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HAMMER AND BOLTER [N°12]

Et bien voilà, nous y sommes enfin. Un peu moins de trois années auront été nécessaires au bouclage de la revue critique des douze premiers numéros de Hammer & Bolter, travail de longue haleine plusieurs fois mis en suspens, et que je suis soulagé de terminer une bonne fois pour toutes. Même si le successeur d’Inferno! a rejoint son illustre aîné dans la tombe après à peine plus de deux ans d’existence (pour rappel, Inferno! a été publié de 1997 à 2004), son impact sur la Black Library a été significatif, notamment parce qu’il a permis à une nouvelle génération d’auteurs de faire ses premières armes à une échelle moins intimidante (mais pas moins exigeante) que le pavé de 300 pages qui demeure encore aujourd’hui le produit phare de la maison. Et même si les quelques 34 nouvelles (sans compter les extraits de romans, et le feuilleton du Phalanx) se sont révélées être de qualité inégale, le rapport qualité prix du webzine, les quelques pépites disséminées dans ce dernier, et le plaisir sadique éprouvé lors de la chronique des plus beaux ratages littéraires des plumes de la BL, me font regretter la disparition précoce de Hammer & Bolter. Les grands bouleversements promis dans un futur proche au sein de l’organisation de GW mèneront peut-être à sa résurrection, ou à sa réincarnation sous une nouvelle forme, mais d’ici là, il me reste encore 14 numéros à passer à la moulinette, ce qui, au vu de mon train de tortue sénatrice et cumularde, devrait me tenir occupé au moins jusqu’en 2017. Il y a de la marge.

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Venons en donc à l’objet de cette ultime critique de l’an 1, le douzième numéro de Hammer & Bolter. En haut à droite de l’Archiviste Salamanders en train de danser la Macarena*, trois noms se détachent sur la couverture. Et quels noms : Sarah Cawkwell, Ben Counter et Gavin Thorpe, aussi connus sous les noms de Mme Laborieuse, Mr Bourrin et Mr Too Much. Un casting trois étoiles donc, ce qui, divisé par le nombre de sections du numéro (c’est à dire six), nous donne une bonne idée de la qualité globale de ce dernier : pas folichonne, à première vue tout du moins. Chacun des trois auteurs cités plus haut ayant contribué à Hammer & Bolter au cours de l’année écoulée, j’avais déjà une petite idée de ce que j’allais trouver dans les pages du webzine, et je dois reconnaître que l’idée de lire une nouvelle de Gavin Thorpe traitant du destin d’Aenarion (attendez, je la refais pour vous mettre dans l’ambiance, « traitant du destin d’Aenarion»), une interview et la conclusion (étalée sur deux chapitres) du Phalanx de Ben Counter et quoique ce soit de Sarah Cawkwell ne m’inspirait pas plus que ça. Que voulez-vous, le lot d’un chroniqueur n’est pas toujours enviable. Tout le monde ayant le droit à une deuxième/quatrième/treizième chance, il n’était toutefois pas question de se laisser décourager par le caractère fastidieux et ingrat de la tâche à venir. Comme on le verra plus tard, on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise.

*: Vous ne me ferez pas croire qu’il s’agit d’une posture martiale digne du guerrier ultime de la galaxie. Je ne vois pas contre quel type d’ennemi le type de garde « bras croisés, pistolet relevé » pourrait se révéler efficace. Même les sbires des films de Michael Bay sont plus crédibles, c’est dire.

Bitter End – S. Cawkwell [40K] :

Bitter EndSarah Cawkwell nous revient avec une histoire qui, pour une fois, fait l’impasse sur ses chers Silver Skulls, ce qui, en soi, est déjà une bonne nouvelle (de l’habitude naît l’ennui). Ayant été chargée par ses éditeurs d’écrire un roman (The Gildar Rift, dont le premier chapitre figure également au sommaire de ce numéro) mettant aux prises les ennuyeux condisciples du bon capitaine Gileas Ur’Ten avec les Red Corsairs de Huron Sombrecoeur, Cawkwell a semble-t-il poussé le zèle jusqu’à rédiger une nouvelle centrée sur le fameux tyran de Badab, afin de pouvoir s’approprier au mieux la personnalité du bonhomme. Le lecteur est donc invité à marcher dans les traces de l’ancien maître de chapitre des Astral Claws lors d’un de ses raids sur l’Imperium, ce qui s’avère être plus plaisant que d’accompagner Ur’Ten dans ses pérégrinations galactiques : le simple fait de suivre une figure bien connue du fluff au lieu d’un capitaine Space Marines lambda aiguise l’attention du lecteur, qui peut enfin se raccrocher à un élément familier au lieu de patauger intégralement dans l’imaginaire tortueux de Sarah Cawkwell. Première satisfaction.

Notre propos débute sur un agrimonde en déréliction (faut dire qu’après un Exterminatus, même le maïs Monsanto a du mal à pousser), sur lequel, comme tous bons méchants de série B, Huron et son « partenaire » , un dénommé Dengesha, meneur d’une cabale de sorciers ayant fait scission de la légion des Word Bearers, se retrouvent pour parler affaire. Le Huron de Cawkwell est en effet décrit comme une sorte de parrain mafieux en armure énergétique, tout prêt à conclure des deals léonins avec quiconque est assez fou pour penser qu’il tiendra sa parole (ce qu’il semble faire rarement). On est assez loin du personnage décrit par Chris Pramas dans la nouvelle Into The Maelstrom (collectée dans le recueil du même nom), sociopathe certes rusé mais visiblement peu intéressé par la négociation, mais pourquoi pas. Huron a besoin des services de Degensha et de ses potes pour une raison très terre à terre : plus il s’éloigne du Maelstrom, plus la protection accordée par son Hamadrya décroît. Il souhaiterait donc raccorder une batterie psychique (une âme quoi) à son petit animal de compagnie afin de pouvoir aller piller hors de sa zone de confort en toute sécurité. Sors couvert, t’as bien raison mon p’tit Huron. Les psykers du tyran n’étant apparemment pas capables de réaliser l’opération tous seuls (qui pourtant me semble être le B-A BA du sorcier du Chaos), ce dernier vient demander l’aide de Degensha*, qui en retour de ses services recevra le contrôle du monde sur lequel Huron a localisé l’âme qui servira de Duracell à son crapaud de compagnie. Tope là mon gaillard, cochon qui s’en dédit.

La deuxième partie de la nouvelle décrit l’attaque des Red Corsairs sur le monde en question, afin de mettre la main sur une certaine sœur Brigitta de l’ordre de la Rose de Fer, parangon de justice et de bonté, mais leader militaire épouvantable. Après avoir laissé toutes les Forces de Défense Planétaire à proximité se faire laminer sans lever le petit doigt (envoyer ses forces au compte-goutte contre des Space Marines du Chaos, c’est vrai que c’est une stratégie tout à fait viable), notre pauvre Chanoinesse décide en effet de faire un dernier carré au cœur du temple de l’ordre, soi-disant pour préserver ce dernier de la profanation des forces du Chaos. D’instinct, j’aurais plutôt tendance à penser qu’un échange nourri de bolts à l’intérieur d’un lieu saint a plus de chances de dévaster l’endroit qu’autre chose, mais peut-être qu’au 41ème millénaire, ça ne fait que rajouter du cachet à la décoration intérieure. Enfin, Brigitta ne semble pas penser un seul instant qu’elle et ses sœurs ont la moindre chance de prévaloir face à leurs assaillants, ce qui témoigne d’une foi en l’Empereur assez vacillante, bien loin du fanatisme que l’on attend de la part de l’Adepta Sororitas. Je ne sais pas pour vous, mais si mon supérieur passait son temps à répéter : « Ah les gars, qu’est-ce qu’on va prendre cher, mais essayons de mourir dignement », j’aurais peut-être tendance à déprimer. On est loin de la Soeur Aescarion de Counter, qui s’enquille des Space Marines comme qui rigole. De là à qualifier la Rose de Fer d’ordre mineur, voire minable, il n’y a qu’un pas que je serais bien tenter de franchir. Toujours est-il que Huron s’empare sans trop de difficulté de son trophée, et l’usage qu’il en fera en surprendra plus d’un**.

Malgré les quelques ratages listés plus haut (et soyez sûrs que j’en ai laissé quelques uns de côté pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur), Bitter End s’impose facilement comme la meilleure production de Sarah Cawkwell à date, ce qui n’est pas grand chose, tenons-nous le pour dit, mais qui prouve amplement que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. On ne peut qu’apprécier cette lente montée en puissance de Miss Cawkwell, qui doit maintenant consolider ce nouveau niveau d’écriture et s’efforcer de ne pas retomber dans ses travers passés. You go girl, you go.

*: Degensha qui ne semble pas être non plus le plus dégourdi des pratiquants des arts occultes : après cinq mille ans d’études du Chaos, n’être pas foutu de déterminer l’origine d’un bouclier psychique, ce n’est pas franchement brillant. Je suppose qu’il a du retaper quatre mille neuf cent quatre-vingt dix-huit fois sa deuxième année de BTS sorcellerie.
** : Et oui, vous ne rêvez pas, Sarah Cawkwell nous a bel et bien concocté un twist final. Grossier certes, mais étant donné le passif de la demoiselle, il s’agit d’une agréable surprise (un peu comme si le collier de nouilles confectionné par votre cher bambin pour votre fête présentait des couleurs assorties : du progrès dans la médiocrité).

Aenarion – G. Thorpe [WFB] :

AenarionLes penchants pour le grandiose du sieur Thorpe en matière de littérature sont aujourd’hui bien connus. Si cette capacité à auréoler de grandeur la moindre action d’un personnage est appréciable lorsque ce dernier est effectivement un être d’exception, elle peut cependant vite prêter à rire dès lors qu’elle n’est plus équilibrée par une salutaire sobriété à un moment ou à un autre. Lorsque le héros de l’histoire s’appelle Aenarion, premier Roi-Phénix et probablement le mortel le plus puissant à avoir jamais foulé le monde de Warhammer, que les side kicks répondent aux noms d’Idraugnir, Caledor ou Eoloran (roi des Anars, elfe liiiiiiiiiibre), et que Gavin Thorpe est aux commandes, on est en droit à s’attendre à un résultat tenant plus de la chanson de geste médiévale que de la nouvelle d’heroic fantasy. Chose promise, chose due : prépare-toi lecteur à une édifiante leçon de vie, qui élèvera ton âme misérable à un niveau insoupçonné.

Tout commence par quelques paragraphes qui n’auraient pas dépareillés dans la section background du dernier Livre d’Armée Hauts-Elfes, Thorpe retraçant rapidement de sa prose emphatique l’origine de la guerre entre les démons et les Zoneilles. Cette introduction se termine sur un avertissement sans frais : ce qui suit n’est rien moins que le moment le plus important de cette guerre, et donc de l’histoire de Warhammer, et donc de l’histoire de Games Workshop, et donc de l’histoire de l’Angleterre, et donc de l’histoire du monde. Il n’est pas trop tard pour faire demi-tour, lecteur impudent.
Nous voilà donc à la gorge de Caethrin, pas loin de la forge de Vaul. Une armée elfique est réunie pour faire ce qu’elle fait depuis une bonne centaine d’années : poutrer du démon. Particularité de l’ost d’Ulthuan, il ne semble n’être composé que de nobles et de princes, chacun stuffé comme un Sud Coréen sur World of Warcraft. La horde démoniaque compense par un écrasant avantage numérique, qui, on s’en doute, ne va pas peser lourd face à l’awesomeness généralisée de ses adversaires. Et en effet, la bataille qui s’ensuit tient plus du massacre de bébés phoques sur la banquise arctique que de l’affrontement équilibré. Caledor invoque des Soleils Violets apocalyptiques sur 2+ relançables, Eoloran brandit une version upgradée de la Bannière du Dragon Monde (tous les démons dans un rayon de 50 pas se prennent 15D6 touches de force 19), Idraugnir carbonise des centaines d’adversaires à chaque attaque de souffle, la moindre flèche elfique se révèle être une grenade vortex et tout le monde a le coup fatal héroïque. Et Aenarion, me demandez-vous ? Et bien, mes amis, Aenarion se fait chier, car il ne trouve pas le plus petit démon majeur à se mettre sous la dent.

D’ailleurs, cette absence lui semble assez suspecte, et il en fait part à ses conseillers lors du traditionnel pot d’après bataille (laquelle se termine sur le score sans appel de 865.942 à 0 pour les locaux*). Caledor en profite pour remettre sur le tapis une discussion qui traîne depuis un petit siècle, la création d’un vortex qui permettrait de se débarrasser une fois pour toutes des démons. Ce à quoi Aenarion répond que, minute papillon, t’es pas un peu fada de vouloir bannir la magie d’Ulthuan, étant donné que sans ça, on se serait fait exploser dans les grandes largeurs depuis belle lurette ? Et Caledor de contrer en disant que c’est le seul moyen de régler le problème définitivement, puisque les démons respawnent avec une régularité de mob dans une zone de didacticiel. Non franchement, sauf ton respect mon roi, tu me donnes le feu vert et je te concocte un enchantement aux petits oignons en deux temps, trois mouvements**. Ces agréables mondanités sont brutalement interrompues par l’arrivée d’un messager, qui vient confirmer le pressentiment d’Aenarion : l’armée écrasée par les Elfes dans la journée n’était qu’une diversion, le véritable objectif des démons était Averlorn, qui a été ravagé par les rejetons du Warp. Plus grave, toute la smala du Roi Phénix est supposée avoir péri dans la catastrophe, ce qui plonge l’auguste souverain dans le désespoir et le lecteur dans l’incompréhension.

De deux choses l’une : puisqu’Ulthuan est saturée de magie et que les démons sont libres de se matérialiser où bon leur semble (et sous-entendu que les Elfes soient au courant de ce point de détail, ce qui devrait être le cas étant donné que Caledor n’est rien de moins que le plus grand mage Elfe de tous les temps), soit Aenarion a commis une erreur stratégique impardonnable en prenant toute son armée avec lui et en laissant le reste du territoire à la merci des démons (auquel cas, bien fait pour sa tronche), soit il existait jusqu’à récemment une règle de fair play implicite entre les belligérants, stipulant qu’on avait pas le droit de s’en prendre aux villes non défendues (ce qui serait chevaleresque de la part des démons). Quoi qu’il en soit, Aenarion pète une durite, fracasse son trône, déchire sa bannière*** , se met une coquille d’œuf de dragon sur la tête et s’en va en hurlant que vraiment, c’est trop injuuuuuste et puisque c’est comme ça, il va aller chercher l’Epée de Khaine sur l’Île Blafarde et devenir Smaug (« I will become Death »). Ses conseillers tentent de lui faire comprendre que c’est peut-être pas la meilleure idée qu’il ait eu, Caledor se fendant même d’un petit poème prophétique en vers de huit pieds pour l’occasion. Las, Aenarion enfourche Idraugnir et part pour le Nord, à la rencontre de son funeste destin !

C’est à partir de ce moment que la nouvelle bascule dans une autre dimension, Thorpe reprenant les codes de l’épopée mythique pour terminer son récit. Exemple gratuit : pendant son voyage, Aenarion est abordé à quatre reprises par des démons lui conseillant de faire demi-tour (c’est sûr que quand les responsables de la mort de toute ta famille viennent te voir pour te supplier de ne pas faire quelque chose, tu te dépêches de leur obéir), ce qui donne lieu au même dialogue répété et légèrement adapté quatre fois de suite. Après avoir essuyé une tempête, frôlé la noyade et rembarré le fantôme de sa femme, Aenarion atteint enfin son objectif et extrait la Faiseuse de Veuves de sa gangue de pierre. Et Gav Thorpe d’achever son œuvre par le genre de petite phrase satisfaite dont il a souvent l’usage : « Le sort des Elfes venait d’être scellé. » Fin.

Bref, une overdose de grandiloquence qui ne réconciliera certainement pas les Elfes avec ceux qui les trouvaient déjà pompeux et vains, et risque au contraire de faire sensiblement progresser la proportion des elfophobes parmi les lecteurs de la BL. À réserver à un public averti, ou avide de voir jusqu’à quel niveau Mr Thorpe peut élever son emphase. Ceux-là ne seront certes pas déçus.

*: Oui, vous avez bien lu, les démons n’ont tué aucun Elfe. Qui a dit que leur Livre d’Armée était fumé ?
** : Je vulgarise le propos, le dialogue original étant autrement plus chiadé que ma misérable prose. N’est pas Gav Thorpe qui veut.
*** : Oui, celle qui dissout les démons à cinq cent mètres à la ronde. Heureusement qu’Aenarion n’était qu’un sale gosse incapable de gérer la contrariété, sinon Warhammer aurait été encore plus déséquilibré qu’il ne l’est aujourd’hui.

The Gildar Rift – S. Cawkwell [40K] :

The Gildar RiftAprès lecture du chapitre présenté en exclusivité dans Hammer & Bolter, le premier roman de Sarah Cawkwell, The Gildar Rift (ou La Faille de Gildar en version française) semble construit sur un équilibre fragile, non rompu à l’issue des quelques pages mises à disposition du lecteur, mais qui pourrait voler en éclat en un battement de cils. Pour clarifier mon propos, le bouquin a (d’après ce que j’ai pu en lire) une grande force et une grande faiblesse, toutes deux laissées au stade de potentialité à la fin de ce fameux chapitre, et dont la répartition finale décidera de la qualité globale du livre.

Pour commencer par ce qui fâche, le principal risque que court The Gildar Rift est que son auteur ne se révèle égale à elle-même. Dans le cas qui nous intéresse, l’auteur en question s’appelle Sarah Cawkwell, et ce nom n’est pour le moment pas gage d’une littérature très relevée, même en se basant sur les standards de la BL. Sur les quatre nouvelles soumises par la demoiselle à Hammer & Bolter jusqu’ici, trois se sont révélées être d’une banalité sans nom, d’un style quelconque et d’un intérêt proche du néant. Si Bitter End relève quelque peu le tableau, la moyenne de l’ensemble tourne tout de même autour de l’à peine passable, ce qui ne donne pas vraiment confiance au moment de sortir la carte bleue. Tout aussi préoccupant, la participation des Silver Skulls au récit fait craindre que ce dernier ne ressemble aux trois nouvelles insipides consacrées par Miss Cawkwell au Chapitre du désormais tristement célèbre Gilteas Ur’Ten (petite consolation, il semble à première vue que le bonhomme n’apparaît pas dans le bouquin, le rôle du leader Space Marines revenant à un certain Arrun, qui pourrait avoir une personnalité un peu plus savoureuse que celle de son comparse). Si cela devait être le cas, je ne pense pas que quiconque ait envie de se pencher plus avant sur la faille de Gildar, à moins d’y être contraint. En face des vertueux défenseurs de l’Imperium, on trouve les affreux Red Corsairs, menés par Huron en personne, et même si les personnages présentés jusqu’ici n’inspirent pas franchement l’enthousiasme (Taemar, qui semble tout droit sorti du moule générique des Space Marines du Chaos, sans aucun autre signe distinctif que son patronyme, et Garreon le Maître des Corps, ersatz d’Urien Rakarth en armure énergétique), c’est tout de même en eux que repose la meilleure chance de Cawkwell de rendre une copie convenable, la demoiselle ayant prouvé par le biais de Bitter End qu’elle était capable d’animer les sbires du maître du Maelstrom avec un certain succès.

Passons maintenant à l’opportunité la plus prometteuse de ce début de roman, dont la réalisation pourrait accoucher d’une œuvre sans pareille mesure avec le reste de la production littéraire de Sarah Cawkwell. Pour en venir directement au fait, je pense que si elle parvient à équilibrer son propos entre les forces en présence, qui ont toutes deux déjà été présentées comme les protagonistes de précédentes nouvelles (Primary Instinct, Action And Consequence, Cause And Effect pour les loyalistes et Bitter End pour les renégats), sans prendre parti pour un des camps, le résultat ne pourra être qu’intéressant, quand bien même le style et l’intrigue resteraient en deçà de ce que fait la concurrence. Ce canevas bipartite est certes difficile à mettre en place, et nécessite en particulier des personnages auquel le lecteur peut s’identifier chez les « gentils » comme chez les « méchants » (quand bien même une telle distinction ne tient plus si l’auteur fait bien son boulot), mais il présente l’intérêt de créer une tension narrative permanente, comme l’ont démontré Les Cavaliers de la Mort de Dan Abnett et Déluge d’Acier de Graham McNeill.

Au final, si ces quelques pages n’ont pas éveillé en moi le besoin pressant de connaître la suite du roman, je suis bien incapable de me prononcer sur la qualité de ce dernier. Et même si les probabilités penchent fortement en faveur d’un résultat médiocre (la côte, à date, reste de 1 nouvelle potable pour 3 mauvaises), je suis tout prêt à laisser à Miss Cawkwell une nouvelle chance de les faire mentir. On n’est plus à ça près.

Phalanx – ch. 13 & 14 – B. Counter [40K] :

PhalanxEt nous y voilà enfin. Après onze numéros et douze chapitres à suivre les tribulations des Soul Drinkers et de leurs geoliers à l’intérieur de Phalanx, voici que se profile à l’horizon la conclusion du dernier roman de la série de Ben Counter. Qu’on aime ou pas cette dernière, ce n’est pas sans un petit pincement au cœur qu’on la laissera derrière soi, une fois la dernière page lue. Mais trêve de pleurnicheries précoces, il reste encore deux chapitres à disséquer.

À propos de chapitre, celui des Soul Drinkers a fondu comme neige au soleil au cours des pages, si bien que des 70 évadés des geôles du Phalanx ne restent plus que Sarpedon, Pallas, Graevus et Luko. S’il est entendu que le premier a personnellement trucidé la vingtaine de Marines qui formaient la garde personnelle d’Iktinos, Counter ne donne aucune explication quant à la disparition de la petite cinquantaine de Soul Drinkers encore loyaux à leur commandant. Mettons-la sur le compte des démons d’Abraxes et tenons-nous en là, mais tout de même mon petit Ben, tu aurais pu tenir tes comptes un peu plus sérieusement.
Si je n’ai pas compté le Chapelain renégat parmi les Soul Drinkers survivants, c’est parce que le pauvre Iktinos tombait désormais sous la coupe de la loi Leonetti : brûlé au douzième degré et psychiquement lobotomisé par les bons soins de Sarpedon, le bras droit de Daenyathos n’était plus qu’une coquille vide et fumante de Space Marines, que son adversaire éjecte du Phalanx par un sas de décompression. Ainsi disparaît Iktinos, fils d’on ne sait pas trop qui.

Un peu plus loin, le reste du chapitre, accompagné par une escouade d’Imperial Fists, l’Archiviste Varnica et cette bonne vieille Aescarion s’engage avec prudence sur le Chemin des Égarés, sorte de boyau dérobé au sol jonché de vieux appareils de torture (ça doit être l’équivalent des mouchoirs que l’on retrouve sous le matelas des ados pour ces grands malades de Fists). L’endroit ayant un passé assez chargé en matière de sévices en tous genres, l’arrivée d’Abraxes et de ses larbins a provoqué l’apparition de spectres pas très jouasses, en particulier un certain « Vizir » serpentin, qui ne trouve rien de plus marrant que de posséder le premier Marine qui lui tombe sous la griffe, jusqu’à Varnica ne le boute hors de son nouvel hôte (opa Gandalf style). Cette péripétie mineure ne ralentit pas notre fine équipe, qui avance laborieusement dans les entrailles du Phalanx comme Rogal Dorn lui-même put le faire dix mille ans plus tôt à bord du Vengeful Spirit à la fin du siège de Terra ! Cette analogie ne réussit cependant pas des masses aux Imperial Fists, qui, en tant que PNN (personnages non nommés) sont les premiers à se faire boulotter par les créatures farceuses qui peuplent l’endroit. Le point d’orgue de cette odyssée en sous-sol est atteint lorsque tout ce petit monde atteint le Panpsychicon, l’équivalent futuriste et hautement perfectionné de la méthode Ludovico d’Orange Mécanique, conçu pour faire se mettre à table les psykers récalcitrants. Lorsque la machine se met en marche et commence à brainwasher le capitaine Luko, Counter peut se livrer à un exercice dans lequel il excelle, mais auquel il ne s’adonne malheureusement que trop rarement : le délire onirico-apocalyptique. Ceux qui ont eu l’occasion de lire le dernier volet de la trilogie Grey Knights, Hammer of Daemons, peuvent témoigner de la maestria avec laquelle Ben est capable de dépeindre les visions enfiévrées induites par le Warp, et regretteront avec moi la parcimonie avec laquelle il use de ce talent remarquable.

Toujours est-il qu’après avoir rebooté la machine infernale à coups de hache énergétique, la poignée de survivants finit par arriver devant son objectif final : le portail par lequel les démons ont débarqué sur le Phalanx. Pas de bol, Abraxes en personne les attend pour une partie de ping pong, au cours de laquelle il fend en deux le pauvre Apothicaire Pallas d’un revers slicé mal ajusté. Ainsi disparaît Pallas, fils de on ne sait pas trop qui. La mêlée confuse qui s’engage donne l’occasion à Reinez de refaire son apparition, juste au bon moment car Varnica réalise – un peu tard – qu’il ne pourra pas fermer le portail sans utiliser du sang de Rogal Dorn, ou à défaut, celui d’un de ses descendants. L’escouade d’Imperial Fists accompagnant l’expédition ayant depuis longtemps rejointe la droite de l’Empereur, c’est Reinez qui donne de sa personne pour tarir le flux démoniaque, s’offrant du même coup une sortie de scène digne du héros altruiste qu’il n’a jamais été dans les bouquins*. À la suite de péripéties martiales rigolotes dont je vous passe le détail, Abraxes finit coupé en deux par son propre portail, ce qui permet à Vladimir, Lysander et au reste des Space Marines du Phalanx de concasser l’ost démoniaque sans trop de problèmes. Au moment des retrouvailles, Luko et Graevus préfèrent s’exiler dans le Warp plutôt que de regagner les cellules du Phalanx, et passent donc le portail clopin-clopant sous le regard bienveillant de Lysander**. Ainsi disparaissent Luko et Graevus, fils d’on ne sait pas trop qui.

Et Sarpedon dans tout ça, me demanderez-vous ? Et bien notre Spiderman en armure énergétique reparaît peu de temps après, considérablement amoché par le combat qu’il a livré à Daenyathos, mais victorieux et traînant derrière lui le corps atrophié de son ennemi (qui semble pouvoir survivre hors de son caisson sans trop de problèmes). Comme lui non plus n’a pas franchement envie de retourner en tôle, il ré-ouvre le portail d’Abraxes*** par la seule force de son esprit et le franchit en criant quelque chose comme « Hasta la vista baby », au nez et à la barbe de Vladimir et de ses larbins. Ainsi disparaissent Sarpedon et Daenyathos, fils d’on ne sait pas trop qui, et avec eux le chapitre des Soul Drinkers. Émotion.

Voilà donc qui conclut le roman Phalanx ainsi que la saga Soul Drinkers. En dépit de toutes les piques que j’ai pu décocher à Ben Counter au cours des chroniques précédentes, je dois avouer que le gaillard a su s’y prendre pour dérouler son histoire, et que cette dernière était d’assez bonne facture (en particulier le dernier chapitre, à forte tendance lacrymale, si tant est qu’on ait suivi l’épopée de Sarpedon et de ses potes depuis le début), malgré les nombreuses incohérences ou bizarreries égayant ses pages. L’avenir dira si le duo Abnett-Vincent réussira à livrer un feuilleton d’un niveau au moins égal à celui proposé par Counter au cours de la première année de Hammer & Bolter. Rendez-vous au prochain numéro pour avoir des nouvelles de ce vieux Gilead.

*: Je vous entends vous demander si Varnica n’aurait pas pu fermer le portail avec une petite quantité de sang et laisser Reinez en vie pour l’aider à poutrer Abraxes. La réponse est non : quand un Astartes donne son sang, c’est forcément au minimum trente litres.
**: Pour des Space Marines se déclarant fidèles à l’Empereur, c’est quand même vachement culotté d’aller prendre sa retraite sur un monde démon. Enfin, ce que j’en dit…
***: Nécessité faisant loi, Counter déclare par la bouche de son héros que le sang de Rogal Dorn coule dans les veines de ceux qui se battent pour les mêmes causes que lui, ce qui lui permet d’ouvrir le portail d’Abraxes sans problème. Moui. Philosophiquement, c’est défendable, scientifiquement, c’est abominable, mais c’était ça ou dépasser le maximum de pages imparti par la BL, alors…

Au final, ce douzième numéro de Hammer & Bolter est certainement le plus dispensable du lot. La prose de Sarah Cawkwell a beau montrer des signes d’amélioration, ses deux soumissions demeurent largement en dessous de ce qui ce fait de mieux au sein de la Black Library, et ne devraient donc intéresser que les fans de la demoiselle (s’il y en a) et/ou les aficionados des Red Corsairs (je reste fermement convaincu que la seule personne passionnée par le background des Silver Skulls à l’échelle de l’univers est Sarah Cawkwell). La nouvelle de Gav Thorpe n’est guère plus attrayante, même si le fluffiste de l’extrême pourra y grappiller quelques détails sur Aenarion et ses suivants. Quant à la conclusion du Phalanx, elle ne fera sens que pour les lecteurs ayant suivi le roman depuis le début. En clair, si vous voulez tester Hammer & Bolter, optez plutôt pour un autre numéro, celui-ci ayant toutes les chances de vous décevoir.

HAMMER AND BOLTER [N°11]

Bonjour à tous, bonne année et bienvenue dans cette nouvelle chronique de feu le webzine de la Black Library, Hammer & Bolter. Au programme de cet onzième opus, de l’homme bête mythique, du Night Lord sadique, du Counter frénétique (pléonasme), du McNeil anecdotique (incroyable, le bonhomme aime Stephen King et David Gemmell ! Les bras m’en tombent), et pour commencer, un dernier carré méphitico-sonique dans les ténèbres du lointain futur. Pas clair ? Lisez donc la suite…

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The Carrion Anthem – D. Annandale [40K] :

The Carrion AnthemThe Carrion Anthem aurait pu être une nouvelle de bonne – ou tout du moins, correcte – facture, n’eut été la fâcheuse tendance de son auteur, David Annandale, à balancer des idées (lesquelles sont souvent intéressantes, il faut le reconnaître) sans se donner la peine de les étayer suffisamment, de sorte de permettre au lecteur lambda de comprendre la logique de son raisonnement et d’apprécier l’inventivité de sa démarche. Pour donner un exemple qui sera sans doute familier aux habitués de cette section, si Mr Annandale avait écrit Prospero Burns, il aurait sans doute omis de préciser ce qu’il entendait par le sibyllin aphorisme popularisé par Dan Abnett : « il n’y a pas de loups sur Fenris ». Voilà une phrase, qui, sortie de son contexte, ne peut qu’interpeller le fluffiste averti, et c’est bien tout l’art d’Abnett d’arriver à justifier son propos hérétique au fil des lignes. Ce talent n’est malheureusement pas aussi répandu qu’on le souhaiterait parmi les plumes de la BL, et son absence manifeste transparaît tristement dans cette première contribution de David Annandale, à qui je souhaite néanmoins une longue et prolixe carrière littéraire au sein de la sombre librairie*.

Tout avait pourtant bien commencé, Annandale situant son propos sur Ligeta, ou la Carrhaix du Segmentum Pacificus (comprendre qu’il s’y passe tellement peu de chose que c’est pour ses événements culturels que la planète est – un peu – connue). Ressassant ses rêves inassouvis de gloire sanguinolente, le général Corvus Parthamen, notre héros, est sur le point d’assister à la première de la nouvelle création de son génial jumeau, compositeur de son état. Problème, Corvus souffre d’amusie, ce qui le rend incapable d’apprécier à sa juste valeur le travail de son frère. Vous avouerez que ce n’est pas tous les jours que l’on évoque cette condition particulière, et il convient de saluer cet effort d’originalité de la part de David Annandale. Malheureusement, il faut un peu plus qu’une entame prometteuse pour donner lieu à une nouvelle mémorable, et passée cette ouverture singulière, le propos à vite fait de verser dans une intrigue et des péripéties d’une banalité assommante.

À cette conformité décevante (manifestation chaotique en règle, débouchant fatalement sur un affrontement entre les derniers défenseurs de Ligeta, menés par Corvus Parthamen, et les assaillants inféodés aux Dieux Noirs) s’ajoute donc la maladresse avec laquelle David Annandale développe, ou plutôt ne développe pas assez, certaines de ses idées, pour un résultat assez contre-intuitif pour le lecteur. Exemple le plus flagrant : l’inclusion de Typhus et de ses Marines de la Peste en tant qu’antagonistes contraste fortement avec la façon dont se déclare et se propage l’infection chaotique, ici un virus psychique contenu dans la mélodie de la nouvelle composition du frère du général Parthamen. Sans doute ne suis-je pas le seul à penser, peut-être naïvement, que ce vecteur d’infection se rapproche davantage des méthodes des Noise Marines que celles des disciples de Nurgle? De même, le recours au personnage de Typhus, figure bien connue du panthéon de Warhammer 40,000 ne m’a pas semblé tomber sous le sens, l’amiral du Terminus Est ayant pu tout aussi bien être remplacé par un de ses lieutenants sans que la portée et le sens de la nouvelle s’en trouvent bouleversés. En effet, aucun des « attributs » de Typhus n’est mis à profit dans le récit, qu’il s’agisse du Terminus Est (relégué à un simple rôle de transport), de la ruche du destructeur ou des zombies de la peste**, ce qui rapproche sa participation à The Carrion Anthem d’une vile opération de cachetonnage, indigne du statut d’un tel personnage.

Pour finir, passons rapidement sur les quelques incohérences et maladresses émaillant la nouvelle (comme par exemple le fait qu’une forteresse abritant cinq mille soldats ne compte pas un seul canon laser ni lance-missiles dans son arsenal) pour évoquer le dernier point clivant de The Carrion Anthem, sa conclusion. David Annandale achève ainsi son propos par un laïus confus sur le caractère oppressif de l’Imperium, dont les principes autoritaires en font un instrument de choix pour les Dieux du Chaos. On retrouve ici l’idée bien connue (sous-tendant, entre autres textes, la saga Soul Drinkers de Ben Counter) de la perversion des fins par les moyens, déployée sans grande conviction ni adresse par un Annandale manifestement pressé de mettre un point final à sa nouvelle. En conclusion, à vouloir trop lutter contre le Chaos, on fait le jeu de ce dernier, donc soyez coulants avec vos hérétiques les gars. C’est Eisenhorn qui doit être content.

*: Carrière confinant jusqu’ici au matraquage publicitaire bête et méchant, le sieur Annandale débitant les e-books consacrés aux exploits des Space Marines (loyalistes comme chaotiques) à un rythme soutenu. Le Chains Of Golgotha (ainsi que la nouvellinette rattachée, Evil Eye), retraçant la villégiature agitée de ce vieux ronchon de Yarrick sur le Space Hulk du bon Gazgkull (la croisière s’amuse à tabasser de l’impérial) me semble infiniment plus attrayant que le reste de sa bibliographie.

**: À moins qu’il ne faille voir dans la participation de Typhus dans la corruption du « monde de la chanson » un clin d’oeil de David Annandale au patronyme du premier capitaine de la Death Guard, autrefois connu sous le nom de Typhon Calas.

The Gods Demand _ J. Reynolds [WFB] :

The Gods DemandLe retour de Josh Reynolds dans les pages de Hammer & Bolter, cinq mois après son honnête The First Duty s’effectue en terrain connu, mais à une échelle supérieure. Le temps des patrouilles dans la banlieue du Talabecland, à traquer des enfants du Chaos de niveau 2,7 en compagnie d’une poignée de rednecks (les fans du chevalier Hector Goetz, héros de The First Duty, peuvent toutefois retrouver leur idole dans le long format Knight Of The Blazing Sun) est en effet révolu : place à de l’épique avec un grand E, en l’occurrence, le récit des dernières heures du siège de Hergig par les hordes du Seigneur des Bêtes Gorthor. Les protagonistes demeurent donc inchangés par rapport à la première publication de l’autre Reynolds (ne pas oublier Anthony, spécialiste Bretonnie et World Eaters de la BL*), Hommes-Bêtes et Impériaux se mettant joyeusement sur le coin du museau pour la possession des ruines fumantes de la capitale provinciale du Hochland.

J’ai déjà eu l’occasion de dire ici mon intérêt pour les nouvelles développant et donnant corps au fluff officiel (dans le cas de Hammer & Bolter, on pensera à Charandis et Feast Of Horrors), et je ne pouvais donc considérer The Gods Demands qu’avec un a priori favorable (doublement favorable même, mon passif de joueur de l’Empire et des Hommes-Bêtes concourant  en outre à fausser mon jugement d’habitude si impartial -humour-). J’attendais beaucoup de cette histoire, et dois reconnaître que je n’ai pas été déçu par cette dernière, Josh Reynolds étant parvenu à insuffler dans son propos la dimension héroïque nécessaire à tout récit estampillé Time Of Legends. Ce succès repose en grande partie sur les mise en scène et description soignées des deux figures centrales de la nouvelle, Gorthor et Mikael. Le premier exsude une aura de grandeur funeste tout à fait appropriée, contrastant vivement avec le pragmatisme borné et animal de ses sous-fifres, dépeints par Reynolds comme une arme à double tranchant dont le Seigneur des Bêtes doit se servir avec précaution. En effet, le statut d’Elu des Dieux de Gorthor apparaît comme une source plutôt limitée de légitimité sur les chefs de sa horde, à moins de décapiter les plus remuants parmi ces derniers à une fréquence soutenue. Et quand les chamanes se mettent à leur tour à ruer dans les brancards, la situation devient incroyablement délicate pour le Seigneur des Bêtes, dont le génie stratégique doit céder devant les pulsions névrotiques de ses suivants (greuh, on fonce).

Sa Némésis est, quant à elle, décrite comme un leader à la résolution fanatique, refusant obstinément de reculer face à l’envahisseur bestial. On retrouve donc le Mikael cruel et impitoyable sommairement dépeint dans les Livres d’Armée de l’Empire, proche à bien des égards de la folie  affligeant Marius Leitdorf. Reynolds va même jusqu’à suggérer à mots couverts que cette impétuosité sanguinaire pourrait être causée par les enchantements imprégnant les crocs runiques, hypothèse séduisante qui ne demande qu’à être développée plus avant dans le futur.

Logiquement conclu par l’affrontement final entre les deux généraux au moment où le siège est rompu par l’intervention des chevaliers du Soleil, The Gods Demand satisfera autant le fluffiste à la recherche d’informations sur l’organisation d’une horde d’Hommes-Bêtes et/ou la cour du Hochland que le lecteur en quête d’une nouvelle nerveuse et maîtrisée. Les clins d’œil adressés par Josh Reynolds à ses modèles littéraires (en particulier les références à l’œuvre de Lovecraft) et aux joueurs de Warhammer (pumbagors en furie, long fusil presque efficace) achèvent de faire de cette deuxième contribution à Hammer & Bolter une réussite indéniable, et le point d’orgue de ce onzième numéro.

*: Josh, quant à lui, semble avoir repris le fauteuil autrefois occupé par Steven Savile, c’est à dire celui de Mr Vampire. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur ses dernières productions, consacrées en grande partie aux diverses lignées de suceurs de sang hantant le Vieux Monde (Neferata, Master of Mourkain, Master Of Death, Ghoul King I et II). Ajoutez à ceci quelques piges pour les inusables Gotrek & Felix (Berthold’s Beard, Blood Sport, Charnel Congress), une pincée d’épopées de Space Marines (le lot de tous les prospects de la BL, m’est avis), et même une petite aventure au côté de Zavant Konniger (The Riddle Of Scorpions), et vous obtenez le profil d’un futur cadre de la maison, si tout se passe bien.

Phalanx – ch. 12 – B. Counter [40K] :

PhalanxLa fin approche sur le Phalanx, les Soul Drinkers survivants se rapprochant insensiblement de l’inévitable évasion du vaisseau forteresse des Imperial Fists. Cet antépénultième chapitre du roman feuilleton de Hammer & Bolter se concentre sur deux théâtres d’opérations distincts, chacun porteurs d’enjeux spécifiques. Au niveau micro, Sarpedon n’en finit plus de tuer le Chapelain doublement renégat Iktinos, qui, comme dans toutes les bonnes séries B d’action, n’était en fait pas si mort que ça à la fin du dernier chapitre. Ajoutant l’infamie au déshonneur, Sarpy inflige à son ancien conseiller, pas encore tout à fait remis de sa récente grillade au prométhéum, une petite séance de trouillothérapie débridée, transformant Iktinos en légume (mais attention, en légume poêlé) qui, avec un peu de chance, passera à table au prochain épisode*. La confrontation entre le maître de chapitre mutant et le dreadnought essayiste se précise, le bon Reinez devant, sauf erreur de ma part, venir compliquer un peu plus des retrouvailles qui s’annoncent d’ores et déjà comme animées.

Au niveau macro, les Imperial Fists et tous leurs copains marounes tentent tant bien que mal de contenir le projet X initié par Abraxes et ses minions. Vladimir donne de sa personne pour refouler un Buveur de Sang déjà fortement éméché, le soiffard se faisant proprement perforer par une escouade de Devastators qui traînait dans le coin. De l’autre côté du champ de bataille, Luko et ses hommes prennent à revers un contingent de démons de Nurgle mené par un Grand Immonde hilare et véloce, puisqu’il parvient à battre à la course un Space Marine (honteux). L’Archiviste Tyrendian a alors la riche idée de se faire passer pour un Twix afin de sauver l’inqualifiable Luko de l’estomac du Démon Majeur (il l’aurait bien mérité, notez). Twix parfum grenade, l’altruiste psyker se mettant en surcharge juste avant de faire connaissance avec la colonie de Nurglings squattant la panse du Grand Immonde. Résultat, un papier peint à refaire sur un rayon de deux cent mètres, un nouveau nom biffé parmi les personnages centraux des Soul Drinkers et un assaut démoniaque repoussé… pour le moment.

Profitant de l’accalmie, la ligue des gentlemen extraordinaires improvise un conseil de guerre remarquablement serein (personne ne suggérant de tuer les Soul Drinkers sur le champ – où est Reinez quand on a besoin de lui ? -), au cours duquel il est convenu que les condamnés à mort emprunteront un passage dérobé** pour aller refermer la porte Warp d’Abraxes et Cie, ou mourront glorieusement dans la tentative. Le Prince Démon ayant eu l’amabilité de faire son entrée dans le Phalanx juste au niveau des docks du vaisseau, il me paraît tout à fait plausible que les Soul Drinkers, une fois leur mission suicide accomplie, se fassent la malle en Thunderhawk, avec l’approbation tacite des loyalistes. Tout sera alors bien qui finira bien. Confirmation de ce scénario au prochain épisode, avec les deux derniers chapitres de Phalanx.

*: Et voilà une métaphore rondement filée.

** : Il est révélateur du laisser aller manifeste régnant chez les fils de Dorn que l’idée ait été soumise par un Soul Drinkers et non par un Imperial Fists, lesquels ne semblaient même pas au courant de l’existence du passage en question.

Shadow Knight – A. Dembski-Bowden [40K] :

Shadow KnightÉtrange nouvelle que ce Shadow Knight, commis par un Aaron Dembski-Bowden visiblement peu convaincu par son propos. Pour être honnête, ce texte semble être la réponse du berger à la bergère, cette dernière répondant au nom de Sarah Cawkwell et s’étant à de multiples reprises illustrée par la platitude navrante de ses écrits. Reprenant dans les grandes lignes le schéma narratif de Cause And Effect (à savoir, une sous-péripétie impliquant Gileas Ur’Ten, Space Marine du chapitre des Silver Skulls et héros récurrent de Miss Cawkwell – intérêt : nul – ), ADB livre ainsi un compte-rendu peu inspiré d’un épisode mineur de la vie de Talos, principal protagoniste de la (sinon) très bonne série des Night Lords.

À la recherche de matériel récupérable dans un Space Hulk, Talos et la première griffe de la dixième compagnie (Cyrion, Uzas, Xarl) tombent nez à nez avec une petite force de Blood Angels, bien décidés à reprendre l’épée que Talos a dérobée à un de leurs champions (cette obsession des Blood Angels pour Aurum – le nom de l’épée en question – constitue l’un des running gags de la saga, chaque tentative se soldant par un échec coûteux en vies d’Anges de la mort). Après avoir rapidement expédiés les pauvres scouts en combinaisons spatiales qui constituent la première vague des loyalistes, les quatre affreux se réunissent pour décider de la marche à suivre… et Talos est frappé par une vision, ce qui réduit drastiquement ses capacités de leader, et force ses acolytes à se débrouiller tout seuls. La narration restant malgré tout braquée sur le chef de la griffe, en dépit de son état comateux, la suite de l’accrochage entre Night Lords et Blood Angels est couverte en quelques lignes lapidaires, par le biais du compte rendu fait par Uzas et Xarl à Cyrion après les faits. Pareillement, la mini bataille spatiale entre les vaisseaux respectifs des deux forces est résumée en un paragraphe, ce qui est un peu court jeune homme. La plume de Dembski-Bowden a beau rendre l’ensemble très digeste, voire plaisant lorsque les Night Lords palabrent de la suite à donner aux opérations après que Talos ait succombé à sa crise de narcolepsie hallucinogène, il n’en demeure pas moins que Shadow Knight constitue à mes yeux la production la plus faible d’ADB à ce jour.

Il va sans dire que la connaissance des personnages principaux de la série Night Lords ainsi que des événements relatés dans cette dernière constitue un prérequis appréciable (mais pas obligatoire) à la lecture de Shadow Knight, dont l’action se déroule peu avant l’attaque de la treizième croisade noire sur le système de Crythe, et constitue de fait une sorte d’avant-propos à la trilogie d’Aaron Dembski-Bowden. Au final, je pense que cette nouvelle aurait davantage eu sa place en introduction du (futur) omnibus Night Lords qu’en conclusion de ce onzième numéro de Hammer & Bolter, même si la lecture de ces quelques pages n’a absolument pas relevé du chemin de croix littéraire, le « pire » d’ADB surpassant allègrement le « meilleur » d’autres auteurs de la BL.

Cette onzième publication de Hammer & Bolter ne contient donc aucun texte sortant de l’ordinaire, en bien comme en mal. S’il convient de reconnaître dans le Gods Demand de Josh Reynolds une  nouvelle bien maîtrisée et positionnant son auteur aux premiers rangs des « hot new talents » vantés par la Black Library, le reste du numéro tend plutôt vers le passable, les talents de conteurs de Dembski-Bowden compensant les approximations narratives d’Arrandale. Counter, quant à lui, continue à  manifester dans son Phalanx la terne mais robuste efficacité stylistique lui ayant permis de devenir une figure respectée au sein de la maison d’édition de Nottingham. La suite au prochain épisode, comme le veut la formule consacrée et, d’ici là, bonnes lectures !