Archives Mensuelles: décembre 2014

HAMMER & BOLTER [N°14]

Bonjour à tous et bienvenue dans la critique du 14ème numéro de Hammer & Bolter ! Au menu de cette chronique de fin d’année, trois nouvelles peu folichonnes et le deuxième chapitre de Gilead’s Curse, objet littéraire non identifié et pour le moment assez décevant. Ah, ça vend du rêve, je sais.

.

Gilead’s Curse – ch.2 – D. Abnett & N. Vincent [WFB] :

Gilead's CurseNous avions laissé Gilead en plein combat avec un « mystérieux » chevalier à la fin du chapitre 1. Le deuxième épisode du roman-feuilleton commence donc logiquement par la conclusion de cet affrontement épique (quelques heures de baston non stop, tout de même) entre l’elfe dépressif et sa némésis vampirique, dont les performances se trouvent réduites par l’arrivée du jour nouveau. Le duel est toutefois interrompu par l’arrivée inopinée d’une foule de paysans en colère, bien décidés à cueillir des champignons se débarrasser du suceur du sang squattant la forêt municipale depuis quelques mois.

Bien évidemment, Vincent n’explique pas comment ces bouseux ont réussi à trouver leur proie (que Gilead a mis deux jours entiers à débusquer), ni pourquoi ils ne se sont décidés à agir que maintenant : ce serait beaucoup trop convenu et rationnel. Toujours est-il que, d’un commun accord, nos deux bretteurs décident de mettre le match en pause et de filer à l’albionnaise avant l’arrivée des hooligans. Oui oui, Gilead laisse tranquillement partir le vampire qu’il avait juré de neutraliser, confiant dans le fait que ce dernier soit trop mal en point pour poursuivre ses déprédations, même s’il reconnaît néanmoins qu’aucun humain normalement constitué n’est capable de lui tenir tête. J’aurais plutôt tendance à penser que les nombreuses blessures subies par le disciple d’Abhorash ne l’incitent au contraire à picoler quelques litres de rouge dans la ville la plus proche afin de se refaire une santé, mais passons.

Après quelques jours passés à récupérer de ce premier rendez-vous galant, pendant lequel il a gagné quelques bleus et bosses, notre héros reprend sa quête, et finit par déboucher dans un village qui semble abandonné. Flairant le mauvais coup, il poursuit son enquête jusque dans les souterrains du bourg, où il tombe très logiquement sur l’inévitable colonie skavens locale, ainsi que sur les survivants hagards de la malheureuse expédition de dératisation montée par les citoyens du cru. Ayant réussi son jet de compassion (5+ sur 1D6), Gilead se met donc en travers du chemin de la horde scrofuleuse et la taille en rondelles, gagnant par la même occasion un side kick humain maniant la bêche avec un talent inné. Et le vampire dans tout ça, me demanderez-vous ? Et bien le vampire apparaît derrière les skavens au moment où Gilou décide de passer en mode shadow-fast (une sorte de bullet time elfique pendant lequel notre héros se transforme en Flash Gordon), et les deux compères ont tôt fait de mettre les hommes rats en déroute. Ce premier ennemi vaincu, Gilead décide-t-il de poursuivre sur sa lancée et d’en finir avec le chevalier mort-vivant pendant qu’il est encore en forme super saiyan ? Non, bien sûr (je suppose qu’il a raté son test de stupidité) : il lui fait coucou avec son épée et les deux se séparent bons amis. Fin du chapitre.

Vous l’aurez compris, je n’ai que très moyennement goûté ce deuxième épisode, qui n’a fait que confirmer mes craintes quant à la qualité de ce roman feuilleton, à tel point qu’il me semble préférable de faire abstraction de la (non) présence de Dan Abnett au casting de ce dernier, et de juger les travaux de sa chère et tendre indépendamment de ses propres écrits. Dans cette optique, peut-être que le style, très distinct de celui que l’on retrouve habituellement dans les productions estampillés Black Library*, sera plus appréciable pour le lecteur déboussolé que je suis. Comme dit dans la critique du numéro précédent, Vincent lorgne du côté des nouvelles fantastiques de la première moitié du XXème siècle (beaucoup de descriptions pour retransmettre au mieux l’ambiance au lecteur, champ lexical très riche, peu de dialogues, rythme lent, scènes violentes assez rares), ce qui, en soit, n’a rien de condamnable. Je ne sais pas si je pourrais un jour lire des phrases telles que « What had happened to the food chain ? », « Gilead separated another rat from its life force » ou « He counted the torches and worked out how long they might burn for and at what temperatures. » dans une nouvelle BL sans avoir envie de jeter mon ordinateur par la fenêtre, mais je ferai de mon mieux.

Plus grave en revanche sont les nombreuses incongruités qui parsèment le récit, et peuvent être séparées en deux catégories. D’un côté, on retrouve les incohérences d’ordre pratique (par exemple, Gilead arrive à poignarder le chevalier vampire en plein cœur, ce qui fait tomber ce dernier à la renverse : au lieu de capitaliser sur cet avantage chèrement acquis et achever son adversaire mal en point, l’elfe préfère ramasser un morceau d’étoffe pour essuyer sa lame, laissant à son ennemi le temps de se ressaisir**) qui empêchent le lecteur de s’immerger totalement dans l’histoire. De l’autre, on a l’impression que Vincent n’a pas pris le temps de s’imprégner du background de Warhammer, ce qui lui fait commettre des bourdes impardonnables. Les skavens deviennent ainsi sous sa plume des adversaires pathétiques, aux attaques aussi faibles et désordonnées que celles d’un enfant de 5 ans. Pire, ses hommes rats sont tout bonnement incapables de se relever tous seuls quand ils tombent par terre, tant ils semblent manquer de coordination. Pour une race dont l’une des factions principales est constituée d’implacables assassins adeptes des arts martiaux, c’est tout bonnement risible.

En conclusion, un deuxième chapitre guère différent du premier, tant sur le fond que sur la forme. Si la seconde est plus déroutante par sa différence avec le style BL que véritablement mauvaise, le premier est en revanche d’un niveau trop faible pour satisfaire le lecteur, quel que soit niveau d’attachement ou de compassion pour la prose de Ms Vincent et le personnage de Gilead. Mais qu’allaient-ils donc faire dans cette galère ?

* : Exemple notable : la rareté des dialogues dans la narration, caractéristique particulièrement présente dans ce deuxième chapitre, où seulement 25 mots seront prononcés par les personnages en 18 pages.
** : Autre exemple marrant, Gilead est décrit comme étant incapable de frapper un adversaire ne lui faisant pas face (honneur elfique oblige), et doit donc se démener pour se placer dans l’arc de vision des skavens qu’il attaque, à plus forte raison car ces derniers font tout leur possible pour fuir ses coups.

The Burning – N. Kyme [40K] :

The BurningAprès Nik, Nick. Il s’agit cette fois de Mr Kyme, auteur de The Fall of Damnos, roman dont un chapitre avait eu le privilège de figurer au sommaire du quatrième numéro de Hammer & Bolter. Foin d’Ultramarrants, Nick nous revient cette année avec une nouvelle consacrée à son chapitre de prédilection*, les Good Guys Greg d’un lointain futur ravagé par la guerre, l’Armée du Salut du 41ème millénaire, les géants verts du Segmentum Ultima, je veux bien sûr parler des Salamanders.

En guise d’introduction, l’auteur nous prévient d’emblée que le texte en question relate des évènements ayant pris place entre Salamander et Firedrake, les deux premiers tomes de la série consacrée par Kyme aux fiers guerriers de Nocturne. Traduction : « si tu n’as pas lu ces deux bouquins, tu risques de ne rien comprendre à ce qui va suivre** ». Même pas peur Nick, même pas peur : j’ai survécu à Curse of the Necrarch et Forged Into Battle ; c’est pas une petite nouvelle de rien du tout qui va me faire peur. Bring it on boy.

De quoi est-il donc question dans cet interlude ? Eh bien, de ce que j’en ai compris, The Burning projette le lecteur dans l’inconscient de Da’kir, alors que ce dernier revit les derniers moments de Jeanne d’Arc/Jean Hus/une allumette au cours du concours de combustion spontanée faisant office chez les Salamanders de test de potentiel psychique. Dans son délire, Da’kir revit/imagine (ce n’est pas très clair) la résistance de son village contre une expédition d’Eldars Noirs en maraude sur Nocturne. Ramené à son statut de simple humain pour l’occasion, ce qui le perturbe fortement (Putain, où est mon armure ? Qui est l’andouille qui m’a chouré mon deuxième cœur ? Et pourquoi est-ce que j’ai la voix de Christophe Willem ?), Da’kir termine sa vision par un affrontement symbolique contre Kadai, feu (haha) le capitaine de la 3ème Compagnie des Salamanders, carbonisé par un tir de fuseur lors d’une campagne contre le Chaos. La nouvelle s’achève par un debriefing entre les deux Archivistes en charge de la supervision de l’épreuve, qui, comme de juste 1) n’ont jamais vu auparavant une recrue potentielle d’un tel niveau 2) se demandent s’il ne vaudrait pas mieux coller un bolt dans la tête, pour éviter les problèmes 3) décident finalement de laisser à Da’kir, qui grésille dans son coin, le bénéfice du doute, car le Tome de Feu contient une vague prophétie de deux lignes qui pourrait désigner ce dernier contre le sauveur du chapitre dans les années à venir.

Si je ne dispose pas du bagage nécessaire pour m’avancer sur la qualité de l’intrigue développée par Kyme dans cette nouvelle, la lecture de cette dernière m’a laissé plutôt froid (un comble). Passe encore le fait que le style de l’auteur soit aseptisé au plus haut point, et que ce dernier n’ait pas fait de grands efforts pour s’assurer que les lecteurs n’ayant aucune connaissance de ses ouvrages consacrés aux descendants de Vulkan puissent comprendre de quoi il en retournait (à la différence des nouvelles écrites par Abnett dans le cadre de ses séries Eisenhorn et Ravenor***) : à mes yeux, les principaux défauts de The Burning sont de deux ordres.

Le premier est son caractère, peut-être pas réel, mais en tout cas ressenti en ce qui me concerne, tout à fait dispensable dans l’arc narratif. C’est triste à dire, mais le récit de l’épreuve de Da’kir m’a immédiatement fait penser aux dispensables aventures de Gileas Ur’Ten, capitaine Silver Skulls favori de Sarah Cawkwell, productions littéraires tenant plus du développement du fluff de l’armée de l’auteur que de nouvelles SF à proprement parler****. On en sait certes un peu plus sur le passé du personnage de Da’kir à la fin de The Burning, mais je doute que ces éléments supplémentaires ne se révèlent particulièrement importants ou même intéressants pour la suite de l’histoire. En tant que lecteur et client, j’en attends plus.

Le deuxième reproche que je ferai à The Burning est le manque d’attention porté par Kyme à la cohérence de son propos. Le diable se cache peut-être dans les détails, mais quand je lis qu’une bande de guerriers humains armés d’arcs et d’arquebuses arrive à faire exploser un Raider et à massacrer son équipage de Cabalites en trente secondes, j’attends que l’auteur m’explique comment les indigènes s’y sont pris pour avoir le dessus sur un adversaire intrinsèquement et technologiquement bien supérieur. Même sans rentrer dans un niveau de détail démentiel, quelques lignes justificatives auraient été les bienvenues, en ce qu’elles auraient prouvé que Kyme était bien conscient du problème causé par ce résultat contre-intuitif. Au lieu de ça, on a plutôt l’impression d’assister à l’adaptation de la bataille d’Endor avec les Nocturniens dans le rôle des Ewoks et les Eldars Noirs dans celui des Storm Troopers.

Au final, The Burning n’est pas la nouvelle qui me réconciliera avec l’œuvre de Nick Kyme, même si son cycle Salamanders me semble de bien meilleure facture que The Fall of Damnos. Oui, le contraire eut été étonnant (et désolant), mais on se console comme on peut.

* : On ne peut qu’admirer la productivité de Nick Kyme, dont la série compte déjà quatre romans (Salamander, Firedrake, Nocturne et Rebirth) et une dizaine de nouvelles.
** : Blague à part, je ne peux qu’encourager ce genre de pratiques de la part des éditeurs de Hammer & Bolter, qui permettrait aux lecteurs de ne pas devoir attendre la moitié de la nouvelle avant de réaliser que cette dernière est connectée à une autre histoire précédemment publiée dans le webzine.
***: Thorn Wishes Talon, Backcloth For A Crown Additional, et mon préféré, Playing Patience.
****: Pour reprendre la définition donnée par Marc Gascoigne, éditeur chef de la Black Library de 1997 à 2008, dans son introduction du recueil Let The Galaxy Burn, les nouvelles BL doivent se concentrer sur la résolution d’un problème (quelqu’un sait-il comment on éteint un monolithe nécron ?) ou explorer des situations de type « et si… », non couvertes dans le reste du background (et si l’Empereur était en fait un corgi ?).

In the Shadow of the Emperor – C. Dows [40K] :

La première publication de Chris Dows dans Hammer & Bolter est assez déconcertante, en ce qu’elle semble s’inscrire dans un cycle narratif, qui, sauf erreur de ma part, n’a pas encore été publié par la Black Library. Plus habitué à évoluer dans l’univers de Star Trek que celui de Warhammer 40.000, Dows livre une nouvelle à l’intrigue et au déroulé assez opaques, et dont le propos peut être résumé comme suit.

Surpris par la matérialisation soudaine hors du Warp de deux Space Hulks infestés d’Orks, le capitaine Barrabas (aucun rapport explicite avec le lauréat du titre de Mister Jérusalem 33 – Jésus finissant, comme chacun sait, premier dauphin) emmène les rescapés du croiseur impérial Merciless Fist (dont il était le capitaine) sur la surface d’une planète voisine. Poursuivis par des peaux vertes désireux d’aller jusqu’au bout de leur démarche d’extermination, notre petit groupe de survivants tente tant bien que mal de distancer ses assaillants, survivre à la faune locale et empêcher le Commissaire Abdiel de vider son pistolet bolter sur le pauvre Barrabas, pour lequel il voue une haine aussi profonde que succinctement expliquée par l’auteur. Apparemment, le grand-père de Barrabas, sous les ordres duquel Abdiel servait, s’est débrouillé pour détruire son cuirassé Emperor au cours d’un affrontement, ce qui a précipité la disgrâce du Commissaire, accusé par sa hiérarchie d’avoir failli à son rôle en n’exécutant pas le faquin avant qu’il commette l’irréparable. Ayant survécu à l’explosion du vaisseau, Abdiel s’est depuis arrangé pour suivre les descendants de papi Barrabas (eux aussi commandants de vaisseau, comme c’est pratique*) comme leur ombre, prêt à se venger des errements de ce dernier sur sa progéniture.

Ces rapports compliqués – Abdiel passant l’essentiel de son temps à menacer Barrabas d’une exécution sommaire, sans qu’on sache trop pourquoi il se ravise à chaque fois – entre les deux personnages principaux de la nouvelle s’appuient donc sur une histoire commune sommairement brossée par Dows, qui oublie se faisant que le lecteur lambda n’a qu’une notion limitée de la rivalité existant entre ces deux personnages. Pour tirer un parallèle avec un autre duo de la BL aux relations ambigües, c’est un peu comme si on nous demandait de comprendre pourquoi le major Rawne décide de ne pas tuer Gaunt sur son lit d’hôpital à la fin de Necropolis, sans avoir rien lu de la série des Gaunt’s Ghosts auparavant.

Les autres personnages qui gravitent autour du duo central sont traités de la même façon, Dows laissant entrevoir au cours de son récit des bribes d’épisodes antérieurs pouvant justifier les comportements, autrement inexpliqués, de chacun. Par exemple, il n’est jamais clairement expliqué pourquoi l’un des survivants (Barat) prend systématiquement le parti d’Abdiel, alors que le reste du groupe est plutôt enclin à suivre Barrabas. Cet attachement est d’ailleurs mutuel, le Commissaire faisant demi-tour sous le feu de l’ennemi pour chercher un Barat blessé par un tir de mortier. Cette absence d’informations, assez frustrante, se retrouve tout au long du récit, obligeant le lecteur à meubler lui-même les vides laissés par l’auteur, ce qui, à la longue, est assez fatigant.

À ce premier manquement, que j’ai trouvé très rédhibitoire, vient se greffer une narration des plus heurtées, dans laquelle les séquences s’enchaînent sans véritables transitions, ce qui m’a plus d’une fois amené à revenir en arrière afin de m’assurer que je n’avais pas raté un élément essentiel à la compréhension du passage présent. La rareté des connecteurs logiques dans le récit est en grande partie responsable de cette pagaille, et le temps semble parfois s’accélérer ou au contraire ralentir au gré de la fantaisie de Dows. Ce dernier fait ainsi surgir des antagonistes avec la brusquerie de diables en boîtes, qu’ils s’agissent de « banshees », sortes de ptérodactyles à ailes laser (comprendre : capables de fracturer la pierre) chassant en meute**, ou de bandes d’Orks vraiment très furtives (à moins que ce soient les éclaireurs humains qui soient particulièrement nuls, ce qui est très possible).

Enfin, à l’instar des textes précédents de ce numéro (et de manière encore plus accentuée), on a vraiment l’impression que In The Shadow of the Emperor a été écrit au fil de l’eau, sans se soucier que les idées couchées par le papier fonctionnent à peu près correctement, ou même ne soient simplement vraisemblables. Dans la première catégorie, on retrouve par exemple un lieu à la topographie très particulière, invoqué par Dows afin de mettre en scène un dernier carré héroïque entre les hordes peaux vertes et la poignée de survivants impériaux. Imaginez une espèce de promontoire rocheux à la surface plane, uniquement relié à la falaise qui lui fait face par un pont naturel dont le milieu est plus fin que les deux extrémités (Khazad-dum like en quelque sorte). Vous y êtes ? Maintenant, imaginez que ce pont soit constitué de sables mouvants, et vous aurez une assez bonne représentation du décor dans lequel se joue la dernière scène de la nouvelle.

Dans la seconde catégorie, outre l’acharnement et les talents de pisteurs peu communs des Orks de Dows, dont une demie Waaaaaagh semble être aux trousses de la quarantaine de survivants de la bataille navale introductive, et arrive à retrouver la trace de ces derniers à travers marécages impénétrables et souterrains effondrés, on ne peut que soupirer devant la désinvolture de Barrabas, qui ne consent à allumer la balise de localisation bricolée par ses hommes qu’au moment où les Orks arrivent en vue du lieu où les impériaux sont retranchés, soit trois bonnes heures après la découverte du fameux promontoire, formant selon ses propres mots une piste d’atterrissage idéale pour un vaisseau de secours. Vaisseau de secours qui arrive évidemment juste après que les Orks aient été repoussés manu militari, soit quelques minutes seulement après l’allumage de la balise. Il n’est donc pas absurde de penser que Barrabas et ses copains auraient pu s’échapper en douce de la planète si seulement ce dernier avait pensé à allumer son cerveau. Evidemment, le dénouement aurait perdu en héroïsme ce qu’il aurait gagné en vraisemblance, mais à tout prendre, j’aurais préféré que la rationalité l’emporte (pour une fois…) sur l’instinct de bourrinisme bas du front qui pousse certains auteurs de la BL à inclure des scènes de baston dès qu’ils le peuvent dans leurs écrits. Certes, il paraît que dans les ténèbres d’un lointain futur, il n’y a que la guerre, mais tout de même.

Bref, ce ne fut pas le grand coup de foudre avec la prose de Dows, dont l’unique autre contribution aux univers franchisés de Games Workshop a été (pour le moment) une deuxième nouvelle, publiée dans le numéro 22 de Hammer & Bolter. Rendez-vous dans quelques mois pour voir si le bonhomme a progressé.

* : Ils auraient choisi de devenir fleuristes, il aurait eu l’air fin.
** : Autre idée brillante s’il en est. N’y avait-il personne au sein de la Black Library pour suggérer à Dows de choisir un autre nom pour ses bestioles indigènes ? Ce n’est pas comme si le terme « Banshee » n’était pas légèrement connoté dans l’univers de Warhammer 40.000…

The Tilean’s Talisman – D. Guymer [WFB] :

The Tilean's TalismanOn termine avec un petit caméo de deux figures bien connues de tous les fidèles de la Black Library, j’ai nommé les iconiques Gotrek et Felix. Mine de rien, cela faisait plus d’un an (et le A Place of Quiet Assembly de John Brunner) que les compères n’avaient pas été mis à l’honneur dans une nouvelle de Hammer & Bolter, et il est donc revenu au petit nouveau David Guymer de corriger cet état de fait en soumettant un texte de son cru. Même si ce dernier ne m’a pas entièrement convaincu, et reste sensiblement en deçà des productions de King et Long, je pense néanmoins que Guymer a un potentiel certain en tant que contributeur à la BL, et suis tout prêt à lui donner une seconde chance si l’occasion présente.

Commençons par les points positifs. En premier lieu, la décision de l’auteur de choisir pour personnage principal Siskritt, obscur skaven de son état et dernier propriétaire du fameux médaillon donnant son titre à l’histoire, est intéressante, en ce qu’elle contraste agréablement avec l’approche classique adoptée par la plupart de ses prédécesseurs, à savoir utiliser Felix comme narrateur. Ce souci d’originalité est de plus renforcé par la construction du récit, qui se divise en deux parties distinctes. Dans la première, Siskritt essaie désespérément de sortir en un seul morceau de l’auberge dans laquelle il a fait l’acquisition du médaillon tiléen, rutilante babiole donnant à son propriétaire l’équivalent d’une sauvegarde invulnérable à 4+, ce qui est toujours appréciable (mais pas toujours suffisant, comme nous allons le voir tout de suite). Malheureusement pour notre ami poilu, un Gotrek très en verve se tient entre lui et la sortie, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences fâcheuses et définitives pour le pauvre raton, en dépit de la protection accordée par son collier fashion. Dans la deuxième partie, on suit l’infiltration du même Siskritt dans la même auberge, à la recherche du médaillon, juste avant que le reste de l’armée skaven ne passe à l’attaque de Sartosa, théâtre de la nouvelle de Guymer. C’est donc une sorte de Pulp Fiction warhammer-esque que nous offre ce dernier, parti pris audacieux et assez réussi je dois dire.

Autre point fort de Guymer, sa capacité à faire ressortir le mélange d’ambition démesurée et de couardise pathologique qui se trouve au cœur de la psyché skaven. Siskritt passe ainsi la moitié de la nouvelle à s’imaginer siégeant au Conseil des Treize, et l’autre à se cacher sous les meubles au moindre bruit suspect. Le passage où il soutire à son ancien propriétaire le talisman à la pointe de l’épée, tout en étant au moins aussi terrifié que sa victime qu’elle l’est par lui, est ainsi particulièrement bien rendu.

D’un autre côté, on peut regretter que l’auteur n’ait pas pris le temps de donner quelques informations supplémentaires au sujet de la quête de Siskritt, dont on ne saura jamais comment il a appris l’existence et la localisation précise du médaillon. Le récit compte également quelques longueurs, particulièrement dans sa deuxième partie, durant laquelle Guymer décrit avec force détails les atermoiements de son héros à chaque fois qu’il doit passer près d’un humain sans se faire repérer, ou ouvrir une porte sans savoir ce qui l’attend derrière. Même si ces descriptions poussées des hésitations continuelles de Siskritt, mégalomane aussi sadique que poltron, aident à comprendre le personnage, elles ralentissent également l’action à tel point que l’on peut à juste titre considérer qu’il ne se passe pas grand-chose dans The Tilean’s Talisman, les péripéties pouvant se résumer ainsi : Siskritt monte à l’étage, prend le talisman, descend et se fait tuer par Gotrek. Sachant que cette nouvelle est vendue trois euros sur le site de la BL, j’ai du mal à considérer que l’acheteur en aurait pour son argent à ce tarif-là.

En définitive, je pense que David Guymer a l’étoffe pour devenir un auteur (skaven) qui compte au sein de l’écurie de la Black Library. La manière dont ce petit gars a su s’approprier l’exercice de style somme toute peu évident que constitue la narration d’une aventure de Gotrek et Felix augure du meilleur pour la suite. À ce titre, il n’est guère surprenant que le premier roman de notre homme, Headtaker, ait été sélectionné dans la shortlist du David Gemmell Morningstar Award 2014*.

* : Le Morningstar Award récompense le meilleur premier roman de fantasy, et si le trophée 2014 a finalement échappé à Guymer, on peut noter que l’édition 2011 a été remportée par Darius Hinks avec Warrior Priest (comme quoi, on peut écrire de mauvaises nouvelles et signer de bons bouquins). En 2010, ce bon vieux Graham McNeill s’était déjà adjugé la récompense suprême (le Legend Award) pour Empire, et était venu chercher sa hache-trophée en kilt et smoking.

Au final, pas grand-chose à se mettre sous la dent dans ce numéro. Nik et Nick se révèlent égaux à eux-mêmes, et il n’y a pas de quoi de rire (sauf de « What had happened to the food chain ? », là c’est permis). On ne se relèvera pas la nuit pour reprendre une dose de Dows, c’est sûr et certain. Il n’y a que Guymer qui vienne jeter une lueur incertaine sur ce morne tableau, et encore. Encore un numéro comme ça et je vais commencer à regretter Phalanx les gars, alors mettez-y un peu du vôtre !

Mikaël von Frühdenheim, le Prince de Suiddock

Mikaël von FrudenheimL’histoire impériale n’a jamais été, comme le lecteur le sait, particulièrement paisible, même pendant les époques considérées par les historiens comme épargnées par le spectre de la guerre (et Sigmar sait que ces dernières ont été rares). On ne peut que maudire la nature de l’Homme qui pousse ce dernier, lorsque le danger extérieur semble avoir été écarté pour un temps, toujours au prix d’immenses sacrifices et d’innombrables tragédies, à se retourner vers son prochain pour exercer sur lui les jeux les plus cruels appris au cours de la lutte pour la survie; tout comme on ne peut que regretter l’incapacité des grands de ce monde à tirer les leçons des erreurs commises par leurs prédécesseurs, les conduisant à toujours retomber dans les mêmes douloureux errements. Le constat est aussi simple à faire que malheureux à énoncer: aucune des grandes provinces qui constituent notre Empire bien-aimé n’a pu échapper bien longtemps aux affres de la discorde et de la division, et toutes ont vu le cours de leur histoire être infléchi par ces épisodes infamants, parfois pour le meilleur, mais souvent pour le pire.

À ce titre, la Grande Baronnie du Nordland, dont la province du Nebelheim fait partie, constitue sans doute l’un des exemples éloquents de la manière dont l’orgueil et les intérêts propres des puissants peuvent mener à la déliquescence de ce qui était sain et à l’affaiblissement de ce qui était fort. Comment, en effet, qualifier autrement l’histoire des relations tissées par les siècles entre la Grande Baronnie et la cité qui fut le joyau ceignant sa couronne jusqu’il y a seulement d’un siècle? Combien de vies ont été sacrifiées pour tenter, en vain, de guérir la blessure infligée par la masse d’or des maîtres-marchands de Marienburg? Combien de milliers sont tombés, victimes de l’avarice démesurée d’un seul? Pour combien de temps encore la venue du souverain légitime de la métropole séditieuse sera empêchée par la promesse qu’il n’en repartirait pas vivant? Autant de questions illustrant toute l’absurdité de la situation actuelle, et dont la réponse mérite d’être tue par souci de décence.

Si en apparence, Marienburg semble être une ville régie de manière démocratique (néologisme signifiant que le pouvoir repose entre les mains du peuple, le lecteur étant laissé seul juge de la pérennité d’une telle forme de gouvernement, ainsi que de son caractère hautement fantaisiste), la réalité est bien plus contrastée, ainsi que votre serviteur a pu le constater au cours de ses voyages dans la cité des canaux. Si n’importe lequel des habitants des taudis de Suiddock, le quartier le plus sordide de Marienburg, peut, en principe, s’élever jusqu’à briguer un siège au Directorat, l’organe décisionnel suprême de ce petit État, l’écrasante majorité de ces pauvres âmes n’aura en réalité jamais le moyen de réaliser une aussi remarquable ascension sociale, et finira ses jours aussi chichement qu’elle les  commencés.

Très étrangement cependant, tous les Marienburger auxquels je fis cette réflexion me rirent au nez et se firent un devoir de me montrer à quel point j’étais dans l’erreur, en me narrant longuement l’histoire des quelques individus exceptionnels qui réussirent à déjouer les caprices du destin pour finir leurs jours dans l’opulence et les honneurs, en dépit de leur modeste extraction. Si une telle mauvaise foi peut aisément se concevoir pour les classes les plus aisées, pour qui de telles histoires constituent autant d’os à ronger à lancer à la plèbe miséreuse, l’enthousiasme de cette dernière pour ces récits me surprit considérablement, et je quittais la cité l’esprit troublé. Ce n’est que bien plus tard que je compris que cet aveuglement volontaire était en fait l’un des seuls moyens trouvé par les indigents pour supporter l’iniquité de leur situation et les écarts obscènes de richesses entre citoyens a priori tous égaux. Vu sous cet angle, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi mes innocentes remarques furent aussi férocement vilipendées par tous mes interlocuteurs. La vérité nue est souvent aussi insupportable à l’œil que l’astre solaire.

Cette réalisation me hante encore à ce jour, et, je l’espère, éclairera le lecteur sur les soi-disant bienfaits de la démocratie. Je ne peux cependant refermer cette parenthèse sans relater ici l’histoire de l’homme qui, à force de ruse, d’audace, de détermination, et, surtout, de chance, incarne aujourd’hui encore le mieux l’idéal de réussite et d’avancement dont les Marienburger sont si épris. S’il m’est impossible de cautionner tous les récits fantasques recueillis au sujet du dit individu, dont beaucoup me semblent venir tout droit de l’imagination enfiévrée du petit peuple, il ne me paraît tout également pas impossible que ces contes fantasques disposent chacun d’une parcelle de vérité, tant le destin accouche parfois d’évènements stupéfiants. Voici donc quelle fut la vie de Mikaël von Frühdenheim, plus connu à Marienburg sous le sobriquet de Prince de Suiddock.

.

Les origines de celui qui allait devenir Mikaël von Frühdenheim sont mystérieuses mais aucunement originales. Il n’a jamais dévoilé le nom d’aucun de ses parents de sang, qui pourtant devaient être assez nombreux, si l’on en juge par la taille typique des familles de Suiddock On peut donc estimer que Mikaël avait environ une demi-douzaine de frères et sœurs, au moins autant de demi-frères et sœurs, et encore bien plus de cousins. Malgré cette parentèle fournie, le nombre de misérables épaves se déclarant lié par le sang d’une manière ou d’une autre avec le Prince de Suiddock après qu’il eut fait fortune est proprement astronomique, et a sans doute joué un rôle dans le mutisme du nouvel aristocrate au sujet de son extraction.

La vie de Mikaël bascula en 2518, année de la mort du dernier baron von Frühdenheim. Cette famille de la plus antique noblesse terrienne des Wasterlands avait grandement profité de la générosité des marchands de Marienburg sous le règne de Dieter l’Avide, emplissant leurs coffres d’or en échange d’un appui tacite aux volontés émancipatrices de la cité. Alderbricht von Frühdenheim, patriarche de la lignée au moment de la sécession, avait même dépassé toutes les espérances de ses mécènes en prenant les armes à leurs côtés lors des tentatives impériales avortées de soumettre la métropole, au lieu de se ranger sous la bannière de son seigneur légitime, le comte du Nordland.

Bien évidemment, cette trahison avait considérablement dégradé l’image des von Frühdenheim auprès de leur suzerain, qui, dans un accès d’humeur fort compréhensible après que plus de la moitié de son armée ait été détruite au cours de la bataille du Marais Grootscher, jura qu’aucun von Frühdenheim ne contemplerait plus jamais l’aube se lever en territoire impérial, sous peine de mort. Alderbricht, bien disposé à profiter le plus longtemps possible de la fortune qu’il venait d’acquérir, avait donc jugé plus prudent de se réfugier derrière les épaisses murailles de ses bienfaiteurs, abandonnant sans regrets derrière lui ses terres et ses gens. Les années passèrent et les barons von Frühdenheim se succédèrent, bien qu’aucun d’entre eux n’osa jamais poser le pied hors des murs de Marienburg, et encore moins se rendre dans la ville dont ils réclamaient pourtant la souveraineté. Tous cependant aspiraient à arpenter un plus vaste domaine que leur somptueux hôtel particulier de Guiderveld, et à régner sur davantage de sujets que les trois douzaines de serviteurs veillant à leurs moindres besoins.

De toute sa lignée, Waldener von Frühdenheim fut le plus proche de réaliser ce vieux rêve. Devenu baron en 2492 à la suite de son aîné Karlman, il employa les capitaux familiaux au succès de son entreprise, recrutant une petite armée de mercenaires sous la protection de laquelle il comptait bien retourner sur ses terres en conquérant, que le comte du Nordland le veuille ou non. Obnubilé par son entreprise, Waldener finit par saboter son union avec Grietje van den Nijmenk à force d’entretiens avec les capitaines de ses chiens de guerre (hommes peu au fait des usages à respecter dans l’intimité d’une maison noble), en même temps que sa santé se dégradait au fil des « exercices » qu’il imposait à ses hommes dans l’arrière pays Marienburger, et dont il prenait le plus souvent possible la tête. Très affaibli par une pneumonie persistante durant l’hiver de 2517-2518, Waldener, sentant sa mort prochaine, se résolut enfin à passer à l’action.

À peine le redoux arrivé, il conduisit son armée hors de la cité d’adoption de son aïeul, et la dirigea droit vers la baronnie de Frühdenheim. Abreuvé des traités militaires de sa bibliothèque, le vieux noble n’écouta pas les conseils de ses lieutenants, favorables à un voyage par voie des mers. Arguant que c’était précisément là la chose que le comte du Nordland s’attendait qu’il fasse, il fit progresser ses hommes à travers les étendues sauvages et désertes du Westerland, afin de prendre par surprise son ennemi. Si ce stratagème fonctionna à merveille, Frühdenheim n’étant défendue par guère plus que la demi-douzaine de citadins constituant la milice urbaine à l’arrivée des troupes du baron exilé, il eut un coût humain exorbitant. Sur la centaine de mercenaires qui avait suivi Waldener dans son expédition, seuls vingt étaient encore aptes à se battre au moment où ils posèrent les yeux sur les maisons de la bourgade, le reste étant tombé sous les coups des monstrueux habitants des marécages, ou bien victimes des miasmes délétères véhiculés par l’air et l’eau viciés. Waldener lui-même était aux portes de la mort, silhouette décharnée et hagarde attachée à son cheval, seulement maintenue en vie par sa volonté de reprendre possession de son bien.

Après une escarmouche aussi rapide que violente, le baron moribond put enfin pénétrer dans son fief, dont l’aspect décati eut raison des derniers lambeaux de loyauté de ses troupes. Estimant avoir largement rempli leur contrat, les derniers mercenaires se livrèrent à un pillage en bonne et due forme de Frühdenheim avant de s’évanouir dans la nature, insensible aux injures et aux suppliques de l’infirme qui avait été leur chef. Seul demeura auprès de Waldener le palefrenier de l’expédition, impatient de récupérer la bête pour son compte, mais incapable de se résoudre à jeter dans la poussière le vieil homme la chevauchant pour parvenir à ses fins. Les facultés altérées de ce dernier prirent cependant l’indécision de son ultime serviteur pour une preuve d’amour envers son maître, et, d’une voix à peine audible, demanda au palefrenier de le mener jusque dans la maison familiale des von Frühdenheim, où il voulait le récompenser avant de finir ses jours.

Ainsi, lorsque Mikaël repartit en direction de Marienburg juché sur le cheval de feu son employeur, il était loin de se douter que l’anneau qui ceignait maintenant son doigt et les quelques lignes gribouillées par le vieillard sur la page arrachée d’un missel jauni faisaient de lui le nouveau baron de Frühdenheim. Sa surprise à la découverte de sa nouvelle situation fut au moins aussi grande que celle de l’huissier qui procéda à la lecture du testament de fortune de Waldener, mais, puisque ce dernier avait signé de sa main et remis la bague de sa lignée à son héritier, la validité de la succession ne put être attaquée. Bien évidemment, la Maison van den Nijmenk tenta de faire main basse sur le patrimoine du défunt mari de Grietje, mais Mikaël réussit à gagner le soutien de la toute puissante Maison van de Kuypers en échange de l’arrêt de quelques unes de ses activités commerciales, et la plainte en faux déposée par les clercs des van den Nijmenk fut mystérieusement égarée avant d’avoir pu être examinée par le Rijkskamer.

Le palefrenier de Suiddock et nouveau baron de Frühdenheim surprit tout le monde en réussissant à faire fructifier son affaire au lieu de dilapider sa fortune dans les tavernes et les bordels de la cité. Ayant eu le salutaire bon sens de reconnaître qu’il n’y entendait rien en terme de négoce, il eut l’habileté de s’entourer de personnes compétentes pour gérer ses intérêts à sa place, les sommes détournées par ses conseillers étant une perte acceptable en échange de leur loyauté. Mikaël passa toutefois trop rapidement de la misère la plus noire à la richesse pour pouvoir se complaire dans l’aisance sans tapage des maisons marchandes, et son goût pour les tenues ostentatoires le rendit fameux dans tout Marienburg, et en particulier dans les ruelles tortueuses de Suiddock, où son histoire fut tant de fois répétée qu’il finit par devenir une sorte de figure sainte parmi les indigents, l’incarnation de la réussite fulgurante après laquelle tous soupiraient.

L‘autre passion du nouveau baron était le monde équestre, souvenir de l’époque où il devait panser les chevaux des autres pour survivre. Mikaël fit ainsi agrandir l’écurie de son hôtel particulier dans des proportions indécentes, au grand déplaisir de ses voisins, pour qui l’odeur crottin n’évoquait, contrairement à l’ancien palefrenier, aucun souvenir ému. Grâce à ses nouvelles relations, et en échange d’une somme fort coquette, ce dernier réussit même à acquérir un jeune pégase royal de Parravon, qu’il éleva personnellement jusqu’à sa maturité. Dénommée Erfolg, cette noble bête lui servit de monture pendant les dernières années de sa vie, pour le plus grand plaisir des enfants des rues de Marienburg.

;

Mikaël von Frühdenheim mourut en 2528, peu après avoir célébré en grande pompe son trente-cinquième anniversaire. Au cours de cette fête mémorable, un obscur cousin de Sasha van den Nijmenk ayant abusé de vodka attaqua l’honneur de son hôte en déclarant qu’il n’était rien d’autre qu’un parvenu ayant hérité la fortune mal acquise d’une lignée de parjures. Dans la confusion qui suivit cette déclaration mal intentionnée, le malotru réussit à échapper à la fureur vengeresse du baron offensé, dont la demande d’un duel d’honneur afin de régler cette affaire se heurta au refus poli mais ferme du portier des van den Nijmenk. Nullement découragé par cette rebuffade, Mikaël fit jouer son réseau d’informateurs, et découvrit après une semaine que le boyar avait filé en douce en direction de Kislev, le temps que la colère de son ennemi retombe.

Enragé par une telle bassesse, le baron exilé fit seller Erfolg et s’élança en direction de l’Empire, bien décidé à fondre sur le couard avant que ce dernier ne puisse s’abriter chez ses parents du Nord. Indifférent à la menace proférée à son encontre par l’ancien comte de Nordland, Mikaël pénétra en territoire impérial au lever du jour, et fit halte dans le premier bourg qu’il aperçut afin de faire se reposer sa monture. Malheureusement pour lui, l’armée du Nebelheim, sous le commandement du Ministre de Sigmar Markus Deusmeister, était déjà stationnée dans la ville, et son arrivée ne passa pas inaperçue. Conduit devant le général de l’ost Nordlander, le baron von Frühdenheim, ignorant que la traîtrise d’Alderbricht avait été oublié depuis bien longtemps dans cette province excentrée et craignant pour sa vie, accepta avec empressement d’aider les forces du prélat à traquer le tristement célèbre hidalgo vampire Arnau de Mataplana, dont les récentes déprédations avaient mis le Nebelheim à genoux.

La bataille qui s’ensuivit, et passa à la postérité sous le nom de bataille de Drünnerwald, vit le triomphe de l’Empire après une nuit de lutte acharnée contre les abominations au service de Mataplana, et permit d’écarter la menace que représentait ce dernier pour la province. Contrairement au massacre qui se déroula dans les profondeurs des Bois Cornus quelques jours plus tard, cette victoire fut étrangement peu coûteuse en vies humaines, moins d’une cinquantaine de soldats impériaux ayant trouvé la mort au cours de l’affrontement. Mikaël von Frühdenheim comptait cependant au rang des victimes de cette terrible nuit, sa dépouille mutilée étant retrouvée au matin à quelques mètres du cadavre d’Erfolg, dont les ailes altières avaient presque été sectionnées par la violence des coups portés par son meurtrier.

Le corps de l’aristocrate Marienburger fut exposé pendant une journée dans la chapelle de Drünnerwald, puis brûlé en même temps que toutes les autres victimes impériales selon les recommandations de Deusmeister, peu enclin à fournir de nouveaux corps à réanimer à son ennemi, dusse le cours de la guerre basculer de nouveau contre le Nebelheim. L’anneau des von Frühdenheim fut toutefois soigneusement conservé, et fut ultérieurement renvoyé à Marienburg avec une lettre de condoléances signée de la main même du comte von Nebelheim. N’ayant reconnu aucun héritier de son vivant, les possessions du dernier baron furent rapidement partagées entre les maisons van de Kuypers et van den Nijmenk, et ainsi s’acheva la lignée des von Frühdenheim.

 

THE LAST CHANCERS by GAVIN THORPE

Bonjour à tous ! Aujourd’hui, je vous propose de faire un tour aux quasi-origines de la Black Library, à l’époque où tout restait à faire, où les auteurs avaient encore loisir de développer des idées un tantinet originales*, et où un Gavin Thorpe encore glabre faisait ses grands débuts dans le monde impitoyable de la fantasy. Bienvenue lecteur dans la chronique d’un mythe fondateur du background de Warhammer 40.000 : la trilogie Last Chancers.

* : « Et si vous nous écriviez une petite histoire de Space Marines ? »
« Tu veux parler de ces surhommes génétiquement modifiés, incapables de ressentir la peur, endoctrinés jusqu’au trognon et rigoureusement imperméables à l’humour ? »
« C’est ça. »
« Ecoute, je vais être tout à fait franc avec toi : je préfèrerais écrire la biographie de Peggy la Cochonne en dix volumes et la traduire en farsi plutôt que de me lancer dans cette purge. Sérieusement les mecs, vos Space machins sont des stéréotypes de héros d’action à peu près aussi savoureux qu’un bol de gravier arrosé au Roundup. À la rigueur, si vous me permettiez d’écrire un pastiche un peu grinçant soulignant le côté ridiculement trotrodark de votre univers… Qu’est-ce que vous diriez d’un chapitre dont l’emblème serait un balai chiotte géant ? »
« Ça ne va pas être possible Mr Bayley. »
« Dommage. Je continue à bosser sur le synopsis de Eye of Terror alors. »
« S’il vous plaît. »

.

Couverture de l’omnibus:

Omnibus (Last Chancers)

.

Couvertures alternatives:

Couvertures Alternatives (Last Chancers)'

.

Le contexte:

1999. En cette fin de millénaire, la Black Library s’apprête à fêter ses deux ans d’existence. Créée à l’origine pour assurer la publication de nouvelles, via le mensuel Inferno!, la maison d’édition de Games Workshop s’est mise progressivement à proposer des romans dépeignant les aventures de personnages emblématiques des deux univers de l’enseigne. Après avoir mis sur le marché les premiers tomes de sagas aujourd’hui mythiques (Gotrek & Felix, Gaunt’s Ghosts, Ragnar), la Black Library décide de donner sa chance à un collaborateur régulier de la maison mère, le fringant Gavin Thorpe.

Le projet de notre homme est assez original, puisqu’il se propose de relater les pérégrinations d’une bande de légionnaires pénaux, chargés d’accomplir le sale boulot de l’Imperium afin de se racheter aux yeux de l’Empereur et de leur impitoyable officier, le colonel Schaeffer. Une sorte de négatif des gentillets Fantômes d’Abnett, directement calqués sur le modèle des 12 Salopards (film de Robert Aldrich sorti en 1967), et dont la sortie est annoncée par la publication de la nouvelle Deliverance dans le White Dwarf de Décembre 1999 (traduite en français dans le WD d’Octobre 2002).

La jeunesse de la Black Library, le climat d’enthousiasme entourant la société à l’époque (lancement prochain du jeu Seigneur des Anneaux, acquisition de Sabre Tooth Games, début du passage au tout plastique…), et la notoriété de l’auteur parmi les membres de la communauté, expliquent sans doute pourquoi Thorpe a été autorisé à explorer cet aspect, somme toute assez marginal, de l’univers de Warhammer 40.000. À l’heure où les lignes éditoriales (SM, SM pendant l’hérésie, aventures-d-un-personnage-nommé, SM, le-dernier-tome-d-une-série-bien-établie, SM…) de la BL semblent gravées dans l’adamantium, le degré de liberté caractéristique de cet âge révolu ne manque pas d’attractivité pour le lecteur prêt à sortir des sentiers battus.

On ne peut que spéculer sur les ambitions nourries par les pontes de la Black Library au sujet de cette série, dont la postérité n’est pas aussi grande que certains des travaux publiés sur la même période. Le fait que la saga Last Chancers se décline en trois volets, format star de la maison, laisse penser que cette dernière a néanmoins su trouver son public, même s’il est aujourd’hui évident qu’Abnett et ses Tanith ont gagné la bataille de la popularité face aux bad boys de Thorpe dans la catégorie Garde Impériale*, si bataille il y eut jamais. Le premier des deux larrons étant en effet un auteur professionnel, alors que le second travaillait à l’époque comme concepteur de jeux pour Games Workshop, il était peut-être prévu dès le début de clore les débats après le troisième tome (laissant ainsi à Gavin l’opportunité de travailler sur la trilogie Slaves To Darkness, publiée entre 2002 et 2004). Pour ma part, j’interprète le hiatus de deux ans et demi entre la sortie de Kill Team (Octobre 2001) et celle de Annihilation Squad(Mars 2004) comme le signe d’un flop relatif, même si d’autres explications peuvent également être avancées.

Quoiqu’il en soit, les Last Chancers de Thorpe ont néanmoins réussi à laisser leur marque dans le background de 40K, comme tout vétéran du hobby vous le confirmera. En plus des romans, Schaeffer, Kage et les autres ont en effet eu l’honneur de bénéficier d’une entrée dans le Codex Garde Impériale de 2005 (et possiblement dans les précédents, que je ne possède pas**), ainsi que de leurs propres figurines, dont la sortie s’est accompagnée d’un complément de règles permettant d’aligner douze Last Chancers contre une armée entière (on reconnaît bien la patte de Jervis « pour la beauté du geste » Johnson derrière cette initiative, qui a sans doute permis à certaines des parties les plus déséquilibrées de l’histoire du jeu d’avoir lieu). Il est cependant à noter que les figurines en question ne représentent qu’une partie des personnages développés par Thorpe dans sa série, un certain nombre d’éminents Last Chancers s’étant faits refouler au casting, à commencer par l’iconique Lieutenant Kage (un comble, puisqu’il s’agit du narrateur des romans).

*: Ne comptez pas sur moi pour passer à Astra Militarum. Le Garde Impérial meurt mais ne se rend pas.

**: Gavin précise que Schaeffer et ses Last Chancers ont été créés par Ian Pickstock et lui-même, et que leur première apparition remonte au Codex V2 de la Garde Impériale. Plus tard, Rick Priestley [i]himself[/i] apportera sa patte au travail de ses deux collègues (mais dans quelles proportions, mystère).

.

L’intrigue:

Pas de grandes surprises à ce niveau-là, puisque le lecteur a exactement droit à ce qu’il attendait, c’est-à-dire au récit des aventures de Kage et de ses collègues légionnaires pénaux, chargés par Schaeffer des missions les plus dangereuses du secteur. Les Last Chancers ont en effet beau être un ramassis de criminels aux casiers judiciaires plus épais qu’un sarcophage de Dreadnought Ironclad (ou pas, voir la section Personnages), ils sont avant tout des super soldats, experts en leur domaine, et qu’il serait donc dommage d’assigner à des tâches aussi ingrates que le déminage de spore mines à coups de bâton, la montée en première ligne contre un bastion tenu par une grande compagnie d’Iron Warriors, ou encore l’identification des victimes d’une épidémie de Pourriture de Nurgle, activités couramment proposées aux légionnaires pénaux classiques.

Les trois romans de la série donnent ainsi à Kage et à ses potes l’occasion de participer à des projets aussi grandioses et létaux que l’assassinat d’un Commandeur Tau séditieux (sur le propre monde de ce dernier), le « sauvetage » d’Herman von Strab, gouverneur planétaire émérite et complétement barge d’Armageddon, ou encore la mise en surchauffe des réacteurs à plasma d’une cité fortifiée rebelle. Inutile de préciser que le taux de survie parmi nos héros n’est donc pas terrible, Schaeffer et Kage étant souvent les seuls à émerger en un seul morceau de ces charmantes promenades de santé.

Outre cette trame classique, qui sera répétée avec quelques variations tout au long de la saga, Thorpe choisit d’initier le lecteur au tortueux cheminement intellectuel et philosophique de Kage, qui, de candidat avoué à la désertion au début de la série, se mue petit à petit en victime et complice consentante de son terrible supérieur. Cette soif de rédemption mâtinée d’un zeste de syndrome de Stockholm est de plus corsée par la folie croissante de Kage, qui de sale type lambda à l’ouverture de 13th Legion (on apprend qu’il a atterri chez les Last Chancers pour avoir poignardé un supérieur indélicat lui ayant piqué une de ses conquêtes féminines) se change petit à petit en psychopathe sadique de haut vol. Rajoutez à ce charmant tableau des migraines post-traumatiques régulières et un potentiel psychique latent, et vous aurez une bonne idée de la personnalité du Lieutenant Kage.

La situation se gâte toutefois fortement dès que l’on se penche sur les péripéties, dont l’examen révèle de nombreuses incongruités et autres zones d’ombre, que l’auteur ne se donne pas souvent la peine d’expliciter. Par exemple, Schaeffer emmène ses hommes sur le monde jungle de False Hope, soi-disant pour y enquêter sur la présence de Lictors, capables d’attirer sur place la flotte ruche Dagon (wink wink). Outre le fait qu’on leur souhaite bien de la chance pour mettre la main sur des prédateurs aussi furtifs, cachés quelque part sur une planète totalement recouverte par la forêt primaire, j’ai du mal à comprendre ce que Schaeffer espère accomplir par là, même en cas de réussite. Si, par miracle, lui et ses hommes arrivent à faire la peau à tous les Lictors présents sur False Hope, il n’a en effet aucune garantie que les messages envoyés par ces derniers à la flotte ruche n’aient pas déjà atteints cette dernière, qui viendra donc tondre à ras ce monde hostile de toute façon.

Autre exemple, la facilité avec laquelle l’inquisiteur Oriel (le supérieur direct de Schaeffer), réussit à piquer, puis à utiliser, les stocks de bombes virales de la cité fortifiée et hyper sécurisée de Coritanorum, au nez et à la barbe des quelques 700.000 soldats qui la défendent. Je précise que le bon inquisiteur opère en solo derrière les lignes ennemies, et semble bien sûr toujours savoir où intervenir pour faciliter la progression des Last Chancers (sinon c’est pas drôle). Malgré tous ses talents d’infiltrateur, Oriel est toutefois incapable de coincer le Genestealer qu’il a malencontreusement libéré dans Coritanorum, et s’est empressé de fonder un culte qui a saisi le pouvoir en deux temps trois mouvements, provoquant la rébellion de la cité. Bon, d’accord, ça a plutôt pris quelques mois, voire quelques années, mais comme Oriel a un égo surdimensionné, il a préféré tenter de régler ce petit problème tout seul (sans grands succès malheureusement), plutôt que de passer un coup de fil à la hot line de la Deathwatch. Au final, notre bras cassé d’inquisiteur préfèrera envoyer ses séides faire exploser Coritanorum (et ses trois millions d’habitants) afin de s’assurer que les informations top secrètes conservées dans les banques de données de la cité ne tombent pas dans les griffes des tyrannides… que je ne savais personnellement pas capable d’assimiler des connaissances stockées sur disques durs par voraces interposés. On notera au passage que cet acte désespéré n’empêchera absolument pas la flotte ruche de venir se garer en orbite autour de la planète de feu Coritanorum, et donc de potentiellement accéder aux données qu’Oriel voulait à tout prix garder secrètes, sous réserve qu’une autre cité majeure tombe aux mains ( ?) des nides (hypothèse fort probable).

OTY1

OTY2

OTY3

OTY4

.

Ces deux exemples viennent prouver que si Gavin Thorpe est tout à fait capable d’écrire des synopsis solides, détaillés et assez alléchants (je suggère fortement à tous les anglophiles de faire un tour sur le blog du bonhomme, Mechanical Hamster, où sont postés les synopsis de 13th Legion et de   Annihilation Squad), il pêche en revanche au moment de la mise en pratique de ses idées, qu’il couche sur le papier sans s’assurer de leur cohérence par rapport à l’histoire (un travers dans lequel ne verse pas Abnett, et qui explique en partie pourquoi ce dernier est aujourd’hui justement considéré comme la meilleure plume de la BL). Le diable se cache dans les détails…

On pourra me répondre que la responsabilité est partagée entre l’auteur et son éditeur, dont c’est le rôle de relever les passages peu clairs d’un manuscrit afin que le premier les retravaille, et on aura parfaitement raison. Cela dit, je doute fortement que les standards de la BL en la matière soit particulièrement exigeants, opinion blasée se basant sur la lecture d’ouvrages truffés de scories narratives (comme   celui-ci ou celui-là), et à côté desquels l’œuvre de jeunesse de Thorpe apparaît comme exempte de tout soupçon.

Une dernière remarque, cette fois centrée sur le premier tome de la série, 13th Legion. À la différence de ses deux successeurs, cet ouvrage ressemble plus à une collection de nouvelles mettant en scène les Last Chancers qu’à un roman en bonne et due forme. Thorpe enchaîne en effet les péripéties (trek sur un monde jungle hostile, crash sur une planète prison colonisés par des termites géantes agressives, défense face à une attaque de pirates Eldars Noirs, participation éclair à une campagne contre des Orks sur un monde de glace…) avec une brutalité laissant planer le doute sur la présence éventuelle d’un véritable fil conducteur. Le dernier tiers du roman permet à l’auteur de justifier son approche pour (essayer de) faire croire au lecteur que ce rythme narratif elliptique jusqu’à la nausée était en fait un parti pris littéraire. D’un point de vue personnel, je n’ai pas vraiment été convaincu par les explications de Gav (qui m’a d’ailleurs confié qu’il s’agissait du point qu’il aimerait le plus modifier s’il en avait la chance), mais comme il s’agissait de son premier roman, je ne lui en ai pas tenu particulièrement rigueur. Il est à souligner que le deuxième tome de la série, Kill Team, pâtit lui aussi de la maîtrise approximative de Thorpe en matière de conduite de double intrigue, quoique de moindre manière. C’est en forgeant…

.

Le style:

La première caractéristique notable de la série Last Chancers est l’usage d’une narration à la première personne, un choix pas si répandu parmi les auteurs de la Black Library. Le lecteur fait plus qu’adopter le point de vue du Lieutenant Kage, il vit l’histoire par ses yeux, et bénéficie en outre des incessantes réflexions que le héros de Thorpe formule à propos de sa situation, de ses compagnons d’infortune, du fonctionnement de l’Imperium, des Xenos qu’il croise de temps à autres, ou encore de la composition de son dernier déjeuner. Kage étant un penseur prolixe, il est conseillé au lecteur de se préparer à composer avec ses récurrentes digressions, qui constituent une partie importante des romans. Ceci étant dit, Thorpe réussit à rendre ces passages assez distrayants, en grande partie grâce au caractère subversif et direct de son personnage, qui, s’il n’est pas vraiment causant, n’en pense pas moins.

J’ai déjà pu évoquer dans d’autres chroniques l’existence du fameux (ou pas, à vous de me dire) « BL style », familier à tous les lecteurs vétérans de cette maison d’édition. Gavin Thorpe étant à mes yeux l’un des créateurs de cette école, du fait de son influence sur le jeu et le background général (il a été un temps « Maître du Savoir » de Games Workshop), des livres d’armée et codex auxquels il a contribué, et évidemment par le biais de ses romans, il est somme toute normal que la série Last Chancers ne surprenne ni en bien ni en mal à ce niveau. Descriptions, dialogues, scènes d’action : tous les éléments constitutifs de ces romans cadrent rigoureusement avec le cahier des charges de la BL, et donnent un ensemble honnête et relativement plaisant à lire, à défaut d’être follement original.

Cela étant dit, certains passages se sont avérés être assez jouissifs à parcourir, Gav lâchant la bride de sa plume (ceci est une figure de style non homologuée) et gratifiant son public de petites perles de noirceur, souvent à base de violence totalement gratuite et immorale, tranchant fortement avec les conventions de la BL en la matière (les méchants commettent des actes immoraux* parce qu’ils sont méchants, les gentils peuvent éventuellement en faire de même lorsqu’ils n’ont absolument pas le choix, qu’ils savent ou pensent qu’il s’agit de l’option la moins pire, ou parce qu’il s’agit d’un aspect de leur culture).

Dans la plupart des cas, il s’agira d’un pétage de plombs en bonne et due forme de la part de Kage, qui massacrera par exemple à mains nues un de ses codétenus, qu’il soupçonnait (à tort) d’avoir comploté avec les Eldars Noirs ayant attaqué le vaisseau des Last Chancers dans 13th Legion. Le pauvre type en question, auparavant tabassé tous les quatre matins par un Kage l’ayant pris en grippe pour des raisons assez nébuleuses, se fera ainsi réduire en pulpe par ses petits camarades dans une scène rappelant fortement la mort de Simon dans Sa Majesté Des Mouches. D’autres passages de cet acabit, permettent à Thorpe de prouver la folie sous-jacente de son héros, qui sans ça aurait pu n’être qu’un bad-boy-asocial-mais-pas-foncièrement-mauvais de plus (à l’image d’un Mathias Thulmann, d’un Brunner ou d’une Angelika Fleischer). La première moitié de Kill Team est particulièrement riche à cet égard, Kage y étant dépeint comme l’authentique salopard empêtré dans une relation amour-haine avec Schaeffer qu’il aurait gagné à être de manière continue.

Premiers grands formats de Thorpe, 13th Legion et Kill Team (Annihilation Squad ayant été publié après la sortie de la trilogie Slaves To Darkness) présentent quelques lacunes absentes des travaux suivants de l’auteur. En plus des transitions brutales de 13th Legion, Thorpe articule assez mal le système de double intrigue qu’il cherche à mettre en place dans ces deux tomes, amenant le lecteur à ne pas accorder l’attention qu’ils méritent aux petits passages intercalés entre chaque chapitre, alors même qu’ils contiennent des éléments dont l’auteur se servira pour justifier les retournements de situation se produisant dans la dernière partie de l’histoire. À dire vrai, je pense même qu’il aurait très bien pu se contenter d’un seul fil narratif (celui de Kage et Cie) pour ces deux romans, la valeur ajoutée du deuxième angle d’attaque étant somme toute très faible. Ce sera d’ailleurs son parti pris dans le troisième volume de la série, Annihilation Squad, dont la qualité globale** est nettement supérieure à celle de ses préquelles. Kill Team souffre également d’une perte de rythme assez prononcée au milieu du récit, Thorpe relatant le voyage des légionnaires pénaux jusqu’à la planète de leur cible (le Commandeur Brightsword) sur une petite centaine de pages, durant lesquelles il ne se passe pas grand-chose. Les amateurs de fluff les plus extrêmes enrichiront certes leurs connaissances de la société Tau***, mais le reste des lecteurs trouvera sans doute le temps long, surtout après le rythme enlevé du tome précédent.

Thorpe éprouve également quelques difficultés à manager correctement son équipe de risque-tout, dont les effectifs sont bien sûr amenés à décroître régulièrement au fil des pages et de la mort des personnages. Ce manque de maîtrise se ressent particulièrement dans le final de 13th Legion, au cours duquel Gavin enchaîne les trépas avec un enthousiasme un peu forcé, recourant même à plusieurs reprises à une discrète liquidation « hors cadre » d’un side kick****. Kage aura alors cette phrase, que je trouve assez représentative des derniers chapitres du roman : « I feel a touch of sadness that he died alone and unnoticed ». La désinvolture avec laquelle Thorpe dézingue ses personnages est toutefois assez plaisante, en ce qu’elle reflète fidèlement l’atmosphère de risque permanent qui entoure les Last Chancers, dont le destin est une mort brutale dans l’exercice de leurs fonctions.

De manière générale, et si on écarte les quelques remarques précédentes, la série des Last Chancers se laisse lire sans problème, le dernier volet se démarquant comme le meilleur du lot au niveau du style.

*: Et encore, dans la limite du raisonnable. Il ne s’agirait tout de même pas de perdre des lecteurs dans la tranche d’âge de 10-15 ans pour cause d’écrits malséants. On évitera donc toute allusion sexuelle, sauf les plus édulcorées, et on prendra bien garde de ne faire trucider et torturer que des personnages adultes, de sexe masculin si possible.

**: Il est cependant à noter que ce dernier volet souffre du syndrome de la « conclusion accélérée », défaut partagé par de nombreuses publications de la Black Library. Quand je lui ai posé la question, Gavin m’a assuré qu’il s’agissait d’une décision personnelle (l’autre hypothèse étant un nombre de pages à ne pas dépasser), visant à retraduire l’urgence de la situation à laquelle les héros doivent faire face. Vu comme ça… Dernière remarque sur le sujet : le synopsis prévoyait une conclusion assez différente de celle qui figure dans le livre, qui achève la série par un magistral cliffhanger inversé (je me comprends).

***: Végétarien nocturne à tendance frugivore, le Tau de Thorpe construit des escaliers sans rampe car, se déplaçant toujours à l’allure d’une tortue cacochyme, il n’a pour ainsi dire aucun risque de chuter en grimpant les marches. Véridique.

****: «Le groupe fit une pause et Kage bailla profondément. Quand il rouvrit les yeux, il constata que son vieux pote Johnny la Durite avait été coupé en deux par un tir de canon laser. Bob avait été dispersé sur 30 mètres par l’explosion d’une mine antipersonnelle. Steven venait de se faire avaler par un boa constrictor et Joe avait été écorché, tanné et transformé en canapé pur cuir par un gang d’Eldars Noirs en maraude. »

.

Les personnages:

Comme on peut s’y attendre de la part d’une série dont les héros sont des condamnés à mort en sursis auxquels sont assignées les missions les plus dangereuses qui soient, la saga Last Chancers connaît un turn over assez important d’un tome à l’autre, seuls quelques personnages parvenant à survivre assez longtemps pour figurer dans plusieurs romans.

Kage: Nicolas de son petit nom (nan je déconne), anti-héros de la série, et narrateur des aventures des Last Chancers, qu’il incarne tellement bien que Schaeffer le surnommera Last Chance durant une bonne partie de Kill Team*. Kage est un survivant né doublé d’un sale type, traits de personnalité qui l’ont conduit à intégrer la 13ème Légion Pénale (deux fois de suite !), et à devenir l’âme damnée de Schaeffer. Capable de crises de violence et de sadisme (franchement revigorantes pour le lecteur, beaucoup moins pour ses petits camarades de jeu), il est cependant loin d’être une simple brute décérébrée (même s’il est de son propre aveu quasiment analphabète). Après avoir obtenu son pardon à la fin du premier tome, il dérape suffisamment sérieusement quelques mois plus tard pour être à nouveau affecté aux Last Chancers, sans espoir de sortie cette fois-ci. Cette absence d’échappatoire le poussera cependant à rechercher une rédemption hypothétique en accomplissant son devoir au service de l’Empereur, seul capable de racheter les innombrables crimes qu’il a commis au cours de sa misérable existence.
Son évolution au cours des deux premiers tomes de la série (le troisième voyant Thorpe justifier les aspects les plus extrêmes de la personnalité de son héros de manière exogène, ce qui à mon sens lui fait perdre un peu d’intérêt), la complexité de son caractère et ses relations ambigües avec Schaeffer font de Kage une des raisons principales justifiant la lecture des romans Last Chancers. Dernière précision, si vous aimez le personnage de Marv dans Sin City, il y a de fortes chances que le Lieutenant Kage vous soit sympathique, tant Gav semble avoir calqué son personnage que celui de Frank Miller.

*: D’après une idée de Kage, qui avait lui-même précédemment affublé chacun de ses petits camarades d’un surnom reflétant ses capacités (Sharpshooter, Demolition Man, Flyboy…) ou sa mentalité (Hero) afin de détruire leur personnalité ou quelque chose comme ça (qu’est-ce qu’on s’amuse). On notera au passage que Hero et Demolition Man sont les seuls Last Chancers ayant eu une figurine officielle (en plus de Schaeffer).

Kage

.

Schaeffer: Chef emblématique et redouté de la 13ème Légion Pénale, le Colonel Schaeffer est un fanatique du plus bel acabit, dont la mission est de sauver l’âme des malheureux qui lui tombent entre les mains, en leur offrant la chance et l’insigne honneur de mourir au combat contre les ennemis de l’Imperium. Absolument dénué de tout scrupule, Schaeffer fait toujours primer la réalisation des missions qui lui sont confiées sur le bien-être et la survie de ses hommes, ce qui lui réussit assez bien puisqu’à date, il n’a jamais connu l’échec. S’il ne voit pas d’inconvénients à abandonner des soldats blessés dans un avant-poste déserté au milieu d’un monde hostile, à dépressuriser un sas rempli de légionnaires pénaux pour empêcher une poignée de pirates Eldars d’accéder à la salle des machines, ou encore à réduire en poussière une ville de trois millions d’habitants pour être sûr d’annihiler un culte Genestealer, il est en revanche prêt à mettre sa vie en péril pour assurer le salut de l’âme de ses ouailles. Prêt à toutes les bassesses pour « recruter » des profils qu’il juge prometteur (« au fait, ta peine de cinq ans de prison pour vol avec violence a été commuée en perpétuité incompressible ! Merci qui ? »), il se montre toutefois fidèle à sa parole en toutes circonstances, et accordera bien son pardon à quelques de Last Chancers vraiment chanceux (c’est le cas de le dire) au cours de la série, la plupart du temps à titre posthume il faut bien le dire.

Autre trait de personnalité empêchant Schaeffer d’être absolument antipathique au lecteur, son inflexible courage, le bonhomme ne délégant à aucun autre le soin de mener la 13ème Légion Pénale au combat. Si personne ne sera surpris d’apprendre que le bougre est également un soldat d’exception, capable de transformer un Carnodon adulte en carpaccio en un battement de cils, il est intéressant de noter qu’il semble disposer d’une bonne étoile de la taille d’une supernova, ce qui lui permet de sortir indemne des mêlées les plus féroces (un avantage certain dans sa profession). S’il lui arrive de prendre une balle perdue de temps à autre, il peut cependant compter sur ses relations privilégiées avec l’Inquisition pour être remis à neuf dans les plus brefs délais, et, contrairement à la mode répandue des augmétiques qui sévit en cette fin de quarantième millénaire, toujours de manière 100% organique. On lui fait ainsi « repousser » un bras à la fin de 13th Legion, et on apprend dans Annihilation Squad que sa colonne vertébrale a été pareillement reconstruite (après un pari débile*), tandis qu’il doit son fameux regard bleu azur à la « généreuse » donation d’un prêtre de mars renégat. Avec ses 300 ans bien tassés (Gavin laisse volontairement le lecteur dans l’ombre à propos du passé de son personnage, dont on ne peut qu’essayer de deviner pourquoi il a été affecté à ce poste ingrat et dangereux, alors qu’il semble avoir toutes les qualités requises pour grimper les échelons au sein de la Garde Impériale**), le Colonel Schaeffer tient plus du PNJ increvable d’un FPS futuriste que de l’être humain normalement constitué, et c’est son opposition, ainsi que sa paradoxale complémentarité, avec Kage (avec qui il forme un joli couple sadomasochiste) qui lui permettent d’exister en tant que protagoniste.

*: « Chiche que tu n’es pas capable de servir de rampe de skate à un Land Raider ! » « Avec ou sans escouade Terminator en soute ? » « Euh… sans. » « Pas de problème, je marche. »

**: J’ai avancé l’hypothèse que Schaeffer cherchait à expier un pêché particulièrement grave en accomplissant le sale boulot de l’Impérium et en permettant à des criminels de la pire espèce de sauver leur âme, et Gavin m’a laissé entendre que je n’étais pas si éloigné de la vérité, qu’il dévoilera peut-être un jour.

Schaeffer

.

Oriel: Inquisiteur de l’Ordo Xenos de son état, Oriel est présenté comme le supérieur officieux de Schaeffer, auquel il confie les principales missions relatées dans le premier et le deuxième tome de la série (pour le troisième, il se contente de « recommander » les états de service impeccables du Colonel à un collègue, qui débauche donc les Last Chancers et les envoie sur Armageddon récupérer Herman von Strab). Le fait qu’il œuvre pour la très Sainte Inquisition permet à Oriel de savoir à peu près tout sur tout, de manier des gadgets rigolos et hors de prix, et de se lancer dans des projets grandioses sans avoir besoin de se justifier, ce qui est plutôt pratique étant donné la capacité de notre ami à se rater dans les grandes largeurs. Le Genestealer malencontreusement relâché sur Coritanorum, c’est lui. La lobotomie sauvage de Kage, soi-disant pour purger son cerveau des « humeurs malignes » qu’il contenait, c’est encore lui. Le quasi intouchable infiltré au sein des Last Chancers pour contenir le potentiel psychique latent de ce même Kage (avec des résultats très concluants…), c’est toujours lui. Il aime également agir selon des plans aussi secrets que retors, et que personne ne remet en question quand il se décide à les expliquer uniquement parce qu’il serait capable d’ordonner un Exterminatus sur la planète d’origine de ses contradicteurs. Cependant, tel le Zlatan du 41ème millénaire, il possède le talent rare d’être toujours au bon endroit au bon moment (particulièrement dans 13th Legion), ce qui lui permet de débloquer des situations apparemment impossibles* en un claquement de doigts. La classe.

*: Bon, alors comment vais-je bien pouvoir faire rentrer mon escouade de Légionnaires Pénaux dans une forteresse hyper sécurisée (pensez à Minas Tirith, mais capable de résister à un bombardement orbital), sur laquelle la toute-puissante Garde Impériale se casse les dents depuis plusieurs années ? Bof, on va dire que quand les Last Chancers arrivent aux portes des murs extérieurs, un « mystérieux allié » aura libéré un gaz mortel dans les conduits d’aération de la casemate de garde, ouvert les portes et disparu dans la nature. D’une élégante simplicité.

Oriel

.

Lorii & Loron: sont dans un bateau une tranchée. Loron tombe à l’eau se prend un tir de laser dans la jambe. Qui reste-t-il ? Réponse : Lorii et Loron, la première ramenant le second à bon port au péril de sa vie et au mépris des ordres reçus, ce qui conduit nos deux inséparables (frère et sœur dans le civil) à se retrouver mutés parmi les Last Chancers pour insubordination. Maintenant, un petit test de vos connaissances de fluffiste : si je vous dis que Lorii et Loron sont de redoutables soldats albinos et les derniers survivants de leur unité, qui s’est faite décimer malgré la très haute qualité intrinsèque de ses membres, vous me répondez du tac au tac qu’il s’agit selon toute évidence…

d’Afriels, c’est-à-dire des résultats mitigés d’une expérience eugéniste classique, à savoir utiliser les gènes des plus grands héros de l’Imperium (ici, rien de moins que Macharius himself, dont on aurait prélevé la semence à son insu*) pour créer des super soldats. Pour des raisons mystérieuses, il s’est toutefois avéré que ces derniers, pour très doués qu’ils se révèlent être, souffraient d’une malchance terrible, ce qui a mené à la rapide disparition de tous les cobayes après quelques succès prometteurs. Plus d’infos dans le WD#131.

Vous aviez trouvé? Bravo, vous êtes un vrai spécialiste dans un domaine rigoureusement inutile, et vous irez loin dans la vie sous réserve que cette dernière soit en pente. Si non, tant pis, vous n’êtes qu’un être humain presque normal (car un être normal ne serait pas en train de lire ces lignes, soyons honnêtes), mais je vous aime bien quand même.

Pour en revenir à nos deux moutons noirs blancs noirs, s’ils n’occupent pas un rôle de tout premier plan dans la série, ils font toutefois partie des Last Chancers les plus iconiques, et pas uniquement à cause du prénom particulier de la demoiselle. On notera au passage qu’ils sont, de son propre aveu, les personnages préférés de l’auteur, ce qui n’a pas empêché Gav de les faire mourir de la manière la plus cavalière/douloureuse qui soit. Qui aime bien…

*: « Mais, qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? Et pourquoi vous avez les mains sur mon -»
«Ah, pardon, je croyais que c’était la télécommande de la climatisation. Héhé. »

Les Last Chancers de 13th Legion: Ramassis de fripouilles et de canailles de la plus belle espèce, les premiers Last Chancers sont les sujets non consentants d’une expérience sociologique menée par Schaeffer et Oriel, et qui peut être résumée de la façon suivante : prenez 4000 criminels endurcis, et balancez les sur les missions les plus pourries que vous puissiez imaginer, jusqu’à ce que ne reste qu’une poignée de survivants complètement barges. Confiez ensuite à ce reliquat psychotique et instable la tâche d’infiltrer une cité rebelle afin d’en surcharger les réacteurs à plasma. Occupez les trois années nécessaires à ce processus d’affinage à courir après le Genestealer que vous avez malencontreusement libéré à l’intérieur de ladite cité, et dont la rébellion est donc entièrement de votre faute. Tout simplement brillant! Wait…

Même si la plupart des camarades de Kage sont davantage esquissés que réellement dépeints en profondeur, je reconnais volontiers que Thorpe a bien réussi à individualiser ses personnages, dont la mort ne laisse donc pas aussi indifférent que ce qu’on pourrait penser de prime abord. Entre Franx, l’ancien paysan incapable de construire une phrase grammaticalement correcte, Kronin, l’aliéné ne s’exprimant plus que par des citations tirées du crédo impérial, Linskrug, le noble esclavagiste rêvant de prendre sa revanche sur ses anciens rivaux (Jorah Mormont, anyone ?), Rollis, la petite frappe que tout le monde déteste et prend plaisir à dérouiller, ou encore Striden, liaison terrain des artilleurs de la flotte impériale ayant rejoint les Last Chancers au début de leur mission finale parce qu’il n’avait littéralement rien d’autre à faire, c’est une ménagerie haute en couleurs que nous propose Gavin. Seul survivant (ou presque) de ce premier casting, Kage se considérera par la suite comme le dépositaire de la mémoire de ses camarades défunts, conviction qui le fera osciller entre mélancolie suicidaire et fureur de vivre animale au cours des deux autres tomes de la série.

Les Last Chancers de Kill Team: Alors que leurs défunts prédécesseurs avaient subi un écrémage en règle avant que ne se dessine l’ossature de l’escouade chargée de l’infiltration de Coritanorum, les Last Chancers du deuxième tome de la saga ont l’insigne privilège d’être sélectionnés directement par Kage parmi les pensionnaires du réservoir de talents de Schaeffer (une prison de haute sécurité où le colonel envoie les malheureux dont il pense pouvoir avoir besoin un jour, sans que la gravité de ce qui leur est reproché ne soit réellement prise en compte*), puis impitoyablement entraîné par ce dernier avant de partir en mission. Ce processus de recrutement, très différent de celui à l’œuvre dans 13th Legion, est de l’aveu de Gavin Thorpe, un clin d’œil appuyé aux 12 Salopards, modèle dont l’auteur avait cherché à se démarquer dans le premier opus.

Conséquence logique de ce draft introductif, les Last Chancers de Kill Team excellent tous dans un domaine précis, alors que les précédents n’étaient ni plus ni moins que les ultimes survivants du processus de décantation sadique de Schaeffer. On retrouve donc une tireuse d’élite ayant prêté le serment d’Hippocrate (elle refuse de se servir de ses armes pendant la plus grande partie du roman), un ex-commissaire au profil de gendre idéal, un ingénieur que l’on aurait pu considérer comme une copie conforme du Humpty Dumpty de Living Hell #2 (comprendre qu’il ne peut s’empêcher de démonter et « d’améliorer » les machines qui lui tombent sous la main), n’eut été le fait que Kill Team a été publié avant le comics de DC ; un expert en démolition, un scout, un pilote et un médecin. La construction du roman, leur relation de soldats à gradé vis-à-vis de Kage (qui ne noue pas des liens aussi forts avec ses « recrues » qu’avec ses anciens frères d’armes), la longue partie consacrée à la description de la société Tau, et la présence d’Oriel durant toute la durée de la mission sont autant de facteurs résultant en la mise au second plan de cette seconde fournée de Last Chancers, qui s’avère être globalement moins marquante que la précédente. On notera tout de même qu’il s’agit de la « promotion » ayant obtenu le meilleur ratio de survie de ses membres de la série (deux pardons accordés pre-mortem).

* : En clair, t’as pas intérêt à quitter la cantine sans débarrasser ton plateau quand Schaeffer est dans les parages, surtout si tu es un expert reconnu dans ce que tu fais. C’est un coup à se retrouver muté dans la 13ème Légion Pénale en moins de deux.

Les Last Chancers de Annihilation Squad: Pour cet ultime volet, Thorpe retourne à ses premières amours et choisit de faire passer à ses Last Chancers un casting similaire à celui utilisé dans 13th Legion, mais à une échelle moindre : au lieu de commencer avec un régiment complet de 4.000 hommes, Schaeffer doit en effet composer avec une trentaine de légionnaires, nombre qui sera rapidement divisé par trois afin d’obtenir un groupe de la taille requise. Outre un Kage passablement blasé, et dont l’ascendant sur ses petits camarades semble plus tenir à son statut de vétéran qu’à un rang quelconque, on retrouve un prodige du lance-roquette incontinent (Brownie Dunmore), un ancien para d’élite un peu snob (Festal Kin-Drugg), un Navigateur tout à fait snob (Kelth)*, un Intouchable mais pas tout à fait en fait (Gideonwink winkOahebs), un scribe ne parlant presque que par questions (Erasmus Spooge, premier et unique Last Chancer imposé à Schaeffer, qui ne l’aurait certainement pas intégré dans sa fine équipe sinon), un chasseur d’Orks des jungles d’Armageddon agoraphobe « recruté » en cours de route (Golder Fenn), et un mystérieux revenant d’un épisode précédent, dont l’identité peut être établie d’un simple regard sur la couverture du bouquin.

En plus des profils classiques de Last Chancers (Brownie, Kin-Drugg, Fenn, Kage), Thorpe a donc également inclus des personnages dont il avait besoin pour conclure son cycle de manière cohérente (Oahebs et Kelth, respectivement contrôleur et révélateur des capacités psychiques de Kage), ainsi qu’un type relativement normal (Spooge) afin de tirer sur la veine du buddy movie. Le résultat est assez plaisant, chacun remplissant son rôle de manière convenable au fil des différents tableaux se succédant au fil des chapitres.

*: que Schaeffer s’obstine à conserver dans le groupe durant tout le roman, pour la bonne et simple raison qu’on ne sait jamais, ça peut servir.

Herman von Strab: Même s’il n’apparaît qu’à la fin de Annihilation Squad, l’ancien gouverneur planétaire d’Armageddon s’avère néanmoins être un personnage crucial de la série, tant par son influence sur l’intrigue du dernier roman que par sa personnalité baroque et perverse, magnifiquement retranscrite par Thorpe. Apparaissant tantôt comme un despote sanguinaire et abruti par une ascendance fortement consanguine, tantôt comme l’otage impuissant et repentant des envahisseurs Orks d’Armageddon, et tantôt comme un fin stratège parfaitement conscient de son importance au niveau symbolique pour les deux camps et tout prêt à négocier son allégeance, von Strab est sans doute le personnage secondaire le plus réussi de la série.

Dignitaires Tau: Pas grand-chose à dire sur le sujet, mis à part que l’amiral créé par Gav porte le nom kikoolol d’El’Savon. Si si.

.

Le fluff:

Si le premier tome n’est guère riche en informations intéressantes pour le fluffiste acharné, mis à part quelques éléments épars (extraits du Credo Impérial cités par Kronin, durée moyenne de service d’un régiment de la Garde Impériale, processus d’élection d’un Warmaster), les deux suivants en sont en revanche bourrées. Kill Team permet ainsi à Thorpe de brosser un portrait détaillé de la société Tau et de passer en revue de multiples aspects de cette dernière : technologie, philosophie, politique, régime alimentaire, architecture, cohabitation avec d’autres espèces… Il y en a vraiment pour tous les goûts. Dommage que le rythme de l’action s’en trouve considérablement ralenti.

Annihilation Squad est quant à lui consacré à la situation d’Armageddon au cours de la Troisième Guerre, avec un focus sur les fameux chasseurs d’Orks opérant dans les jungles de la planète et la complexe organisation sociale à l’œuvre dans la cité-ruche d’Acheron, prise par les Orks et gouvernée par leur allié/otage Herman von Strab. N’espérez pas y trouver des révélations fracassantes sur le futur de ce conflit, que GW se gardera bien de faire se terminer avant longtemps (à moins que les ventes de 40K baissent à tel point qu’il faille recourir à une astuce du type End Times pour les relancer), mais si ce théâtre d’opérations vous intéresse, il y a de très fortes chances pour que vous trouviez de quoi vous mettre sous la dent à la lecture du troisième tome de la série.

.

Mon avis (que je partage):

La première série de Gavin Thorpe pour la Black Library est un objet littéraire intéressant à plus d’un titre. D’abord parce que s’y trouvent des passages que l’on ne trouve pas, et ne trouvera sans doute jamais, dans le reste des publications de la BL : Kage est un véritable ovni parmi les héros de romans GW, et même s’il a tendance à se « normaliser » dans le dernier tome, il réserve au lecteur quelques plaisantes surprises.
Ensuite, car il permet d’évaluer le reste de la bibliographie de Gav avec des yeux neufs. Sans pouvoir être qualifié de mètre étalon de la production de Thorpe, cet omnibus est suffisamment représentatif de la prose de notre homme pour que l’on puisse bien se rendre compte des progrès qu’il a faits depuis le début de sa carrière d’auteur professionnel. Certes, il reste encore des points à corriger (ce qui est le cas pour tous les auteurs de la BL, même ceux du peloton de tête), mais je ne crois pas me tromper en affirmant que ses derniers romans ont été globalement mieux accueillis que ses premiers, et que cette évolution favorable est en grande partie due à la montée en puissance de Thorpe en tant qu’écrivain. Cette évolution est d’ailleurs perceptible même au niveau de ce premier cycle, Annihilation Squad étant dans l’ensemble un meilleur ouvrage que 13th Legion (dénouement trop rapide mis à part).
Enfin parce que, tout compte fait, et en dépit des critiques formulées tout au long de cette chronique, la saga Last Chancers répond plutôt bien au cahier des charges de la Black Library, à savoir proposer aux lecteurs d’honnêtes romans de gare se déroulant dans les univers de Games Workshop. Au prix dérisoire où l’on peut trouver ces bouquins sur le marché de l’occasion, leur acquéreur fera quoiqu’il arrive une bonne affaire.

Au final, même si je ne recommanderais pas cette série au lecteur occasionnel de la Black Library, tant il est vrai qu’il existe une ribambelle de publications de meilleure qualité dans lesquelles claquer son argent durement gagné, je pense sincèrement que le fanboy initié et curieux pourrait bien trouver un plaisir coupable à la lecture de cet omnibus. Tu vois, le monde se divise en deux catégories…