de la diligence qu’ils partageaient avec une dame de bonne société, sans doute du fait d’une remarque peu amène1 de la partie courtaude, rougeaude et édentée de la paire. Au grand désespoir de son longiligne, blond et geignard camarade, très peu emballé par l’idée de faire du stop en pleine forêt à la tombée de la Geheimnisnacht, ou nuit des secrets. Et on le comprend. Ces héros en question, puisqu’il faut bien les présenter, ne sont autres que, vous l’aurez deviné, Gotrek Gurnisson et Felix Jaeger, duo mythique de Warhammer Fantasy Battle s’il en est, qui vécut dans ce Geheimnisnacht sa toute première aventure, sous la plume de William King. C’est donc à la naissance d’une légende que nous assistons ici. Émotion et recueillement.

Très énervé par cette déconvenue, Gotrek pique sa crise et se met à montrer sa hache et brandir ses fesses, ou l’inverse, en direction des sous-bois tous proches, espérant sans doute qu’une harde d’Hommes Bêtes secourables lui envoie un petit champion pour se passer les nerfs. Las, et au grand soulagement de Felix, aucun antropovin ne surgit des fougères, mais le danger peut prendre bien des formes dans ces zones désolées de l’Empire, et c’est un carrosse noir qui déboule bientôt à toute berzingue, et manque de percuter l’irascible Dawi, peu enclin à se laisser doubler. Indemne, mais maculé de boue (ce qui est bon pour la peau mais moins pour l’odeur), Gogo ajoute une nouvelle rancune sur son carnet personnel, et se lance à la poursuite des chauffards invétérés, son commémorateur sur les talons.

Débouchant sur une auberge au détour du chemin, les deux compères résolvent d’y passer la nuit, mais trouvent (assez logiquement) porte close. Après quelques négociations menées de main et hache de maître, les tenanciers acceptent d’ouvrir pour éviter de devoir se payer une nouvelle porte, et laissent entrer nos héros. À l’intérieur, entre deux pintes de bière et commentaires désobligeants, Fotrek et Gelix apprennent de leurs hôtes et compagnons de veillée que la région est la proie d’une funeste malédiction, qui voit les enfants disparaître dans la forêt pendant la Geheimnisnacht et ne jamais reparaître. Et justement, le fils des aubergistes, un dénommé Gunter n’est pas rentré de sa corvée de bois ce soir là, ce qui désole sa vieille maman et chagrine son pingre papa. Au fil de la conversation, l’intérêt du Tueur se retrouve piqué par les rumeurs de cultistes et de démons que les locaux tiennent responsables de ces disparitions, et il décide promptement d’aller trekker jusqu’au Darkstone Ring pour s’enquérir de la véracité de ces racontars. Ayant juré de réaliser un compte-rendu digne de ce nom de la quête de mort de son acolyte, Felix n’a d’autre choix que d’emboîter le pas du berserk, acceptant au passage un talisman en forme de marteau que lui remet la Thénardière, et dont le petit Gunter est censé porter le jumeau.

L’excursion jusqu’au Stonehenge local se passe dans des conditions presque parfaites, seule une mauvaise rencontre sur le chemin avec un mutant un peu trop tactile venant retarder les compagnons. Malheureusement pour le collant quidam, Gotrek est plus full contact que peau à peau, et le faquin finit en deux morceaux dans un buisson quelconque (il aura tout de même l’honneur d’être la première victime homologuée de notre Tueur, ce qui n’est pas rien). Une fois arrivée sur place, la paire rampe dans les hautes herbes jusqu’au fameux cercle de pierres noires, où, effectivement, un rituel artistico-naturo-sado-masochiste2 est en train de se dérouler. Aussi captivés par cette création inédite de la SLAANESH3 que la foule bigarrée et biodiverse qui sert de public à cette représentation très caliente, nos héros voient surgir du fameux carrosse noir un individu portant les cape, masque, poignard et frêle enfançon drogué de rigueur pour le maître de cérémonie qu’il se révèle être.

Se rappelant qu’ils sont dans le camp du Bee-1, Gotrek et Felix se secouent enfin les puces et fondent sur les Slaaneshi comme la vérole sur… les Slaaneshi aussi (y a pas de raison), et font un sanglant massacre dans la partouze libertine. Ça vous apprendra, bande de sales petits frotteurs de pierre. Profitant que tous les yeux, mains, tentacules, et autres corps caverneux soient posés sur le robuste nabot, Felix profite du temps de lag du maître de culte pour lui balancer sa dague en travers du gosier, ce qui suffit pour faire retomber l’ambiance comme le membre d’un milliardaire chinois privé de poudre de corne de rhinocéros. Tandis que Gotrek se relève péniblement du gang-bang brutal dont il a été l’objet (ce qu’il prend à la rigolade, because boys Dwarves don’t cry), Felix s’en va récupérer le poupon droppé par le boss de niveau, qui, coup de chance, a survécu à la chute. Ce qui est moins heureux par contre, est la découverte d’un pendentif en forme de marteau autour du cou de l’un des derviches fouetteurs, ce qui permet de solutionner le mystère de la disparition de Gunter. Les ravages d’une éducation trop stricte, sans aucun doute. Cependant, nos héros n’ont guère le temps de s’attarder sur les lieux, la quête de mort de Gotrek entraînant ce dernier vers de nouvelles aventures, qui se poursuivent encore, trente ans plus tard…

AVIS:

La toute première apparition de Gotrek & Felix, on ne peut guère faire plus iconique que ça. Avec le recul que trois décennies nous apportent, on peut reconnaître que ce Geheimnisnacht, pour simple qu’il soit en matière de construction narrative, est véritablement une oeuvre séminale (et pas seulement parce qu’il met en scène une cérémonie en l’honneur de Slaanesh) pour le background de Warhammer Fantasy Battle, et a sans doute contribué à donner le ton, sombre, caustique et souvent cruel, qui a caractérisé la franchise d’un bout à l’autre de son existence. Si certains éléments de l’histoire peuvent sembler étranges, ou entrer en contradiction, avec les dernières versions du fluff canon de WFB, cette dernière, prise dans son ensemble, reste encore aujourd’hui un jalon littéraire pour l’univers en question, et est sans doute l’oeuvre d’Ignorant Armies qui a la « mieux vieilli ». En une vingtaine de pages, King parvient à planter le décor d’un monde med-fan dangereux et désespéré, où les actions de héros pas vraiment exemplaires (Gotrek est un maniaque suicidaire et ultra-violent, Felix un poète ivrogne piégé par le serment alcoolisé qu’il a prêté) parviennent parfois à contrer les manigances des forces des ténèbres, sans qu’aucune victoire ne soit vraiment éclatante (Gunter, la victime présumée, se révèle être un cultiste). Que se serait-il passé si Bill King n’avait pas eu l’idée en 1989 de donner vie à un Tueur de Troll accompagné de son commémorateur ? Comme la face de notre monde si le nez de Cléopâtre avait été plus court, celle de Warhammer aurait été changée. Si la genèse de cet univers vous intéresse (ce qui est sans doute un peu le cas si vous lisez ces lignes), je vous garantis que la lecture de Geheimnisnacht vaut le détour, a minima pour pouvoir dire « je l’ai fait ». Et en plus, cette nouvelle a été traduite en français4. Aucune excuse, donc

: Il est à noter que la toute première phrase de la toute première nouvelle du tout premier recueil de textes de background romancé publié par Games Workshop (en l’état, via GW Books, l’ancêtre de la Black Library), consiste en Gotrek jurant comme un charretier. Et contre les charretiers. Et les femmes humaines. C’est ce qu’on appelle réussir ses débuts.

: En bref, on a des danseurs presque à poil qui jouent des sagattes en se flagellant à coups de branches de bouleau. De l’art contemporain comme on l’aime.

3 : Société Libertine des Amateurs d’Abjections Nudistes Et Supplices Hédonistes.

4 : Incluse dans l’ouvrage Tueur de Troll, le premier « roman » – en fait un agrégat de nouvelles – de la saga de Gotrek.

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The Reavers & the Dead – C. Davidson :

The Reavers & the Dead

Art: Steven Tappin

INTRIGUE:

Adolescent solitaire et secret, Helmut Kerzer, qui s’amusait innocemment à réanimer des cadavres de campagnols dans une crique isolée de la côte de la mer des Griffes (chacun ses passe-temps), a l’effroi de voir approcher un navire pirate de son village natal. Bien que sachant qu’il est de son devoir de donner l’alerte afin de permettre à ses concitoyens d’évacuer les lieux avant l’arrivée des pillards, notre héros est retenu dans son élan par la peur d’être identifié comme un nécromant par la communauté. Parce qu’apparemment, l’endroit où il pratique son macabre hobby est connu comme « la crique de la nécromancie », ou quelque chose comme ça, et que le simple fait de s’y rendre fait de vous un suppôt (ce qui est toujours mieux qu’un suppo) de Nagash. Soit. Ne pouvant cependant pas décemment laisser le futur crime des flibustiers du terrible Ragnar One-Eye impuni, Helmut se hâte en direction du cimetière local, où il sait que l’attend une entrée vers une ancienne crypte…

À quelques encablures de là, nous faisons la connaissance du borgne et de son équipage, et apprenons que ces derniers sont des militants de Sea Shepherd. C’est en effet suite à la remontée de poissons pourris – sans doute victimes d’une marée noire – dans leurs filets que cette bande de Norses a pris la mer pour aller se venger sur les pêcheurs d’en face, reconnus coupables de ce coup en traître par les chamans chiromanciens de la tribu. On pourrait sérieusement arguer que les augures ont perdu la main (mouahaha), mais les voies divines sont impénétrables, et il n’est pas dit que les pêcheurs ne soient pas des pécheurs. Après tout, il suffit d’accentuer le trait. Bref, nos braves vandales écoutent religieusement la harangue de leur chef, et se mettent en rang pour boire la potion magique que leur a concocté leur druide prêtre en prévision du combat. Ici, pas question de force surhumaine (contre une bande de pisciculteurs, pas besoin), mais plutôt d’une exaltation guerrière exacerbée1.

Pendant que les villageois réalisent enfin que le danger les guette, et sonnent le tocsin – avec des effets mitigés il faut dire2 – Helmut se décide à passer une porte dont le heurtoir est fait d’os, flanquée de colonnes représentant des momies hurlantes, et surmontée de niches où sont recroquevillés des squelettes. Qui l’attend derrière cette macabre façade, me demanderez-vous ? Jarvis Johnson. En fait non, bien plus prosaïquement, c’est une Liche morte de vieillesse – ce qui est à la limite de la faute professionnelle pour un nécromant, tout de même –, ce que notre héros savait déjà car… c’est de notoriété publique dans la région ? Quoi qu’il en soit, sa Splendeur Anonyme (le nom que lui donne l’auteur) accueille chaleureusement celui qui sera son apprenti et héritier, et, après un entretien d’embauche rapidement expédié, commence à transférer ses données dans l’inconscient de Helmut, et lui donne les clés de son logement de fonction. Notre héros, après avoir choisi une robe convenablement ésotérique (+3 en Intelligence parce qu’il y a encore la griffe de composition qui indique bien qu’il faut laver à 30°C avec des couleurs identiques et repasser sur l’envers ; -5 en Endurance car elle est pleine de poussière et que Helmut est allergique) commence à binge mémoriser les incantations du premier grimoire qui lui tombe sous la main, et, la tête bien pleine à défaut d’être bien faite, sort de son antre à la nuit tombée pour se venger des loubards de Ragnar, qui ont entre temps convenablement massacrés la population locale, famille de Helmut comprise.

Arrivé sur les lieux de l’holocauste, notre apprenti liche (apprentiche ?) a tôt fait de réanimer ses anciens voisins et camarades3, et de les faire fondre sur le camp des pillards, qui, malgré la sentinelle et les feux allumés sur la plage, se font surprendre dans les grandes largeurs par les Zombies ninjas de Helmut. S’en suit un massacre à sens unique, duquel on se doute que Ragnar ne réchappe pas (en fait, on n’en a aucune idée, l’auteur n’ayant pas jugé bon de nous tenir au courant du destin de l’antagoniste principal), qui laisse notre héros retourner à ses chères et chair études avec le sentiment du devoir accompli. Encore quelques années, et il aura rétabli la splendeur et le faste de la cour nécromantique que son tuteur squelettique avait établi sur la côte de la Mer des Griffes. C’est tout le mal qu’on lui souhaite, en tout cas.

AVIS:

Le récit que nous livre Charles Davidson, s’il s’avère être factuellement exact (ou, en tout cas, ne pas entrer en conflit frontal avec le fluff établi par ailleurs), diffère fortement des canons habituels de la Black Library, tant par le style que par l’atmosphère instillée par l’auteur à son histoire. Si la singularité du premier n’est somme toute que la marque d’une maturité en termes d’écriture, la seconde aurait gagné à se conformer davantage à l’approche majoritairement grimdark qui caractérise le background romancé de Warhammer Fantasy Battle. Ici, les éléments plus légers, comme un nécromancien de treize ans qui pratique les arts sombres en autodidacte et comme d’autres peuvent se découvrir une passion pour le crochet ou le rempaillage, une Liche paternaliste, ou un chef Maraudeur qui se soulage sur une ruine fumante après un carnage rondement mené, alternent avec les passages plus sombres, comme la tuerie de femmes et d’enfants par nos fripons de pirates. Rien de vraiment rédhibitoire au final, mais une sensation d’étrangeté qui peut intéresser ou rebuter le lecteur, selon ses goûts et attentes.

On pourra cependant s’accorder sur le fait que l’intrigue de ce The Reavers & the Dead est loin d’être claire, Davidson insinuant que la Liche serait responsable de la pollution des eaux Norses, ce qui aurait déclenché la colère de ces derniers et le sac du village de Helmut… et précipité sa venue dans le F3 de sa Splendeur Anonyme ? Hmmmm, un peu capillotracté ce raisonnement, Mr Davidson. De même, la conclusion très anti-climatique du récit (les pirates se font massacrer par les zombies en trois lignes), si elle peut être mise sur le compte d’une approche du med fan moins hack & slash qu’il est de coutume pour WFB, peut laisser le lecteur sur sa faim. Bref, comme dirait le sage : ce n’est pas mauvais, c’est différent. Peut-être un peu trop, justement.

1 : On ne donne pas la recette exacte du breuvage, mais peut-être qu’un mélange un tiers harissa, un tiers tabasco, un tiers Red Bull ferait l’affaire.

2 : J’en veux pour preuve que les pirates réussissent à surprendre un pêcheur en train de repriser ses filets sur la jetée. Il devait être sourd et aveugle – ou alors très, mais très concentré – en plus d’être chauve, c’est pas possible autrement. Ah, ils arrivent aussi à massacrer les femmes et les enfants qui n’avaient pourtant rien d’autre à faire qu’à s’enfuir dans les bois le temps que l’orage passe.

3 : Dont un Julius Fleischer, qui est peut-être le père, le frère, l’oncle ou le cousin par alliance d’Angelika Fleischer ?

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The Other – N. Griffith :

INTRIGUE:

The Other

Art: Jim Burns

Accompagnant son père, le renommé et influent Doktor Franz Hochen jusqu’à Middenheim où il a affaire, Stefan Hochen, notre héros, fait la connaissance d’une mystérieuse baladine alors qu’il patiente1 sur l’un des viaducs d’accès de la cité du Loup Blanc, momentanément embouteillé par le renversement d’une carriole de vin (ce qui est un comble, si on y réfléchit). Cette dernière (la troubadour, pas la barrique de vinasse), ayant appris la médecine en autodidacte, se montre assez peu impressionnée par la manière cavalière dont l’honorable Doktor prend en charge l’accidenté, envoyé jusqu’à l’hospice de Shallya le plus proche par brouette pour cause de non-solvabilité manifeste2. Cette première rencontre, pour brève qu’elle fut, ayant un chouilla chamboulée notre Stefan, qui a embrassé la carrière paternelle par facilité et convénience plutôt que par réel intérêt, il est tout content de retomber sur l’inconnue du périf à l’occasion de sa soirée d’enterrement de vie d’interne en médecine, qu’il passe en compagnie de quelques amis dans la chaude ambiance de la taverne de la Lune Rouge.

La street medic, de son nom Katya Raine et de sa profession joueuse de tam tam (eh, il en faut), régale l’assistance d’une composition de son cru, narrant le destin tragique d’une jeune femme ayant eu le malheur de confondre une pierre de sang, aux propriétés curatives supposées, avec un éclat de malepierre. La caillasse, plongée dans les flammes en préparation d’une concoction miraculeuse, lui péta ainsi à la figure, fichant un fragment de roche chaotique dans le gras du bras de l’apprentie alchimiste. Le corps étranger n’ayant pu être retiré, la pauvresse, d’abord tourmentée par des cauchemars, puis des crises de somnambulisme extrêmes, finit par hériter d’un membre écailleux et griffu, avec lequel elle égorgea toute sa famille lors d’une nuit enfiévrée. Fin. C’est autre chose que Despacito, c’est sûr. Bien que la complainte du racaillou soit accueillie par des tonnerres d’applaudissements par l’assistance, Stefan se fait la réflexion, que, oh comme c’est bizarre, Katya a une écharpe nouée autour du bras, comme son héroïne lorsqu’elle cherchait à cacher son affliction à ses proches. Méfiance, méfiance. Mais béguin tout de même.

De plus en plus épris, Herr Hochen résout de jouer de ses relations (son père est l’autorité qui délivre les permis d’exercer aux médecins impériaux) pour gagner les faveurs de son crush, qu’il stalke avec insistance mais balourdise au cours des jours qui suivent. Furieux et jaloux de constater qu’elle s’est rendue dans la demeure de l’adjointe du Sorcier Suprême de Middenheim (Janna Eberhauer) – l’homophobie est toujours un fléau en 2425 –, il se fait carrément krav maga-er la face par sa chère et (pas si) tendre (que ça) lorsqu’elle se rend compte qu’il l’a prise en filature le lendemain. Cherchant à se faire bien voir, il accepte de l’accompagner alors qu’elle réalise sa tournée de bienfaisance parmi les déshérités de Middenheim, mais la simple vue d’Oliphant Man suffit à lui faire tourner les talons. Stefan Hochen, médecin mais surtout esthète.

Soupçonnant fortement que Katya se soit inspirée de son expérience personnelle pour écrire son tube inter-tavernial, Hochen insiste lourdement pour que la belle lui dévoile le bras qu’elle tient écharpe, en échange d’ingrédients médicinaux qu’elle ne pourra pas obtenir sans son aide, faute de licence. Le chantage à l’aspirine, c’est moche tout de même. Mais en tout cas ça marche. Déception ou soulagement pour le voyeur brachiophile, le biceps de Frau Raine est tout ce qu’il y a de plus banal. S’étant engagé à faire les courses pour sa comparse, notre héros réalise sur le chemin du retour, à la faveur d’un tour de passe passe commenté par une brave commère, qu’il s’est probablement fait rouler dans la farine par Katya. Si elle a placé l’écharpe autour de son bras, c’est pour attirer l’attention sur ce dernier et la détourner d’une autre partie de son anatomie… comme sa jambe, qui semble boiteuse depuis quelques temps. Mind blown.

Déterminé à faire quelque chose, et en tout cas, à vider son sac à une autorité compétente en matière de mutant, Stefan s’en va cafarder auprès de Janna Eberhauer, sans savoir que Katya est également présente (il y avait vraiment une romance à l’oeuvre entre les deux femmes), et qu’elle a demandé à la sorcière de l’aider à retirer l’éclat de malepierre qu’elle a reçu dans la cuisse avant que ce dernier ne lui fasse perdre pied (à tout point de vue). D’abord réticent à l’idée de donner un coup de main – c’est toujours dur d’apprendre qu’on est relégué à la friend zone – Stefan finit par se laisser convaincre, et, aidé par les incantions anesthésiques et purificatrices de Janna, parvient à extraire le grain fâcheux de sa patiente. Réalisant qu’il n’a aucune chance de conclure, mais tout de même beau joueur, il quitte son chevet en laissant la licence qu’il a fait signer par son père ainsi que ses sentiments les plus distingués et sa carte de visite, dans l’attente que Miss Raine, qui a prévu une petite virée au Kislev pour fêter sa rémission, revienne du côté du Middenheim. La persistance, c’est la clé.

AVIS:

On peut mettre au crédit de Nicola Griffith l’écriture de la première nouvelle intégrant une histoire d’amour homosexuelle de l’histoire de la fiction GW, et à celui des éditeurs et valideurs de l’époque (David Pringle et Bryan Ansell, probablement) l’inclusion d’un texte assez subversif à sa manière dans le premier ouvrage publié par GW Books. Ce qui peut sembler franchement banal aujourd’hui – et encore, on peine à voir les sujets de genre émerger dans les publications de la Black Library – l’était beaucoup moins en 1989, même s’il faut à mon avis voir dans cette nouvelle la tolérance d’une équipe éditoriale ne disposant pas d’un réservoir infini de contributeurs de bon niveau à solliciter, plutôt qu’un manifeste assumé pour la tolérance et l’inclusion. Parenthèse close.

Au delà de ces considérations méta-littéraires, The Other se révèle être une nouvelle assez sympathique à lire, présentant le double avantage de faire l’effort de s’intégrer dans l’univers de Warhammer de façon plausible (plus que d’autres soumissions de Ignorant Armies, flirtant parfois avec la parodie de façon un peu trop visible, ou présentant des signes évidents de « saupoudrage de background » afin de lier de façon artificielle le récit à la franchise à laquelle il est sensé appartenir), tout en conservant une originalité forte par rapport au courant hack & slash grimdark (si une telle juxtaposition est tolérée) aujourd’hui omniprésent dans les publications de la Black Library. En choisissant de mettre au même niveau d’importance le triangle amoureux reliant les protagonistes et le sombre secret de son héroïne, Griffith humanise fortement sa nouvelle, et donne la vision d’un Vieux Monde un soupçon moins cruel, méchant et violent qu’on en avait l’habitude. De la à soutenir que le pouvoir de l’amour peut faire obstacle à l’influence corruptrice et mutagène du Chaos, il y a un peu plus qu’un pas à franchir, mais à titre personnel, je dois dire que cette approche moins « tranchante » que d’accoutumée du sujet de la mutation n’a pas été pour me déplaire. En définitive, si vous appréciez l’approche « Craigesque » de Warhammer, je ne peux que vous conseiller de donner sa chance à The Other, qui présente une certaine similitude avec les travaux du grand Brian.

1 : Pour tuer le temps, il se représente les résultats d’infections cutanées particulièrement virulentes et purulentes chez tous les péquenauds qu’il croise. À chacun ses hobbies.

2 : À croire que dans l’Empire, le serment d’Hippocrate commence par « d’abord, ne pas faire crédit ».

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Apprentice Luck – S. Flynn :

Apprentice Luck

Art: Martin McKenna

INTRIGUE:

Assistant du peu commode, ni sobre d’ailleurs, libraire Otto von Stumpf à Middenheim, le jeune Karl Spielbrunner, laissé orphelin et sans ressources par la mort de son père, s’ennuie à mourir dans l’échoppe miteuse dans laquelle il passe ses journées. Rêvant d’une vie plus trépidante, il est exaucé sans le savoir lorsque qu’une commère vient lui vendre un livre de sorts qu’elle a récupéré sur un cadavre au pied de la Falaise des Soupirs (parce que le recyclage de macchabées est une activité tout à fait honorable à Middenheim). Songeant d’abord qu’il a moyen de tirer un petit bénéfice de la revente de l’opuscule à un des antiquaires de la cité, Karl a à peine le temps de parcourir quelques formules magiques de bas niveau1 de son acquisition – découvrant au passage une sorte de carte au trésor dissimulé dans la reliure de l’ouvrage –  que le sorcier qui a pris un Air B&B en face de la boutique débarque et déclare qu’il est à la recherche d’un livre que Von Stumpf & Son a récemment reçu, ou recevra bientôt (la magie, ce n’est pas toujours précis). Sentant qu’il a la possibilité de tirer une somme plus coquette que prévue de l’aventure s’il joue ses cartes dans l’ordre, Karl nie crânement avoir le bouquin en question, ce qui convainc le mage de quitter les lieux en jurant de revenir, mais non sans avoir jeté un regard lourd de sens à notre fripon de héros, en lui intimant de « se souvenir de ceci ». Vivement l’invention du post-it.

Un peu plus tard dans la soirée, ayant aidé son patron bien imbibé à retrouver le chemin de sa paillasse avant de continuer l’étude du mystérieux manuel convoité par Aldore Dumblebus, Karl surprend ce dernier en flagrant délit d’intrusion dans le local commercial en dehors des heures d’ouverture, et, ne donnant pas lourd de ses chances en face d’un authentique sorcier à grand nez (l’espèce la plus dangereuse), décide sagement de s’éclipser par derrière. Là, il tombe sur un mystérieux jeune homme habillé comme le valet de pique (c’est à dire de façon assez classe, mais totalement vieillotte), qui l’enjoint de le suivre pour éviter se prendre un Avada Kedavra dans le buffet. Acceptant la proposition sans trop réfléchir, Karl remarque quelques détails curieux chez son nouveau meilleur ami, comme le fait qu’il semble courir sans toucher le sol, qu’il ne respire pas vraiment, et qu’il utilise systématiquement le nous de majesté. Tout cela n’est définitivement pas très ulricain. Lui aussi très intéressé par l’incunable de Karl, et précisément par la carte qui s’y trouvait, il se fait convaincre par notre roublard de héros de se délester d’une bourse de pièces d’or, et de lui laisser 10% du trésor qui attend d’être collecté au bout du labyrinthe dessiné sur la fameuse carte, s’il accepte de le mener jusqu’à bon port. Ayant appris tous les détails du plan par cœur grâce à sa mémoire eidétique de Space Marine, Karl se fait fort de servir de guide urbain au généreux touriste, qui révèle s’appeller Argo.

Première étape pour nos larrons : accéder aux souterrains de Middenheim, là où se trouve le dédale en question. Ne souhaitant pas emprunter l’entrée officielle et se confronter à la Garde de la Cité, Karl emmène son pote jusque dans les bas-fonds de l’Ostwald, où il sait qu’une taverne possède une cave donnant sur les souterrains en question. Mettant à profit le chill absolu et le talent à l’épée d’Argo, et la brusque poussée de compétences magiques de Karl, qui se révèle tout à fait capable de lancer le sort de confusion survolé dans le grimoire lorsqu’un ruffian tente de lui mettre la main dessus (bien que l’effort se solde par une épistaxis carabinée), les compères descendent dans l’underground middenheimer, où, après avoir repoussé les assauts désorganisés d’une tribu de gobelins nains (des nobelins quoi), avec la même recette imparable que quelques niveaux plus haut (et les mêmes conséquences sanguines pour Coral), ils arrivent à l’entrée du labyrinthe.

Karl n’ayant pas sur-vendu ses capacités mnémoniques, et malgré une saute d’attention qui manque de lui retomber – littéralement – dessus, les aventuriers arrivent dans la salle du trésor, où, bien évidemment, Argo tombe le masque et se révèle être… une créature du chaos nécromantique. Un méchant en tout cas. Entendons-nous sur ceci et continuons. Ayant convoqué le trio de squelettes de fonction que tout boss de fin qui se respecte peut réclamer de la part des RH, le perfide antagoniste menace le pauvre Karl de mille maux s’il ne lui donne pas le mot de passe qui lui permettra d’accéder au butin. Fort heureusement pour Herr Spielbrunner, c’est le moment que choisit le sorcier du début de la nouvelle pour surgir – utilisant le trait de classe ‘un magicien n’est jamais en retard, et fuck la logique’ – et régler la situation d’un cantrip bien senti. S’en suit une nécessaire contextualisation, qui nous apprend que Big Nose est en fait le gentil, et que son apprenti a dérobé la carte à Argo et l’a dissimulé dans son livre de sorts pour empêcher le trésor de tomber entre de mauvaises mains. Malheureusement pour le brave stagiaire thaumaturge, il se fit coincer par le méchant et sa bande avant d’avoir pu regagner Poudlard, et préféra sauter de la Falaise des Soupirs plutôt que de remettre le plan. Voilà qui est corporate. La suite est facile à déduire, et il est révélé au passage que les pouvoirs inexpliqués et sanglants de Karl sont une sorte d’échantillon gratuit insufflé par Marlin le Chanteur à son jeune ami lors de leur première rencontre.

Les explications sont toutefois interrompues par le réveil d’Argo, qui ne pouvait pas décemment finir banni comme le premier goon venu. Le combat qui s’ensuit permet de percer le secret des origines de notre blanc méchant, qui s’avère être un cadavre animé par des milliers de scarabées, comme Karl en fait la découverte lorsqu’un coup d’épée bien placé déclenche une hémorragie de chitine chez sa majesté des élytres. Un sort de strip tease, et un autre de fumigation plus tard, et c’en est fait, cette fois pour de bon, de notre méchant bio-diversifié. La fin de la nouvelle n’est plus qu’une formalité pour la team Poulpesouffre : Karl prononce le mot de passe2, et le mage et son futur apprenti accèdent à la légendaire bibliothèque de Fistoria Spratz, un puissant mage… nain. Fail. Better (Apprentice) luck next time, Sean !

AVIS:

Difficile de déterminer s’il faut blâmer un background pas encore bien en place au moment de l’écriture de cette nouvelle ou un franc dédain de Sean Flynn pour ce dernier (les deux explications sont possibles d’après les témoignages de l’époque), mais force est de reconnaître que cet Apprentice Luck n’est guère fringant d’un point de vue fluffique, comme la lecture du résumé ci-dessus le fait apparaître de façon assez flagrante. Si le lecteur veut se donner la peine et la bonté de passer outre ce détail (qui ajoute au charme un peu suranné de la nouvelle de mon point de vue), il se retrouvera avec un récit d’aventures fantastique d’un classicisme consommé, soit très véridiquement, du sword & sorcery à la sauce Donjons & Dragons sans grande originalité ni valeur ajoutée. Si les critiques de forme peuvent être épargnées à Sean Flynn eut égard aux conditions dans lesquelles fut écrit Ignorant Armies, le fond n’est pas irréprochable non plus, ce qui est bien dommage. Résolvant tous les « points durs » de son intrigue par les tous premiers TGCM de l’histoire de la GW-Fiction, et livrant une intrigue d’une linéarité d’autoroute, Flynn/MacAuley donne l’impression d’un mercenaire littéraire plus intéressé par son chèque que par le respect du matériel original et le souci d’offrir à son lectorat une expérience satisfaisante. Ce qui a été sans doute le cas. Dommage.

1 : Dont un sort de confusion mineur, le fameux ‘Tooween zeyesnid zeuno tooween euguainst zeuno’.

2 : Que l’auteur ne nous révèle pas, ce qui est vraiment petit bras de sa part. Je soupçonne qu’il a simplement oublié d’insérer un set-up digne de ce nom dans son intrigue…

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A Gardener in Parravon – B. Craig :

A Gardener in Parravon

Art: IanMcCaig

INTRIGUE:

Dans la ville de Parravon, réputée dans le Vieux Monde pour ses jardins et ses oiseaux (eh oui), le jeune Armand Carriere, fils de marchands mais peu intéressé par en devenir un lui-même, se passionne pour le mystérieux jardin d’un voisin, qui semble attirer des nombreux oiseaux des environs. La propriété mitoyenne étant ceinturée d’un hallier aussi haut que fourni, notre héros ne peut qu’imaginer ce qui attire la faune ailée de Parravon dans le verger du sieur Gaspard Gruiller – le nom du voisin en question. Ayant remarqué que plus d’oiseaux semblaient s’approcher de l’endroit qu’en repartir, Armand suppute que le jardin abrite quelque espèce de plantes carnivores, comme celles qu’il a découvertes par le biais de ses lectures. Prêt à tout pour lever le mystère, il convainc un jour son ami Philippe Lebel de lui prête main forte afin de grimper sur le toit de la maison familiale, et ainsi bénéficier d’une meilleure vue sur les plates bandes de Monsieur Gruiller. Surpris par ce dernier, il a la surprise d’être convié par le voisin en question à visiter son jardin quelques jours plus tard, et de constater ainsi que ses suppositions étaient fondées. Gruiller entretient bien une espèce très particulière de fleurs, dont les tiges et les lianes capturent les oiseaux qui passent à portée pour s’en nourrir, et dont les fleurs, de fort belle taille, produisent un nectar particulièrement savoureux.

La nuit qui suit cette visite est agitée pour Armand, qui rêve qu’un démon mi-aigle, mi-poulet rôti, vient frapper à sa fenêtre pour l’emmener jusqu’au jardin voisin, afin qu’il puisse se nourrir, en compagnie de la volée chaotique qui butine gaiement dans les bosquets, du substantifique suc des orchidémoniques de ce bon Gruiller, le tout sous le regard attendri d’un démon majeur (mi-autruche mi-dinde rôtie) perché sur un champignon. Les légumes du dîner ne devaient pas être de première fraîcheur, c’est moi qui vous le dit. S’étant ouvert de son rêve à son pote Philippe Le Bel (pas encore Roy de France), Armand se fait convaincre par ce dernier que sa vision n’était justement qu’une vision, sans fondement sérieux. L’argumentation de Philou ne se montre toutefois pas aussi irréfutable que ce dernier le pensait, puisque l’on retrouve le lendemain le corps d’Armand suspendu dans la haie de Gruiller, comme s’il s’était jeté de sa fenêtre en contrebas. Le cadavre présente également de nombreuses lacérations, qui auraient pu être causées par des griffes ou par les épines du hallier, allez savoir. C’en est en tout cas fini de l’histoire d’Armand Carriere, le botaniste bohème, et de celle de Brian Craig, qui aura démontré une fois pour toute que le flower power n’est pas toujours aussi bénin qu’on le croit.

AVIS:

Les débuts de Brian Stableford, ici Brian Craig, dans la GW-Fiction présentent déjà les caractéristiques que l’on retrouvera dans ses contributions suivantes pour GW Books, Boxtree et même la Black Library. Un rythme posé, voire contemplatif (pour ne pas dire lent), une prose à la fois poétique et réfléchie, et la volonté de faire réfléchir ses lecteurs sur les grands principes et concepts sous-tendant l’univers dans lequel il fait évoluer ses personnages. C’est bien simple, le Vieux Monde n’apparaît jamais plus civilisé et raisonnable que sous la plume de Mr Craig, l’homme qui arriverait presque à banaliser les apparitions démoniaques (A Gardener in Parravon, The Winter Wind), et à respectabiliser la profession de Nécromancien (Who Mourns A Necromancer ?). Si cette nouvelle ne s’avère pas la plus réussie de ses soumissions à mes yeux – la faute à une absence de chute1 digne de ce nom – sa lecture s’avère tout aussi agréable que celle des travaux ultérieurs de notre homme. Une mise en bouche des plus satisfaisantes donc2.

1 : À moins que celle, littérale et fatale, d’Armand Carriere soit celle que nous attendions.

: Sache, fidèle lecteur, que je me suis retenu très fort de partir dans l’analyse psychanalytique de cette nouvelle, après m’être rendu compte que le rêve du héros peut être interprété de diverses façons lorsqu’on note que le pistil des fleurs de Gruiller arbore une forme phallique sans aucune équivoque (décrit dans le texte et repris dans l’illustration de la nouvelle). Je n’en dirai pas plus…

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The Star Boat – S. Baxter :

1

Art: Adrian Smith

INTRIGUE:

Alors qu’il buvait1 tranquillement dans une taverne de Norsca au retour d’une campagne victorieuse en Arabie, le farouche Erik the Were – à ne pas confondre avec le fantoche Eric the Woerth, un fameux alpiniste bretonnien – est abordé par un mystérieux étranger, qui souhaite s’attacher les services du lupin, à défaut d’être turlupin, mercenaire. Notre héros est en effet frappé d’une sorte de lycanthropie passive, se manifestant par une pilosité épaisse (ce qui lui a posé quelques problèmes dans son enfance) et la capacité, jamais utilisée à fond par le prudent Erik, de décupler ses forces en laissant libre cours à sa nature animale. Bien qu’ayant initialement refusé l’offre de cet intriguant et coassant mécène, Erik se rend le lendemain dans l’auberge où ce dernier réside, et apprend que Cotza – son nom – le Slann – son espèce – s’est lancé dans la quête d’un légendaire artefact remontant à la chute des portails polaires : un navire céleste (star boat) s’étant écrasé quelque part dans les Désolations du Chaos, à l’époque où elles étaient beaucoup moins désolées. Un peu réticent à l’idée de se mettre au service de Kermit, Erik finit toutefois par succomber aux trésors de persuasion de Cotza, qui l’envoie tout d’abord récupérer la carte indiquant l’emplacement exact de l’épave.

Le temps pour notre taciturne berserker de faire un aller-retour à Erengrad, où le parchemin en question est conservé dans le palais du gouverneur comme souvenir de la Grande Guerre contre le Chaos2, et les véritables préparatifs de l’expédition arctique peuvent commencer. Ayant recruté une petite armée de Nordiques pour l’emmener jusqu’aux côtes des Désolations, Cotza supervise la réalisation d’une sorte de roulotte isolée au mithril/gromril (métal magique réputé pour ses propriétés anti-chaotiques), et dotée de toutes les dernières options technologiques (GPS, climatisation, moteur 12 chevaux – de guerre – …), ce qui permettra à notre intrépide duo de se rendre sans trop de danger jusqu’au vaisseau en question. Le voyage aller se passe en effet sans trop de problème, les assauts d’une bande de Démonettes en maraude ricochant3 sur le blindage renforcé de la Kangoo de Cotza, et l’intrusion d’un Elémental d’air glacial et brutal dans l’habitacle du véhicule, permise par la trop grande porosité du système de ventilation, étant chaudement repoussée par les capacités de chauffagiste d’Erik.

Enfin, le mobil home s’arrête pile au dessus de l’épave, et le Slann et le Norse pénètrent dans le mythique vaisseau céleste. Leur exploration tourne toutefois rapidement court, lorsque Cotza décide de toucher au tableau de bord de ce qui semble être la salle des machines, et provoque des contre-mesures extrêmes de la part du Star Boat. Bilan : un bras arraché pour la grenouille impatiente, et un trou dans le toit de la roulotte tout terrain des aventuriers du pédalo perdu4. Heureusement qu’Erik est là pour ramasser et recoller les morceaux, son enchaînement garrottage + cautérisation du moignon cotzique sauvant la vie de l’amphibien, et son marouflage express de la toiture permettant à la paire d’échapper à une exposition prolongée à l’atmosphère délétère du Grand Nord. Il faut toutefois se résoudre à faire demi-tour sur ce constat d’échec, qui se retrouve agravé par la révélation que Cotza n’est finalement pas un vrai Slann (comme son incapacité à désactiver la protection du vaisseau céleste l’a fait supposer à Erik). La fourbe et veule grenouille s’avère être – tenez-vous bien – un paysan bretonnien, recruté contre son gré dans les armées du Roy Charles et ayant obtenu du mage de bataille servant dans l’ost royal une transmutation en Slann en échange de la remise d’un parchemin arcanique qu’il avait trouvé par hasard pendant un bivouac. Je ne parie que vous ne vous attendiez pas à cela. Moi non, en tout cas.

Le chemin vers la civilisation Norsca n’est pas une partie de plaisir pour Erik, malgré le retour des maraudeuses Slaaneshi, qui ont cette fois pensé à amener un minotaure avec elles, qui vient rapidement à bout du camping-car de Cotza, avant de s’en aller en rigolant bruyamment. L’homme triton ayant sombré dans l’apathie la plus profonde depuis sa mutilation – guère aidé dans sa convalescence par l’apparition d’une tête grotesque à l’extrémité de son moignon – Erik ne perd pas de temps à s’enquérir du bien-être de son commanditaire, et taille la route vers le Sud après s’être bibendum-mé de plaques de mithril. Hanté par des rêves et des visions interdits au moins de 18 ans, notre héros a également la malchance de se faire attaquer par une chimère constituée des chevaux utilisés pour tracter la Kangoo de fonction de Cotza, et de ce dernier (décidément toujours dans les bons coups). Poussé dans ses derniers retranchements par cette monstruosité mutante, Erik décide de laisser l’animal en lui prendre le dessus, ce qui lui permet de sortir victorieux de l’affrontement. Magie des latitudes nordiques, cet ultimate résulte de plus en la séparation de la partie humaine et de la partie lupine du mercenaire, qui revient donc au camp de base guéri de sa malédiction. Qui a dit qu’il ne se passait que des mauvaises choses dans les Désolations du Chaos ?

AVIS:

Récit d’aventures ambitieux par sa longueur (45 pages) et son approche du background de Warhammer Fantasy Battle, The Star Boat est une nouvelle qui mérite vraiment la lecture, même 30 ans après sa publication initiale. Bien que certains passages et détails n’aient pas résisté aux ravages du temps et des retcons du fluff, le choix de Baxter de traiter d’un artefact Slann perdu au milieu des Désolations Nordiques a contribué à « préserver » la pertinence de son propos. Si l’historique de WFB a beaucoup évolué au cours de ses décennies d’existence, la persistance des mythes entourant les Slanns/Anciens et la nature éminemment permissive des terres chaotiques, ou le hors-sujet est un concept inconnu, font de la lecture de The Star Boat une expérience moins étrange que celle d’autres antiques nouvelles, elles totalement et absolument démodées. Après tout, Bill King reprendra l’idée de l’aventure en rover dans le Grand Nord pollué du Vieux Monde dans sa série Gotrek & Felix : l’idée n’était donc pas si farfelue qu’elle peut paraître de prime abord.

Autre aspect de la nouvelle à mettre au crédit de l’auteur, son inventivité en termes d’intrigue. C’est bien simple, on ne sait jamais à quoi s’attendre dans ce périple nordique, ce qui est toujours appréciable pour le lecteur. Alors que d’autres soumissions du recueil Ignorant Armies sont bien plus linéaires et prévisibles dans leur déroulé, soit qu’il s’agisse de respecter un cahier des charges précis (Geheimnisnacht, la « mère » de toutes les nouvelles Gotrek & Felix), soit que l’auteur n’ait pas été très inspiré au moment de prendre la plume (Apprentice Luck, et dans une moindre mesure, The Reavers & the Dead et The Other), The Star Boat est très difficile à prédire, ce qui est une bonne chose !

On notera également que Baxter a bien pris la mesure du monde dans lequel il place son propos, convoquant aussi bien la Norsca que le Kislev, la Lustrie, l’Arabie, la Bretonnie et les Désolations du Chaos, ce qui sous-entend un sérieux effort de documentation de la part de notre homme, et est tout à son honneur.  De la même manière, et de façon plus métaphysique que géographique, le concept du Chaos est bien intégré et illustré dans la nouvelle, comme la fin peu ragoûtante de Cotza, premier (et probablement seul) personnage trans-racial de WFB, le démontre amplement. Cela peut sembler naturel de notre point de vue de lecteur de la Black Library, qui a la chance de pouvoir compter sur des cohortes d’auteurs expert ès-Chaos du fait de leur passif d’hobbyiste, mais en 1989, et comme il le révèle dans la chronique qu’il a consacré aux débuts de la GW-Fiction, Warhammer n’était qu’un univers de fantasy parmi d’autres, et tous les auteurs mis à contribution pour les premiers ouvrages de cette gamme n’ont pas pris le temps de potasser leur Realms of Chaos et Slaves of Darkness pour complaire à Pringle et Ansell. Bref, un texte intéressant à plusieurs chefs, que je conseille sans hésitation ni réserve aux lecteurs intéressés par une plongée dans les profondeurs mythiques de l’Oldhammer. Il y a bien pire, croyez-moi.

1 : Probablement le verre d’eau que tous les restaurateurs et taverniers sont obligés de servir gratuitement à quiconque en fait la demande, car notre homme n’est pas du genre à claquer sa paie en mojitos. 

2 : La nouvelle comporte, du fait de son grand âge, son lot de détails fluff incohérents avec le background canon. L’un d’entre eux est l’affirmation que ce serait le Gouverneur d’Erengrad qui aurait vaincu les armées chaotiques lors de la Grande Guerre contre le Chaos.

3 : Et pourtant, elles disposaient d’une épée tronçonneuse (dixit l’auteur en personne, je n’invente rien). Ah, la magie des cross-over…

4 : Les anciens Slanns n’étaient pas du genre à se contenter d’équiper leurs véhicules d’une simple alarme sonore.

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The Ignorant Armies – J. Yeovil :

2

Art: Adrian Smith

INTRIGUE:

Depuis dix ans, date du sac du manoir familial, du massacre de ses occupants et de l’enlèvement de son jeune frère Wolf par le Champion du Chaos Cicatrice (qui s’appelle ainsi à cause de… son strabisme appuyé, évidemment), Johann von Mecklenberg piste la bande de sa Némésis, espérant toujours pouvoir tirer son cadet des griffes du pillard balafré. Accompagné par son taciturne et ironique (on le surnomme l’Homme de Fer) tuteur, Vukotich, le jeune noble a traîné ses guêtres chamarrées et sa crinière de feu – si l’on se fie à la vision de John Blanche de son sujet – d’un bout à l’autre du Vieux Monde, et vécut maintes pittoresques aventures au passage, sans pour autant parvenir à refaire son retard sur l’insaisissable Cicatrice. Jusqu’à maintenant tout du moins.

S’étant arrêtés pour la nuit dans une sombre forêt du nord de Kislev, les chasseurs, après avoir achevé l’un de leurs chevaux qui montrait quelques signes de faiblesse, tendent un piège à un quatuor de mutants peu discrets, envoyés par ‘Tris leur régler leur compte. Comme les 798.841 fois précédentes – en dix ans, on a le temps d’en fomenter des embuscades – Jojo et Vuko s’en sortent haut la main, bien que ce dernier ait perdu quelques points de vie au contact du sang contaminé (un scandale !) de l’homme crapaud qu’il vient de mettre en bouteille. Il en faut toutefois plus pour décourager notre paire de choc, Johann bricolant fissa un brancard de fortune pour permettre à son mentor de passer une convalescence relativement confortable au cul de leur dernier cheval. Que demande le peuple. Ayant appris de la bouche l’orifice facial du meneur des traînards, une ancienne connaissance (Andreas) du manoir des von Mecklenberg ayant abandonné ses études de taxidermie pour devenir Élu du Chaos à la suite de la descente de Cicatrice, que ce dernier se dirigeait vers le Nord et un mystérieux champ de bataille, Johann mène ses suivants (je compte le cheval qui aurait dû s’appeler Tsar – it’s complicated –  parmi ces derniers pour pouvoir user du pluriel) dans la direction indiquée, et finit par déboucher sur une plaine jonchée de cadavres en divers états de décomposition.

Un hameau se dresse, de façon incongrue, au milieu du charnier, qui ne peut être que le champ de bataille auquel le moribond a fait référence. Hêlant les habitants du lieu afin d’obtenir l’hospitalité pour la nuit, Johann fait bientôt la rencontre d’une troupe de lunatiques bigarrés mais très cordiaux, qui acceptent sans trop discuter d’accueillir les deux nouveaux-venus dans leurs cahutes. Le dîner qui s’en suit permet au baron déchu de faire la connaissance du Nain Kleinzack, autorité temporelle de la communauté, et dont le mandat de maire n’est en rien perturbé par l’épée qui le traverse de part en part (blessure de guerre). Ce dernier informe obligeamment ses hôtes qu’ils ont bien atteint le lieu où, chaque nuit, les armées du Chaos s’affrontent pour gagner la faveur des Dieux Sombres. L’endroit est un détour obligé pour les Champions avides de faire leur preuve, et il n’est donc pas étonnant que Cicatrice ait emmené sa bande y passer le weekend. Comme en témoigne le vacarme assourdissant qui s’abat bientôt sur le village, la légende est tout ce qu’il y a de plus fondée, et, si le sommeil ne vient pas facilement à nos héros cette nuit là (en même temps, difficile de faire venir la maréchaussée dans le Pays des Trolls pour faire constater du tapage nocturne), ils s’endorment avec la certitude que leur quête est sur le point de s’achever.

3

Art: Adrian Smith

Le lendemain, Johann et Vukotich accompagnent leurs bienfaiteurs à la surface, où ces derniers s’activent à piller les cadavres et à nettoyer le champ de bataille afin que les combattants du soir puissent s’entre-tuer dans des conditions décentes. Demandant à tout hasard à Kleinzack s’il aurait entendu parler de la bande de Cicatrice, dont les guerriers arborent un éclair rouge à travers le visage, les deux voyageurs ont la surprise d’entendre ce dernier leur proposer de les mener jusqu’au chef de guerre en personne. Et en effet, c’est bien cette vieille badingue de Cicatrice que Johann et Vukotich trouvent à l’agonie sur le pré, bien loin de sa prime et terrifiante jeunesse il faut bien le dire. Avant que la mort ne l’emporte (un suicide plein de classe démontrant que, malgré ses méfaits, notre homme avait le cœur sur, ou en tout cas dans, la main), le vieux Champion révèle à un Johann outré s’être fait cruellement navrer par le plus si innocent que ça Wolf. Ce dernier a en effet repris les rênes de la bande depuis deux ans, reléguant Cicatrice à une pré-retraite honorifique, qui s’est donc finie en eau de boudin.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, J&V tombent dans l’embuscade tendue par Kleinzack et ses sbires, que Wolf a payé pour qu’ils leur remettent leurs indéfectibles poursuivants. Malheureusement pour le fourbe nain, son avidité le mènera à sa perte lorsque Johann parvient à se libérer de ses liens alors que le nabot était en train de lui faire les poches. Délesté de son épée au moment de sa capture, Johann se venge en faisant une « Roi Arthur » sur Kleinzack, lui empruntant l’épée qu’il avait en travers du thorax depuis toutes ces années, avec des conséquences fatales pour l’avorton. La nuit étant tombée entre temps, l’affrontement final entre les deux frères peut prendre place, et Johann fait bientôt face à son frangin, qui a acquis la plupart des caractéristiques de son animal totem depuis la dernière fois qu’il se sont vus, il y a dix ans.

Le combat entre les deux von Mecklenberg s’engage donc, tandis que Vukotich corrige les groupies de Wolf à grands coups de hache à l’arrière plan, et, alors que le nouveau chef de guerre semble insensible aux attaques fraternelles, Johann a soudain la bonne idée de viser l’épaule de son adversaire bestial. C’est là que la flèche qu’il avait tirée – comme une patate il faut bien le reconnaître – dix ans plus tôt au cours d’une chasse, avait atteint par erreur Wolf, et contraint ce dernier à retourner au manoir pour se faire soigner, juste au moment où Cicatrice frappait à la porte (pas de chance). Laissée sans traitement pendant une décennie, cette blessure, en tant que seul lien avec son passé « civilisé », constitue le point faible du Champion. Alors qu’il est sur le point de donner le coup de grâce à son frère, Johann est interrompu par le kill-bomb de Vukotich, qui se place sur la trajectoire de la lame et se retrouve prestement embroché. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que l’altruiste mentor a un plan pour inverser la malédiction chaotique ayant transformé Wolf, mais doit pour cela donner de sa personne, et de son sang, plus précisément. S’étant littéralement saigné aux quatre veines tout en marmonnant les incantations consacrées, Vuko’ tombe raide mort, le devoir accompli. Décidément, il ne fait pas bon s’appeler Iron Man. Son sacrifice n’est toutefois pas vain, un Wolf frais comme un gardon émergeant de la sorte de chrysalide magique s’étant refermée sur lui suite à ce rituel impromptu, et que Johann a défendue jusqu’à la levée du jour en bon grand frère protecteur qu’il est. Bref, si vous aviez encore besoin d’être convaincu que le don de sang peut sauver des vies, j’espère que vous êtes maintenant convaincus !

Ignorant Armies - 1

Art: John Blanche

AVIS:

Depuis son titre, d’une classe folle1 et d’un warhammerisme consommé (la véritable nature du Chaos n’apparaît pas à ceux qui se battent en son nom jusqu’à ce qu’il soit trop tard), jusqu’à sa conclusion heureuse-même-si-on-pourrait-arguer-qu-elle-n-est-pas-valide-d-un-point-de-vue-fluffique, The Ignorant Armies est une démonstration de ce qu’une nouvelle WFB devrait être. La quête décennale de Johann et de Vukotich à travers le Vieux Monde, sur les traces de l’insaisissable Cicatrice et sa bande de maraudeurs chaotiques, permet à Yeovil d’aborder tous les grands thèmes de l’univers de Warhammer : l’opposition/complémentarité entre l’ordre et le Chaos (depuis les ravages infligés par Cicatrice à l’Empire, dont il était un des défenseurs autrefois2, jusqu’au village du champ de bataille, « symbiote civilisé » opérant de concert avec l’anarchie de la mêlée perpétuelle qui sévit à sa porte), le grimdark héroïque3 (le cheval qu’on présente en détail avant de l’achever, faisant écho avec le sacrifice ultime de Vukotich à la fin de la nouvelle), l’étrangeté inquiétante et démente de l’univers (à peu près tous les habitants du village, avec des mentions spéciales attribuées à Kleinzack l’embroché et Mischa le polythéiste), sans oublier la nature proprement inhumaine et traître du Chaos, qui finit toujours par se retourner contre ses serviteurs. La description du terrible Cicatrice en vieillard défiguré par les mutations et laissé à l’agonie sur le champ de bataille est très intéressante de ce point de vue, mais l’accrochage avec Andreas en début de nouvelle tombe tout aussi juste.

En plus de faire carton plein sur le fond, Yeovil régale sur la forme, démontrant avec style et brio sa maîtrise de la nouvelle d’aventures. Son usage intelligent de flashbacks en début de récit donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un roman de trois cents pages plutôt que dans une nouvelle de cinquante, en plus de donner une profondeur certaine à la traque de Johann et de son mentor. Plutôt à l’aise dans la mise en scène de combats, une composante essentielle du genre, dont il faut savoir user sans en abuser, Jack Yeovil donne au lecteur ce qu’il est en droit d’attendre à ce niveau, mais ce sont bien dans les scènes plus « calmes », qu’il s’agisse de descriptions ou de dialogues, que les talents de conteur de notre homme se révèlent les plus prenants et efficaces.

Lire cette nouvelle, c’est toucher au cœur battant, à la fois pourri et grandiose, du fluff de Warhammer Fantasy Battle, et s’il n’y avait qu’un texte de GW-Fiction à recommander au nouveau-venu désireux de prendre la mesure de cet univers si particulier, The Ignorant Armies serait probablement mon choix.

: Comme l’indiquent les trois vers placés par l’auteur au début de la nouvelle, cette dernière a également été inspirée par le poème ‘Dover Beach’ de Matthew Arnold (1867).

2 : Décidément, Archaon n’a rien inventé.

3 : La notion que les « gentils » ne peuvent triompher sans consentir à de lourds sacrifices, alors que les « méchants » arrivent généralement facilement à leurs fins.

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The Laughter of the Dark Gods – W. King:

4

Art: Bob Naismith

INTRIGUE:

Chassé de ses terres par les manigances de sa famille, le noble Kurt von Diehl, accompagné d’un Kislevite chétif nommé Oleg Zaharoff, s’enfonce dans les Désolations du Chaos à la recherche de la puissance nécessaire pour reconquérir son fief. Ayant délesté un guerrier du Chaos malchanceux de ses armes et armures sur la route du trône de Khorne, Kurt progresse chaque jour plus au Nord, combattant les bandes rivales et attirant de nouveaux suivants1 à sa bannière, tandis que les dons du Dieu du Sang remodèlent sa chair selon le bon plaisir de ce dernier. Bien que sortant vainqueur de tous les défis et toutes les batailles croisant sa route, Kurt constate, entre deux crises de démence homicidaire, qu’il est lentement mais sûrement en train de perdre la boule, alors que les souvenirs de sa vie précédente s’effacent les uns après les autres.

La fin arrive lorsque, arrivé à hauteur d’un carrefour à sens giratoire (tout est possible dans les Désolations du Chaos), Kurt s’engueule avec le général de l’ost dans lequel lui et ses serviteurs ont été assimilés. Entre Khorneux, la discussion débouche rapidement sur un affrontement en bonne et due forme, pendant lequel, malgré la puissance apportée par son arbalète laser (lootée sur un Wookie de Khorne – tout est possible dans…) et les pouvoirs régénérants de la grande bannière sur laquelle il parvient à mettre la griffe, Kurt finit tout de même par passer l’arme à gauche. Petite consolation, ou ultime déchéance, le méritant Kurt reçoit une dédicace de Big K. avant de mourir de sa belle mort, son enveloppe charnelle explosant pour donner naissance à un démon. Et paf, ça fait des Chocapics un Buveur de Sang. Ou une Gargouille, ce qui serait moins la classe. Tout est possible… En tout cas, ça fait bien rire ce crâneur de Khorne, pépouze sur son trône. Thank you, next.

AVIS:

Si vous vous demandiez ce à quoi s’occupent les champions, aspirants, et autres stagiaires des Dieux Sombres lorsqu’ils prennent la route du pôle, The Laughter of Dark Gods est la nouvelle parfaite pour vous. Si l’histoire narrée par King n’est pas des plus originales, elle a le mérite de décrire de façon imagée, dérangeante et éminemment sanguinolente la déchéance/ascension (ça dépend du point de vue que l’on prend) d’un guerrier ayant vendu, mis en gage ou prêté pour deux minutes – ce qui revient au même – son âme aux Dieux Sombres. Arrivé dans les Désolations du Chaos avec un projet clair, un fidèle camarade et une apparence que l’on suppose être normale, Kurt von Diehl2 finit son parcours avec des idées très embrouillées, un Skaven de compagnie et la flexibilité plastique d’un Mr Patate démoniaque. Tel est le destin des fous qui succombent aux promesses impies des Fab Four, et si cela va sans doute sans dire pour les lecteurs aguerris de la BL et les hobbyistes vétérans, il faut bien réaliser qu’au moment où King a soumis sa nouvelle, le sujet n’avait simplement pas été couvert du tout dans des textes de fiction.

The Laughter of Dark Gods est donc la pierre fondatrice sur lequel s’est élevé le cairn du corpus chaotique, et, devrait être en conséquence une des premières lectures que le nouveau venu dans les mondes « merveilleux » de GW devrait s’enquiller. Même si ce ne sera pas souvent le cas – pas facile de mettre la main sur une nouvelle publiée en 1989 – ce texte mérite le détour, ne serait-ce que parce qu’il a véritablement réussi à passer à la postérité, et conserve, trente après son écriture, toute sa pertinence et son intérêt. Combien peuvent s’en targuer ? S’il y avait un GW-Fiction Wall of Fame, nul doute que The Laughter… y figurerait en bonne place. Et ça, ça se respecte.

: Parmi lesquels on compte le Prince Deiter le Stable (ou the Unchanging en VO), un aristocrate maniéré mais mortel à l’épée – comme Kurt en fera l’expérience – parlant en vieux françois et rejoignant les rangs des groupies de Kurt Khorben après un millénaire à tergiverser en périphérie des Désolations. Comme quoi, on peut être Deiter et pas déter’. Tout est possible dans les Désolations.

2 : Un descendant de la lignée maudite des von Diehl, dont on croisera d’autres représentants dans une aventure de Gotrek & Felix (du même Bill King), ‘Wolf Riders’.

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Alors, trente ans après, quel jugement porter, et que retirer de ce tout premier recueil de nouvelles made in Games Workshop ? Comme vous pouviez l’imaginer, plusieurs de ces soumissions présentent un caractère suranné, pour ne pas dire daté, qui, s’il peut parfois avoir un certain charme, peut également s’avérer d’une lecture difficile. Les canons narratifs de la BL étant très différents de ceux de son illustre aîné, l’expérience pourrait dérouter le novice. Bien évidemment, le fait que David Pringle ait eu le luxe de mettre à contribution des auteurs confirmés, ayant pour beaucoup développé un style et une approche de la Fantasy propres, et pas forcément en ligne avec les desiderata de la maison mère, explique ce dépaysement. Comme la – relative – rareté de cet opus viendra empêcher qu’il tombe entre les mains de tous les lecteurs, et que ces derniers l’auront très probablement choisi en connaissance de cause, je ne considère pas cette étrangeté comme rédhibitoire, en tout cas pas quand elle se double d’une réflexion et/ou d’un effort d’écriture manifeste. Il est cependant des nouvelles pour lesquelles on comprend en quelques pages que leur auteur s’était mis en stylo automatique, et pour lesquelles on n’aura donc aucune pitié dans l’appréciation. Déjà à l’époque, le cachetonnage pour raisons alimentaires existait, comme l’article de Steve Baxter (un des auteurs dont je pense qu’il a vraiment joué le jeu, à l’inverse) le souligne bien. Cela n’a pas empêché tous les contributeurs de cette anthologie d’avoir fait carrière en tant qu’écrivain – tant mieux pour eux – et il est assez drôle de constater que, si King est probablement l’auteur dont le nom aura le plus de chances d’être familier aux habitués de la BL, sa reconnaissance par le « grand public » de la littérature de genre est au contraire beaucoup plus faible que celle de ses petits camarades (à la niche, le Bill !).

La querelle des Anciens contre les Modernes évoquée et vidée, on peut reconnaître à Ignorant Armies des textes de qualité, si on les compare aux standards actuels de la Black Library. Bien sûr, Geheimnisnacht et The Laughter of the Dark Gods en font partie, ce qui n’est guère étonnant car on peut leur attribuer – en partie – la paternité du « BL-style ». The Star Boat  et Ignorant Armies, les deux nouvelles majeures (en termes de longueur) du recueil, méritent également une lecture, leurs auteurs ayant bien réussi à capter l’atmosphère de Warhammer dans leurs écrits, en plus de proposer des intrigues intéressantes. The Other et A Gardener in Parravon constituent des expériences assez agréables, même si pas transcendantes, et permettent d’appréhender une Fantasy très différente de celle qui finira par faire école chez Games Workshop. Il n’y a guère que The Reavers & the Dead et Apprentice Luck qui, à mon humble avis, ne s’avèrent pas très intéressantes à lire (facteur mon-dieu-ça-ne-ressemble-à-rien-de-ce-que-j-ai-pu-lire-avant évacué).

Autre point notable, et qui dénote du souci de GW de bien-faire, les illustrations pleine page dont le recueil bénéficie (au moins sous son édition GW Books) sont un plus très appréciables. Là aussi, on se retrouve parfois face à des visions d’artistes pas vraiment warhammeresque dans l’esprit et avec le recul (ma préférée restant celle de Geheimnisnacht, avec un Gotrek imberbe et baveur), mais pour certaines de remarquable qualité, et qui agrémentent agréablement la lecture.

Bref, le bilan est plutôt positif pour cette vieillerie (terme affectueusement utilisé ici, l’auteur de ces lignes étant quasiment aussi ancien que l’ouvrage qu’il chronique), que je place certainement dans le top 5 des meilleurs recueils de nouvelles WFB publiés par GW depuis l’origine. Il sera intéressant de comparer les qualités et lacunes d’Ignorant Armies avec celles de ses « frères et sœurs » de rayonnage (Wolf Riders, Red Thirst, et Deathwing), quand cela nous sera possible. D’ici là, bonnes lectures à tous, et à bientôt pour de nouvelles aventures !