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HAMMER & BOLTER [N°15]

Bonjour à tous, et bienvenue dans la critique du quinzième numéro de Hammer & Bolter ! Fans de Warhammer Battle, j’ai le pénible devoir de vous annoncer que la livraison de décembre 2011 a la triste particularité de ne contenir aucune nouvelle se déroulant dans le Vieux Monde (ou où que ce soit sur la planète med-fan de Games Workshop), si l’on fait bien sûr abstraction du troisième chapitre du Gilead’s Curse du duo Vincent/Abnett. Et, croyez-moi sur parole, il faut faire abstraction de ce… truc, dont le compte rendu de lecture détaillé peut cependant être consulté plus bas.

Autre caractéristique notable, et cette fois ci plus positive, ce numéro introduit un nouveau concept éditorial, repris et développé dans les publications suivantes, à savoir la nouvelle en deux parties. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, nous avons donc affaire à la première moitié d’un texte consacré par Andy Smillie à ses bien-aimés Flesh Tearers, Beneath The Flesh. Enfin, et pour terminer sur le sujet des trouvailles absconses des éditeurs de Hammer & Bolter, vous aurez également le privilège et l’avantage de découvrir un deuxième chapitre exclusif du Deliverance Lost de ce vieux Gav Thorpe, deux mois après avoir pu lire un premier extrait des mésaventures de Coco le Super Corbeau (Hammer & Bolter # 13). Anthony Reynolds et Sarah Cawkwell nous reviennent quant à eux avec des récits de leurs chapitres Space Marines de prédilection : Word Bearers pour le premier (why not ?) et Silver Skulls pour la seconde (why ?). Bouclez vos ceintures énergétiques les amis, nous voilà partis pour un trip galactique au pays de Papy. Here we go.

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Beneath the Flesh (part I) – A. Smillie [40K] :

Beneath the FleshParmi les écrivains de la Black Library collaborant à l’enrichissement de l’univers de Warhammer 40.000, il est une tradition bien établie, celle de l’appropriation d’un chapitre/légion Space Marines (loyaliste ou renégat). Les noms les plus illustres (ou « big boys chapters », pour reprendre l’expression de Sarah Cawkwell) ayant été trustés depuis longtemps par les grands anciens de la BL que sont McNeill (Ultramarines/Iron Warriors), Thorpe (Dark Angels), Counter (Grey Knights), Kyme (Salamanders) ou encore King (Space Wolves), les petits nouveaux ont été contraints de se rabattre sur des confréries de seconde zone, à l’image des anciens1 mais assez peu connus Silver Skulls popularisés par Miss Cawkwell, ou, dans le cas qui nous intéresse, les tout aussi vénérables2 Flesh Tearers de l’ami Andy Smillie.

Chapitre issu de l’éclatement de la légion des Blood Angels après la fin de l’Hérésie d’Horus, les Flesh Tearers sont un peu les Stryges de la grande famille vampirique engendrée par Sanguinius3, c’est-à-dire de grosses brutasses que la vue de la plus petite goutte de sang fait entrer dans un état de rage meurtrière, alors que les Blood Angels, eux, arrivent à canaliser leurs pulsions en faisant de la danse classique ou de la poterie. Considérés avec suspicion par leurs frères d’armes en raison de leurs nombreuses exactions envers les populations civiles au cours des siècles écoulés, les Flesh Tearers mènent une lutte permanente contre les tares de leur patrimoine génétique, bataille qu’ils sont en train de perdre et qui pourrait mener à la disparition prochaine du chapitre. Voilà pour la mise en contexte.

Relatant la mission d’une escouade de Flesh Tearers envoyée récupérer des données sensibles dans une base avancée du chapitre sur la planète d’Aere, et ce alors que la garnison stationnée sur place ne répond plus et que les forces du Chaos menacent de fondre sur l’avant-poste à tout moment (avec un rapport de force de un pour à peu près mille dix-neuf en faveur des cultistes – ne riez pas, c’est écrit noir sur blanc dans la nouvelle – ), Beneath The Flesh n’impressionne pas par son originalité, mais contient tout de même suffisamment d’éléments intéressants distrayants pour que sa lecture ne constitue pas la purge qu’elle aurait pu être. Car c’est une qualité que l’on doit reconnaître aux travaux de Smillie : pour perfectibles qu’ils soient, leur imprévisibilité et/ou incongruité les rend assez fendards à parcourir. Du Counter 2.0 en quelque sorte.

Commençons par distribuer le seul et unique bon point de la nouvelle, qui tient mieux la route que les deux précédentes publications du bon Andy dans Hammer & Bolter. L’auteur arrive à rendre assez bien l’état de tension permanente qui est le lot des Flesh Tearers quand ils sont en opération, leur penchant pathologique pour le prélèvement d’organes à mains nues et sans anesthésie devant être strictement contrôlé sous peine de céder définitivement à la Rage Noire. Et à ce petit jeu-là, les vétérans (comme le sergent Barbelo de l’escouade du personnage principal – Maion –) partent avec un gros désavantage, la tare génétique de Sanguinius les travaillant depuis plus longtemps que les Marines fraîchement intégrés. Le brave Barbelo fait donc (peut-être à dessein) bondir le compteur de conneries dès qu’il ouvre la bouche, mais j’anticipe sur la suite.

Car Beneath The Flesh, c’est d’abord un festival de passages what the fuck-esques, qui continue avec une constance admirable d’un bout à l’autre de cette première partie. Ça commence très fort avec une arrivée sur site de l’escouade de Maion dans un Stormraven qui vient sciemment s’écraser à proximité de la base4 pour des raisons qui continuent à m’échapper à l’heure actuelle, Smillie ne prenant pas la peine d’expliquer pourquoi ses Flesh Tearers ont préféré prendre le risque de tous périr dans l’accident et de bousiller leur seul moyen de quitter la zone avant l’arrivée de l’ennemi, alors qu’un simple atterrissage conventionnel aurait parfaitement fait l’affaire. Pour ma part, je le soupçonne de ne pas bien faire la différence entre un Stormraven et un Drop Pod, mais passons.

Passons également sur les fourreaux d’épée-tronçonneuse, l’identification d’un modèle de magasin d’autocanon (ainsi que sa capacité) à l’oreille, ou encore – et à regret cette fois-ci – sur le kill le plus saugrenu de l’histoire de la BL5 , pour nous concentrer sur le cas du sergent Barbelo. Comme dit plus haut, le loustic s’est spécialisé dans la stupidité crasse une fois sorti du Noviciat, ce qui lui a fort logiquement permis d’accéder à des fonctions de commandement. Refusant catégoriquement au Prêtre Sanguinien qui accompagne l’escouade de s’enquérir des glandes progénoïdes des Flesh Tearers qui étaient stationnés dans la base, sous prétexte que ce n’est pas l’objectif principal de la mission (c’est pas comme si le chapitre était en train de s’éteindre, hein), ne s’émouvant pas le moins du monde de l’absence de cadavres dans un bâtiment maculé de sang et d’organes (« c’est pas l’objectif principal de la mission ! » bis), coupant volontairement sa radio au moment où l’inévitable embuscade est lancée contre ses hommes (qui aurait besoin de coordonner son escouade dans une situation pareille, après tout ?), et adepte convaincu de la scission en groupes de un, Barbelo est une vraie tête de lard comme on n’en croise plus guère au fil des pages de la BL.

Dans un autre registre, force est de constater qu’Andy Smillie a encore du chemin à faire pour amener ses rebondissements de manière un tant soit peu crédible. Ayant – à mon grand soulagement – laissé tomber l’approche du « zapping narratif »6 pour un rythme un peu plus compréhensible, il pêche cette fois par naïveté, les indices égrenés au long de son récit (car un bon twist est un twist dont le lecteur se dit qu’il aurait dû se rendre compte s’il avait fait plus attention à certains détails) ayant la subtilité d’un Nob en méga-armure défoncé aux champignons. Dans le cas qui nous intéresse, il est parfaitement évident que les ennemis des Flesh Tearers sont des gardes impériaux tout ce qu’il y a de plus loyaux, et non pas des traîtres à la solde du Chaos, mais Smillie se fait un devoir de garder cette fausse surprise en réserve pour la suite de la nouvelle avec un imperturbable aplomb. Nous verrons bien comment il décide de révéler le pot aux roses (passablement défraichies) à ses lecteurs dans la deuxième partie de la nouvelle, mais je doute que ça soit très élégant.

Pour terminer, je n’ai pu m’empêcher de noter que Smillie s’est visiblement inspiré des travaux SM – en tout bien tout honneur – de ses petits camarades de jeu pour son Beneath the Flesh. Le lecteur averti pourra ainsi trouver des parallèles et emprunts évidents aux séries Ultramarines (McNeill), Soul Drinkers (Counter), Space Wolves (King) et surtout Night Lords (Dembski-Bowden) dans les aventures de Maion et de ses comparses Flesh Tearers. Cette reprise des formules gagnantes d’autres auteurs de la Black Library aide Smillie à construire un récit un peu plus consistant que ses précédents travaux, ce qui est évidemment appréciable, même si l’originalité de l’ensemble pâtit évidemment de ce choix. En même temps, c’est une histoire de Marounes, alors…

: Présents dans le livre Rogue Trader de 1987 tout de même

2 : Même chose que ci-dessus.

: Qui était véritablement maudit puisque ses descendants ont eu le douteux privilège d’être immortalisés par James Swallow dans la tristement célèbre quadrilogie Deus Encarmine – Deus Sanguinius – Red Fury – Black Tide, avant que Smillie (Mountain Eater et Reparation, tout de même) ne vienne s’approprier le plus célèbre des chapitres successeurs des archanges aux blanches canines.

: Le Techmarine de la fine équipe coupe les moteurs et les rallume juste avant l’impact, ce qui ne sert strictement à rien au final puisque le fier vaisseau termine sa course dans le même état qu’une compression de César. Cette scène mémorable a été fidèlement adaptée dans Madagascar 2.

: Etape 1 : Arracher le crâne du cadavre de votre dernière victime en date.
Etape 2 : Balancer le dit crâne sur le torse d’un nouvel adversaire.
Etape 3 : L’impact écrase quelques côtes : le cœur s’arrête de battre. Fatality

: cf la critique de Mountain Eater

Gilead’s Curse – ch. 3 – D. Abnett & N. Vincent [WFB] :

Gilead's CursePetit avertissement sans frais : ce troisième chapitre de Gilead’s Curse remporte haut la main le prix du texte le plus étrange jamais publié par la Black Library, toutes époques confondues et très loin devant les contributions (souvent assez barrées) de Barrington J. Bayley, Brian Craig ou John Brunner. On ressort hébété, confus et vaguement nauséeux de cette immersion dans la prose subliminale de Vincent, à tel point que je me suis sérieusement demandé comment les éditeurs de la BL avaient pu laisser passer cette curiosité (pour reprendre le titre d’un nouvelle d’Abnett), qui aurait plus sa place dans un numéro de Weird Tales de 1937 que dans un de Hammer & Bolter de 2011.

Permettez-moi de commencer cette critique par une mise au point d’importance : contrairement à ce que laisserait entendre le titre du roman-feuilleton, Gilead n’apparaît que très marginalement dans cet épisode, la vedette revenant au « Roi des Rats » (Rat King), personnage skaven se rapprochant plus de la némésis de Casse-Noisettes que d’un véritable suivant du Rat Cornu. Le Roi des Rats possède une amulette magique dont la première utilité est d’agir comme un catalyseur d’énergie, aspirant la vitalité des êtres proches de son porteur pour la communiquer à ce dernier. Les skavens ne vivant pas vieux, notre corpulent anti-héros décide de mettre la patte sur Gilead, qui, en sa qualité d’elfe, lui permettrait d’atteindre l’immortalité en une seule opération, ce qui lui permettrait de faire davantage de trucs intéressants, comme répéter en boucle1 la même phrase au fond de sa tanière, mutiler gratuitement ses lieutenants ou encore enfouir sa merveilleuse amulette entre deux bourrelets pour le plaisir de sentir cette dernière le bruler au troisième degré.

Comme ça avait déjà été le cas dans l’épisode précédent, les skavens de Vincent détonnent fortement de la représentation qui en est faite par le background officiel, à tel point que je soupçonne l’auteur de n’avoir qu’en tout et pour tout jeté un œil à l’illustration de couverture du dernier livre d’armée de cette noble race en guise de recherche documentaire. Outre le fait que ce fameux Roi des Rats constitue une anomalie de taille dans la hiérarchie skaven (Vincent ne fait aucune référence au Conseil des Treize, aux quatre clans majeurs, ni même au Rat Cornu), Vincent dote ses ratons de caractéristiques et de traits de caractères inédits, pour un résultat des plus surprenants.

Par exemple, lorsque le Roi des Rats réunit ses suivants pour leur ordonner de lui rapporter Gilead (parce qu’il veut Gilead hein, pas n’importe quel elfe), les vibrations émises par son arrivée dans la salle conduisent les plus jeunes skavens à une folie meurtrière et à un massacre collectif de centaines d’individus. Un peu plus loin, Vincent décrit la manière dont les skavens s’organisent pour trouver Gilead (tenez-vous bien, c’est pas piqué des vers) : chacun cherche un emplacement dans l’empire souterrain et colle son oreille à la paroi du tunnel dans l’espoir d’entendre les vibrations produites par le passage de l’Elfe s’il venait jamais à passer dans le coin2. Pendant ce temps, le Rat King attend dans son antre (que Vincent, apparemment fière de sa trouvaille, présente comme la seule salle de l’empire skaven ne disposant que d’une seule entrée – et donc, une seule sortie – , ce qui colle tout à fait avec la paranoïa congénitale des hommes rats) en soliloquant sur l’étendue de sa richesse… évidemment mesurée en or et en gemmes, et non pas en malepierre (terme qui n’apparaît d’ailleurs pas une seule fois du chapitre). Bref, on peut remercier Nick Vincent de faire vivre le concept du multivers, central dans la conception originelle du fluff de Warhammer, en situant son propos dans un Vieux Monde alternatif. C’est ça, ou Mme Abnett s’est contentée de s’asseoir sur plus de trente ans de fluff pour écrire son récit. Choose your side.

Au-delà de ces profondes divergences au niveau de l’historique, la lecture de ce troisième chapitre est rendue assez laborieuse par le style d’une Vincent en roue libre, multipliant les descriptions baroques (« sucking the refracted pinpoint luminescences from the drops of saliva that coated their tongues » moui…), répétant en boucle les mêmes lignes de dialogue1, partant dans des digressions à l’intérêt douteux, ou au contraire, éludant des éléments pouvant aider à la compréhension. L’impression générale n’est certainement pas celle d’un écrivain professionnel maîtrisant son sujet et déroulant un récit au synopsis bien structuré, mais plutôt celle d’une mystique couchant sur le papier ses visions apocalyptiques avant de les oublier3. À l’instar du Roi des Rats, Nik Vincent ne semble pas bien savoir ce qu’elle fait, et laisse le lecteur se dépatouiller avec sa prose hallucinée. Je n’ose imaginer la surprise du fanboy anglais de douze ans tombant par hasard sur Gilead’s Curse et s’imaginant que le contenu serait similaire aux travaux elfiques de Thorpe, McNeill et King. C’est peut-être pour cela que les éditeurs de Hammer & Bolter ont prudemment décidé de placer le roman-feuilleton après la première partie de Beneath the Flesh (alors qu’il figurait en première place auparavant), afin de ne pas laisser croire au lecteur lambda que la BL pouvait proposer des nouvelles aussi extrêmes (ce qu’elle ne fait plus depuis bien longtemps).

Bref, Gilead’s Curse atteint un nouveau seuil d’étrangeté au cours de ce troisième chapitre, et impose définitivement Nik Vincent comme l’électron libre de la BL. On s’aperçoit également que liberté et qualité ont beau se terminer de la même façon, ils ne sont malheureusement pas synonymes. Du coup, j’ai vraiment hâte de lire la suite !

: ‘He will come, so he will. He will come. When he comes, for come he will, I’ll live forever. I won’t live for now, not just for now. I’ll live forever.’ * 10 (avec quelques variantes)

2 : Véridique. Et c’est cette race de débiles mentaux qui est censée avoir instrumenté la chute de Nagash, presque conquis la Lustrie et annihilé l’empire des Nains ? On doit pas parler des mêmes.

3 : Exemple parlant, Vincent décrit un duel entre deux skavens de la manière suivante : « He took the bloodiest wound low in his gut or perhaps high up in his thigh. The resulting spurt of blood probably emanated from the femoral or iliac artery.” Je ne comprends vraiment pas pourquoi elle laisse planer un doute sur l’endroit de la blessure et sur l’origine du saignement. En tant que narratrice omnisciente, elle devrait être en mesure de trancher cette question, qui n’a d’ailleurs qu’un intérêt très limité dans l’histoire. Au lieu de quoi, on a l’impression qu’elle commente un match de boxe depuis le dernier rang des tribunes.

Torment – A. Reynolds [40K] :

TormentAnthony Reynolds nous revient avec une nouvelle qui sert d’épilogue à la trilogie (Dark Apostle, Dark Disciple, Dark Creed) consacrée par le bonhomme aux Word Bearers, et plus précisément au personnage de Marduk, Premier Acolyte du 34ème Ost de la Légion de Lorgar. Pour n’avoir lu aucun de ces romans, et aborder les publications de Reynolds avec une méfiance non dissimulée, je dois avouer que le résultat est plutôt réussi, dans la veine du Grail Knight publié dans le Hammer & Bolter n°6.

La nouvelle retrace la fuite éperdue de Burias-Drak’shal dans les entrailles de la Basilique du Tourment, édifice cyclopéen servant de forteresse et de lieu de culte à la XVIIème Légion. On comprend rapidement que Bubu était un adversaire malheureux de Marduk, condamné par ce dernier au confinement dans un sarcophage de Dreadnought en punition de sa traîtrise. Réussissant à faire ressurgir Drak’shal (le démon avec qui il partage son corps) avant son entrée en boîte, Burias parvient à se libérer et à fausser compagnie à ses geôliers, mais pourra-t-il échapper longtemps à ses innombrables poursuivants ?

On retrouve dans Torment les deux points forts de Reynolds, dont la présence et la combinaison lui permettent (quand il est inspiré) de signer des textes assez intéressants : une bonne maîtrise du fluff (à la fois dans ses références au background officiel et dans les ajouts qu’il fait à ce dernier) et un souffle épico-onirique lui permettant de ne jamais faire retomber la pression – et l’intérêt du lecteur avec elle – jusqu’à la conclusion de son récit. En basant sa nouvelle dans un lieu aussi chargé d’histoire et symbolique que la Basilique des Tourments, Reynolds joue sur du velours, et s’offre une ultime virée dans le sacro-saint des Word Bearers, profitant au passage pour faire intervenir quelques personnages que j’ai deviné être importants dans sa trilogie (Burias-Drak’shal et Marduk, mais également Eshmun, Kol Badar, et même cet asocial de Lorgar, le temps d’un petit caméo); tout en faisant faire au lecteur le tour du propriétaire de la « capitale » des Porteurs du Mot, endroit folklorique s’il en est. Petit bonus, mais appréciable néanmoins, la mini-révélation finale1, si elle peut être percée à jour assez tôt dans le récit par une lecture attentive du texte, porte tout de même et confère au dénouement de Torment une dimension mélancolique justement dosée.

1 : Très inspirée du final de Brazil, ou plus récemment, de celui de Sucker Punch.

The Pact – S. Cawkwell [40K] :

The Pact5ème publication pour Sarah Cawkwell dans Hammer & Bolter, The Pact voit le retour des Silver Skulls, à la fois sur le devant de la scène, mais également sur leur monde originel, Lyria, abandonné au cours du 32ème millénaire suite à une invasion démoniaque en bonne et due forme. Le personnage principal de la nouvelle n’est autre que le Prognosticator Bhehan, qui avait déjà fait preuve de son talent à jeter des runes toutes les cinq minutes au cours de la première soumission de Miss Cawkwell, Primary Instinct. Cette fois débarrassé de l’insipide Gileas Ur’ten (capitaine de la huitième compagnie aux dernières nouvelles), Bhehan est escorté par l’escouade de Space Marines d’action des Silver Skulls, j’ai nommé le Talriktug1, mené par nul autre que le premier capitaine Kerelan. Pourquoi revenir sur un monde ayant subi un demi Exterminatus huit mille ans plus tôt, vous entend-je me demander ? Eh bien, pour la raison classique de la vision prophétique venant plus ou moins corroborer un passage sibyllin du livre sacré du Chapitre (The Orthodoxy of Varsavia), ce qui convainc Lord Argentius de dépêcher quelques hommes sur place afin de… on ne sait pas trop quoi en fait2.

Une fois arrivé à la surface de Lyria, Bhehan et ses nouveaux copains se retrouvent bien entendu plongés dans une sale histoire impliquant de sombres visions du passé, une cohorte d’Eldars non violents, des démons de Nurgle en patafix et une bannière (joie). Le déroulé précis de la nouvelle n’ayant aucune sorte d’intérêt (comme toujours lorsque Cawkwell pilote ses Silver Skulls chéris), je vous fait grâce des pénibles péripéties subies par les SS avant la fin de leur mission.

À ses habituelles lacunes en matière de narration et de cohérence (illustrées de manière flagrante par l’envoi de la crème de la crème du Chapitre sur une mission de douzième ordre au but des plus nébuleux – mais n’ayez crainte, il y en a une tripotée d’autres dans The Pact3 – ), Cawkwell ajoute une grosse entorse au fluff et une expérimentation très peu concluante, pour un résultat assez indigeste, dans la droite ligne de ses trois premières nouvelles Silver Skulls.

S’agissant de l’atteinte au background, Sarah a donc la riche idée de faire intervenir des Eldars dans son récit, en jouant sur l’entente tacite et temporaire qui peut parfois être conclue entre zoneilles et zumains dans certaines situations désespérées. Pourquoi pas. Seulement, Cawkwell se retrouve confrontée à un problème de taille : comment arriver à faire coopérer une escouade de vétérans couturés, fanatiques et intolérants au plus haut degré avec une bande de Xenos, même bien intentionnés ? Réponse de l’intéressée : les Eldars ont tellement besoin de l’aide des Space Marines qu’ils acceptent sans broncher de se faire péter la tronche d’un bout à l’autre de la nouvelle pour bien leur faire comprendre qu’ils ne représentent pas une menace. Et c’est là que le bas en moelle spectrale blesse : il est absolument aberrant qu’une race prête à condamner des planètes entières à la destruction pour éviter les bouchons sur la route des vacances (cf Armageddon) consente à sacrifier une quinzaine de guerriers aspects ainsi qu’une grande prophétesse simplement pour gagner la confiance de mon-keigh. C’est pourtant ce qui se passe dans The Pact, la psyker eldar passant une bonne partie de la nouvelle à supplier Bhehan de venir lui filer un coup de main, puis laisse ce dernier lui coller un bolt dans le crâne avec sa bénédiction après qu’ils aient réussi à bannir l’infestation démoniaque à l’œuvre. Autant pour la coopération inter-espèces.

Quant à l’expérimentation tentée par Cawkwell, elle porte sur le sujet, très délicat, de l’humour au 41ème millénaire. Et si on peut à la rigueur envisager que certains Space Marines puissent faire preuve d’un flegme pince sans rire ou d’une ironie macabre, je ne pense vraiment pas que transformer l’un d’entre eux en sociétaire des Grosses Têtes était un choix pertinent. Le vénérable premier capitaine Kerelan se révèle pourtant être un joyeux boute en train, très peu avare en blagounettes plus ou moins drôles, ce qui est assez surprenant et plutôt contre-intuitif.

Au final, The Pact confirme que la Cawkwell de l’année 2 de Hammer & Bolter a un niveau sensiblement égal à celui de la Cawkwell de l’année 1, c’est-à-dire tristement faible.

: Ca claque moins que Mournival ou Atramentar, mais on ne peut pas reprocher à Cawkwell de chercher à s’inspirer des bonnes idées de ses petits camarades de jeu.

: Le briefing de mission a dû être marrant :

« – Bon les petits gars, Bhehan a eu une vision dans laquelle il a vu trois castors hémiplégique, un magasin Ikéa en flammes, Rogal Dorn en bas résilles et peut-être aussi deux bannières. Comme la sainte Orthodoxie de Varsavia contient les mots « deux » et « bannières », j’ai décidé de vous envoyer sur notre ancien monde forteresse pour enquêter. »

« – Euh, d’accord Lord Argentius, mais enquêter sur quoi ? »

« – Bah, sur la vision de Bhehan, banane ! Allez sur place, et voyez si vous trouvez quelque chose comme une bannière du chapitre. Voire deux. »

« – Mais Lord Argentius, de une, cela fait huit mille ans que Lyria a été abandonnée, après s’être pris un bombardement orbital en règle : partant, je doute que l’on retrouve une bannière intacte après tout ce temps. Et de deux, même si on arrive à en trouver une (ou deux, puisque ça a l’air de vous tenir à cœur), Lyria était notre monde d’origine, donc ça n’aurait vraiment rien d’étonnant et je ne vois pas pourquoi il faudrait y voir un signe du destin. »

« – M’en fous, allez-y quand même. Je peux tout à fait me permettre d’envoyer la meilleure escouade du Chapitre et le premier capitaine accompagner un bleu bite qui a eu un rêve humide à la surface d’un monde mort pour vérifier un truc qui n’a aucun sens. Parce que je suis Lord Argentius et que je fais ce que je veux, na. »

« … »

: Le débriefing de la mission a dû être marrant aussi :

« – Lord Argentius, nous avons bien trouvé une bannière du Chapitre dans les niveaux inférieurs de la forteresse monastère. »

« – Génial ! Il n’y en avait pas une deuxième dans le coin ? »

« – Non. En fait la deuxième bannière était métaphorique : nous avons dû nous allier avec des Eldars un peu cons pour vaincre les démons qui squattaient les ruines. Deux races = deux bannières. »

« – Putain, je ne comprendrai jamais rien aux prophéties. Bon, et alors, tout est prêt pour que nous puissions sur notre planète d’origine ? »

« – Oui oui, c’est bon. L’endroit a été purifié. Bon, il y a des cadavres d’Eldars dans tous les coins et l’endroit est saturé d’énergie chaotique qui rend les démons impossibles à bannir, mais sinon c’est nickel. »

« – Ok, et la bannière que vous avez récupéré, elle est clean au moins ? »

« – Un peu mon neveu. Elle a passé huit millénaires dans une forteresse hantée, et a été utilisée par un Grand Immonde (en fait, c’était peut-être un gros Nurgling d’après la prophétesse Eldar, mais vu qu’il nous a fallu deux psykers et cinq terminators pour en venir à bout, on va dire que c’était un démon majeur) pour ancrer sa présence dans l’univers réel. Plus clean que ça, tu meurs. »

« … »

Deliverance Lost – G. Thorpe [HH] :

Deliverance LostPour finir ce numéro, retour à l’époque de l’Hérésie d’Horus pour un deuxième chapitre de Deliverance Lost. Ne me demandez pas pourquoi les éditeurs de Hammer & Bolter ont décidé de réaliser une nouvelle preview du bouquin de Thorpe deux mois après la première, je n’en ai aucune idée. Il y a des informations qu’il vaut mieux laisser secrètes.

Ce court chapitre relate la convocation d’Alpharius à bord du Vengeful Spirit par le Maître de Guerre, qui somme son petit frère de justifier les actions de sa légion sur Istvaan V. Ce coquin d’Alphie a en effet empêché les World Eaters d’exterminer les survivants de la Raven Guard, afin de pouvoir placer quelques espions parmi les fils de Corax, comme cela avait déjà été expliqué au cours de l’extrait présenté dans le numéro 13 de Hammer & Bolter. Bref, il n’y a pas grand-chose à tirer de ce passage en conseil de discipline du Primarque de l’Alpha Légion, sinon qu’Erebus est une petite langue de pute dont le recadrage par un Alpharius légitimement excédé de se faire morigéner par un simple Légionnaire est le très bienvenu. Pas étonnant qu’il se soit fait refaire le portrait par Horus après la bataille de Signus Prime. Bien fait.

En conclusion, ce numéro m’a semblé présenter certains symptômes pouvant expliquer l’arrêt brutal de la publication de Hammer & Bolter en Novembre 2012 : un roman feuilleton qui part en sucette, des hot new talents de bas niveau et des choix éditoriaux pouvant passer pour du foutage de gueule pur et simple aux yeux de certains lecteurs, dont je fais partie. Heureusement que la contribution de Reynolds se révèle être assez bonne, sans quoi c’était le zéro pointé.