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LORGAR: BEARER OF THE WORD [HH]

Bonjour et bienvenue dans cette critique du romaninho (ça vaut bien novella) Lorgar : Bearer of the Word (Porteur de la Parole en VF), écrit par nul autre que le positivement vénérable Gav Thorpe. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec la série Primarques, l’objet de notre attention est un court roman centré sur un des fils de l’Empereur avant que ne débute la fameuse Hérésie d’Horus. Comme le nom de l’ouvrage le laisse bien apparaître, Thorpe s’est intéressé à #17 (vive la Charente Maritime!), que sa ressemblance physique avec son paternel1 n’a pas empêché de commettre de grosses bêtises en son jeune temps. 10 000 ans plus tard, on peut considérer que l’Imperium paie toujours le prix fort de la bouderie de Lolo, rejeton indigne ayant réussi à flanquer la PME familiale dans le fossé, et largement contribué à pousser Pépé dans les orties. Faîtes des gosses, qu’ils disaient…

Publié en 2017, soit bien après qu’Aaron Dembski-Bowden ait retracé les turpitudes spirituelles et errements pataphysiques du premier félon hérétique dans ses propres bouquins (2010 et 2013), ce Lorgar… est l’occasion pour le lecteur de revivre la prime enfance et l’adolescence de Mr Tattoo sur la désertique Colchis, Thorpe ayant choisi de faire la lumière sur les années formatrices du Primarque, avant que son Père n’obtienne un droit de visite. ADB ayant, de l’avis général, réussi son affaire2, il nous appartient d’établir si Gav Thorpe parvient à relever le gant – et la plume – de manière convaincante. Car en plus du Premier Hérétique et de Félon, l’enfant prodige de la BL a lui aussi soumis une novella centrée sur Lorgar, au moment de son duel de regard avec l’Œil de la Terreur (duel qu’il a donc perdu). Qui d’Aurelian ou de Lorgar… remportera la palme du meilleur biopic sur l’Urizen ? Voilà un match dans le match que nous aurons peut-être la possibilité d’arbitrer. Quoi qu’il en soit, direction Colchis-le-Sec, pour être témoin des premiers pas d’un jeune homme très peu ordinaire…

1 : Qu’il faudra que l’on m’explique un jour, car ressembler à quelqu’un dont personne ne peut voir le visage, c’est tout de même fort de café. Je penche plutôt pour une tentative désespérée de Malcador de dire quelque chose de positif sur l’élève Aurelian lors des rencontres parents-profs lorsqu’il s’est retrouvé confronté à Kor Phaeron.
2 : Avec des notes sur goodreads.com de 4.23 pour ‘Le Premier Hérétique’ et 4.33 (sur 5) pour ‘Félon’, ces deux tomes se placent dans le top 3 de la série « classique » (sans prendre en compte ‘Le Siège de Terra’). En fait, ‘Félon’ est tout simplement le livre le mieux noté de la saga à l’heure actuelle, devant les Abnett, McNeill, Haley et consorts.

Lorgar_Bearer of the Word

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INTRIGUE:

Notre histoire commence sur le monde de Hierapolis, qui, pour son plus grand bonheur, se trouve être la 9ème planète-étape du tour galactique d’un Lorgar pas encore puni par son Pépé pour sa basse flagornerie. Alors que les Hierapolitains goûtent les joies d’une mise en conformité effectuée dans les règles de l’art et du bolter, Kor Phaeron emmène une petite troupe de Word Bearers enlever le cœur spirituel de cette future nouvelle conquête impériale, la Tour des Seigneurs Infinis. Misérable bâtisse de 10 mètres de haut, défendue par une poignée de popes désarmés et incontinents, la Tour ne représente pas un défi digne de ce nom pour les fiers et pieux Astartes, qui pénètrent dans la place sans tarder. Kor Phaeron a toutefois des desseins précis pour les dépositaires de l’autorité spirituelle de Hierapolis, qu’il laisse s’échapper en ULM (minus le grand moufti Audeaus, bolterisé pour l’exemple) afin de laisser subsister le culte chaotique local dans une prudente confidentialité. Bien évidemment, cette miséricorde intéressée est réalisée dans le dos (qu’il a, pour sa défense, très large) de Lorgar, à l’époque des faits totalement convaincu de la divinité de son géniteur…

Après quelques savantes considérations astronomiques venant expliquer au lecteur comment le temps est divisé sur Colchis, et pourquoi personne n’a jamais atteint 30 ans sur cette planète, nous entrons dans le vif du sujet. Une caravane de nomades qui faisaient des châteaux de sable au milieu du désert est approchée par un convoi similaire, provoquant l’inquiétude du chef de la troupe, Fan Morgai. Lui et ses camarades sont en effet des parias (Declined) au sein de la société colchisienne, et les interactions avec les habitants mieux nés de la planète ont tendance à mal se passer pour eux. Il est toutefois vain d’espérer éviter le contact avec les nouveaux venus, qui garent bientôt leurs roulottes à quelques encablures du campement des ostracisés. Alors que Kor Phaeron, car c’est bien l’auto-proclamé porteur de la parole qui guide les primo-arrivants, se pomponne en coulisse, nous faisons la connaissance d’un autre personnage important pour notre histoire : l’esclave Nairo. Ce dernier a été réduit à cette situation, que l’on peut qualifier de franchement mauvaise, n’en déplaise à Otis, après avoir prêché une hérétique égalité universelle du temps où il était prof de philo’ à la fac de Vharadesh. Résultat des courses, une mise à pied immédiate, qui l’a conduit à entrer au service de Kor Phaeron peu de temps avant que le prosélytisme enflammé de notre zélote ne le fasse expulser de la sainte cité. Vous parlez d’une poisse.

Ne maîtrisant pas la technologie de la porte, les nomades ne peuvent pas prétendre ne pas être chez eux lorsque Korphy se pointe sur son char sonorisé, et leur demande s’ils ont un instant pour qu’il puisse leur parler des Puissances. Bien élevé autant que résigné à endurer le sermon du prêcheur, qui peut de toutes façons compter sur le soutien d’une forte bande de mercenaires comme service d’ordre, Fan Morgai fait bon accueil à son visiteur ; qui n’est pas long à détecter que le chef nomade lui cache quelque chose. Jamais le dernier à mettre les pieds, qu’il a ignifugés, dans le plat, KP a tôt fait de convaincre son hôte de lui confesser son petit secret. Espérant extorquer un peu d’archeotech aux parias sous couvert de religion, notre apprenti racketteur a la surprise de voir un jeune enfant sortir d’une tente à la demande de Fan Morgai, et n’a pas le temps de demander à ce dernier s’il est apparenté avec Marc Dutroux qu’il tombe en syncope, victime du regard violeur et violet du garçonnet.

Ayant repris ses esprits et regagné un peu de sa dignité, Kor Phaeron réalise qu’il vient de tirer le gros lot, et que le jeune Lorgar, comme il a été baptisé par les nomades l’ayant trouvé échoué dans un cratère de météore, n’est pas un enfant normal, mais le réceptacle du pouvoir des Puissances (rien que ça). Prêt à tout et à tuer pour obtenir la garde du garçonnet, Kor Phaeron n’a cependant pas à batailler longtemps, ce dernier, déjà parfaitement maître du langage commun en dépit de son très jeune âge (à peine 15 jours), acceptant de partir en pension dans la Phaeromobile. Car en dépit de ses très nombreux défauts, on peut au moins reconnaître à Kor Phaeron une éloquence réelle, qui a convaincu Lorgar du bien-fondé de sa cause. Les adieux sont rapidement exécutés, promptement suivis par Fan Morgai et ses ouailles, que Kor Phaeron fait massacrer par ses sbires pour éviter que la connaissance de l’enfant miracle n’atteigne les oreilles de ses rivaux de Vharadesh.

Lorsque Lorgar pose le pied dans la caravane de son nouveau tuteur s’ouvre une longue séquence durant laquelle il ne se passera pas grand-chose, mis à part le (relativement, car l’épisode ne durera au final que quelques mois) lent apprentissage par l’enfant prodige de la Vérité, sous la vicieuse férule d’un Kor Phaeron absolument ignoble. Toujours prompt à châtier son acolyte pour la raison la plus insignifiante (parler sans autorisation1, réciter par cœur les leçons apprises, aider les esclaves au travail, …), le Porteur de la Parole apparaît sur un jour encore plus défavorable que celui qu’on lui connaissait pendant l’Hérésie d’Horus, ce qui n’est pas rien. Bien que Lolo ait la peau trop dure pour le fouet, puis un peu plus tard, lorsque son instructeur aura détecté les résultats peu probants de ce type de punition,  les gourdins des gardes, le Primarque est affecté par la rudesse lunatique de celui qu’il s’échine à considérer comme son père adoptif, malgré les tourments endurés par sa faute. Vous parlez d’un syndrome de Stockholm. Il n’y aura guère que le compatissant autant qu’édenté Nairo qui prodiguera un peu de tendresse et de sympathie au jeunot durant ces premiers mois, l’esclave idéaliste essayant tant bien que mal d’insuffler ses vues progressistes à Lorgar pour contrecarrer le conservatisme (doublement) servile de Kor Phaeron.

Cette enfance malheureuse sera toutefois marquée par deux événements majeurs : la promesse – donnée de bien innocente façon par un Lorgar encore très jeune – de l’acolyte de servir les Pouvoirs (et donc le Chaos) durant toute sa vie – et une rébellion d’une partie des convertis servant Kor Phaeron contre ce dernier, rébellion qui aurait sans doute sonné la fin du prêcheur, sans l’intervention décisive et sanglante de son fidèle pupille. Débarrassé des éléments séditieux, traqués et massacrés par Lorgar – qui à cette occasion se bricole sa première masse de guerre – Kor Phaeron réalise toutefois qu’il doit mettre de l’eau dans son v(en)in s’il veut garder la vie sauve, et se dépouille de son statut de Porteur de la Parole au bénéfice de Lorgar, catapulté prophète des Pouvoirs par l’opération du (presque) sain d’esprit.

S’en suit un bref interlude, ramenant l’intrigue et le lecteur quelques années plus tard, juste après les événements honteux de Monarchia. Traumatisé par la destruction de la cité sainte et le stop impérial que lui a infligé Pépé par l’intermédiaire de l’Ultra Schtroumpf et de ses sbires, Lorgar convoque Kor Phaeron pour faire le point, après avoir consacré quelques heures à la flagellation et la scarification de sa chair coupable. Sentant la période propice à l’avancement de son propre agenda, qu’il a tenu secret pendant des décennies, le Premier Capitaine n’a cependant guère besoin de se fouler pour mettre le Primarque sur la voie qui le mènera au chemin octuple, car ce dernier a déjà pris la décision de ne pas pardonner le coup de sang (et de macro-canon) de son auguste, mais pas divin, Paternel2. Et lorsque cette vieille baderne d’Erebus se joint à la discussion, on comprend que l’Hérésie vient de prendre racine…

La deuxième partie du Livre de Lorgar débute après la promotion canapé caravane du Primarque, qui reprend avec enthousiasme et zèle les prêches de son père adoptif, laissant ce dernier dans l’ombre faire ce qu’il sait faire de mieux : comploter et bouder. Alors qu’ils devisaient sur la traduction d’un livre de cuisine Eldar ayant malencontreusement trouvé le chemin de la bibliothèque de Kor Phaeron (tout arrive), nos deux larrons sont victime et témoin d’un événement peu commun : la première des visions de Lorgar, qui, s’y elle semble horriblement douloureuse à première vue, laisse le Primarque extatique à son réveil, même si un peu confus sur l’interprétation qu’il doit faire de son rêve humide cosmique. La vision d’un être divin, nimbé d’or et d’étoiles, descendant de l’Empyrean sur des ailes d’aigle, se marrie en effet difficilement avec le credo des Puissances. Il en faut toutefois plus pour décontenancer Kor Phaeron, qui voit dans ce signe un présage de bon augure pour son projet personnel : la conquête de Vharadesh. Lorgar est d’accord, et le duo (pas encore) infernal décide de commencer leur campagne par les proches mines de Taranthis, dont les milliers d’esclaves constitueront des recrues utiles pour la suite des opérations.

Si l’opération se révèle être un succès, son exécution s’en retrouve compliquée par le choix de Kor Phaeron de provoquer l’affrontement avec les gardes du Covenant qui défendent les mines, alors que Lorgar était plutôt favorable à l’ouverture de négociations. La bataille « mad maxienne » qui s’ensuit donne à Thorpe l’occasion de dépeindre pour la première fois le Primarque au combat, dont il sort victorieux davantage grâce à son physique supérieur qu’en raison de ses capacités martiales, logiquement assez limitées eut égard à l’éducation de nerd qu’il a reçu jusque là. Le gros de la garnison vaincu, Lorgar prend le mic’ pour délivrer un sermon interminable aux esclaves de Tharantis, qui finissent par se rebeller contre leurs derniers matons et rejoindre la congrégation du Porteur de la Parole quelques heures plus tard. Ce haut-fait inaugural sera suivi par de nombreux autres, la caravane du tour de Colchis faisant étape dans de multiples campements et villes au cours des semaines suivantes, et Lorgar ne manquant jamais de rallier à sa cause les bonnes âmes du cru par ses causeries inspirantes. Dans le même temps, les visions du Primarque se poursuivent et se précisent, Magnus faisant à présent son apparition au côté de l’Empereur3.  Sur son temps libre, Lorgar trouve même le moyen d’occire une légende locale, le Kingwyrm, un serpent gigantesque qui aura la mauvaise idée d’avaler le Primarque tout rond, et s’étouffer pour sa peine4. Il est enfin temps pour les hordes de convertis de Lorgar d’aller mettre le siège à Vharadesh, combat épique qui verra le Primarque testé comme jamais aupar… Ah, non, pardon. La mixtape primarquielle a atteint la cité sainte avant son auteur-compositeur-interprète, et tellement emballé la population locale qu’elle a fait le sale boulot à la place du Porteur de la Parole, accueilli sur place par les cadavres des hiérarques et de l’Ecclésiarque de Vharadesh, faisant de Lorgar (et surtout de Kor Phaeron), les maîtres de la capitale de Colchis.

Nouvel entracte, et nouvelle perfidie Korphaeronesque, qui tire parti d’une opération d’archivage/autodafé des reliques sacrées des Word Bearers pour purger la Légion des éléments qu’il juge trop fidèles à l’Empereur pour soutenir Lorgar dans la suite des événements. Adieu donc au Lieutenant-Commandeur Menelek,  le Donald Trump des Word Bearers (« make the 17th great again« ) abattu de sang-froid par le Premier Capitaine et ses nervis avec une centaine de ses hommes sur la planète de Therevad.

Retour sur Colchis, pour la conclusion de la geste lorgarique, qui verra le Primarque conquérir le reste de la planète pendant que Kor Phaeron nourrit ses rêves de grandeur megalo en sa qualité d’Archidiacre du Covenant, tout en s’assurant sous le manteau que le choc de simplification (de 4 Puissances à l’Unique, c’est le grand ménage cult(ur)el) conduit par son fiston ne soit pas aussi absolu que ce dernier le souhaite. Pendant que Lorgar et son armée font du porte à porte à travers à Colchis, ralliant à leur cause, de gré ou de force, les cités de la planète les unes après les autres, Kor Phaeron utilise son réseau de cultistes, l’ushmetar kaul, pour faciliter la conquête du nouvel Ecclésiarque, tout en ménageant l’Ancienne Foi dès que possible. Le seul obstacle notable que rencontre Lorgar sur sa route est la résistance de Gahevarla, ville des magus et protégée par les enchantements de ces derniers. Finalement, une prière du Primarque avant qu’il ne mène son armée à l’assaut des murs de la cité, entourée par une tempête surnaturelle, sera suffisante pour que Tzeentch retire sa protection à Gahervala (ou que l’Empereur claque le beignet du Grand Comploteur, qui peut dire ?). Avec la chute du dernier village d’irréductibles gaulois, tout est prêt pour l’arrivée de l’Unique, qui ne sera cependant pas couverte dans ce livre (zut). Signe prémonitoire du destin tragique qui attend le Primarque, celui-ci tue le pauvre Nairo alors qu’il tentait une nouvelle fois de le tirer des griffes de Kor Phaeron, en attentant à l’intégrité physique de l’Archidiacre qui venait de lui allonger un crochet.

Notre propos se termine avec un nouveau bûcher des vanités, organisé cette fois dans la cathédrale bâtie par Lorgar sur le premier monde qu’il a conquis au nom de son vrai Père. Alors que les Word Bearers jettent leurs missels et chapelets dans le brasier, Kor Phaeron est pris d’un vieux doute. Et si Lorgar se débarrassait de lui une fois qu’il n’aurait plus l’utilité de son père adoptif ? Le placement en EHPAD n’est jamais une perspective riante, c’est vrai, mais à ce jour, le Gardien de la Foi a réussi à sécuriser sa place dans la hiérarchie de la Légion, bien aidé il faut dire par la retraite millénaire de Lorgar. En tout cas, c’est sur ces sombres idées et flammes dévorantes que se termine cette biographie de l’Urizen, déjà passé du côté obscur de l’Empyrean au moment où nous prenons congé. La suite (ne) va (pas) vous surprendre…

1 : On se consolera toutefois en réalisant que cette petite frappe de Kor Phaeron se fait la plupart du temps plus mal qu’à Lorgar quand il lui prend l’envie de le frapper.
2 : Voilà comment Thorpe déboulonne en quelques lignes l’approche qu’avait eu Aaron Dembski-Bowden du ralliement de Lorgar au Chaos. Point d’épiphanie après une véritable période de doute ici : Lorgar rejette l’Empereur immédiatement après Monarchia.
: Jamais tenaillé par le doute et la modestie, Kor Phaeron est prompt à voir dans le magus à un œil que lui décrit son fils sa propre précieuse personne, tandis que Lorgar est, bien entendu, l’Empereur.
4 : Sérieusement, le combat épique dure un gros paragraphe, le ver des sables crevant d’apoplexie (ou d’allergie – peut-être que l’Empereur a donné à chacun de ses fils un goût différent, et Lorgar a hérité de l’arachide –) en trois secondes. Et l’événement ne servira plus à rien dans la suite de l’histoire.

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AVIS:

Si au moment où je me suis attaqué à la lecture de ce Lorgar : Bearer of the Word, je n’avais pas d’attentes particulières envers ce livre, pour la double raison que ni son sujet, ni son auteur, ne faisaient partie de mes centres d’intérêt BLesque, mon avis sur la question a quelque peu évolué au fil des pages. En cause, la réalisation que Lorgar n’était pas n’importe qui, là aussi à double titre : premièrement, parce que ce Primarque est celui par qui le scandale, ici nommée Hérésie, arrive, et que tout ce qui peut expliquer comment est-on arrivé là, comme dirait Theoden, est donc d’une importance fluffique capitale. Deuxièmement, et comme dit en introduction de cette chronique, parce qu’Aaron Dembski-Bowden avait déjà fait un travail conséquent de présentation et de caractérisation du personnage, et qu’il aurait été logique que Thorpe fasse son possible pour s’inscrire dans le sillage tracé par son prédécesseur. Comme vous commencez à vous en douter à la lecture de ces lignes, l’auteur de ces dernières n’a été que moyennement convaincu par la sincérité de l’effort de Gav Thorpe en termes de recherche d’une continuité narrative. Ce qui est à déplorer, et donc déplorable (les deux fonctionnent). Mais avant de lister ici mes griefs envers le Lorgar… du sieur Thorpe, commençons par nommer ses qualités.

Pour commencer, je dois dire que le choix de l’auteur de se focaliser sur l’enfance du Primarque dont il se fait le biographe (en opposition aux autres novellas de la série Primarques que j’ai lus jusqu’ici, et qui se centrent sur un épisode intéressant – encore que… – de la Grande Croisade) m’est apparu comme « naturellement » le plus intéressant pour le lecteur avide de fluff que je suis, et que les amateurs de cette série devraient également être dans leur grande majorité. Soyons honnêtes : la genèse des Primarques, et l’explication de comment ils sont devenus ce qu’ils sont, alors qu’ils étaient encore à leur plus malléable1, est sans doute l’aspect le plus intéressant de l’histoire de ces surhommes (le récit de leur disparition mis à part, à supposer qu’il soit un jour raconté2…). Qui ne rêverait pas de suivre Lion El’Jonson, Konrad Curze et Leman Russ dans l’isolement de leurs premiers jours, d’apprendre comment Guilliman et Dorn ont été formés pour devenir les stratèges et bâtisseurs qu’ils sont devenus, ou assister à la rencontre du jeune Horus avec l’Empereur ? Thorpe nous offre justement ce moment privilégié, et de manière quasi exhaustive, depuis le crash de la capsule du Primarque #17 sur Colchis jusqu’à sa soumission totale de la planète. Sur le papier, l’idée était canon, et surpassait de beaucoup les intrigues d’autres novellas de la série. Il serait donc mesquin de ne pas reconnaître au Gav ce qui revient au Gav.

Deuxièmement, Lorgar… n’est pas du tout avare en background, comme la section ci-dessous vous le démontrera. Là encore, cela faisait partie du cahier des charges normal et logique pour ce type de soumission, et là encore, Gav Thorpe fait le job avec application, et je dirais même – pour être assez familier des écrits de cet auteur – plus qu’à l’accoutumée. J’en veux pour preuve le soin qu’il a pris à intégrer à sa chronique le découpage particulier du temps propre à Colchis, « détail » assez lourd de conséquence d’un point de vue organisationnel, et que beaucoup d’auteurs auraient remisé en faveur de l’adoption d’un rythme circadien tout ce qu’il y a de plus « Terran ». Le seul reproche que je puisse faire à cette abondance backgroundesque est qu’elle se focalise en quasi-exclusivité sur la planète de Colchis, et non sur Lorgar, Kor Phaeron et la Légion des Word Bearers. Cela peut sembler bête, mais comme la planète natale de l’Urizen a été détruite depuis belle lurette, tout le fluff apporté par Thorpe peut être considéré comme « mort », en ce qu’il n’a plus aucun impact sur l’univers de Warhammer 40.000. En apprendre plus sur le Primarque, et/ou sur ses légionnaires, aurait été plus appréciable à mon goût, même si, là encore, le choix de Thorpe de se concentrer sur la première année (colchisienne) de Lorgar justifie en partie l’absence de détails Astartechniques. Voilà pour le plaidoyer de la défense.

Si l’on passe maintenant au réquisitoire, il y aurait bien de choses à dire. Pour donner un contrepoint immédiat à l’argument présenté ci-dessus, je regrette que le récit de l’enfance de Lorgar n’ait pas été plus révélateur de la personnalité et du caractère de celui qui deviendra le premier hérétique. Car si Thorpe utilise beaucoup des éléments connus sur la nature du Primarque, il ne se donne pas assez la peine d’aller plus loin dans les révélations. Que Lorgar soit un mystique, dont le besoin de spiritualité vient de ses visions récurrentes, nous le savions déjà. Ce qu’il aurait été intéressant d’apprendre, c’est pourquoi ce besoin de se raccrocher au divin est si fort chez lui, et d’où lui venaient les visions de l’Empereur qu’il a reçues pendant son enfance3. De la même façon, Thorpe reste assez superficiel, ou en tout cas caricatural, dans sa description de celui que l’on peut considérer comme le vrai protagoniste (à défaut de héros) du livre, Kor Phaeron. C’est bien simple, ce malheureux personnage ne possède pas une seule qualité rédemptrice, alors qu’il aurait été à mes yeux intéressant de griser un peu le trait de la part de Gav Thorpe. Arrogant, méprisant, cruel, brutal, borné, boudeur, illuminé, un peu stupide parfois, calculateur, intéressé, jaloux… Déjà dépeint comme un triste sire dans la série principale (à égalité avec Erebus et Eidolon, les affreux jojos de l’Hérésie), Kor Phaeron apparaît ici sous sa forme mortelle comme une éminence grise n’ayant pas vraiment les moyens de ses ambitions, et plus proche du Don Sallustre joué par Louis de Funès dans La Folie des Grandeurs que du Darth Sidious de Colchis qu’il prétend être. Sa seule chance est de pouvoir compter sur le soutien indéfectible , autant qu’inexplicable de son fils adoptif, dont il finit lui-même par s’étonner en toute fin de récit, et qui restera un mystère pour le lecteur. Thorpe insiste en effet sur le fait que Lorgar a sciemment accepté la maltraitance de son tuteur, alors qu’il avait la possibilité d’y mettre fin à tout moment, même lorsqu’il n’était qu’un enfant. Pourquoi cela ? Mystère… Je reste convaincu qu’un Kor Phaeron un minimum aimant et compatissant envers son « fils » aurait enrichi et approfondi significativement les deux personnages, mais ce n’a pas été le choix de Gav Thorpe.

De façon corollaire, mais qui mérite tout de même un traitement à part, je suis vraiment déçu que Thorpe ait arrêté son histoire juste avant que l’Empereur et Magnus n’arrivent sur Colchis. S’il y avait bien un moment fondamental à raconter dans la vie de Lorgar, c’est la rencontre avec son véritable Père, qu’il considère depuis le début comme un dieu, statut que ce dernier refuse absolument (avec les conséquences tragiques que l’on sait). J’aurais payé cher pour savoir comment l’Empereur a accueilli l’idôlatrerie de son fils lors de leur première rencontre, ce qui a sans doute préfiguré la suite de leurs relations jusqu’à l’épisode délicat de Monarchia. En l’état, on ne peut que soupçonner que Big E ait laissé Lolo dans sa lubie déiste, au lieu de lui remettre les idées en place dès le départ. Pourquoi ? Encore une fois, mystère… Mais franchement, ça aurait été cool de la part de Gav Thorpe de nous apporter des éléments complémentaires sur ces retrouvailles forcément un peu spéciales.

Autre point de reproche, l’intrigue que nous sert Thorpe traîne beaucoup en longueur et se révèle assez peu prenante, même si elle couvre l’entièreté de la conquête de Colchis par l’Urizen et ses fidèles. Le premier livre, centré sur « l’enfance » du Primarque, aurait ainsi pu faire l’économie d’une vingtaine de pages au minimum, n’ayant pour but que de faire comprendre au lecteur à quel point Kor Phaeron est ignoble envers son protégé. Les deuxième et troisième livres, s’il se révèlent plus palpitants, souffrent eux d’une linéarité ennuyeuse, en ceci que rien ne semble jamais pouvoir contrecarrer les desseins de Lorgar. Depuis sa libération des esclaves de Taranthis, jusqu’à la conquête de l’ultime cité résistant à ses armées, tout va dans le sens du Primarque, qui m’a fait l’impression d’un personnage de RPG joué en mode facile. On aurait pu penser que l’ascension de Lorgar se serait retrouvée contrariée, même si de manière temporaire, par un adversaire plus puissant (le Kingwyrm ?), plus stratégiquement aguerri (le Covenant de Vharadesh ?), ou disposant de connaissances plus poussées (les magus de Gahervala ?) que notre One Punch Man galactique, mais à chaque fois, Thorpe décide de livrer un non-match, les difficultés rencontrées par le Primarque se retrouvant aplanies en deux temps, trois mouvements. De manière secondaire, l’absence de rebondissement ou de suspense dans l’intrigue proposée par l’auteur (ce qu’il, pour être honnête, n’a pas été le seul à faire, ou à ne pas faire), achève de transformer cette novella en biographie assez terne, qui se lit certes rapidement, mais pas avidement.

Dernier4 grief à l’encontre de Lorgar…, son manque de cohésion avec le reste du corpus hérétique. Qu’il s’agisse des « faux raccords narratifs » qui voient le Primarque de Thorpe basculer dans le Chaos immédiatement après Monarchia, alors que celui d’ADB avait pris le temps de la réflexion (et d’un voyage dans l’Œil de la Terreur) avant de changer complètement d’allégeance, ou de l’absence criante de manifestations chaotiques à la surface de Colchis, qui est pourtant une planète dédiée totalement au culte des Dieux du Chaos (sous le nom de Puissances, c’est vrai, mais quand les prophète locaux s’appellent Tezen, Slanat, Khaane et Narag, le doute n’est pas vraiment permis), on ne sent pas d’efforts particuliers de la part de Gavin Thorpe pour recoller les morceaux avec la petite, la grande ou la meta-histoire (aussi appelée lore) de Warhammer 40.000. Il y avait donc moyen de mieux faire.

En définitive, et pour répondre à l’interrogation qui commençait cette longue chronique, et que vous avez certainement oublié depuis : non. Voilà qui vous fait une belle jambe, je gage. Pour vous éviter de scroller jusqu’en haut de la page, je terminerai donc mon propos en tranchant de manière claire et définitive que les travaux dédiés par ADB à Lorgar sont supérieurs de bien nette façon à ceux commis par Gavin Thorpe. De là à dire que ce Lorgar… ne vaut pas le détour, il y a tout de même un pas que je ne franchirais que si le lecteur cherche d’abord à tirer la substantifique moelle de l’Hérésie d’Horus, en ne lisant que les meilleures pages consacrées par les auteurs d’icelle à chacune des têtes d’affiche de la série. Si vous êtes intéressé par ce Primarque, et par cette période en général, vous trouverez donc à vous mettre sous la dent, même si la chère risque d’être plus maigre que prévue. Entendons-nous donc sur le fait qu’il y a (bien) mieux ailleurs, et restons en là, si vous le voulez bien !

1 : Sauf Ferrus Manus, qui était déjà dur comme un vieux clou à son arrivée sur Medusa.
2 : Sauf pour Sanguinius et Horus, dont on attend avec impatience le match de Pri-MMA-rques.
3 : L’Empereur (si oui, pourquoi se faire passer pour un Dieu alors qu’il est contre ce concept ?) ? Les Dieux du Chaos (si oui, pourquoi ne pas avoir révélé à Lorgar, qui était prêt à l’accepter, qu’ils étaient des véritables divinités ?) ? Était-ce au contraire une prédisposition, ou une tare génétique, de la part de Lorgar ?
4 : Bon, je pourrais encore répéter que c’est cher pour ce que c’est, mais je pense que vous aviez compris à la troisième fois. Il s’agit également de la novella ‘Primarques’ la plus longue que j’ai lue à ce jour, donc je ferai l’impasse sur cette critique pour cette fois.

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FLUFF:

Lorgar : Son nom signifie « Celui qui appelle la pluie » en langue de Colchis (rq : et puisqu’Aurelian veut dire le Doré…). Il a les yeux violets et deux cœurs. Sa nature le pousse à éviter le conflit et à prendre sur lui, mais il peut être sujet à des épisodes de rage destructrice, particulièrement lorsqu’il rencontre des obstacles à sa foi. Il peut utiliser sa Voix pour plier quiconque à sa volonté, mais ne le fait que rarement. Il a été surnommé Urizen par les matriarches de Tezenesh, ce qui signifie le plus sage des sages, l’architecte de la foi. Sa première conquête pour l’Imperium fut la planète de Karlstadt (47-1), suivie un peu plus tard de Theravad (47-6) et Hierapolis (47-9) en 950.M39.

Primarque (Constitution) : Bien qu’ils grandissent vite, les Primarques ont connu une période infantile. Lorgar a été trouvé par Kor Phaeron alors qu’il avait la stature d’un enfant de trois ans. Il a atteint cette taille en moins de trois mois, les Nomades l’ayant recueilli alors qu’il n’était qu’un nourrisson.

Word Bearers (Marquages) : Les guerriers qui arborent un tabard gris sur leur armure montrent ainsi qu’ils ont été élevés depuis le plus jeune âge dans les enseignements du Covenant de Colchis, dont les prêtres portent des effets de cette couleur. Le symbole de la légion, le livre enflammé, a également été repris du Covenant de Vharadesh.

Colchis : La planète est bien plus large et massive que Terra, ce qui se traduit notamment par des journées bien plus longues, précisément de 7.1 jours, ou 170.4 heures terrestres (rq : en revanche, rien ne dénote des effets d’une gravité plus forte, qui aurait dû « tasser » les habitants de Colchis à la longue). Une journée sur Colchis est divisée en sept périodes, d’une durée à peu près similaire à un jour terrestre : Dawnaway, Mornday, Long Noon, Post-noon, Duskeve, Coldfall, High Night. Durant chaque période, trois segments se suivent : Wake-Rise, Wake-Main et Rest-Eve (pendant lequel les habitants de Colchis dorment). Une révolution de Colchis autour de son étoile prend cinq années terrestres. La planète est régulièrement balayée par des tempêtes de sable, dont certaines sont tellement régulières qu’elles ont été baptisées, comme Rage Divine (Godrage), qui balaie le désert intérieur tous les hivers.

Colchis (Faune) : Parmi les espèces natives de la planète, on compte des vautours des sables, de grands oiseaux dont l’envergure atteint les quatre mètres, des dromedores (rq : probablement des dromadaires, avec un nom pareil), et des faucons de cadavres (corpsehawks).

Colchis (Culture) : La caste des Déclinés (Declined) est considérée comme impure par le reste de la population, et n’est pas autorisée à entrer dans les grandes cités de la planète. Des caravanes de véhicules sillonnent les étendues désertiques Colchis, pour le commerce ou pour convertir de nouveaux adeptes (les sectes de la planète étant en concurrence les unes avec les autres). On connait quelques uns des peuples de Colchis, comme les Cthollic, dont les guerriers portent des masques de porcelaine peints de visages grimaçants, aperçus lors des transes hallucinées qui marquent leur passage à l’âge adulte ; la Fraternité des Archers, originaires de la côte, et dont les hommes et les femmes portent la barbe (pastiche dans le second cas) ; les Witchwalkers de Carthass, dont le foyer a été détruit par des tremblements de terre un an avant l’arrivée de Lorgar. Pir Olourious est un héros mythique de Colchis, maniant une lame dorée.

Colchis (Constellations) : L’Œil qui s’ouvre (Opening Eye), dont la pupille est l’étoile rouge de Valak ; l’Escalier Ascendant (Rising Stair) ; le Soleil cranté (Serrated Sun), aussi appelé le Halo de Fer de Khaane.

Colchis (Religion) : Bien qu’il soit divisé entre de nombreuses sectes, dont la plus puissante est le Covenant de Vharadesh, le culte des Dieux du Chaos, connus sous le nom des Puissances, est généralisé sur Colchis. Les quatre prophètes Tezen, Slanat, Khaane et Narag, ayant quitté la planète pour aller à la recherche des Puissances, sont tenus en haute estime. Le Covenant est dirigé par un Ecclésiarque et six Hiérarques. Le premier porte des robes gris colombe, les seconds des robes blanches. Le signe sacré des Quatre est tracé avec la main gauche, index et majeur dressé : un demi-cercle débuté en haut et à gauche du cadran, suivi d’une croix. L’Ushmetar Kaul a été créé par Kor Phaeron pour maintenir la vieille foi vivante, de façon clandestine, parmi les hauts dignitaires de Vharadesh.

Colchis (Ouvrages nommés) :Les Instructions sur les Leçons de Dammas Dar’ ; ‘Les Aspirations de Kor Adras ; ‘Le Livre des Changements’ de Tezen ; ‘Les Révélations des Prophètes’ – l’ouvrage le plus saint du Covenant ; ‘La Parabole de la Baleine Céleste’ ; ‘Le Livre de Kairad ;

Colchis (Géographie) :

Villes : Vharadesh, la cité des fleurs grises, Ghuras, Last Haven/Sarragen (ruines) ; Assakhor ; Tezenesh ; Golgora (cité de Tezenesh) ; Ctholl ; Martias ; Lanansa ; Hourldesh ; Epicea ; Cathrace ; Khathage ; Nuresh Ab ; Gahervala la cité des Magisters (protégée par des mages) ;

Autres : Désolations de Vhanagir ; Ad Drazonti ; les mines de Taranthis ; les plaines de lave de Toursas ; le cratère des chagrins (Crater of Sorrows) qui abrite les ruines d’une cité antique et est hanté par le Kingwyrm ; Meassin (plantations de coton et de lin) ; Ahesh Ahuk, Kofus, Merina, Assakhor et Jo Burgesh (exploitations abritant des esclaves) ; Seasas et Ouresh (plantations) ; Ghastaresh (plaines de sel) ;

Oasis : Catarc Oasis ; Fourrh ; Khornasa ; Al Nerga ; Ashada

Vharadesh : La cité est défendue par un rempart de grès, silex et granite de vingt mètres de haut. La porte principale est flanquée de deux tours d’obsidienne. Les flèches et tours grises et rouges d’un millier de temples s’élèvent dans l’air poussiéreux de la ville. Des balcons de Vharadesh pendent des dizaines de milliers de fleurs grises, dont la cité tient son surnom, et dont les pétales broyés servent à obtenir une teinture utilisée pour les robes du clergé (rq : de fil en aiguille, on peut dire que la première livrée des Word Bearers reflétait leur côté fleur bleue grise). Le Spire Temple, juché sur le Mont des Prophètes, en face du Square des Martyrs, domine Vharadesh de toute sa taille (un kilomètre de haut). Plus d’un million de fidèles y résident.

Kingwyrm : Aussi appelé Serpent de Khaane, ou la Ruine des Cités. Serpent de près de deux cents mètres de long, recouvert d’écailles triangulaires scintillantes d’or et de rouge, chacune de la taille d’un bouclier. Des aiguillons noires de cinq mètres, semblables à des membres atrophiés, tapissent son corps. Sa tête est protégée par une crête osseuse, marquée d’ocre, de bleu et d’or. Ses yeux sont à facettes, comme ceux d’un insecte. Il fut tué par Lorgar pendant sa conquête de Colchis, avant qu’il ne prenne le contrôle de Vharadesh.

 

WOLF RIDERS [WFB]

 

Bonjour à tous et bienvenue dans cette revue critique (longuement attendue1) de l’anthologie Wolf Riders, initialement publiée par GW Books, vénérable ancêtre de la Black Library, en l’an de grâce 1989. Pour quiconque est familier de l’époque et du premier recueil de GW-Fiction sorti quelques semaines plus tôt (Ignorant Armies), ce second volume de nouvelles prenant place dans le monde de Warhammer Fantasy Battle s’inscrit dans la droite ligne des travaux initiés par David Pringle sous la houlette du démiurge littéraire Bryan Ansell. Nous y retrouvons donc les textes d’une poignée d’auteurs recrutés par Pringle dans le vivier de la revue dont il était le co-fondateur et éditeur (Interzone), ayant pour trois d’entre eux (William – Bill – King, Brian Craig et Jack Yeovil) déjà participé à Ignorant Armies.

1 : Non pas que mes armées de fans me l’ait réclamée à corps et à cris, sacrifiant leurs premiers nés et toutes leurs économies dans l’espoir illusoire d’attirer mon attention sur le sujet, mais il faut bien reconnaître que 30 ans séparent la publication de ce recueil avec sa première (à ma connaissance) critique française.

Sommaire Wolf Riders

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Wolf Riders voit le retour de personnages déjà rencontrés par le lecteur, comme la pas encore tout à fait iconique paire Gotrek & Felix (Geheimnisnacht) et le reste de la famille Von Diehl (The Laughter of Dark Gods), et voit les débuts d’une autre « célébrité » de Warhammer Fantasy Battle: le détective Halfling Sam Warble, qui fera une distinguée carrière de PNG dans les ouvrages de WFB Roleplay. Pour le reste, et également comme ce fut le cas pour Ignorant Armies, une partie non-négligeable du corpus ici étudié est constituée des seules et uniques contributions d’auteurs n’ayant pas lié leur destin littéraire à la GW-Fiction. Fans de Ralph T. Castle, Pete Garratt et Simon Ounsley, voici le seul ouvrage contenant des contributions Warhammeresques de vos idoles. Raison de plus pour en profiter.

Publié sous l’exotique format B et disposant d’illustrations intérieures en noir et blanc (une bonne initiative qui sera abandonnée dès la réédition du livre par Boxtree), dont certaines du légendaire Paul Bonner (Loup SolitaireConfrontationDonjons & DragonsMagic the Gathering…), Wolf Riders occupe la place jamais facile du cadet, destiné à être comparé – en bien et en mal – à son aîné ad vitam aeternam. Et, devinez quoi, c’est exactement ce que nous allons faire ici, après avoir soigneusement décortiqué toutes les huit nouvelles que comporte cet antique ouvrage, bien sûr. En selle (Bryan?), donc.

Wolf Riders

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Wolf Riders – W. King:

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INTRIGUE:

Wolf Riders - 1

Art: Paul Bonner

Alors que nous avions laissé nos héros à crapahuter nuitamment aux alentours de Bogenhafen pendant la tristement célèbre Nuit des Secrets (Geheimnisnacht) dans la nouvelle initiale autant qu’initiatique du même nom, nous les retrouvons bien plus au Sud, dans les Principautés Frontalières, alors que Felix a trouvé le moyen de se mettre dans de beaux draps. Témoin de la drague lourdingue dont une frêle demoiselle faisait les frais dans le relais trappeur où notre héros venait d’entrer s’en jeter un petit, pendant que l’autre (petit) était parti couler un bronze dans la forêt, notre romantique héros a en effet trouvé malin d’intervenir, provoquant l’ire des trois (ruffians recouverts d’une bonne couche de graisse d’) ours faisant du pied – normal pour des plantigrades – à Boucles d’Or. Bien mal lui en a pris, les harceleurs n’appréciant guère être interrompus en plein malespreading, et le faisant savoir en termes non incertains1. D’excuses non acceptées en menaces explicites, la situation finit par tout à fait dégénérer, et le poète d’Altdorf (qui semble à ce moment avoir oublié qu’il disposait d’une épée) aurait bien mal fini sans l’arrivée à point nommé de son compagnon, dont la simple apparence et le sourire ravagé (plutôt que ravageur) convainquent les trois gros cochons de prendre congé séance tenante.

Ayant sauvé la face – et pas que… – Felix recueille les premiers dividendes de son intervention zéroïque, en raccompagnant la belle Kirsten jusqu’à la charrette de Frau Winter, la sorcière dont elle est l’apprentie. Et si l’humble hameau où le récit prend place a la chance de compter une mage parmi ses résidents, c’est que cette dernière fait partie des sujets du Baron exilé Gottfried Von Diehl, chassé de l’Empire quelques mois plus tôt, et parti dans les Principautés Frontalières avec ses gens se tailler un nouveau fief. Ayant déjà développé un honnête béguin pour la fraîche donzelle, qui lui dépose un chaste mais reconnaissant bécot sur la joue avant de prendre congé de son sauveur (même si « leurre » serait plus adapté, Gotrek ayant fait tout le boulot), Féfé persuade son comparse de proposer leurs services comme mercenaires au Baron, donnant ainsi à notre Don Juan en culottes rayées l’occasion de conclure, et à Gotrek celle de reposer ses pieds douloureux2. Nous apprenons par la même occasion pourquoi nos compères sont partis prendre le bon air du Sud : rencardé par un tavernier Nain du nom de Faragrim (Capitaine du Grondor), Gotrek s’est mis en quête de la horde3 perdue de Karaz aux Huits Pics, trésor mythique gardé par un Troll l’étant tout autant, soient deux excellentes raisons pour un Tueur de membres du forum 15-18 de JVC de partir en balade. Ne souhaitant pas partager ce très hypothétique butin avec quiconque, le Dawi fait jurer à son commémorateur de garder le silence sur ce point, ce que ce dernier accepte sans problème. Une visite rapidement expédiée dans le camping car des cousins Von Diehl (Mannfred, neveu et héritier de Gottfried, et Dieter, fils bâtard du Baron et de Frau Winter), et l’affaire est entendue, même si Felix découvre avec effroi que les trois trappeurs seront également du voyage, et serviront de guide à la caravane de migrants…

Fast forward à travers les riantes forêts des Principautés, et les tout autant riants Gobelins qui hantent ces dernières, et prennent un malin plaisir à harceler les vaillants pionniers, et nous voilà devant les murs du village fortifié d’Akendorf. Pas de chance pour les gueux du voyage, la forte escorte mobilisée par les Von Diehl n’inspire pas du tout confiance chez les locaux, qui refusent catégoriquement de laisser les rescapés passer la nuit à l’abri de leurs murailles. Beaux joueurs, ils préviennent tout de même les marcheurs de ne pas aller plus au Sud, où s’étendent les sinistres Collines de Geistenmund, notoirement hantés par des morts sans repos. Bien évidemment, ce sera dans cette direction que les Von Diehl, dont la réputation de lignée maudite tient peut-être à ce genre de décisions malheureuses, décideront d’aller, ce qui aura de funestes conséquences. À toute chose, malheur est bon cependant, puisque c’est dans ce cadre bucolique que Felix aura, mais oui, l’occasion de conclure avec Kirsten (sans doute le passage le plus osé publié par la BL à ce jour). Bravo champion. S’en suit une attaque confuse et brumeuse de squelettes assez patauds, narrée de manière fragmentaire par un Bill King assez peu inspiré sur le coup. Deuxième satisfaction de la nuit pour Felix : il se tape Lars le trappeur, celui-là même qui lui avait fait des avances déplacées quelques jours plus tôt, dans le tumulte de la mêlée générale. Le jour se lève sur la victoire sans appel des vivants, qui peuvent reprendre la route malgré de nombreuses pertes, et l’inquiétante certitude que l’un des leurs est probablement responsable de l’attaque des sacs d’os, dont la sépulture a été ouverte à dessein…

Wolf Riders - 2

Fast forward bis, à travers les plaines méridionales cette fois-ci, où la présence de Gobelins (encore) ne dissuade pas nos trekkeurs de l’extrême de prendre possession d’un fort abandonné pour installer leur colonie. Felix, résolument amoureux de Kirsten à présent, se retrouve face à un dilemme cornélien : s’il souhaite refaire sa vie avec sa go, il doit trouver le moyen de plaquer son Go (et survivre à leur rupture, ce qui est loin d’être certain). Pour gagner du temps, il parvient à convaincre le Tueur d’aider les colons à fortifier leur domaine, ce qu’il accepte de faire sans trop rechigner. Ces précautions se révèlent assez rapidement fondées, une tribu de Chevaucheurs de Loups Gobelins (avec un titre pareil, ça ne faisait pas un pli) se présentant rapidement devant les portes du fort de rondins pour en poutrer les occupants (ce qui est assez approprié, reconnaissons-le). Malgré la présence de l’Impératrice Palpatine (Frau Winter, qui balance des éclairs bleus à tour de doigts) parmi les défenseurs, la situation n’est pas brillante pour ces derniers, car les Peaux Vertes peuvent elles aussi compter sur un chamane compétent. Alors que l’assaut final sur les portes de Fort la Latte (de bois) se prépare, Gotrek envoie Felix chercher la sorcière, mandée quelques minutes plus tôt par son suzerain…

Début spoiler…Notre poète ne fait pas le voyage pour rien, puisqu’il trouve la quasi-totalité des Von Diehl, ainsi que Frau Winter et surtout Kirsten, qui meurt dans ses bras, assassinés par Manfred. L’héritier souhaitait ainsi réaliser pour de bon la malédiction familiale, qui lui est montée à la tête depuis qu’il a été témoin de la déchéance de son père, jeté au cachot par Gottfried lorsque des mutations ont commencé à le frapper. Persuadé qu’un destin similaire l’attendait, Manfred a activement cherché à éteindre sa lignée, et est notamment responsable du lâcher de squelettes précédemment narré. Bizarrement, il se montre moins emballé par la proposition de Felix de l’aider à terminer ce qu’il a commencé, et lorsque les deux hommes commencent à se fritter, l’aristocrate a initialement le dessus, avant que sa vulnérabilité métatarsienne ne vienne sceller son sort4. Ceci fait, Felix s’en va à la rescousse des défenseurs, et retrouve un Gotrek bien esquinté – c’est à cette occasion qu’il perd son œil – par son combat victorieux contre le chamane Gobelin et ses gardes du corps Orques. Il ne faut toutefois pas longtemps à notre coriace psychopathe pour reprendre du poil de la bête, et entraîner son aède cafardeux vers la bouche de métro l’entrée de l’Ungdrin Ankor la plus proche, et au delà, le fameux trés-horde de Karak aux Huits Pics…Fin spoiler

1 : Et assez osés pour le public et l’époque, puisque l’un des trappeurs annonce même qu’il est prêt à se taper Felix plutôt que la fille. C’est ce qui s’appelle avoir la dalle.
2 : Sa seule faiblesse apparente. On connaissait le talon d’Achille, Warhammer a les durillons de Gotrek.
3 : Détail amusant, King fait deux fois de suite la même faute d’orthographe et utilise « horde » à la place de « hoard » (magot en anglais).
4 : On pourra dire qu’une nouvelle fois, Felix a pris son pied. Quel tombeur.

AVIS:

Wolf Riders - 3

Art: Paul Bonner

Si Geheimnisnacht marque la première apparition de Gotrek et Felix, Wolf Riders occupe une place tout aussi importante dans la genèse du couple le plus iconique de la Black Library. Soumission plus conséquente que sa prédécesseur, cette nouvelle permet à King de développer à la fois ses personnages et sa vision du monde de Warhammer, qu’il parvient à rendre à la fois incroyablement sombre, dangereux et sinistre, mais également crédible et authentique. La trouvaille de l’auteur, qui s’incarne littéralement dans ses deux héros, consiste à incorporer des éléments de « normalité heureuse », telle que la romance (consommée, et c’est assez rare pour le souligner, la BL étant bizarrement assez prude sur ce sujet) entre Felix et Kirsten pour faire contrepoint à l’avalanche de grimdark que les protagonistes doivent endurer par ailleurs, et dont Gotrek est la personnification parfaite.

Un autre point positif de cet épisode de l’infinie (dans tous les sens du terme) saga de l’Omnitueur est la vulnérabilité dont King le dote, et qu’il perdra bientôt pour se transformer en invulnérable machine à occire, ce qui résultera en un désengagement émotionnel de la part du lecteur. Au moment où Bill King écrit cette nouvelle, Felix et Gotrek ne sont en effet pas des légendes de la GW-Fiction, mais deux nouveaux personnages récemment créés, et dont la disparition ne chagrinerait pas grand-monde. Du fait de sa profession, on sait que Gotrek est susceptible de rencontrer une fin violente et rapide, et lorsqu’il se jette dans la mêlée à la fin de l’histoire, le lecteur de 1989 pouvait tout à fait penser qu’il ne s’en sortirait pas cette fois-ci. S’il avait voulu jouer la carte du grimdark nihiliste jusqu’au bout, King aurait très bien pu opter pour donner à son héros une mort indigne (se faire tuer par un mage Gobelin n’étant pas très glorieux pour un Tueur Nain), soulignant ainsi la cruauté du monde de Warhammer. S’il ne l’a pas fait, on ressent tout de même un suspense plus important que lors de la majorité des aventures du duo, ce qui est très appréciable.

Seul léger bémol à cette partition autrement très satisfaisante, la mise en scène décousue des affrontements majeurs (la skelly night et le siège du fort) de la nouvelle, dont King ne livre que quelques fragments « felixiens », qui ne permettent pas vraiment au spectateur de se plonger dans ce qui auraient dû être des apex épiques de l’intrigue. Personne n’est parfait. En tout cas, Wolf Riders tient bien sa place de nouvelle centrale du recueil éponyme dans lequel elle figure, et se place parmi les tous meilleurs épisodes de la série. Un vrai classique.

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The Tilean Rat – S. Mitchell:

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INTRIGUE:

Par une nuit humide et froide, dans le dédale sans foi ni loi de Marienburg, un héros tourmenté se retrouve confronté à un dilemme cornélien. Le choix qui s’offre à lui a beau paraître simple, les conséquences en seront irréversibles, et le poursuivront sans relâche pendant… au moins quatre heures. Bon, il a fait son choix le petit Monsieur ? Ce sera un soufflé aux noisettes ou des cerises à la Bretonienne pour le dessert ? Alors que Sam (Buttermere pour sa vieille môman) Warble était en train de soupeser cette grave question avec tout l’attention qu’elle mérite, il est interrompu par l’arrivée à sa table réservée du Tablier d’Esmeralda, son QG officieux, d’une Elfe rousse. Ce qui n’est certes pas banal. L’arrivante, qui se prénomme Astra et dit venir de la lointaine cité de Feiss Mabdon, a eu vent des talents particuliers du Sieur Warble, et cherche à le recruter pour retrouver un précieux artefact lui ayant été volé dans sa chambre à l’auberge du Cygne Volant. Prête à tout pour remettre la main sur la statuette du Rat Tiléen1, héritage familial à la valeur sentimentale aussi forte que son aspect est kitchissime, Astra règle sans sourciller une coquette avance à notre détective privé aux pieds poilus, qui promet de se mettre en chasse dès le lendemain (le dîner, c’est sacré).

Fort de sa connaissance intime de la cité marchande, Warble passe en revue tous les lieux de recel potentiel où le voleur aurait pu chercher à écouler son rat mal acquis, faisant chou blanc mais glanant tout de même quelques informations de premier choix de la bouche du Vieil Harald, antiquaire vénal mais bavard une fois sa patte graissée. Il semblerait en effet que Sam ne soit pas le seul à chercher la pièce, Harald ayant été interrogé à ce sujet le même jour par un gros lard bien habillé accompagné d’un acolyte petit et fluet. La partie se compliquant, notre héros résout de jouer la sécurité en rapportant l’affaire à un de ses contacts dans la Milice Urbaine, l’affable Capitaine Gil Rolan, en profitant pour se rencarder sur la découverte possible de cadavres frais dans les canaux de la ville, destin probable de quiconque se hasarderait à cambrioler un établissement aussi huppé et « bien en guilde » que le Cygne Volant. Là encore, rien à signaler, ce qui plonge le Halfling dans un doute de plus en plus profond quant à la mission qu’on lui a confié. Lorsque la meurtrière Lisette, autre contact de ce dernier, lui confirme que la Guilde des Voleurs n’a pas autorisé ses membres à chasser au Cygne, il doit se rendre à l’évidence : il y a quelque chose de très louche sous cette affaire.

En route vers la taverne convenable la plus proche pour casser la croûte, Warble est soudainement abordé par… un gros lard bien habillé, qui se présente comme Erasmus Ferrara, et confesse volontiers être à la recherche du Rat Tiléen. Accompagné d’un complice nommé Leppo, dissimulé sous un grand manteau et un large chapeau, il cherche, entre deux éclats de rire tonitruant, à débaucher Warble, Astra étant une de ses concurrentes, et non pas la légitime propriétaire de la statuette, comme elle l’avait annoncé. Fidèle à son éthique professionnelle, Sam refuse de retourner sa veste, ce qui fait bien rire Ferrara (qu’un rien amuse). Laissant le détective réfléchir à son offre, l’antiquaire portugais repart en se gondolant comme une baleine, tandis que Warble va se remettre de ses émotions au Tablier. Là, il fait la rencontre d’un marin Norse bien renseigné, qui lui détenir le Rat, et être prêt à discuter d’un prix pour ce dernier avec sa cliente dans un endroit discret des docks, le soir même. Pas vraiment ravi de s’être fait manipuler de la sorte par l’Elfe rouquine, Warble, en vrai professionnel, va tout de même lui faire son rapport, et lui transmettre la proposition du loup de mer, qu’elle accepte de grand cœur.

The Tilean Rat

Art: Martin McKenna

Notre héros aurait pu en rester là, sa mission accomplie et ses gages payés, si l’arrivée d’un Harald outré au Tablier n’avait, de façon ironique, remis une pièce dans la machine. Car cette fourbe pingre d’Astra a cru malin de rémunérer Warble avec des pièces de plomb doré, ce dont Harald, qui en a hérité d’une un peu plus tôt, n’a pas tardé à se rendre compte. Déterminé à avoir le fin mot de l’histoire, Sam suit discrètement Astra à sa sortie du Cygne Volant, jusqu’au point de rendez-vous fixé par le Norse. Ce dernier, plus doué pour faire des frayeurs aux Halflings qu’à négocier pied à pied avec les Elfes, se fait prestement éviscérer et exproprier (pas nécessairement dans cet ordre), plaçant la précieuse statuette en possession d’Astra… mais pas pour très longtemps. L’Elfe croise en effet la route de Ferrara et de Leppo alors qu’elle se rendait au temple de Khaine (le roux était probablement du henné) clandestin de Marienburg avec sa prise. Double surprise pour un Warble très nauséeux (les penchants des Khainites en termes de décoration d’intérieure sont… particuliers), mais toujours en filature : le gros lard était un mage, probablement de Slaanesh, et Leppo, son Snotling domestique. Quelle décadence. La conversation entre les deux rivaux prend rapidement un tour venimeux, avant de franchement dégénérer. Astra fracasse le crâne de Leppo d’un coup de statue bien placé, et se prend un carreau d’arbalète de la part de Ferrara en représailles, avant que les acolytes des uns et des autres ne se mêlent au débat et que les sortilèges ne commencent à voler. Réalisant qu’il est temps pour lui de s’éclipser, Sam a le soulagement de croiser au cours de sa retraite stratégique une patrouille menée par Gil Rolan, toute prête à ramasser les survivants de l’affrontement entre cultistes. Quant à la statuette, elle n’avait finalement aucune valeur particulière, seule son socle, constitué d’une rare pierre de sang, suscitant la convoitise des praticiens des arts occultes. QUAND ON VOUS DISAIT QUE LE SOCLAGE, C’EST IMPORTANT, NOMDIDIOU !

1 : Qui pourrait très bien être une figure de Verminarque lourdement convertie et peinte par Darren Latham, si on en croit la description qui en est faite. Ce serait effectivement une précieuse relique.

AVIS:

Deux réactions possibles à la lecture de The Tilean Rat. Soit vous avez lu/vu le roman/film noir (Le Faucon Maltais ou The Maltese Falcon en VO) que Mitchell pastiche ici sans vergogne, et vous êtes donc en capacité d’apprécier toutes les références glissées par l’auteur dans son texte à sa source d’inspiration. Soit vous ne faîtes pas partie des happy few familiers de l’oeuvre de Dashiell Hammett et/ou John Huston (ce que l’auteur de ces lignes avoue sans honte avoir été, jusqu’à que quelques recherches complémentaires lui permettent de découvrir le pot aux roses, ou au rat), et vous vous demandez sûrement ce que Mitchell avait fumé au moment d’écrire cette nouvelle. Avec un peu de recul, et bien que je reste convaincu que la connaissance du « matériel original » soit la condition sine qua non pour tirer le plein potentiel de The Tilean Rat, on peut toutefois reconnaître à Sandy Mitchell une histoire assez rondement menée (même si pas aussi sombre que Le Faucon Maltais, qui est considéré par beaucoup comme l’un des archétypes du roman noir), mettant en scène un héros assez attachant (à l’inverse d’Astra et Ferrara, qui sont beaucoup trop ouvertement parodiques à mon goût) dans un décor pittoresque. On peut déjà sentir l’esprit impertinent, mais respectueux malgré tout, de Ciaphas Cain percer sous Sam Warble, personnage qui fit une honnête carrière au sein de la GW-Fiction, et bénéficie encore aujourd’hui d’une certaine considération de la part des plus érudits des nouveaux contributeurs de la BL (dont l’incollable Josh Reynolds). Bref, The Tilean Rat n’est peut-être pas la nouvelle la plus marquante du corpus de Games Workshop, mais elle demeure l’une des plus intéressantes, et un moyen assez sûr de briller en société, si le cœur vous en dit.

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The Phantom of Yremy – B. Craig:

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INTRIGUE:

The Phantom of Yremy

Art: Martin Perrott

La paisible bourgade d’Yremy, située dans la grande banlieue de Moussillon, en Bretonnie, frissonne et se passionne dans le même temps pour les exploits crapuleux d’un mystérieux cambrioleur visitant les hôtels et les manoirs de ses honnêtes bourgeois. L’événement est d’autant plus notable que la ville était jusqu’alors connue pour son application sévère mais juste des lois du Royaume, maintenant par l’exemple le taux de criminalité à des niveaux très raisonnables, au grand déplaisir du petit peuple1. Magistrat à la cour de justice locale, l’honorable Mr Voltigeur (en français dans le texte2) suit les déprédations de celui que l’on nomme bientôt le Fantôme d’Yremy avec un intérêt tout professionnel, jusqu’à ce qu’il devienne clair que le faquin cible précisément l’entourage du juge par ses larcins, faisant de ce dernier le récipiendaire probable d’une cabale aux motifs encore incertains. Lorsque le Fantôme s’introduit chez l’une des filles de Voltigeur pour lui dérober un cœur de bois qui lui avait été remis par sa défunte mère, qui, à défaut d’avoir une quelconque valeur marchande (la sotte fille ayant préféré se marier par amour plutôt que par raison, au grand désespoir de son père), avait une grande valeur sentimentale pour la victime, le Grand Juge – comme on le surnomme dans la ville, en reconnaissance de son inventivité dans les sentences décrétées – fait de ce cas une affaire personnelle, et défie le forban de venir lui rendre visite à son domicile, où il se fera fort de lui rendre la monnaie de sa pièce.

Résolu mais pas téméraire, Voltigeur prend aussitôt des mesures pour ne pas se retrouver bêtement embroché par l’épée de sa Nemesis, qu’une précédente rencontre avec un garde motivé mais pas tellement dégourdi, a permis d’identifier comme une fine lame. Secondé par son fidèle ami et subalterne Jean Malchance, avec lequel il a fait ses classes et qui est devenu son greffier attitré après ces dernières, le juge prend soin d’armer ses domestiques, et engage même un sorcier du nom d’Odo (juste Odo… pas très impressionnant comme nom de scène) pour protéger par des sceaux magiques les portes et coffres de sa demeure. La nuit tombe une fois ces préparatifs accomplis, et, bien que rassuré par les mesures prises pour sa protection, et la certitude que Malchance se tient prêt à intervenir depuis la pièce adjacente où il a choisi de se positionner, Voltigeur sombre difficilement dans un sommeil troublé…qui est interrompu par l’arrivée du fameux Fantôme au pied de son lit. Craignant, à juste titre, pour sa vie, Voltigeur a toutefois la surprise d’entendre l’intrus lui annoncer que cette première visite n’a que pour but prononcer la sentence que le Fantôme réserve au juge. Le mystérieux bandit, dont l’identité est dissimulée derrière un masque noir et un long manteau à capuche, promet toutefois de revenir le lendemain pour recueillir la confession du condamné, et le jour d’après pour exécuter la sentence. En attendant, il se contente de repartir avec le peigne en argent de Mme Voltigeur, malgré le fait que l’objet se trouvait dans un coffre enchanté.

Ayant, un peu tard, songé à appeler à l’aide, Voltigeur ne peut que constater la disparition inexplicable du Fantôme, dont le bruit des exploits retenti dès le lendemain dans Yremy. Inquiet mais pas découragé pour autant, notre héros passe la journée à renforcer encore ses protections, aussi bien ésotériques (grâce à ce bon vieil Odo et ses alarmes magiques pratiquement toujours efficaces, mais également au renfort d’un prêtre de Morr local, Hordubal) que matérielles, via l’acquisition d’un pistolet (pas très fluff pour un Bretonnien). Bien évidemment, cela n’empêche pas le Fantôme de revenir lui conter fleurette à la nuit tombée, et de repartir cette fois avec la robe de chambre préférée de Mme Voltigeur, qui semble donc être son love interest indéniable. Peu familier du fonctionnement des armes à feu, Mr Voltigeur s’est fait surprendre par la fumée et le bruit de sa pétoire, pour des résultats spectaculaires mais peu concluants. Alertée par ce boucan, sa garde rapprochée fait irruption dans la pièce, sans trouver le malotru tourmentant le pauvre magistrat, dont la puissance cognitive se trouve mise en échec par les apparitions et disparitions inexpliquées du Fantôme. Questionnés à ce sujet, tant Odo que Hordubal se perdent dans des conjonctures oiseuses. Quant à Malchance, il a le toupet d’envisager que Voltigeur lui-même soit le Fantôme, étant le seul à l’avoir vu, ainsi que le seul à avoir eu la possibilité de prendre les objets subtilisés des coffres sans en déclencher l’alarme. Outré par cette insinuation, pourtant basée sur une simple déduction logique, Voltigeur chasse à grands cris ses consultants de la place, et se résout à attendre seul la troisième et dernière venue de son tourmenteur…

Début spoiler…Lorsque la nuit tombe sur Yremy, et que le Fantôme revient visiter sa victime, il trouve cette dernière prête à l’accueillir. En plus d’avoir percé les arcanes de fonctionnement de sa pétoire, Voltigeur a fini par déduire que le malandrin ne pouvait être que Malchance, qui ne se fait pas prier pour se démasquer une fois s’être rendu compte qu’il l’était (il fait chaud sous une capuche en cuir). Reste le mobile du crime à identifier, ce qui laisse notre brave et bonhomme Voltigeur confus : lui qui avait toujours considéré son greffier comme un ami fidèle ne s’explique pas la perfidie de ce dernier. Malchance révèle alors qu’il n’a jamais pu pardonner à son camarade de lui avoir volé la femme qu’il aimait et dont il était aimé, qui a choisi de se marier au meilleur parti plutôt que par passion. Ajoutez à cela le fait que Voltigeur ait été un gros lourdaud, s’appropriant éhontément les idées de son subalterne, et se révélant au final un être assez nauséabond, et la coupe était plus que pleine pour Malchance, qui a patiemment attendu son heure pour pouvoir accomplir sa vengeance. Le vol des babioles sentimentales de la famille Voltigeur constituait ainsi pour lui un moyen de se réapproprier l’amour de la femme qui aurait dû être sienne, et la rumeur qu’il a contribué à lancer sur la duplicité de Voltigeur, corroborée par la trouvaille le lendemain par la milice urbaine de tous les objets précédemment dérobés au domicile du juge, achèvera de sceller sa revanche. Peu enclin à coopérer, Voltigeur dégaine une nouvelle fois l’artillerie lourde, mais fait les frais d’un méchant incident de tir, le fût de son arme ayant été obstrué par Malchance un peu plus tôt dans la journée. Victime d’un shrapnel fatal, le juge n’est plus en mesure de plaider son innocence auprès de l’opinion publique, qui se fait une joie de gober la version concoctée par le greffier rancunier. Ce ne sera que bien plus tard, sur son lit de mort, que Malchance avouera la vérité à un troubadour itinérant, qui répandra l’histoire aux quatre coins du royaume, et même au-delà…Fin spoiler

1 : Qui aimerait bien qu’on le laisse traficoter peinard, au lieu de le forcer à s’esquinter la santé à cultiver des navets et des betteraves. C’est bien connu, les pauvres, ce sont tous d’infâmes profiteurs feignasses.
2 : Une langue que Brian Craig maîtrise parfaitement. Il a d’ailleurs traduit un grand nombre d’ouvrage depuis le français vers l’anglais au cours de sa carrière.

AVIS:

Brian Craig est sans doute l’un des contributeurs de la GW-Fiction les plus clivants qui soient. Son style particulier, résolument éloigné des canons de la maison, peut dérouter le lecteur, tout autant que sa tendance à placer ses histoires « en dehors » du monde de Warhammer, afin de se concentrer sur le développement de ses personnages, qui peuvent apparaître comme peu représentatifs de l’univers dans lequel ils évoluent. Craig et le grimdark, cela fait deux (au minimum), c’est certain, et je peux donc tout à fait comprendre les réactions épidermiques que sa prose pourrait générer chez l’amateur de ce genre de littérature. D’un autre côté, cet auteur est un des conteurs les plus doués et les plus singuliers ayant travaillé pour Games Workshop, et lorsqu’il choisit d’insuffler un peu d’humour à son récit, comme c’est ici le cas, le résultat vaut vraiment le détour, mon humble avis. The Phantom of Yremy est donc à mes yeux le parfait échantillon littéraire permettant de déterminer la compatibilité du lecteur avec la production, finalement assez conséquente, de Brian Craig pour la GW-Fiction. Si la perspective de passer trente pages à lire un huis-clos mêlant mystère, humour (pince sans rire) et commentaires badins sur la vie dans une ville de Bretonnie créée pour l’occasion et dont personne n’a plus entendu parler depuis vous interroge plus qu’elle en vous rebute, voici une nouvelle qui risque fort de vous surprendre (en bien). À l’inverse, si vous ne voyez la Bretonnie que sous le prisme de la quête du Graal et des charges en fer de lance, je ne saurais trop vous conseiller de passer votre chemin. Il en faut pour tous les goûts !

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Cry of the Beast – R. T. Castle:

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INTRIGUE:

Tomas (sans -h) vit avec son beau-père adoptif Brodie dans une masure sur la côte tiléenne, non loin de la cité de Remas. Orphelin de père et de mère, il a été recueilli par ce généreux Halfling dans sa prime enfance, et a grandi jusqu’à atteindre l’adolescence, aidant son tuteur à la pêche en semaine et gagnant un peu d’argent de poche sur les marchés le week-end en faisant des acrobaties. Pêcheur jongleur vaut toujours mieux que casseur flowteur, comme on dit à Miragliano. Notre histoire commence, assez logiquement, par un cri strident qui vient tirer le héros de son sommeil alors que l’aube n’est pas encore venue planter ses doigts roses dans les bajoues flasques de la nuit, comme aurait pu l’écrire Homère en son temps. Intrigué plus qu’inquiet par cet événement incongru, Tomas se tient prêt à sortir de la bicoque familiale pour enquêter sur ce tapage techniquement encore nocturne, mais se fait subrepticement retenir par Brodie, qui lui prépare séance tenante un copieux petit déjeuner avant qu’il n’ait pu passer la porte, super pouvoir Halfling qui retarde notre héros jusqu’au lever du jour.

Ses œufs brouillés et son pain frit avalés, la table débarrassée et la vaisselle faite – on ne rigole pas avec ces choses là chez Brodie – Tomas est enfin libre de sortir sur la plage, où il trouve une jeune fille Elfe étendue de tout son long. Appelant Bro’ à la rescousse, et grâce aux solides notions de secourisme dont dispose ce dernier, qui a décidément tous les talents, le deux larrons parviennent à réanimer la donzelle, qui a échoué sur le pas de leur porte après que son bateau ait fait naufrage la nuit précédente. Ramenée au chaud et au sec, elle révèle s’appeler Linna, et s’inquiéter fortement pour son frère ivrogne et joueur, Corma, qui voyageait avec elle. Pendant que Brodie va inspecter l’épave des Elfes navigateurs, qui sont par la force des choses devenus sous-marins, Tomas a le temps de faire plus ample connaissance avec son invitée, qui se révèle être assez câline, sans que ce balourd de Toto ne saisisse la perche que cette dernière (à moins que ça ne soit l’auteur) lui tend. Au retour de Brodie, qui n’a malheureusement trouvé aucun autre survivant, le trio se réconforte autour d’un bon gueuleton, ce qui donne au Halfling l’occasion de se lancer dans ses histoires, et en particulier celle du brave Richard Crowell, dont la première qualité était sans doute d’avoir un nom normal dans un univers de Fantasy. Même Nagash est jaloux. Exterminateur de bestioles chaotiques et pacificateur de la région de Remas il y a de cela des années, Crowell finit par partir chasser la tarasque dans son habitat naturel, la Norsca, dont il ne revint jamais. The end. Sur ces belles paroles, il est déjà temps d’aller se coucher, et les deux garçons laissent galamment la chambre de Tomas à disposition de Linna, dont les tentatives désespérées de se taper le héros tombent dans l’oseille d’un four. L’interspécisme, ça ne donne jamais rien de bon (comme le prouve bien l’exemple d’Eluréd1).

Il en faut cependant plus que ça pour décourager la nymphette de sortir de la friendzone, et elle réveille Tomas peu de temps après… parce qu’elle a vu quelque chose à la fenêtre. À première vue, cette chose semble être le disparu Corma, que Linna s’empresse d’aller saluer. À deuxième vue cependant, c’est bel et bien un Bisounours de Slaanesh (un Baisounours, donc), adepte de transformisme, qui se tient sur le pas de la porte, accompagné de quelques Gobelins. Because why not. Désolation pour Linna, qui se fait charrier comme un sac à patates par la bête, dont le glapissement lubrique déchire à nouveau la nuit. Consternation pour Tomas, impuissant à empêcher le monstre de repartir avec la fille qu’il considère juste comme une amie. Renonciation pour Brodie, finalement réveillé et pas très chaud à l’idée d’aller faire un safari en pleine obscurité. Le prudent Halfling parvient toutefois à retenir son fils adoptif assez longtemps pour lui apprendre la vérité sur ses origines : il n’est autre que le fils du légendaire Crowell, laissé aux bons soins du cuisinier (Brodie) de son expédition punitive pendant que le héros et son armée s’aventuraient en Norsca. Le semi-homme remet à l’adolescent la pierre d’aube enchantée que portait sa mère, capable de dissiper la magie, et l’informe que son père portait exactement la même le jour de son départ (you see what’s coming ?). Ainsi briefé, Tomas, toujours sans hache mais désormais en possession d’une épée rouillée, se jette à la poursuite de Winnie the Foe, réglant leur compte à son entourage de Gobelins en chemin.

Cry of the Beast

Art: Tony Hough

Parvenu à une grotte, il croit apercevoir Linna enchaînée à un rocher, mais son nouveau talisman lui permet de percer à jour les faux-semblants de son ennemi avant de finir en sashimi. La bataille qui s’en suit contre le Champion de Slaanesh ayant atteint le grade exalté de Furry se passe assez mal pour notre héros (illustration à l’appui), qui ne doit son salut qu’à ses compétences d’acrobate, la stupidité de son adversaire, et quelques gros rocher bien placés, que Tomas arrive à déverser en avalanche sur la sale bête. Cette victoire par K.O. et K.You a toutefois un goût doublement amer pour Toto, qui n’est pas long à s’apercevoir que sa bonne amie s’est faite boulotter comme un vulgaire Twix par le monstre, et que ce dernier n’est, ô surprise, autre que son père, comme l’atteste la pierre d’aube qu’il portait autour du cou. Ces réalisations poussent assez logiquement Tomas dans les bras vengeurs de Solkan, le dieu des vrais rageux, et nous prenons congés de notre héros après qu’il ait pris le parti de marcher sur les traces de ses parents et d’aller à son tour botter les fesses des méchants chaoteux du grand Nord. Tu quoque, fili.

1 : La preuve, personne ne sait ce qu’il est devenu.

AVIS:

Si Cry of the Beast peut paraître étrange au lecteur contemporain de la GW-Fiction, incarnée depuis maintenant des décennies par la Black Library, et comporte certainement son lot de bizarreries plus ou moins justifiables, tant d’un point de vue fluffique (une Haut Elfe qui drague un paysan humain ? Des Gobelins qui accompagnent un champion chaotique ?) que de celui des « conventions canoniques » usitées dans la littérature Warhammeresque (comme le fait de ne pas appeler un Tiléen avec un nom de comptable anglais), la tentative de Castle est assez honnête pour l’époque. Sur le canevas classique de la quête initiatrice d’un héros destiné à la grandeur par un héritage qui lui était jusque là caché, l’auteur tisse une histoire convenable, et finalement assez sombre (ou tout du moins elfophobe), sous son air de high fantasy. En choisissant pour antagoniste un Élu du Chaos corrompu par les forces maléfiques qu’il s’était juré de combattre, Castle démontre sa compréhension d’une des idées sous-tendant le lore des franchises de Games Workshop, faisant du Crowell en porte-jarretelles le lointain ancêtre d’Archaon. Oui, cette comparaison me fait plaisir.

Finalement, les vrais défauts gênants de Cry of the Beast sont certainement à chercher du côté de son intrigue et de sa construction, qui sont loin d’être au-dessus de tous reproches, le principal étant l’apparition inexpliquée de la fameuse bête sur la côte tiléenne, qui aura attendu bien longtemps et fait un looooong chemin pour retrouver son descendant. Pourquoi à ce moment, et comment a-t-il trouvé la trace de Tomas ? Mystère. Concomitamment, le naufrage du navire de Linna juste au moment où le Bébête-Show arrive en ville plage, afin de donner une raison supplémentaire au héros de se confronter au monstre, est tellement intéressé d’un point de vue narratif que cela ne m’étonnerait pas que le fameux cri de la bête soit un long et plaintif WIIIIIIIIIIIIIIIIIJH… On ne saura jamais la suite de l’épopée que Ralph T. Castle voulait donner à son héros (tout le monde n’est pas Konrad), mais il y aurait eu des choses à rectifier pour en faire une lecture digne de ce nom.

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No Gold in the Grey Mountains – J. Yeovil:

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INTRIGUE:

No Gold in the Grey Mountains

Art: Dave Gallagher

Joh Lamprecht, patron d’une TPE de collecte de fonds dans l’arrière-pays du Reikland, emmène sa bande de hors la loi à l’assaut de la diligence transportant les taxes de la ville minière de Raukner jusqu’aux coffres du bon empereur Karl Franz, lorsque le destin lui joue un bien vilain tour. Le fiacre ciblé se révèle inexplicablement dénué du précieux chargement convoité par les bandits1, qui peuvent cependant se consoler, après s’être passé les nerfs sur le pauvre conducteur et le noble pompeux qui voyageait dans la carriole (et s’est rendu compte de la dangerosité insoupçonnée de l’essuyage de carreaux, si votre interlocuteur a une arbalète), à la vue de la dernière passagère. La dame Melissa d’Acques, 12 ans, autant de neurones et, surtout, son papa très riche, peuvent en effet faire le bonheur de Joh et consorts, pour un peu que l’ado attardée sur laquelle ils ont mis la main, et qui ne réalise pas du tout la gravité de sa situation, leur donne les moyens d’expédier une demande de rançon en bonne et due forme à l’un de ses nombreux domiciles.

Pour l’heure, les malfrats (l’affreux Johjoh, le nemrod anxieux Yann Groeteschele, le gladiateur psychopathe et lycantrope Rotwang, et Fat Fool Freder, comme ses collègues l’appellent) décident d’emmener leur invitée jusqu’à leur camp de base, installé dans les ruines lugubres mais désertes du château de Drachenfels (l’histoire se déroule après la purge organisée par Oswald et Genevieve). L’ambiance n’est pas folichonne et la déco franchement datée, mais les voisins ne viennent pas vous embêter, c’est certain. La nuit tombée et Melissa enfermée dans sa chambre, la bande se réunit pour établir un plan d’actions visant à enfin toucher le gros lot, après des mois de chiche brigandage. Cependant, à l’intérieur du château abandonné, une ancienne et maléfique présence s’est éveillée, et Melissa pourrait bien ne pas être la seule à devoir se faire un mauvais sang…

1 : Qui aurait dû se douter que les braves mineurs de Raukner, dont trois virements avaient déjà été interceptés par les ruffians dans des conditions similaires, avaient changé leurs préférences de paiement. Un petit Lydia, ça change tout.

AVIS:

Après avoir donné un petit masterclass en matière de nouvelle d’aventures à la sauce Warhammer dans son Ignorant Armies, publié dans le recueil du même nom, Yeovil se penche sur un genre qu’il maîtrise particulièrement : l’horreur. Et si on ne retrouve pas ici de personnage précédemment mis en scène par l’auteur, mis à part une discrète mention de Geneviève et d’Oswald, l’utilisation du château – abandonné – de Drachenfels comme décor de ce court format à la sauce survival/maison hantée ferait presque illusion, tant ce lieu maudit pèse sur l’ambiance et l’intrigue de No Gold… On parle souvent d’Abnett comme le mètre étalon de la GW-Fiction, et c’est indubitablement vrai pour la production moderne et contemporaine de cette dernière (depuis le lancement de la Black Library, pour simplifier), mais Yeovil aurait fait un concurrent sérieux s’il avait repris du service après la fin de l’aventure GW Books/Boxtree. Ici, l’auteur démontre en quelques paragraphes sa capacité à instiller une atmosphère et convoquer des personnages plus intrigants qu’attachants, faisant de cette nouvelle un authentique page-turner. À un autre niveau, l’intégration d’un rebondissement final à l’intrigue permet de voir « travailler » un scénariste doué, que l’on ait deviné qui était l’antagoniste1 avant le dénouement final – auquel cas, on remarque l’habileté avec laquelle Yeovil entraîne le lecteur sur une fausse piste, en évitant avec maestria le moindre « faux raccord narratif » – ou bien que la surprise joue à plein – chanceux que vous êtes ! Blooding on the cake, on a même droit à quelques éléments de fluff, qui, si on peut douter de leur caractère canonique2 aujourd’hui, apportent une valeur ajoutée supplémentaire à No Gold… Bref, nous tenons ici, près de 30 ans avant que GW ne se lance sur le créneau, la toute première nouvelle de Warhammer Horror, qui n’a pas pris une ride et ferait une pièce centrale de choix dans les anthologies modernes de la BL. Faîtes moi confiance, je les ai lues…

1 : Ce qui était mon cas à la seconde lecture (qui a pris place tellement longtemps après la première que j’avais tout oublié de l’histoire, donc il y avait tout de même un challenge !). Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu une sorte d’épiphanie à la « Entretien avec un Vampire » au moment de la première apparition de la vieille dans la nouvelle.
2 : Friendly reminder que Yeovil a tellement impressionné le patron de l’époque de GW, Bryan Ansell, que ce dernier a arbitré un conflit de background en faveur de l’écrivain. C’est ainsi que Genevieve est restée une Vampire au lieu de devenir une Elfe.

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The Hammer of the Stars – P. Garratt:

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INTRIGUE:

Wurtbad, par un petit matin frisquet d’hiver. La cité impériale se réveille dans un état d’effervescence peu commun, du fait de la survenue mystérieuse d’une bande d’exotiques migrants à l’intérieur de ses murs pendant la nuit. L’incrédulité du lecteur, jusque là fermement suspendue au mur avec son consentement formel, s’écrase cependant violemment au sol et éclate en mille morceaux qui partent chacun en moonwalk lorsque nous faisons la connaissance des héros de notre histoire : Peredur Mappavrauch et sa cousine Saskia Whiteflower. Qui ne sont pas les joyeux migrants s’étant matérialisés dans Wurtbad, mais bien d’authentiques et véritables citoyens impériaux, aux patronymes des plus typiques, comme on peut bien s’en rendre compte. Nous en sommes à la cinquième ligne de la nouvelle.

Peredur est le fils d’un chevalier défunt (son honneur l’ayant poussé à accepter un peu trop de duels judiciaires comme commis d’office), dont la mère souhaite, assez naturellement, qu’il épouse une carrière d’érudit plutôt que de guerrier. Cela ne l’empêche pas d’aller s’entraîner quand il le peut avec les écuyers locaux, en compagnie de Saskia, un vrai garçon manqué elle aussi orpheline, mais ayant la chance de compter le Graf de Wurtbad comme oncle, ce qui lui permet de ne rien foutre de ses journées à part explorer les souterrains de la ville. Utilisant cette connaissance à bon escient, elle convainc Pepe de l’accompagner jusque dans la basse ville pour assister à la confrontation entre les arrivants et les autorités municipales, assez chafouines de devoir gérer un problème que les murailles de la ville auraient dû traiter. La rencontre, d’abord franchement tendue, entre les deux parties, finit par déboucher sur un compromis fragile : les chefs de la bande de vagabonds, qui prétendent venir en paix, acceptent de prêter serment de bien se comporter au temple de Verena de Wurtbad, ce qui est une garantie suffisante pour le Graf. M’est avis que le gonze est un peu myope, et qu’il a cru avoir affaire à d’honorables Nains, alors que ses hôtes n’étaient pas petits, mais juste loin. Disons cependant un mot des hôtes en question. Au marteau volant et au sanglier d’apparat, nous trouvons N’drug le Fort. Au bâton et au pipeautage magique, please welcome K’nuth le Gros. N’drug a également deux sœurs jumelles assez plaisantes à l’œil, D’vorah et C’tlain, qui se déplacent sur traîneau tiré par des lévriers géants. Bref, c’est probablement la belle famille de Radagast qui a débarqué à Wurtbad, soi-disant pour rendre hommage à Ulric et Taal pendant le jour sacré commun aux deux frères divins : le solstice de printemps.

Quand le grand jour arrive, Peredur trouve le moyen de croiser la route de la belle D’vorah alors qu’il se rend dans l’arène où les festivités doivent prendre place. Amouraché par les quelques mots échangés avant qu’elle ne s’éclipse, notre héros à la frayeur de la voir participer au spectacle organisé par les baladins, d’abord en jouant à la funambule sur une corde tirée entre deux tours, puis en partant en saute-bison, Minos-style, jusqu’à ce qu’elle chute lamentablement, forçant le vigilant N’drug à faire usage de son marteau magique pour calmer les ardeurs du ruminant enragé. Le banquet qui s’en suit voit plusieurs choses intéressantes se dérouler. Premièrement, les étrangers insistent très lourdement pour que leurs hôtes leur chantent leurs propres couplets d’un air traditionnel s’appelant L’Enigmatique Chanson des Phoques1, et qui selon la légende permet de guider celui qui fait sens des paroles jusqu’aux sept sceaux enchantés, gardant eux-mêmes le légendaire Marteau des Etoiles. Et d’ailleurs en y repensant, Saskia se souvient d’avoir vu un mural représentant une reine elfique portant un sceau dans les niveaux inférieurs de la ville. Ce qui n’est absolument pas suspect, bien sûr. Deuxièmement, ces mêmes étrangers insistent tout aussi lourdement pour que du vin de Fallerion soit servi à tous les convives, et consomment en grande quantité du piment brun d’Achillesia pour en combattre les effets hypnotiques. Ce qui est absolument normal. Troisièmement, le tuteur de Peredur à l’académie, frère Martin, ne se rend compte du 1) et 2) qu’une fois le mal fait, c’est à dire la secret Wurtbad mixtape partagée et la bibine hypnotique consommée. C’est moche de vieillir. Quatrièmement, le destin de Wurtbad repose désormais entre les mains de Pepe, Saskia et Martin, les seuls locaux à être restés sobres, dans le cas de Peredur parce qu’il s’est engueulé avec N’drug qui l’avait surpris en train de reluquer sa sœur et s’est mis à bouder depuis. À quoi tient le destin d’un héros, parfois.

The Hammer of the Stars

Art: John Ridgeway

Comprenant que la cité court un grave péril, et que les bateleurs à apostrophes ne sont pas aussi sympathiques qu’ils en ont l’air, le trio infernal court s’équiper au domicile de Peredur – qui hérite pour l’occasion de la magnifique armure de plates manteau2 paternelle – et Saskia, et s’enfonce dans les souterrains de Wurtbad. Après quelques détours sans intérêt, c’est la confrontation finale avec les ruffians, qui viennent de mettre la main sur… un sceau magique ? Non. Le Marteau des Etoiles ? Non ! L’identité secrète des deux Primarques disparus. NON !!! Rien de moins que le bracelet d’infinité de Thanos3, qui, si j’ai bien suivi, était la relique laissée en héritage par Verena dans la cité de Wurtbad, et qui garantissait la protection de la ville contre la magie maléfique. Pourquoi cette relique précieuse n’est pas gardée dans le temple de la déesse, mystère. En tout cas, la protection accordée par cette dernière laisse à désirer, puisque la parole donnée par les baladins dans ce même temple a été enfreinte sans que cela ne leur cause de problème. Avant que N’drug, qui a mis le bracelet malgré les grands « noooooooooon » des Wurtbader et Peredur se mettent sur la tronche, le premier a toutefois la bonté d’expliquer la raison de sa traîtrise. Mais alors, soit que lui ou que Castle, ou les deux, aient été bourrés à ce moment, en tout cas la révélation reste brumeuse. Une fumeuse histoire de disciple d’Ulric qui veut récupérer une arme puissante pour aller combattre le Chaos comme un vrai bonhomme, et n’hésite donc pas à aller se servir chez les citadins mous et gras pour arriver à ses fins. Problème, son essai du bracelet fait sauter les fusibles des torches de la crypte et déclenche l’alarme incendie, ce qui n’est jamais un bon signe. Cependant, il reste convaincu qu’il peut réparer sa boulette en ramenant le sceau au temple d’Ulric de Middenheim et le laissant en chargement jusqu’à l’hiver. Ce à quoi Frère Martin répond que c’est un bracelet magique, par une chaufferette de poche. En tout cas, ça n’aurait pas détonné, au point où nous en sommes.

La baston attendue s’engage, et se déroule à peu près comme on pouvait s’y attendre, l’inexpérimenté héros ayant d’abord le dessous face à la force brute de son adversaire, jusqu’à ce que ce dernier fasse une couennerie monumentale (en l’occurrence, frapper tellement fort avec son marteau que le manche se brise, provoquant un retour brutal de la tête chercheuse de l’arme dans le torse de son propriétaire). Saskia profite de la confusion pour menacer à bout touchant N’drug de sa hallebarde. Il décide de jouer au con en tentant de se relever, et se coupe un peu sur le fil de la lame. D’vorah, que tout le monde avait oublié, mais qui était là, comme K’nuth et C’tlain, tombe dans les pommes. Du coup, N’drug s’avoue vaincu, et jette le bracelet en même temps que l’éponge. Le temps pour C’tlain de faire une prophétie à deux balles sur le destin qui attend Peredur, et les forains mal lunés se téléportent hors de la crypte. (En)Fin.

1 : OK, en vrai c’est la ‘Chanson des Sceaux’. Mais ça a moins de charme.
: Elle s’enfile comme une veste. C’est concept.
3 : Vous croyiez vraiment que le gantelet se portait sans accessoire ? Tellement casual.

AVIS:

La contribution de Peter Garratt à la GW-Fiction, pour limitée1 et obscure qu’elle soit, ne manque certes pas de panache. Manque de chance, cette superbe ne repose ni sur le respect du background de Warhammer, ni sur une intrigue robustement bâtie, comme la lecture des paragraphes précédents vous en auront probablement convaincus. Il n’aurait cependant pas fallu grand-chose à l’auteur, et surtout à ses éditeurs, pour que cette pitrerie assez calamiteuse ne sombre pas dans aussi profondément dans le nanard littéraire (ce qui en fait donc une lecture très distrayante, notez bien) : quelques rectifications sur les noms et histoires des personnages, une relecture critique digne de ce nom pour identifier les manquements béants de la deuxième moitié de la nouvelle en termes de continuité et de logique, et le tour était joué. Au lieu de cela, le lecteur se retrouve plongé dans un univers parallèle qui ressemble à Warhammer Fantasy Battle sans l’être réellement. Et à ce petit jeu là je préfère de loin Blood Bowl à la dimension alternative proposée par Garratt. Bref, faire lire The Hammer of the Stars à un habitué de la BL, c’est un peu comme donner un shot de génépi à un amateur de bière : il/elle reconnaîtra que les deux expériences sont vaguement liées, mais il y a de fortes chances que le choc des cultures soit trop fort pour que le test soit concluant. Je parle d’expérience dans les deux cas.

1 : Et pourtant, il ouvrait grand la porte au retour de Peredur! Comme quoi, il vaut mieux parfois s’appeler Konrad je pense…

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Pulg’s Grand Carnival – S. Ounsley:

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INTRIGUE:

Etant né albinos et doté d’une imposante tache de naissance sur la joue, le jeune Hans décide de quitter son Hazelhof natal, où, de toute évidence, il menait une dure et solitaire vie de paria (la triste réalité sociale de l’hyper-ruralité), pour aller tenter sa chance dans la ville du coin, Krugenheim. Il rencontre sur le chemin un vieil homme à l’agonie, blessé à mort par les bandits l’ayant pris en embuscade et délesté de toutes ses possessions de valeur… à l’exception d’une petite flûte en os, que le vagabond remet à son bon et blanc samaritain en récompense de sa sollicitude, non sans l’avoir charrié au préalable sur sa tronche de porte-bonheur (la triste réalité sociale de la grande marginalité). Cette flûte, apprend-t-il à Hans, possède le pouvoir de donner à qui en joue – même mal, et c’est heureux car notre héros, n’étant pas allé au collège, ignore tout de l’art ancestral de la flûte à bec – un contrôle total sur ses auditeurs, qui obéiront aux ordres que le joueur leur donnera par la pensée. Un tel pouvoir ne venant pas sans de grandes conséquences une batterie limitée, le vioque informe enfin Hans avant de clamser qu’il ne pourra utiliser cette capacité que trois fois par an, sans quoi la flûte perdra tout son pouvoir. Ce qui n’empêchera pas Blanco de cramer une utilisation pour humilier deux charretiers qui l’avaient vanné à son arrivée dans la cité (la triste réalité sociale de l’hyper-urbanité), sans doute pour évacuer la déception de constater que sa vie serait très certainement aussi misérable à Krugenheim qu’à Hazelhof.

Dans son malheur, qui va en s’accroissant car notre héros fait l’erreur de baguenauder dans le quartier chaud de la ville, où il se fait faire les poches par une bande de soûlards sans compassion pour le neo-citadin, Hans a toutefois la chance de croiser la route d’Hannibal Pulg et de sa Wyverne apprivoisée Folderol, alors qu’ils se rendaient à un rendez-vous professionnel dans une taverne de Krugenheim. Pulg exerce le beau et rare métier de directeur de cirque ambulant, et gagne sa vie en présentant son Grand Carnaval de ville en ville. Remarquant rapidement la complexion peu commune de Hans, il lui propose de rejoindre la troupe, ce que ce dernier finit par accepter, la prospective de devenir un freak de cirque lui paraissant plus attractive que toutes les autres alternatives attendant un albinos sans le sou dans une ville impériale. Accompagnant Pulg à son rendez-vous avec l’honorable négociant en crottin Herr Schickelzimmer, Hans ne met pas longtemps à découvrir que son nouveau boss, pour excentrique et beau parleur qu’il soit, n’a pas que des amis à Krugenheim. Son prospect lui tape ainsi un scandale quand il apprend que les excréments que Pulg souhaite lui vendre proviennent d’animaux fantastiques, et non pas d’honnêtes bêtes de trait1, et un notable local du nom de Grunwald essaie de monter la foule contre l’imprésario, lui reprochant entre autres crimes haineux de vouloir répandre du fumier chaotique sur les légumes Krugenheimer. Ce qui mettrait certainement en péril la certification bio de ces derniers.

Pulg's Grand Carnival

Art: John Sibbick

Ayant réussi à calmer le jeu en distribuant quelques tickets gratuits à la cantonade, Pulg ramène Folderol et Hans jusqu’à son QG, où notre héros fait la rencontre du reste de la ménagerie, ainsi que des autres employés de Pulg, la sarcastique Heidi et l’odoriférant Wolfgang. Dès lors, la situation évolue peu entre nos différents personnages, le Grand Carnaval s’efforçant de subsister malgré l’opposition croissante de Grunwald et ses sbires, qui inventent sans cesse de nouveaux stratagèmes pour exproprier Pulg de ses locaux. Bien qu’il apprécie plutôt sa nouvelle vie, Hans se doute bien que la situation va finir par dégénérer, son patron préférant passer ses soirées à se murger à la taverne plutôt que de prendre la mesure du problème. Quant à Heidi, elle révèle à son nouveau collègue d’autres informations peu flatteuses à propos de Pulg, qui a hérité de sa ménagerie de son père adoptif, un puissant sorcier ayant enchanté tous les animaux du cirque au bénéfice de son fils afin de lui permettre de vivre sa vie. Ce fragile équilibre est rompu lors d’une nuit fatidique, pendant laquelle Grunwald envoie la garnison locale de Chevaliers du Loup Blanc appréhender Pulg sur son lieu de détente. Ayant réussi à s’échapper avec Hans, qui lui servait de chaperon et de « chauffeur » sur le dos de Folderol, il revient au bercail à tire d’aile… mais se retrouve confronté aux mêmes templiers, ayant eu le bon sens de diviser leurs effectifs pour maximiser leurs chances de succès.

C’est le moment que choisit Hans pour partir en solo de pipeau, ce qui plonge les chevaliers dans la torpeur, mais brise également l’enchantement de docilité de Folderol, qui rate son test de réaction de monstre et provoque un grand carnage dans l’assistance. Il faudra quelques décharges de tromblon de Pulg, plus pratique que sentimental au final, pour rétablir le calme dans le quartier. Dès lors, tout s’enchaîne rapidement : très intéressé par le pouvoir de la flûte, Pulg parvient à se la faire remettre par Hans, et convainc ce dernier d’abandonner la ménagerie (dont les pensionnaires sont tous devenus sauvages de toute façon2) et Heidi – Wolfgang ayant fini en snack de Wyverne – pour fuir la ville. Le plan n’a cependant pas le temps d’être mis à exécution, les deux fugitifs, habilement déguisés en druides, se faisant cueillir par une patrouille à leur sortie du passage dérobé qu’ils ont emprunté. Heidi, plus attachée à ses pensionnaires qu’elle en donnait l’impression, a en effet passé un marché avec les autorités : permettre l’arrestation de Pulg en échange d’un délai supplémentaire pour quitter Krugenheim avec la ménagerie. La nouvelle se termine ainsi avec un Pulg placé en garde à vue par les Loups Blancs survivants, ce qui ne l’inquiète pas outre mesure grâce à la flûte qu’il a en sa possession, et Heidi et Hans disposant d’une journée pour faire quitter la ville à des bêtes sauvages enragées. Business as usual.

1 : Une des rares occasions où quelqu’un regrette vraiment le bullsh*t de son interlocuteur.
2 : Une preuve irréfutable du degré d’insuportabilité des sons émis par une flûte à bec.

AVIS:

Il flotte sur Pulg’s Grand Carnival une atmosphère joyeuse assez rare dans les œuvres de GW-Fiction, ce qui pourra soit attirer, soit repousser le lecteur, en fonction des ses appétences en la matière. Bien qu’accusant son âge de façon visible, notamment à travers les éléments de « background » qu’elle essaie de vendre au lecteur avec autant de flamboyance et de malhonnêteté intellectuelle que son personnage principal (le snotball ?), cette nouvelle n’est pas la plus désagréable des curiosités littéraires commises par GW Books qu’il nous soit donné de lire, et j’irai même jusqu’à dire qu’elle vaut le détour pour les amateurs de Vieux Monde et de second degré. En fait, nous tenons ici la mère de toutes les nouvelles de Blood Bowl, tant dans l’intrigue (Grunwald étant principalement opposé à Pulg car ce dernier veut investir le stade de snotball local pour y donner des représentations) que dans l’esprit, et si vous êtes fans de cette franchise, vous vous devez sans doute de jeter un œil sur Pulg’s Grand Carnival. De façon générale, cette pincée de légèreté (relative, Ounsley incorporant à son récit quelques éléments plus sombres) dans un monde autrement désespéré, et qui a d’ailleurs fini par en mourir, apporte un contrepoint intéressant et bienvenu à la tendance grimdark de la GW-Fiction. Ounsley n’a jamais plus collaboré avec GW par la suite, mais on peut le remercier pour la vision très personnelle, et distrayante, qu’il a eu du monde de Warhammer.

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The Way of the Witchfinder – B. Craig:

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INTRIGUE:

The Way of the Witchfinder

Art: Gerry Grace

La loi est dure, mais c’est la loi. Voici quelle pourrait être la devise des serviteurs de Solkan, le Dieu de la VENGEANCE !!! (mais de la vengeance légale, ce qui est déjà assez tortueux comme concept), dont le culte est, heureusement ou malheureusement, assez peu répandu dans le Vieux Monde, et donc en Bretonnie, où se déroule notre histoire (quelle surprise pour une nouvelle de Brian Craig !). Élève d’un prêtre vieillissant mais aussi inflexible que le manche à balai qui lui sert d’insigne – il appelle ça le Bâton de la Loi, mais c’est pour se donner un style, vraiment – le jeune Florian est envoyé par ce dernier (Yasus Fiemme) passer son grand oral dans la cité côtière d’Ora Lamae, considérée par Solkan lui-même1 comme le test rêvé (et ça tombe bien, car c’est en rêve qu’il instruit son serviteur) pour révéler du bois dont le novice est fait. Emportant avec lui le manche de rechange de son vieux maître ainsi qu’une amulette de pierre volcanique gravée de la maître-rune de Solkan2. Flo part donc pour son stage de fin d’études, prouver qu’il est lui aussi un vrai dur.

Arrivé sur place, il ne lui faut pas longtemps pour recueillir une masse de témoignages accablant sur les maîtres des lieux, le gouverneur Bayard Solon et sa fille Syrene, dépeinte par les bonnes gens du cru comme une sorcière hédoniste. Bouillant d’une juste fureur sur son matelas (c’est la coutume de Bretonnie pour les prêtres itinérants de recevoir les fidèles ainsi), Florian se prépare à agir, mais doit avant cela répondre à une convocation provenant de la haute cité. Mené par un page jusqu’au donjon d’Ora Lamae, il se présente devant la perfide Syrene, qui essaie de le dévergonder, mais en vain. La confrontation ne donnant rien, l’enchanteresse téléporte Flo jusqu’à sa paillasse, où il se fait cueillir par la milice locale peu de temps après, et jeter dans une oubliette pour sa peine.

Il en faut toutefois plus décourager notre héros, qui, disposant toujours de son fidèle balai en bois d’arbre et de son amulette en pierre de caillou, commence à entonner un chant sacré de Solkan, qui finit par venir à bout de son confinement au bout de trois jours d’efforts. S’en suit une cavalcade héroïque à travers la cité, la vengitude extrême de Florian lui permettant de venir à bout de la garde comme des maléfices tissés par Syrene. Parvenu en haut de la plus haute tour d’Ora Lamae, et alors que la victoire finale et l’ordination de Prêtre de Solkan lui tendent les bras, Florian a toutefois le malheur de se laisser émouvoir par la mine déconfite présentée par son adversaire, qui le supplie de l’épargner. Ce qu’il accepte. Galant, mais intolérable pour Solkan, qui ne tarde pas à faire sentir son déplaisir à sa chochotte de disciple : une vague apparaît à l’horizon3, et se rue sur la cité dépravée. Peut-être est-ce un tsunami divin, peut-être est-ce juste une grande marée (honnêtement, la nouvelle se termine de telle façon que les deux peuvent fonctionner). En tout cas, on peut en conclure que Florian a raté son examen, et je ne pense pas que Solkan fasse passer des repêchages…

1 : C’est l’avantage avec les cultes confidentiel : les contacts avec le big boss sont beaucoup plus fréquents.
2 : Sans nul doute « Ճ ». Après tout, ça se prononce « cheh ».
3 : Vous vous demandez sûrement comment Solkan peut commander à l’océan, qui est le domaine de Manann. Moi aussi.

AVIS:

Un héros envoyé purger une forteresse tombée aux mains de cultistes du Chaos, cela ne vous évoque rien ? Probablement que non. Pourtant, c’est une intrigue que Brian Craig connaît bien, puisqu’elle sous-tend son roman Zaragoz, en plus de cette courte nouvelle, qui a peut-être été pensée comme un premier jet de ce long format. Comme toujours avec cet auteur, le style reste l’intérêt principal d’une lecture de ce The Way of the Witchfinder, dont la progression simple, voire simpliste, et la conclusion servie comme une morale pas vraiment percutante, n’ont pas grand-chose d’intéressantes. On peut toutefois apprécier de voir le culte de Solkan mis au premier plan d’une nouvelle, même de second ordre, le Dieu du Bien Fait Pour Ta Gu*ule n’ayant jamais bénéficié de la couverture médiatique qu’il méritait pourtant pleinement. Une bonne raison pour lui de se venger en détruisant le monde de Warhammer. Vous croyiez vraiment que c’était Archaon ? Ha !

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Lorsque j’avais lu pour la première fois Wolf Riders, il y a de cela quelques années, j’avais été assez déçu de n’y trouver que quelques nouvelles semblables à la production classique de la Black Library, qui constituait alors ma seule référence en termes de GW-Fiction. J’avais toutefois noté que cette minorité (Wolf Riders – sans doute l’une des meilleures nouvelles de Gotrek & Felix publiées –  et No Gold in the Grey Mountains) était d’un très bon niveau, et pouvait se comparer avantageusement avec les meilleurs travaux récents de la BL. Mon avis sur les soumissions de King et Yeovil n’a pas changé, mais le temps écoulé depuis cette première lecture, et les nombreux ouvrages parcourus depuis, m’ont mené à adoucir mon jugement sur le reste de ce recueil.

S’il me parait évident que Wolf Riders surprendra, et parfois de façon négative, celui qui le considérerait comme une anthologie « classique » de nouvelles se déroulant dans le monde de Warhammer Fantasy Battle, le lecteur averti pourra cependant apprécier l’agréable diversité des histoires, atmosphères et partis pris que se partagent ces huit courts formats. En plus de contenir quelques incunables, et pour une bonne partie de son contenu les seules contributions à la GW-Fiction d’auteurs d’un – quoi qu’on puisse penser de leur compréhension et maîtrise du background de WFB – assez bon niveau, Wolf Riders se permet davantage de fantaisies que son prédécesseur (Ignorant Armies), le caractère humoristique, parodique ou satirique des nouvelles The Tilean Rat, The Phantom of Yremy et Pulg’s Grand Festival ne faisant guère de doute. Avec le recul, on peut s’émerveiller du culot de ces auteurs, qui n’ont pas hésité à donner dans le second degré alors que l’univers pour lequel il écrivait n’en était encore qu’à ses balbutiements d’un point de vue littéraire. On peut y voir le traditionnel esprit frondeur britannique, ou un début de rébellion face à l’intransigeance butée des huiles de GW (voir la chronique de Steve Baxter à propos de cette époque héroïque). En tout cas, Wolf Riders reste à mes yeux une lecture des plus valables, mais définitivement dédiée à un public averti. On n’en fait définitivement plus des comme ça.