Mikaël von Frühdenheim, le Prince de Suiddock

Mikaël von FrudenheimL’histoire impériale n’a jamais été, comme le lecteur le sait, particulièrement paisible, même pendant les époques considérées par les historiens comme épargnées par le spectre de la guerre (et Sigmar sait que ces dernières ont été rares). On ne peut que maudire la nature de l’Homme qui pousse ce dernier, lorsque le danger extérieur semble avoir été écarté pour un temps, toujours au prix d’immenses sacrifices et d’innombrables tragédies, à se retourner vers son prochain pour exercer sur lui les jeux les plus cruels appris au cours de la lutte pour la survie; tout comme on ne peut que regretter l’incapacité des grands de ce monde à tirer les leçons des erreurs commises par leurs prédécesseurs, les conduisant à toujours retomber dans les mêmes douloureux errements. Le constat est aussi simple à faire que malheureux à énoncer: aucune des grandes provinces qui constituent notre Empire bien-aimé n’a pu échapper bien longtemps aux affres de la discorde et de la division, et toutes ont vu le cours de leur histoire être infléchi par ces épisodes infamants, parfois pour le meilleur, mais souvent pour le pire.

À ce titre, la Grande Baronnie du Nordland, dont la province du Nebelheim fait partie, constitue sans doute l’un des exemples éloquents de la manière dont l’orgueil et les intérêts propres des puissants peuvent mener à la déliquescence de ce qui était sain et à l’affaiblissement de ce qui était fort. Comment, en effet, qualifier autrement l’histoire des relations tissées par les siècles entre la Grande Baronnie et la cité qui fut le joyau ceignant sa couronne jusqu’il y a seulement d’un siècle? Combien de vies ont été sacrifiées pour tenter, en vain, de guérir la blessure infligée par la masse d’or des maîtres-marchands de Marienburg? Combien de milliers sont tombés, victimes de l’avarice démesurée d’un seul? Pour combien de temps encore la venue du souverain légitime de la métropole séditieuse sera empêchée par la promesse qu’il n’en repartirait pas vivant? Autant de questions illustrant toute l’absurdité de la situation actuelle, et dont la réponse mérite d’être tue par souci de décence.

Si en apparence, Marienburg semble être une ville régie de manière démocratique (néologisme signifiant que le pouvoir repose entre les mains du peuple, le lecteur étant laissé seul juge de la pérennité d’une telle forme de gouvernement, ainsi que de son caractère hautement fantaisiste), la réalité est bien plus contrastée, ainsi que votre serviteur a pu le constater au cours de ses voyages dans la cité des canaux. Si n’importe lequel des habitants des taudis de Suiddock, le quartier le plus sordide de Marienburg, peut, en principe, s’élever jusqu’à briguer un siège au Directorat, l’organe décisionnel suprême de ce petit État, l’écrasante majorité de ces pauvres âmes n’aura en réalité jamais le moyen de réaliser une aussi remarquable ascension sociale, et finira ses jours aussi chichement qu’elle les  commencés.

Très étrangement cependant, tous les Marienburger auxquels je fis cette réflexion me rirent au nez et se firent un devoir de me montrer à quel point j’étais dans l’erreur, en me narrant longuement l’histoire des quelques individus exceptionnels qui réussirent à déjouer les caprices du destin pour finir leurs jours dans l’opulence et les honneurs, en dépit de leur modeste extraction. Si une telle mauvaise foi peut aisément se concevoir pour les classes les plus aisées, pour qui de telles histoires constituent autant d’os à ronger à lancer à la plèbe miséreuse, l’enthousiasme de cette dernière pour ces récits me surprit considérablement, et je quittais la cité l’esprit troublé. Ce n’est que bien plus tard que je compris que cet aveuglement volontaire était en fait l’un des seuls moyens trouvé par les indigents pour supporter l’iniquité de leur situation et les écarts obscènes de richesses entre citoyens a priori tous égaux. Vu sous cet angle, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi mes innocentes remarques furent aussi férocement vilipendées par tous mes interlocuteurs. La vérité nue est souvent aussi insupportable à l’œil que l’astre solaire.

Cette réalisation me hante encore à ce jour, et, je l’espère, éclairera le lecteur sur les soi-disant bienfaits de la démocratie. Je ne peux cependant refermer cette parenthèse sans relater ici l’histoire de l’homme qui, à force de ruse, d’audace, de détermination, et, surtout, de chance, incarne aujourd’hui encore le mieux l’idéal de réussite et d’avancement dont les Marienburger sont si épris. S’il m’est impossible de cautionner tous les récits fantasques recueillis au sujet du dit individu, dont beaucoup me semblent venir tout droit de l’imagination enfiévrée du petit peuple, il ne me paraît tout également pas impossible que ces contes fantasques disposent chacun d’une parcelle de vérité, tant le destin accouche parfois d’évènements stupéfiants. Voici donc quelle fut la vie de Mikaël von Frühdenheim, plus connu à Marienburg sous le sobriquet de Prince de Suiddock.

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Les origines de celui qui allait devenir Mikaël von Frühdenheim sont mystérieuses mais aucunement originales. Il n’a jamais dévoilé le nom d’aucun de ses parents de sang, qui pourtant devaient être assez nombreux, si l’on en juge par la taille typique des familles de Suiddock On peut donc estimer que Mikaël avait environ une demi-douzaine de frères et sœurs, au moins autant de demi-frères et sœurs, et encore bien plus de cousins. Malgré cette parentèle fournie, le nombre de misérables épaves se déclarant lié par le sang d’une manière ou d’une autre avec le Prince de Suiddock après qu’il eut fait fortune est proprement astronomique, et a sans doute joué un rôle dans le mutisme du nouvel aristocrate au sujet de son extraction.

La vie de Mikaël bascula en 2518, année de la mort du dernier baron von Frühdenheim. Cette famille de la plus antique noblesse terrienne des Wasterlands avait grandement profité de la générosité des marchands de Marienburg sous le règne de Dieter l’Avide, emplissant leurs coffres d’or en échange d’un appui tacite aux volontés émancipatrices de la cité. Alderbricht von Frühdenheim, patriarche de la lignée au moment de la sécession, avait même dépassé toutes les espérances de ses mécènes en prenant les armes à leurs côtés lors des tentatives impériales avortées de soumettre la métropole, au lieu de se ranger sous la bannière de son seigneur légitime, le comte du Nordland.

Bien évidemment, cette trahison avait considérablement dégradé l’image des von Frühdenheim auprès de leur suzerain, qui, dans un accès d’humeur fort compréhensible après que plus de la moitié de son armée ait été détruite au cours de la bataille du Marais Grootscher, jura qu’aucun von Frühdenheim ne contemplerait plus jamais l’aube se lever en territoire impérial, sous peine de mort. Alderbricht, bien disposé à profiter le plus longtemps possible de la fortune qu’il venait d’acquérir, avait donc jugé plus prudent de se réfugier derrière les épaisses murailles de ses bienfaiteurs, abandonnant sans regrets derrière lui ses terres et ses gens. Les années passèrent et les barons von Frühdenheim se succédèrent, bien qu’aucun d’entre eux n’osa jamais poser le pied hors des murs de Marienburg, et encore moins se rendre dans la ville dont ils réclamaient pourtant la souveraineté. Tous cependant aspiraient à arpenter un plus vaste domaine que leur somptueux hôtel particulier de Guiderveld, et à régner sur davantage de sujets que les trois douzaines de serviteurs veillant à leurs moindres besoins.

De toute sa lignée, Waldener von Frühdenheim fut le plus proche de réaliser ce vieux rêve. Devenu baron en 2492 à la suite de son aîné Karlman, il employa les capitaux familiaux au succès de son entreprise, recrutant une petite armée de mercenaires sous la protection de laquelle il comptait bien retourner sur ses terres en conquérant, que le comte du Nordland le veuille ou non. Obnubilé par son entreprise, Waldener finit par saboter son union avec Grietje van den Nijmenk à force d’entretiens avec les capitaines de ses chiens de guerre (hommes peu au fait des usages à respecter dans l’intimité d’une maison noble), en même temps que sa santé se dégradait au fil des « exercices » qu’il imposait à ses hommes dans l’arrière pays Marienburger, et dont il prenait le plus souvent possible la tête. Très affaibli par une pneumonie persistante durant l’hiver de 2517-2518, Waldener, sentant sa mort prochaine, se résolut enfin à passer à l’action.

À peine le redoux arrivé, il conduisit son armée hors de la cité d’adoption de son aïeul, et la dirigea droit vers la baronnie de Frühdenheim. Abreuvé des traités militaires de sa bibliothèque, le vieux noble n’écouta pas les conseils de ses lieutenants, favorables à un voyage par voie des mers. Arguant que c’était précisément là la chose que le comte du Nordland s’attendait qu’il fasse, il fit progresser ses hommes à travers les étendues sauvages et désertes du Westerland, afin de prendre par surprise son ennemi. Si ce stratagème fonctionna à merveille, Frühdenheim n’étant défendue par guère plus que la demi-douzaine de citadins constituant la milice urbaine à l’arrivée des troupes du baron exilé, il eut un coût humain exorbitant. Sur la centaine de mercenaires qui avait suivi Waldener dans son expédition, seuls vingt étaient encore aptes à se battre au moment où ils posèrent les yeux sur les maisons de la bourgade, le reste étant tombé sous les coups des monstrueux habitants des marécages, ou bien victimes des miasmes délétères véhiculés par l’air et l’eau viciés. Waldener lui-même était aux portes de la mort, silhouette décharnée et hagarde attachée à son cheval, seulement maintenue en vie par sa volonté de reprendre possession de son bien.

Après une escarmouche aussi rapide que violente, le baron moribond put enfin pénétrer dans son fief, dont l’aspect décati eut raison des derniers lambeaux de loyauté de ses troupes. Estimant avoir largement rempli leur contrat, les derniers mercenaires se livrèrent à un pillage en bonne et due forme de Frühdenheim avant de s’évanouir dans la nature, insensible aux injures et aux suppliques de l’infirme qui avait été leur chef. Seul demeura auprès de Waldener le palefrenier de l’expédition, impatient de récupérer la bête pour son compte, mais incapable de se résoudre à jeter dans la poussière le vieil homme la chevauchant pour parvenir à ses fins. Les facultés altérées de ce dernier prirent cependant l’indécision de son ultime serviteur pour une preuve d’amour envers son maître, et, d’une voix à peine audible, demanda au palefrenier de le mener jusque dans la maison familiale des von Frühdenheim, où il voulait le récompenser avant de finir ses jours.

Ainsi, lorsque Mikaël repartit en direction de Marienburg juché sur le cheval de feu son employeur, il était loin de se douter que l’anneau qui ceignait maintenant son doigt et les quelques lignes gribouillées par le vieillard sur la page arrachée d’un missel jauni faisaient de lui le nouveau baron de Frühdenheim. Sa surprise à la découverte de sa nouvelle situation fut au moins aussi grande que celle de l’huissier qui procéda à la lecture du testament de fortune de Waldener, mais, puisque ce dernier avait signé de sa main et remis la bague de sa lignée à son héritier, la validité de la succession ne put être attaquée. Bien évidemment, la Maison van den Nijmenk tenta de faire main basse sur le patrimoine du défunt mari de Grietje, mais Mikaël réussit à gagner le soutien de la toute puissante Maison van de Kuypers en échange de l’arrêt de quelques unes de ses activités commerciales, et la plainte en faux déposée par les clercs des van den Nijmenk fut mystérieusement égarée avant d’avoir pu être examinée par le Rijkskamer.

Le palefrenier de Suiddock et nouveau baron de Frühdenheim surprit tout le monde en réussissant à faire fructifier son affaire au lieu de dilapider sa fortune dans les tavernes et les bordels de la cité. Ayant eu le salutaire bon sens de reconnaître qu’il n’y entendait rien en terme de négoce, il eut l’habileté de s’entourer de personnes compétentes pour gérer ses intérêts à sa place, les sommes détournées par ses conseillers étant une perte acceptable en échange de leur loyauté. Mikaël passa toutefois trop rapidement de la misère la plus noire à la richesse pour pouvoir se complaire dans l’aisance sans tapage des maisons marchandes, et son goût pour les tenues ostentatoires le rendit fameux dans tout Marienburg, et en particulier dans les ruelles tortueuses de Suiddock, où son histoire fut tant de fois répétée qu’il finit par devenir une sorte de figure sainte parmi les indigents, l’incarnation de la réussite fulgurante après laquelle tous soupiraient.

L‘autre passion du nouveau baron était le monde équestre, souvenir de l’époque où il devait panser les chevaux des autres pour survivre. Mikaël fit ainsi agrandir l’écurie de son hôtel particulier dans des proportions indécentes, au grand déplaisir de ses voisins, pour qui l’odeur crottin n’évoquait, contrairement à l’ancien palefrenier, aucun souvenir ému. Grâce à ses nouvelles relations, et en échange d’une somme fort coquette, ce dernier réussit même à acquérir un jeune pégase royal de Parravon, qu’il éleva personnellement jusqu’à sa maturité. Dénommée Erfolg, cette noble bête lui servit de monture pendant les dernières années de sa vie, pour le plus grand plaisir des enfants des rues de Marienburg.

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Mikaël von Frühdenheim mourut en 2528, peu après avoir célébré en grande pompe son trente-cinquième anniversaire. Au cours de cette fête mémorable, un obscur cousin de Sasha van den Nijmenk ayant abusé de vodka attaqua l’honneur de son hôte en déclarant qu’il n’était rien d’autre qu’un parvenu ayant hérité la fortune mal acquise d’une lignée de parjures. Dans la confusion qui suivit cette déclaration mal intentionnée, le malotru réussit à échapper à la fureur vengeresse du baron offensé, dont la demande d’un duel d’honneur afin de régler cette affaire se heurta au refus poli mais ferme du portier des van den Nijmenk. Nullement découragé par cette rebuffade, Mikaël fit jouer son réseau d’informateurs, et découvrit après une semaine que le boyar avait filé en douce en direction de Kislev, le temps que la colère de son ennemi retombe.

Enragé par une telle bassesse, le baron exilé fit seller Erfolg et s’élança en direction de l’Empire, bien décidé à fondre sur le couard avant que ce dernier ne puisse s’abriter chez ses parents du Nord. Indifférent à la menace proférée à son encontre par l’ancien comte de Nordland, Mikaël pénétra en territoire impérial au lever du jour, et fit halte dans le premier bourg qu’il aperçut afin de faire se reposer sa monture. Malheureusement pour lui, l’armée du Nebelheim, sous le commandement du Ministre de Sigmar Markus Deusmeister, était déjà stationnée dans la ville, et son arrivée ne passa pas inaperçue. Conduit devant le général de l’ost Nordlander, le baron von Frühdenheim, ignorant que la traîtrise d’Alderbricht avait été oublié depuis bien longtemps dans cette province excentrée et craignant pour sa vie, accepta avec empressement d’aider les forces du prélat à traquer le tristement célèbre hidalgo vampire Arnau de Mataplana, dont les récentes déprédations avaient mis le Nebelheim à genoux.

La bataille qui s’ensuivit, et passa à la postérité sous le nom de bataille de Drünnerwald, vit le triomphe de l’Empire après une nuit de lutte acharnée contre les abominations au service de Mataplana, et permit d’écarter la menace que représentait ce dernier pour la province. Contrairement au massacre qui se déroula dans les profondeurs des Bois Cornus quelques jours plus tard, cette victoire fut étrangement peu coûteuse en vies humaines, moins d’une cinquantaine de soldats impériaux ayant trouvé la mort au cours de l’affrontement. Mikaël von Frühdenheim comptait cependant au rang des victimes de cette terrible nuit, sa dépouille mutilée étant retrouvée au matin à quelques mètres du cadavre d’Erfolg, dont les ailes altières avaient presque été sectionnées par la violence des coups portés par son meurtrier.

Le corps de l’aristocrate Marienburger fut exposé pendant une journée dans la chapelle de Drünnerwald, puis brûlé en même temps que toutes les autres victimes impériales selon les recommandations de Deusmeister, peu enclin à fournir de nouveaux corps à réanimer à son ennemi, dusse le cours de la guerre basculer de nouveau contre le Nebelheim. L’anneau des von Frühdenheim fut toutefois soigneusement conservé, et fut ultérieurement renvoyé à Marienburg avec une lettre de condoléances signée de la main même du comte von Nebelheim. N’ayant reconnu aucun héritier de son vivant, les possessions du dernier baron furent rapidement partagées entre les maisons van de Kuypers et van den Nijmenk, et ainsi s’acheva la lignée des von Frühdenheim.

 

À propos de Schattra

Égoïstement optimiste, çapourraitêtrebienpirologiste assumé. Selfishly optimistic, proud itcouldbemuchworsologist

Publié le décembre 14, 2014, dans Background Personnel, Nebelheim, et tagué , , , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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