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SILVER NAILS [WFB]

Bonjour à tous et bienvenue dans cette critique d’un recueil de nouvelles Warhammer Fantasy Battle doublement spécial: ‘Silver Nails’. Cet opus présente en effet la caractéristique notable de ne rassembler les œuvres que d’un seul auteur, Jack Yeovil (nom de plume de Kim Newman pour la GW-Fiction), ce qui n’est pas la norme pour une publication de la Black Library. La préférence de la maison d’édition va en effet vers les pots pourris collectifs en ce qui concerne les anthologies, et seuls quelques rares élus (William King, Dan Abnett, John French…) ont reçu l’insigne privilège de voir leurs courts formats réunis dans un ouvrage personnel. Vu l’importance cruciale qu’a eu Yeovil dans les premiers temps de la GW-Fiction, qu’il a soutenue à bout de bras et de stylo lorsque David Pringle et Bryan Ansell tentaient tant bien que mal de mettre au monde leur projet commun, il y a maintenant plus de 30 ans, ce traitement particulier était on ne peut plus mérité, même si les héros dont nous allons parler ici sont sans doute peu familiers à la plupart des lecteurs.

Sommaire Silver Nails (WFB)

La deuxième particularité de ‘Silver Nails’ est d’avoir été écrit sur deux périodes très distinctes. Les trois premières nouvelles de cette anthologie ont en effet été intégrées dans les premiers recueils de GW Books (‘The Ignorant Armies’, ‘Wolf Raiders‘ et ‘Red Thirst‘), parus entre 1989 et 1990. Si elles partagent la même bande de protagonistes (Genevieve la Vampire, Dietlef Sierck le dramaturge, Johann von Mecklenberg et son tuteur Vukotich, ‘Filthy’ Harald Kleindest et Rosanna Ophuls) que ces premiers écrits, la dernière histoire (‘The Ibby the Fish Factor‘) a elle été écrite beaucoup plus tard, peu de temps avant la première sortie de ‘Silver Nails‘ (2002). Quand à ‘The Warhawk’elle est restée dans les cartons de l’auteur pendant de nombreuses années, peut-être victime indirecte de l’instabilité chronique des premiers temps dela GW-Fiction (GW Books et Boxtree). Il s’agissait pour Yeovil de donner l’épaisseur requise à ce recueil, tout en rendant une dernière visite aux acteurs de sa trilogie ‘The Vampire Genevieve‘ avant de passer définitivement à autre chose. Profitons donc de l’intégration de ‘Silver Nails‘ dans la réédition récente de cet omnibus par la BL pour poursuivre notre œuvre de revue de nouvelles, en nous attaquant à un monument, oublié mais incontournable, de la GW-Fiction1.

1 : On peut regretter que cette réédition n’inclue pas, en tout cas sous sa forme numérique, la préface écrite par Yeovil à l’occasion de la sortie de la première anthologie Genevieve, en 2005. Cette dernière, présente sur le site de l’auteur, donne des informations intéressantes et n’est pas avare en commentaires savoureux sur la genèse de cette oeuvre.

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Red Thirst :

INTRIGUE:

Réveil brutal pour Vukotich le mercenaire (dont nous croiseront l’incarnation vénérable dans ‘The Ignorant Armies’), qui émerge d’un coma moins éthylique que concussé, conséquence regrettable mais prévisible de sa grande idée de vouloir s’encanailler dans une taverne clandestine de Zhufbar, alors que Claes Glinka et ses séides y avaient pris leurs quartiers d’hiver. Qui est Claes Glinka, me demanderez-vous ? Eh bien, pauvres incultes que vous êtes, Herr Glinka n’est rien de moins que le Frigide Barjot du Vieux Monde, soit un zélote obscurantiste horrifié par la décadence des mœurs contemporaines, mais possédant un talent marketing et événementiel certain, ce qui lui a permis de recruter assez de followers et d’influence auprès des autorités compétentes – ici l’Empereur Luitpold – pour organiser des manifs pour (et contre) tous d’un bout à l’autre du pays. Entre deux autodafés, fermeture de bordels et abattage de vignobles, Glinka trouve également le temps d’ouvrir des Starbucks à la place des estaminets dans les villes que sa caravane visite. Bref, un fléau.

Vuko, lui, est un jeune mercenaire en quête d’un nouvel employeur, à la suite du décès prématuré du précédent, et qui se disait que passer une tête – moustachue – dans la cité où se tenait le Festival d’Ulric (l’équivalent de l’Eurosatory de l’Empire) serait une riche idée pour se trouver une nouvelle affectation. Peu concerné, ou sensible, aux arguments du Gardien de la Moralité, notre héros s’est donc fait surprendre en plein stupre (la fornication était en projet) par quelques croisés à gourdins, et revient à lui à l’arrière d’une carriole l’emmenant, ainsi que quelques dizaines de malheureux, dans des camps de travail gobelins. C’est comme ça que la Glinka se finance. Seule consolation, il réalise que le compagnon de travée auquel il est enchaîné est une fort accorte escort, embarquée comme lui par la patrouille. En tête de wagon, nous faisons la connaissance de Dien Ch’ing, Cathayen d’origine, comme son nom l’indique, et fidèle suivant de Glinka… en apparence. En fait, Ch’ing est un disciple de Tsien-Tsin, où Tzeentch comme certains l’appellent également, expulsé de sa pagode par les moines guerriers du Roi Singe, l’ennemi mortel des Dieux du Chaos dans le grand Orient. Guidé par ses visions, Ch’ing a infiltré la croisade de Glinka afin de porter quelques plans retors du Grand Architecte à maturité, et n’attend que le bon moment pour retourner son kimono. En attendant, il s’amuse à convoyer les mauvais sujets de l’Empire au goulag, ce qui est une activité comme une autre.

Un arbre tombé en travers de la route donne toutefois l’occasion à Vukotich d’échapper à ce funeste destin, notre intrépide Kislévite saisissant sa chance ainsi que son infortunée voisine, et plongeant dans la forêt en contrebas de la route après l’immobilisation du wagon. Outré par ce manque de savoir-vivre, Ch’ing envoie un trio de grouillots régler leur compte aux déserteurs, qui n’ont cependant aucun mal à en venir à bout. Craignant initialement que sa camarade de chaîne ne se révèle être un boulet (ce qui aurait été logique, finalement), Vukotich est favorablement surpris, et même impressionné, par l’agilité et la dextérité de sa compagne, dont l’aide se révèle précieuse pour dézinguer les goons de Ch’ing. C’est donc avec regret qu’il se résout à lui trancher la main avec l’épée qu’il a récupérée sur un cadavre de PNG malchanceux, afin de regagner sa liberté… sans grand succès. Et pour cause, sa comparse n’est autre que la vampire Genevieve, dont les super pouvoirs incluent donc une peau en kevlar (pratique). Mi (plutôt que morte) vivante avec des principes, elle pardonne à Vukotich son coup de sang, et, ne pouvant pas non plus briser les menottes qui les lient – surtout que la sienne est plaquée argent –, le convainc de faire équipe jusqu’à la première forge qui se présentera à eux. Proposition acceptée par son (désormais) side-kick, qui réalise de toute façon qu’il a intérêt à filer droit s’il ne souhaite pas terminer en casse-dalle pour amphisbaenae1.

img430Après quelques heures de marche, notre couple involontaire arrive dans un petit bled paumé, et réussit à squatter une cabane abandonnée pour permettre à Vukotich de reprendre des forces2. Par un hasard qui ne sera pas heureux pour tout le monde, comme nous allons le voir, cette même cabane a été choisie par deux individus de rang pour se rencontrer discrètement. Le premier est le Seigneur Maréchal de Zhufbar, Wladislaw Blasko, qui a laissé Glinka mettre la cité en coupe réglée sans faire trop de vagues… parce qu’il est lui aussi un agent du Chaos infiltré. Ça commence à faire beaucoup. Son interlocuteur est le Haut Prêtre de Tzeentch Yefimovich, ayant tiré le don « je suis une ampoule de feu rouge » dans la table des mutations, et habituellement stationné dans le Kislev, mais en goguette dans le Sud pour les vacances. Nos deux conspirateurs s’entretiennent de leur plan machiavélique, qui consiste en l’assassinat de Glinka lors d’une prochaine cérémonie, ce qui permettra à Blasko de prendre sa place à la tête de la croisade, et de laisser opportunément ouverts aux hordes orientales les cols des Montagnes Noires. Bien évidemment, Vukotich et Genevieve, camouflé sous un drap de scenarium, voient et entendent tout, et décident, à contre-cœur mais il le faut bien, d’aller sauver le Gardien de la Moralité pour éviter son remplacement.

Un peu plus loin, nous retrouvons Dien Ch’ing, perturbé par de sombres pressentiments et l’insatisfaction du devoir non-accompli. Ayant été chargé par Yefimovich d’occire Glinka, il ne veut rien laisser au hasard, et se lance dans une séance de divination à l’aide d’un bol tournant, ce qui lui permet d’assister par visio à la rencontre de son boss avec Blasko, mais également de s’apercevoir que ces derniers n’étaient pas seuls dans la piaule. Contrarié par ce coup du sort, il invoque le fantôme de l’un de ses vénérables ancêtres, l’honorable Xhou, aller négocier (ils sont urbains ces Cathayens) avec les contrevenants, afin qu’ils laissent les événements suivre leur cours. Malgré les trésors de courtoisie et de diplomatie dont fait preuve Xhou, qui se matérialise devant Vukotich et Genevieve alors qu’ils avaient repris la route de Zhufbar en charrette, il ne parvient pas à conclure un deal avec nos héros, qui finissent par le bannir comme l’ennuyeux pop-up spectral qu’il est. Au moins, Ch’ing aura essayé de résoudre le différent à l’amiable. Il passe à nouveau à l’action quelques heures plus tard en envoyant cinq élémentaux régler leur compte aux fâcheux à leur sortie de la ville de Chloesti, où les séides de Glinka avaient organisé un autodafé de la délation3 (c’est comme un pot de l’amitié, sauf que c’est différent), qui a fini dans une très chaude ambiance4. Dépassés par les événements, les aventuriers s’en sortent grâce à la culture G de Mme G, qui réussit à monter les démons les uns contre les autres en demandant innocemment qui avait la plus grosse… énergie mystique parmi le quintet, provoquant un affrontement fratricide aux résultats peu concluants.

Tout est prêt pour le grand final de cette longue nouvelle. Genevieve et ce gros dalleux de Vukotich arrivent sur les rivages de la Blackwater, trouvent un bateau de pêche et partent à la rame vers Zhufbar. Dans la cité, Ch’ing se prépare à commettre l’irréparable au cours d’une adresse publique de Glinka, organisée sur la plage municipale (pourquoi se priver ?). Le plan machiavélique et savamment planifié de nos affreux est toutefois contrarié par l’arrivée soudaine de Genny et Vuko, qui parviennent à créer une belle pagaille parmi l’auguste assemblée, peut-être en exhibant les parties charnues de leur anatomie à la cantonade. Hé, il faut ce qu’il faut. La dague magique de Ch’ing n’ayant pas eu le temps de charger totalement, le cultiste voit s’enfuir sa cible sans avoir pu tenter sa chance. Il a toutefois l’occasion de se venger des éléments perturbateurs et de leurs gros nez d’Occidentaux en leur faisant bénéficier d’un masterclass de MMA5.

Le combat qui s’engage voit le bonze démoniaque tenter de mettre des grands chassés dans la face de ses Némésis, avec des résultats peu concluants, la vampiritude de Genevieve lui permettant d’esquiver ou d’encaisser facilement les coups de pied retournés et manchettes cathayennes de Ch’ing. On suppose que Vukotich, toujours enchaîné à sa dulcinée, a dû avoir un bras disloqué à la fin de la journée. Frustré dans ses tentatives de muay-thaï, l’expat’ se rabat sur ses pouvoirs arcaniques pour finir le taf, mais se trouve là encore contrecarré, cette fois-ci par l’alliance, que dis-je, l’alliage, de circonstance entre le fer et l’argent des chaînes liant Genevieve et Vukotich, qui se révèle être l’anathème du choke-tilège jeté par Ch’ing sur le malheureux Glinka. L’homme sage connaissant ses limites, le moine Ch’(aol)ing décide enfin d’aller voir ailleurs si Tsien-Tsin y est, et prend son congé de Zhufbar, non sans promettre à Genevieve qu’il reprendra contact sous quinzaine (de jours, d’années ou de siècles, mystère). On se rend alors compte que Blasko, qui avait tenté d’aider son pote chaotique dans la mêlée en surinant Vukotich, est tombé dans la Blackwater en armure complète, et peut donc être rayé des cadres. Plus intéressant, l’inflexible puritain Glinka se révèle être un mutant, comme l’atteste la paire de bras surnuméraires qu’il dissimulait sous sa chasuble. C’en est fini de sa croisade, et probablement de son existence, si l’Empire se révèle fidèle à sa politique en matière de diversité.

Fatigué par les événements, Vukotich pique un gros roupillon de deux jours sitôt ses menottes ôtées par le forgeron de fonction, et apprend à son réveil que sa partner in crime-solving n’a pas fait de vieux os à Zhufbar, et est repartie vivre sa non-vie dans l’anonymat qui lui convient mieux. C’est l’affable Maximilian von Konigswald, père d’Oswald (le vainqueur de Drachenfels et compagnon d’armes de Genevieve), qui met le mercenaire au courant des dernières actualités, entre deux rasades d’eau de vie. Plaqué par son crush, Vukotich se sent tout d’un coup bien chose, mais, rassurez-vous, il s’en remettra.

1 : Vous ne savez pas ce que c’est ? Moins non plus. Seul Jack Yeovil est au courant, à mon avis.
2 : Et de rêver, prémonitoirement, d’une bataille au sommet du monde mettant aux prises une faune bigarrée. Il l’ignore encore, mais il s’agit de la conclusion d’Ignorant Armies.
3 : Et où Genevieve rencontre un tout jeune Dietlef Sierck (‘Drachenfels’) déjà sensible aux choses artistiques, et son acariâtre môman.
4 : Pour Vukotich aussi, notez, car une péripétie annexe mais distrayante voit nos héros passer la nuit dans un hôtel de passe reconverti en établissement honorable à la suite des puritains de Glinka, et profiter l’un de l’autre pour réaliser un échange de fluides. Surpris au réveil par une bande de clercs de notaires patibulaires, nos tourtereaux étaient sur le point de se marier sous la contrainte au moment où arriva le cinquième élément (et ses potes avec lui).
: Ce qui dans ce contexte veut dire Mystic Martial Arts.

AVIS:

‘Red Thirst’ (baptisé ainsi en référence au penchant de Genevieve pour le gros rouge) est une des nouvelles qui justifient que l’on s’intéresse de plus près aux origines de la GW-Fiction. Jack Yeovil fait en effet très fort avec cet épisode de ce que l’on doit bien appeler son cycle Genevieve, en parvenant à cocher toutes les cases du cahier des charges de ce type de publication. On pourrait bien sûr parler de son choix de mettre en avant un pan mystérieux du fluff de Warhammer Fantasy, et ce faisant, de le développer, par l’inclusion du personnage de Ch’ing (à ma connaissance le seul Cathayen dépeint dans une œuvre de fiction). Il faudrait alors souligner qu’en quelques lignes, Yeovil parvient à donner une véritable impression d’exotisme et de profondeur à un concept sur lequel GW s’est assis pendant plus de trente ans. Les apports de background ne se cantonnent cependant pas à l’Extrême Orient : l’Empire en bénéficie également, tant au niveau culturel que géopolitique. Et que dire de la figure de Yefimovich, qui illumine (dans tous les sens du terme) de sa présence les quelques pages dans lesquelles il apparaît.

Une autre réussite à mettre au crédit de Jack Yeovil réside dans la construction et le déroulement de son propos, qui enchaîne les péripéties avec un rythme et une facilité déconcertants. La taille du résumé (qui porte bien son nom, car il en reste de là où ça vient) ci-dessus devrait vous donner une bonne idée de la richesse narrative de Red Thirst. C’est la marque des grands conteurs que d’arriver à agencer leur récit sans temps mort ni à coups, et Yeovil fait définitivement partie de cette catégorie. Soulignons en outre la belle variété d’ambiance dont bénéficie cette nouvelle, du grimdark as usual au vaudeville (la scène dans l’hôtel de passe est savoureuse) en passant par la fugace romance entre Vukotich et Genevieve et la légende orientale (l’attaque des élémentaux). Peu nombreux sont les textes de GW-Fiction disposant d’une telle amplitude, bien que l’on puisse également citer William King (un autre grand ancien) ici.

Terminons par la remarque que Jack Yeovil a sans doute été le premier auteur de GW à raisonner en termes d’univers narratif, bien des années avant qu’Abnett ne créé son Daniverse, imité par Graham McNeill et d’autres contributeurs de la Black Library au fil des années. Les liens d’intrigues tissés par Yeovil dans ce Red Thirst sont une autre très bonne raison de lire cette nouvelle… si vous êtes familiers avec la galerie de personnages créés par l’auteur. Genevieve, bien sûr, mais également Vukotich (Ignorant Armies, qui gagne ici son surnom d’Homme de Fer), la lignée des von Konigswald (Drachenfels), un Dietlef Sierck en culottes courtes (ibid)… et sans doute d’autres figures que Yeovil a repris dans d’autres nouvelles et romans lors de sa pige pour Games Workshop. Mine de rien, savoir que l’investissement dans le corpus d’un auteur sera récompensé par des caméos, clins d’œil et autres easter eggs constitue une motivation forte pour le lecteur, et je suis plus déterminé que jamais à combler mes lacunes en Yeovilerie1. Bref, une authentique pépite de la littérature GWesque, injustement condamnée à l’oubli par la politique éditoriale de Nottingham. Si cette critique ne vous donne ne serait-ce que l’envie de vous pencher sur le cas Jack Yeovil (toujours non-traduit à l’heure actuelle, et c’est tragique), elle aura atteint son objectif.

1 : Je suis sûr que cela fera de moi un nouvel homme. 😉

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Ignorant Armies :

INTRIGUE:

Depuis dix ans, date du sac du manoir familial, du massacre de ses occupants et de l’enlèvement de son jeune frère Wolf par le Champion du Chaos Cicatrice (qui s’appelle ainsi à cause de… son strabisme appuyé, évidemment), Johann von Mecklenberg piste la bande de sa Némésis, espérant toujours pouvoir tirer son cadet des griffes du pillard balafré. Accompagné par son taciturne et ironique (on le surnomme l’Homme de Fer) tuteur, Vukotich, le jeune noble a traîné ses guêtres chamarrées et sa crinière de feu – si l’on se fie à la vision de John Blanche de son sujet – d’un bout à l’autre du Vieux Monde, et vécut maintes pittoresques aventures au passage, sans pour autant parvenir à refaire son retard sur l’insaisissable Cicatrice. Jusqu’à maintenant tout du moins.

S’étant arrêtés pour la nuit dans une sombre forêt du nord de Kislev, les chasseurs, après avoir achevé l’un de leurs chevaux qui montrait quelques signes de faiblesse, tendent un piège à un quatuor de mutants peu discrets, envoyés par ‘Tris leur régler leur compte. Comme les 798.841 fois précédentes – en dix ans, on a le temps d’en fomenter des embuscades – Jojo et Vuko s’en sortent haut la main, bien que ce dernier ait perdu quelques points de vie au contact du sang contaminé (un scandale !) de l’homme crapaud qu’il vient de mettre en bouteille. Il en faut toutefois plus pour décourager notre paire de choc, Johann bricolant fissa un brancard de fortune pour permettre à son mentor de passer une convalescence relativement confortable au cul de leur dernier cheval. Que demande le peuple. Ayant appris de la bouche l’orifice facial du meneur des traînards, une ancienne connaissance (Andreas) du manoir des von Mecklenberg ayant abandonné ses études de taxidermie pour devenir Élu du Chaos à la suite de la descente de Cicatrice, que ce dernier se dirigeait vers le Nord et un mystérieux champ de bataille, Johann mène ses suivants (je compte le cheval qui aurait dû s’appeler Tsar – it’s complicated –  parmi ces derniers pour pouvoir user du pluriel) dans la direction indiquée, et finit par déboucher sur une plaine jonchée de cadavres en divers états de décomposition.

Un hameau se dresse, de façon incongrue, au milieu du charnier, qui ne peut être que le champ de bataille auquel le moribond a fait référence. Hêlant les habitants du lieu afin d’obtenir l’hospitalité pour la nuit, Johann fait bientôt la rencontre d’une troupe de lunatiques bigarrés mais très cordiaux, qui acceptent sans trop discuter d’accueillir les deux nouveaux-venus dans leurs cahutes. Le dîner qui s’en suit permet au baron déchu de faire la connaissance du Nain Kleinzack, autorité temporelle de la communauté, et dont le mandat de maire n’est en rien perturbé par l’épée qui le traverse de part en part (blessure de guerre). Ce dernier informe obligeamment ses hôtes qu’ils ont bien atteint le lieu où, chaque nuit, les armées du Chaos s’affrontent pour gagner la faveur des Dieux Sombres. L’endroit est un détour obligé pour les Champions avides de faire leur preuve, et il n’est donc pas étonnant que Cicatrice ait emmené sa bande y passer le weekend. Comme en témoigne le vacarme assourdissant qui s’abat bientôt sur le village, la légende est tout ce qu’il y a de plus fondée, et, si le sommeil ne vient pas facilement à nos héros cette nuit là (en même temps, difficile de faire venir la maréchaussée dans le Pays des Trolls pour faire constater du tapage nocturne), ils s’endorment avec la certitude que leur quête est sur le point de s’achever.

Le lendemain, Johann et Vukotich accompagnent leurs bienfaiteurs à la surface, où ces derniers s’activent à piller les cadavres et à nettoyer le champ de bataille afin que les combattants du soir puissent s’entre-tuer dans des conditions décentes. Demandant à tout hasard à Kleinzack s’il aurait entendu parler de la bande de Cicatrice, dont les guerriers arborent un éclair rouge à travers le visage, les deux voyageurs ont la surprise d’entendre ce dernier leur proposer de les mener jusqu’au chef de guerre en personne. Et en effet, c’est bien cette vieille badingue de Cicatrice que Johann et Vukotich trouvent à l’agonie sur le pré, bien loin de sa prime et terrifiante jeunesse il faut bien le dire. Avant que la mort ne l’emporte (un suicide plein de classe démontrant que, malgré ses méfaits, notre homme avait le cœur sur, ou en tout cas dans, la main), le vieux Champion révèle à un Johann outré s’être fait cruellement navrer par le plus si innocent que ça Wolf. Ce dernier a en effet repris les rênes de la bande depuis deux ans, reléguant Cicatrice à une pré-retraite honorifique, qui s’est donc finie en eau de boudin.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, J&V tombent dans l’embuscade tendue par Kleinzack et ses sbires, que Wolf a payé pour qu’ils leur remettent leurs indéfectibles poursuivants. Malheureusement pour le fourbe nain, son avidité le mènera à sa perte lorsque Johann parvient à se libérer de ses liens alors que le nabot était en train de lui faire les poches. Délesté de son épée au moment de sa capture, Johann se venge en faisant une « Roi Arthur » sur Kleinzack, lui empruntant l’épée qu’il avait en travers du thorax depuis toutes ces années, avec des conséquences fatales pour l’avorton. La nuit étant tombée entre temps, l’affrontement final entre les deux frères peut prendre place, et Johann fait bientôt face à son frangin, qui a acquis la plupart des caractéristiques de son animal totem depuis la dernière fois qu’il se sont vus, il y a dix ans.

Le combat entre les deux von Mecklenberg s’engage donc, tandis que Vukotich corrige les groupies de Wolf à grands coups de hache à l’arrière plan, et, alors que le nouveau chef de guerre semble insensible aux attaques fraternelles, Johann a soudain la bonne idée de viser l’épaule de son adversaire bestial. C’est là que la flèche qu’il avait tirée – comme une patate il faut bien le reconnaître – dix ans plus tôt au cours d’une chasse, avait atteint par erreur Wolf, et contraint ce dernier à retourner au manoir pour se faire soigner, juste au moment où Cicatrice frappait à la porte (pas de chance). Laissée sans traitement pendant une décennie, cette blessure, en tant que seul lien avec son passé « civilisé », constitue le point faible du Champion. Alors qu’il est sur le point de donner le coup de grâce à son frère, Johann est interrompu par le kill-bomb de Vukotich, qui se place sur la trajectoire de la lame et se retrouve prestement embroché. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que l’altruiste mentor a un plan pour inverser la malédiction chaotique ayant transformé Wolf, mais doit pour cela donner de sa personne, et de son sang, plus précisément. S’étant littéralement saigné aux quatre veines tout en marmonnant les incantations consacrées, Vuko’ tombe raide mort, le devoir accompli. Décidément, il ne fait pas bon s’appeler Iron Man. Son sacrifice n’est toutefois pas vain, un Wolf frais comme un gardon émergeant de la sorte de chrysalide magique s’étant refermée sur lui suite à ce rituel impromptu, et que Johann a défendue jusqu’à la levée du jour en bon grand frère protecteur qu’il est. Bref, si vous aviez encore besoin d’être convaincu que le don de sang peut sauver des vies, j’espère que vous êtes maintenant convaincus !

AVIS:

Ignorant Armies - 1Depuis son titre, d’une classe folle1 et d’un warhammerisme consommé (la véritable nature du Chaos n’apparaît pas à ceux qui se battent en son nom jusqu’à ce qu’il soit trop tard), jusqu’à sa conclusion heureuse-même-si-on-pourrait-arguer-qu-elle-n-est-pas-valide-d-un-point-de-vue-fluffique, The Ignorant Armies est une démonstration de ce qu’une nouvelle WFB devrait être. La quête décennale de Johann et de Vukotich à travers le Vieux Monde, sur les traces de l’insaisissable Cicatrice et sa bande de maraudeurs chaotiques, permet à Yeovil d’aborder tous les grands thèmes de l’univers de Warhammer : l’opposition/complémentarité entre l’ordre et le Chaos (depuis les ravages infligés par Cicatrice à l’Empire, dont il était un des défenseurs autrefois2, jusqu’au village du champ de bataille, « symbiote civilisé » opérant de concert avec l’anarchie de la mêlée perpétuelle qui sévit à sa porte), le grimdark héroïque3 (le cheval qu’on présente en détail avant de l’achever, faisant écho avec le sacrifice ultime de Vukotich à la fin de la nouvelle), l’étrangeté inquiétante et démente de l’univers (à peu près tous les habitants du village, avec des mentions spéciales attribuées à Kleinzack l’embroché et Mischa le polythéiste), sans oublier la nature proprement inhumaine et traître du Chaos, qui finit toujours par se retourner contre ses serviteurs. La description du terrible Cicatrice en vieillard défiguré par les mutations et laissé à l’agonie sur le champ de bataille est très intéressante de ce point de vue, mais l’accrochage avec Andreas en début de nouvelle tombe tout aussi juste.

En plus de faire carton plein sur le fond, Yeovil régale sur la forme, démontrant avec style et brio sa maîtrise de la nouvelle d’aventures. Son usage intelligent de flashbacks en début de récit donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un roman de trois cents pages plutôt que dans une nouvelle de cinquante, en plus de donner une profondeur certaine à la traque de Johann et de son mentor. Plutôt à l’aise dans la mise en scène de combats, une composante essentielle du genre, dont il faut savoir user sans en abuser, Jack Yeovil donne au lecteur ce qu’il est en droit d’attendre à ce niveau, mais ce sont bien dans les scènes plus « calmes », qu’il s’agisse de descriptions ou de dialogues, que les talents de conteur de notre homme se révèlent les plus prenants et efficaces.

Lire cette nouvelle, c’est toucher au cœur battant, à la fois pourri et grandiose, du fluff de Warhammer Fantasy Battle, et s’il n’y avait qu’un texte de GW-Fiction à recommander au nouveau-venu désireux de prendre la mesure de cet univers si particulier, The Ignorant Armies serait probablement mon choix.

: Comme l’indiquent les trois vers placés par l’auteur au début de la nouvelle, cette dernière a également été inspirée par le poème ‘Dover Beach’ de Matthew Arnold (1867).
2 : Décidément, Archaon n’a rien inventé.
3 : La notion que les « gentils » ne peuvent triompher sans consentir à de lourds sacrifices, alors que les « méchants » arrivent généralement facilement à leurs fins.

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No Gold in the Grey Mountains :

INTRIGUE:

No Gold in the Grey MountainsJoh Lamprecht, patron d’une TPE de collecte de fonds dans l’arrière-pays du Reikland, emmène sa bande de hors la loi à l’assaut de la diligence transportant les taxes de la ville minière de Raukner jusqu’aux coffres du bon empereur Karl Franz, lorsque le destin lui joue un bien vilain tour. Le fiacre ciblé se révèle inexplicablement dénué du précieux chargement convoité par les bandits1, qui peuvent cependant se consoler, après s’être passé les nerfs sur le pauvre conducteur et le noble pompeux qui voyageait dans la carriole (et s’est rendu compte de la dangerosité insoupçonnée de l’essuyage de carreaux, si votre interlocuteur a une arbalète), à la vue de la dernière passagère. La dame Melissa d’Acques, 12 ans, autant de neurones et, surtout, son papa très riche, peuvent en effet faire le bonheur de Joh et consorts, pour un peu que l’ado attardée sur laquelle ils ont mis la main, et qui ne réalise pas du tout la gravité de sa situation, leur donne les moyens d’expédier une demande de rançon en bonne et due forme à l’un de ses nombreux domiciles.

Pour l’heure, les malfrats (l’affreux Johjoh, le nemrod anxieux Yann Groeteschele, le gladiateur psychopathe et lycantrope Rotwang, et Fat Fool Freder, comme ses collègues l’appellent) décident d’emmener leur invitée jusqu’à leur camp de base, installé dans les ruines lugubres mais désertes du château de Drachenfels (l’histoire se déroule après la purge organisée par Oswald et Genevieve). L’ambiance n’est pas folichonne et la déco franchement datée, mais les voisins ne viennent pas vous embêter, c’est certain. La nuit tombée et Melissa enfermée dans sa chambre, la bande se réunit pour établir un plan d’actions visant à enfin toucher le gros lot, après des mois de chiche brigandage. Cependant, à l’intérieur du château abandonné, une ancienne et maléfique présence s’est éveillée, et Melissa pourrait bien ne pas être la seule à devoir se faire un mauvais sang…

1 : Qui aurait dû se douter que les braves mineurs de Raukner, dont trois virements avaient déjà été interceptés par les ruffians dans des conditions similaires, avaient changé leurs préférences de paiement. Un petit Lydia, ça change tout.

AVIS:

Après avoir donné un petit masterclass en matière de nouvelle d’aventures à la sauce Warhammer dans son Ignorant Armies, publié dans le recueil du même nom, Yeovil se penche sur un genre qu’il maîtrise particulièrement : l’horreur. Et si on ne retrouve pas ici de personnage précédemment mis en scène par l’auteur, mis à part une discrète mention de Geneviève et d’Oswald, l’utilisation du château – abandonné – de Drachenfels comme décor de ce court format à la sauce survival/maison hantée ferait presque illusion, tant ce lieu maudit pèse sur l’ambiance et l’intrigue de No Gold… On parle souvent d’Abnett comme le mètre étalon de la GW-Fiction, et c’est indubitablement vrai pour la production moderne et contemporaine de cette dernière (depuis le lancement de la Black Library, pour simplifier), mais Yeovil aurait fait un concurrent sérieux s’il avait repris du service après la fin de l’aventure GW Books/Boxtree. Ici, l’auteur démontre en quelques paragraphes sa capacité à instiller une atmosphère et convoquer des personnages plus intrigants qu’attachants, faisant de cette nouvelle un authentique page-turner. À un autre niveau, l’intégration d’un rebondissement final à l’intrigue permet de voir « travailler » un scénariste doué, que l’on ait deviné qui était l’antagoniste1 avant le dénouement final – auquel cas, on remarque l’habileté avec laquelle Yeovil entraîne le lecteur sur une fausse piste, en évitant avec maestria le moindre « faux raccord narratif » – ou bien que la surprise joue à plein – chanceux que vous êtes ! Blooding on the cake, on a même droit à quelques éléments de fluff, qui, si on peut douter de leur caractère canonique2 aujourd’hui, apportent une valeur ajoutée supplémentaire à No Gold… Bref, nous tenons ici, près de 30 ans avant que GW ne se lance sur le créneau, la toute première nouvelle de Warhammer Horror, qui n’a pas pris une ride et ferait une pièce centrale de choix dans les anthologies modernes de la BL. Faîtes moi confiance, je les ai lues…

1 : Ce qui était mon cas à la seconde lecture (qui a pris place tellement longtemps après la première que j’avais tout oublié de l’histoire, donc il y avait tout de même un challenge !). Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu une sorte d’épiphanie à la « Entretien avec un Vampire » au moment de la première apparition de la vieille dans la nouvelle.
2 : Friendly reminder que Yeovil a tellement impressionné le patron de l’époque de GW, Bryan Ansell, que ce dernier a arbitré un conflit de background en faveur de l’écrivain. C’est ainsi que Genevieve est restée une Vampire au lieu de devenir une Elfe.

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The Warhawk :

INTRIGUE:

La bête qui terrorisait Altdorf (‘Beasts in Velvet’) a beau avoir été mise hors d’état de nuire, la nature a horreur du vide et un nouveau tueur en série est venu égayer les rues de la capitale impériale, pour le plus grand divertissement macabre des sujets de Karl Franz. Enfin, ceux qui ne tombent pas sous les coups, ou plutôt, les serres, de l’Autour (Warhawk en anglais1), un psychopathe de haute volée assassinant ses proies par l’intermédiaire de son rapace soigneusement dressé, Belle. On pourrait se dire qu’un faucon n’est pas de taille à tuer un être humain normalement constitué, mais si l’oiseau dispose de rasoirs au bout des pattes et a été dressé pour viser la jugulaire, je pense que ça se tente. Ca tombe bien, c’est ici le cas. Si l’Autour tue, c’est parce qu’il est convaincu qu’il pourra réaliser son rêve aérien et s’élancer dans les cieux à la suite de Belle dès que cette dernière aura tué treize fois. Atteindre ce chiffre symbolique, ce sera accomplir le Moyen, une prophétie que notre tueur tient de son père, lui aussi passionné de fauconnerie martiale, et réussir là où les prototypes des ingénieurs et les incantations des sorciers ont échoué2. Au moment où notre histoire débute, l’Autour est en chasse de son dixième sacrifice, qu’il finit par choisir en la personne de Klaus-Ulric Stahlman, officier du guet de faction sur la Konigsplatz et flic le plus malchanceux du mois. Le temps d’un aller-retour aussi feutré que sanglant, le maléfique faucon scalpe proprement le malheureux poulet, laissant la foule ébruiter la nouvelle du nouveau crime de l’Autour.

Ce dixième assassinat ne fait pas les affaires de ‘Filthy’ Harald Kleindest, bombardé commandant de la « Brigade des Atrocités » à la suite de ses résultats probants dans la traque de la Bête, mais qui patine dans la choucroute sur cette nouvelle affaire. Et pour cause, l’Autour ne semble suivre aucune logique dans le choix de ses victimes, qui vont de l’orphelin des rues à la haute bourgeoisie d’Altdorf. La mort de Stahlman, représentant des forces de l’ordre, sonne de plus comme un pied de nez adressé par le tueur en série à ses adversaires, incapables de l’empêcher de nuire. Harald sait qu’il doit trouver un moyen de boucler l’affaire dans les prochains jours, avant que l’Autour ne frappe à nouveau, s’il veut conserver son statut, son poste et possiblement son intégrité physique (une foule effrayée peut être violente, c’est connu), mais la piste est désespérément ténue. Même les pouvoirs surnaturels de sa complice Rosanna Ophuls, clairvoyante de profession, ne lui apportent que de maigres indices sur le mode opératoire et l’affiliation de l’Autour. Cependant, la certitude que ce dernier ait fait sien le surnom donné à son propre père donne une idée à Harald, qui se rend aux archives du guet et exhume un mandat d’arrêt datant de trente ans, établi à l’encontre du Prince Vastarien et de son armée de mercenaires, les Vendeurs de Quiches Vainqueurs (Vastarien’s Vanquishers en VO, ça claque plus). Considéré par la moitié de l’Empire comme une tête brûlée incontrôlable et séditieuse, et par l’autre comme un héros romanesque traquant le mal au mépris des conventions et des arrangements entre puissants, Vastarien s’attacha les services de Papa Autour quelques décennies plus tôt, comme la mention de Warhawk sur le parchemin l’atteste de façon formelle. L’étape suivante sera de trouver un survivant de cette bande de chenapans qui serait disposé à souffler le véritable nom du père, pour en déduire celui du fils. Et cela tombe bien, la prison de Mundsen accueille en ce moment un de ces rares individus.

Pour prometteuse que soit cette piste, elle se montre rapidement complexe à suivre. Premièrement, le gouverneur de Mundsen ne se montre pas franchement coopératif, et il faut un petit tirage de chemise de la part de Harald pour le convaincre d’obtempérer. Deuxièmement, ni les années, si son séjour en prison n’ont été tendre envers le dénommé Rickard Stieglitz, qui se révèle être, entre autres lacunes, dénué de langue. Peu pratique pour dialoguer franchement avec ses premiers visiteurs depuis des lustres, il faut le reconnaître. Stieglitz, qui souhaite aider l’enquête, sans doute pour obtenir une remise de peine, sait bien lire et écrire, mais il lui manque le bras gauche et la majorité des doigts de la main droite, ce qui l’empêche de passer l’information par parchemin interposé. Enfin et surtout, il a été choisi par l’Autour comme onzième victime, et Harald et Rosanna ne peuvent empêcher Belle de venir mettre fin aux souffrances de Stieglitz en un tourbillon d’aile. Ce fiasco sanglant mène les autorités (in)compétentes à retirer l’enquête à Harald, pour la remettre à son rival Viereck, dont la sale manie d’exécuter le premier suspect lui tombant sous la main après chaque nouveau meurtre n’avait pas donné de résultats probants.

Il en faut cependant plus que cela pour décourager notre héros, son estomac crimophobe3 et son fidèle Magnin (une machette de jet, en quelque sorte). Comme il dispose toujours de son badge d’officier du guet et d’une réputation terrifiante auprès des cercles interlopes d’Altdorf, il décide d’user de ses derniers atouts pour obtenir l’information qui lui fait défaut auprès de la pègre locale, d’ordinaire très renseignée. Pour cela, il avise un trafiquant de substances illicites de sa connaissance qui traînait dans la taverne la plus mal famée de la ville, lui extorque quelques grammes de poussière de démon, un puissant analgésique/excitant/hallucinogène, traditionnellement utilisé par les berserkers de Norsca pour s’enjailler avant la bataille, et… commence à tabasser au hasard tous les individus (hommes et femmes, pas de sexisme) lui tombant sous la main. À chaque fois qu’il « termine » la visite d’un établissement, il fait un petit discours expliquant qu’il serait dans l’interêt de tout le monde que le nom de l’Autour Père lui soit communiqué dans les meilleurs délais, sans quoi sa croisade personnelle contre le crime se poursuivra with extreme prejudice. Après une folle nuit à fracasser des chaises sur des crânes, mettre des mandales dans des groins et transformer les tavernes en kits Ikea, Harald connaît logiquement une chute de tension brutale lorsque sa came cesse de faire effet, et est transporté au poste le plus proche pour se remettre de ses émotions.

À son réveil, c’est Rosanna qui lui apporte la nouvelle pour laquelle il a dévasté une bonne partie d’Altdorf : le dealer qu’il a racketé la veille (Ruger) s’est soudainement souvenu qu’un autre vétéran des Vainqueurs de Vastarien était en ville en ce moment, et comme il s’agit d’un Nain, il n’aura sans doute aucun mal à renseigner Harald sur l’identité des Autours père & fils. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel Nain, notez bien : c’est du seul et de l’unique Gotrek Gurnisson dont il est question ici. Malgré le fait que son corps n’est plus qu’une plaie, Harald se traîne hors de sa paillasse et se met en route vers le bouge minable où le Tueur et son chroniqueur ont été aperçus pour la dernière fois pour avoir une petite discussion d’homme à Nain. Le temps presse en effet, car l’Autour a fait sa 12ème victime : Viereck, au moment où il exécutait un nouveau coupable ayant avoué sous la torture. Et Belle a laissé une invitation au nom de Kleindest sur les lieux du crime, invitant ce dernier à attraper son maître, s’il en était capable, bien sûr.

La rencontre entre nos héros se déroulant sans trop d’accroc, grâce aux capacités de facilitateur de leur sidekick respectif, Harald apprend enfin le nom de son suspect, et, surprise, ça ne fait aucun sens pour lui. Andrzej Robida lui est en effet un parfait inconnu, mais cela ne l’empêchera évidemment pas de mettre son rejeton hors d’état de nuire… dès qu’il aura trouvé où il crêche, évidemment. Ne voulant pas mettre en danger sa fidèle Rosanna, il la renvoie au QG de la Brigade des Atrocités avant de partir vers le quartier où la demeure Robida se trouve. Une rencontre fortuite avec le véritable Ruger, identifié par un constable qui trainait dans le coin pendant qu’elle attendait son Hubert (le système de fiacre d’Altdorf), met toutefois la puce à l’oreille de la voyante qu’il y a anguille sous roche. Si le camé qui lèche les pavés en bavant n’est pas celui qui l’a rencardé il y a quelques heures, qui l’a fait, et pourquoi ?

Début spoiler…La réponse est évidemment l’Autour (fils) lui-même, et parce qu’il a choisi Rosanna pour être sa treizième et dernière victime. Selon les règles cryptiques mais immuables du Moyen, cet ultime sacrifice doit venir de son plein gré se faire raptoriser par Belle, et les machinations du tueur4 conduisent effectivement Rosanna à rejoindre Harald chez Robida. Bien que disposant du double avantage de la préparation et de la connaissance des lieux, l’Autour échoue comme une buse à faire assassiner Miss Ophuls, la pauvre Belle se mangeant le Magnin d’Harald en plein dans le bréchet avant d’avoir rempli son office. Le ton passe alors au comique sur les ultimes pages de la nouvelle, l’Autour saisissant son oiseau à moitié crevé par les pattes pour tenter de finir le boulot par serres interposées avant que son faucon ne rende l’âme, mais se faisant interrompre violemment par Harald sans avoir pu griffer à mort Rosanna, et balancer depuis le balcon vers une mort certaine en contrebas, avec une petite punchline digne de ce nom. Avec un piteux 1/13, cette enquête ne rentrera pas dans les best scores de Filthy Harald, mais l’ordre peut au moins de nouveau régner dans les rues d’Altdorf…Fin spoiler

1 : Ce qui se traduit littéralement par « faucon de guerre ». C’est trop moche pour un nom de tueur en série, vous me l’accorderez.
2 : L’histoire ne dit pas s’il a essayé de boire du Red Bull. En même temps, l’Ostland, c’est pas à côté.
3 : Sans rire, c’est un peu son super pouvoir de mutant : dès qu’il sent un agissement répréhensible, Harald a une remontée d’acide. Utile mais caustique.
4 : Et une bonne dose de chance, car si Rosanna n’avait pas croisé fortuitement Ruger et un officier du guet capable d’identifier ce dernier au même moment, juste après le départ d’Harald, le fauconnier aurait pu se la mettre derrière l’oreille.

AVIS:

The Warhawk’ est la version miniaturisée de ‘Beasts in Velvet’, le roman de Yeovil adaptant les codes du polar noir à l’univers de Warhammer Fantasy Battle. Bien que la nouvelle se déroule après la traque de la Bête en question par Harald et Rosanna, l’auteur a eu le bon goût de dissocier les deux intrigues, rendant la lecture individuelle de ‘The Warhawk’ tout à fait possible pour ceux qui n’ont pas (encore) lu le long format précédemment nommé. Comme à chaque fois avec Yeovil, on a le droit à un savant mélange d’immersion profonde et fouillée dans l’univers où se déroule son récit et de clins d’œil appuyés à notre monde, assez faciles à identifier pour le lecteur attentif. D’un côté, c’est un Altdorf populaire, impitoyable et politique (mention spéciale aux factions de révolutionnaires anti-impérialistes que Yeovil passe en revue) qui prend vie comme peu souvent dans les œuvres de la BL. De l’autre, on prend plaisir à voir l’inspecteur Harald dégainer son énorme Magnin1 pour ruiner la journée des punks du Reikland. L’alternance entre les points de vue de l’Autour et ceux de ses poursuivants, et la succession de courtes vignettes, donne un dynamisme indéniable à cette nouvelle qui traîne du côté de la novella par sa longueur, et vient quelque peu compenser le manque de suspens de l’intrigue, qui s’avère finalement assez pauvre en rebondissements et révélations. On peut d’ailleurs arguer que c’est le petit mais savoureux cameo de Gotrek (à l’image de ce dernier) qui constitue l’apex de ‘The Warhawk’, bien plus que la confrontation finale entre le tueur et Harald et Rosanna. Comme dit plus haut, cette conclusion n’est pas vraiment à la hauteur des pages précédentes, ce qui est évidemment dommage, mais était peut-être voulu par Yeovil. En effet, l’auteur fait réaliser à Harald à ce moment que les monstres criminels ne se révèlent toujours être que de « simples » détraqués une fois qu’ils ont été identifiés et capturés, et malgré son plan (presque) infaillible et son costume en cuir fait maison, l’Autour n’a pas fait exception. Une vraie bonne lecture en somme, que l’on peut considérer comme l’ancêtre de la gamme Warhammer Crime2, avec 18 ans d’avance…

1 : Pour les plus jeunes lecteurs de cette chronique, c’est une référence à l’Inspecteur Harry (Dirty Harry en VO) et à son improbable 44 Magnum.
2 : Comme Yeovil est également le père de Warhammer Horror (‘Drachenfels’ a été réédité spécialement pour le lancement de cette gamme), ça fait deux franchises de la GW-Fiction placées sous le tutelage du bon Jack.

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The Ibby the Fish Factor :

INTRIGUE:

Dix ans après avoir déserté Altdorf et son grand amour Detlef Sierck, the one & only Genevieve Sandrine du Pointe du Lac Dieudonné, Vampire teenager, actrice amatrice et accessoirement sauveuse de l’Empire, est de retour dans la capitale impériale. La cité n’est toutefois pas sûre pour une mort-vivante, même aussi accorte et raisonnable que Gené (pour les intimes). Déjà bien échaudées par les guerres vampiriques instiguées par ces tapes à l’œil de Comtes von Carstein, les bonnes gens de l’Empire prêtent en effet une oreille attentive aux discours d’une nouvelle figure eclésiastique, Antiochus Bland, Patriarche du Temple de Morr et ennemi farouche de la non-vie. À son instigation, l’Empereur a décrété l’Acte de Santé Publique (Sanitation Bill), dont la fameuse Clause 17 autorise les disciples du culte à incinérer tous les cadavres non sollicités par leurs proches sous trois jours. Genevieve, qui est techniquement considérée comme un cadavre du fait de sa nature vampirique, prend donc bien soin de passer pour la jeune et frêle Bretonienne tout juste arrivée dans la métropole que son apparence suggère qu’elle est. Toutefois, un accrochage bénin avec un tire laine ayant des vues sur sa bourse, pendant qu’elle mettait à exécution les fameux conseils du grand philosophe de Bordeleaux Zack Girac pour passer pour une bonne vivante, dégénère au point qu’elle se trouve entourée par une foule hostile, toute prête à lui planter des choses peu ragoûtantes à divers endroits de son anatomie. La tuile. Dans ces situations, il est toutefois pratique de pouvoir compter sur une force et une agilité peu commune, et Genevieve parvient à se tirer de ce traquenard grâce à sa détente sèche de Masaï sous stéroïde, le gros paquet de Sigmar (si si), et une statue creuse de l’Impératrice Margritta débouchant sur les égouts de la ville.

Pendant que notre héroïne se remet de ses émotions et nage vers sa destination, remontons à la surface pour nous retrouver dans le bureau d’un Detlef Sierck toujours génial mais bien moins svelte que dans ‘Drachenfels’. À la tête du théâtre Vargr Breughel, le dramaturge, metteur en scène et acteur a mené une vie de bohême depuis le départ de sa bien-aimée, et est actuellement occupé à la finition de sa dernière pièce ‘Genevieve et Vukotich: Complot Céleste à Zhufbar’. Librement adapté des véritables aventures de ces deux aventuriers, du temps où Sierck n’était qu’un gamin joufflu (voir ‘Red Thirst’), cette œuvre présente le défaut majeur d’avoir une Vampire comme héroïne, ce à quoi le visiteur du maître des lieux, Bland en personne, est farouchement opposé. Faudrait pas donner de mauvaises idées aux jeunes, toussa toussa. Ayant réussi à se débarrasser de l’insistant zélote en promettant de réfléchir à ses arguments, Sierck entend gratter derrière une cloison, et quand il ouvre le passage secret d’où vient le bruit suspect, c’est Genevieve qui lui tombe dans les bras. Après 1) un bain et 2) d’émouvantes, sensuelles et sanglantes retrouvailles, Gené doit cependant avouer à son amant que ce n’est pas que pour lui qu’elle est revenue à Altdorf. Elle a en effet été invitée par un autre Vampire pour une réunion pressante, et celle qui l’a faite mander n’est autre que sa chère « grand-mère » en non-vie, Dame Melissa d’Acques. Ayant reçu le baiser de sang à l’âge de 12 ans (mais il y a plus d’un millénaire), Melissa n’a eu aucun mal à se faire passer pour la pauvre orpheline Elsie, recueillie/exploitée par Sierck il y a un mois pour distribuer des programmes et vendre des churros, dans l’attente de l’arrivée de sa petite-fillotte. Elle a même contribué à assainir le théâtre en subsistant sur la colonie de rats qui y vivait, affamant cependant les chats résidents du Vargr Breughel. Une perle.

Si Melissa « Missy » d’Acques a organisé cette rencontre, c’est pour protéger la vie d’Antiochus Bland, qu’une bonne partie des Vampires du Vieux Monde veut voir aussi mort qu’eux. Un assassin mort vivant est prêt à frapper le meneur religieux, Missy en est certaine, et si cela pourrait provoquer une brève satisfaction (parce que le type est abject, reconnaissons-le), les conséquences à moyen et long termes risquent d’être terribles pour la gent vampirique. Il est donc convenu que Genevieve tente d’approcher Bland en prétendant être une recrue du culte de Morr, afin de pouvoir le protéger si besoin était, tandis que Missy et son « oncle » Sierck auront pour tâche d’enquêter parmi la communauté mort-vivante d’Altdorf à la recherche d’informations utiles sur l’identité de l’assassin en puissance.

Avant que les trois conspirateurs n’aient pu commencer à mettre leur plan à exécution, sortons dans la nuit interlope et humide d’Altdorf pour nous rendre sur les lieux d’un crime sordide. Le corps d’Ibrahim « Ibby » Fleuchtweig, figure proéminente du tristement célèbre gang des Poissons, a en effet été retrouvé sans vie dans une allée sombre du quartier des quais. Le cadavre porte une blessure caractéristique au niveau du cou, faisant logiquement penser aux forces de l’ordre et experts arcanolégistes (coucou Rosanna Ophuls !) présents sur les lieux qu’Ibby s’est fait pécho, euh pécher, par ses ennemis de toujours, le gang des Hameçons. Depuis que l’homme est homme et avant que les Dieux du Chaos ne poussent leur premier hurlement/râle/pet/pion, les Poissons et les Hameçons se font la guerre sur le Reikerbahn, à coup de noyades et d’égorgements très codifiés. L’affaire est donc un non-événement pour le guet, mais Bland et ses disciples, prévenus par des indicateurs, ne sont pas de cet avis. L’occasion est en effet trop belle pour la laisser passer : il serait très opportun que le malheureux Ibby ait été la victime d’une attaque de Vampire plutôt que d’un banal règlement de comptes. Faisant fi des protestations de la maréchaussée, Bland catapulte le Poisson pourrissant martyre de sa guerre contre les morts sans repos, et prend la pose pour la postérité avec la tête du macchabée, décapité dans la plus pure tradition vampirifuge, dans les mains, pour le bénéfice de sa chargée de com’, l’affutée Liesel von Sutin. Tirée à des centaines d’exemplaires et affichée sur tous les murs de la ville, cette illustration va contribuer à convaincre l’opinion publique de la nécessité et de l’urgence de mettre un terme à la menace de la non-vie (assez limitée en réalité) : c’est donc ça le fameux effet « Ibby le Poisson » (The Ibby the Fish Factor) qui a donné son titre à cette nouvelle. Je savais que vous vous posiez la question. Retour au théâtre pour le troisième acte.

Commençons par suivre Melissa et Dietlef dans la rue des cent tavernes, et plus précisément au Croissant de Lune, l’établissement de choix de l’aristocratie de la nuit. Inaccessible au tout venant et quasi désert en raison de la sale ambiance régnant à Altdorf, le Croissant reste toutefois une plaque tournante incontournable pour quiconque cherche des contacts et des informations à tendance nécrophiles. Bien que la méthode d’investigation de Melissa (se pinter au gros rouge en racontant sa vieillesse) laisse à désirer, et manque de laisser son chaperon à la merci des intentions hémophiles des quelques buveurs de sang zonant entre le flipper et le comptoir, l’arrivée soudaine d’une connaissance et employé de Dietlef, le machiniste Alvdnov Renastic, permet de faire avancer un peu l’intrigue. Car le nouveau-venu est…

Début spoiler…un ventriloquiste amateur, que Genevieve avait surpris en train de répéter en coulisse lors de son arrivée furtive dans le théâtre depuis les égouts. Vue et entendue de loin, la scène donnait à penser à la conjuration d’un démon mineur « azoivé de zang » (il faut que le Jeff Panacloc travaille un peu sa technique de projection de voix) plutôt qu’à la répétition d’une graine de Tatayet. Mais le plus important est surtout qu’Alvdnov Renastic se trouve être Vlad von Carstein – bravo aux férus d’anagrammes parmi vous. Pas LE Vlad von Carstein hein, mais l’héritier de la fameuse lignée, venu au Croissant de Lune dénoncer publiquement les rumeurs selon lesquelles il mènerait bientôt les morts sans repos contre les vivants. Renastic, qui n’est même pas un Vampire, préférerait percer dans le music hall, et fait donc une petite démonstration de son talent à Sierck et Melissa, avec des résultats mitigés. Mais nos deux larrons apprennent tout de même de sa bouche que l’assassin que l’on dit aux trousses de Bland serait Genevieve en personne, ce qui est évidemment peu probable…Fin spoiler

Genevieve, sous le pseudonyme et la perruque de Jenny Godgift (jeu-jeu-jeu de mots !) a quant à elle réussi à se faire embaucher comme garde du corps de Bland, après avoir fait mordre la poussière à un catcheur reconverti en moine, grâce à sa maîtrise des arts martiaux cathayens. Je vous assure que cette phrase reflète parfaitement ce qui se passe dans l’histoire, aucune exagération de ma part ici (comme si c’était mon genre). Elle a à peine le temps de commencer à sympathiser avec la dévouée Liesel von Sutin, qui se donne corps et âme au projet de croisade de son imbécile de patron, pour lequel elle éprouve des sentiments variés, que Bland se fait finalement attaquer dans sa cellule, malgré la protection des gardes postés devant sa porte (drogués et mordus au cou). Lorsqu’elle entre dans la piaule pour tenter d’empêcher l’irréparable et confronter l’assaillant, elle a la surprise de se retrouver face à un sosie de sa personne (en un peu plus grand, c’est vrai). Mais il ne s’agit évidemment que d’une pâle blonde imitation, fond teint blafard et crocs en os de poulet à l’appui, jouée par nulle autre que la diva Eva Savinien. Qui mieux qu’elle, qui a passé une bonne partie de sa carrière à camper Genevieve dans les productions de Dietlef Sierck, peut en effet mieux faire illusion dans ce rôle ? Ceci dit, des grands airs de Jacqueline Maillan, des griffes en plaqué argent et un vieux reste d’animus de l’inconstant Drachenfels1 ne font pas le poids face aux capacités surnaturelles d’une véritable immortelle. Après un crépage de chignon en règle, et un début d’incendie dans la chambre de Bland, toujours en vie mais affaibli par le suçon sanglant que lui a infligé Savinien, cette dernière finit en torche humaine, permettant à Genevieve d’évacuer les lieux avec son protégé avant qu’il ne suffoque.

Cet acte de bonté, qui a ruiné la permanente et le maquillage de Gené à tel point qu’elle se fait promptement identifier comme Vampire par le reste de la garde du temple, et maîtriser sans vergogne, aurait pu lui coûter très cher sans l’arrivée salutaire de Melissa et Sierck… et la misogynie absolue des sous fifres de Bland, qui refusent catégoriquement d’obéir aux ordres de Liesel von Sutin alors qu’elle est (et a toujours été) la seule à savoir ce qu’elle fait. On apprend que c’est elle qui a fomenté l’assassinat du Patriarche, et a pour cela drogué ses gardes, afin de pouvoir prendre sa place à la tête de la croisade et get some sh*t done. Pour cette mauvaise action, elle gagne un stage non rémunéré dans le Pays des Trolls dans un ordre d’anachorètes intégristes, afin de méditer sur la juste place des femmes dans les sociétés modernes. Non mais. De son côté, Bland est puni pour l’ensemble de son œuvre en étant vampirisé par Melissa, qui agrandit ainsi sa famille et force le culte de Morr à se choisir une nouvelle figure de proue du même coup. Les échanges de fluide ont parfois du bon tout de même.

Notre histoire se termine sur un tableau digne d’un conte de fées et indigne du monde sauvage, violent et nihiliste de Warhammer Fantasy Battle (mais une fois de temps en temps…) : Genevieve et Dietlef se marient en grande pompe dans leur théâtre, entourés de tous leurs proches et amis, depuis l’hériter du trône impérial jusqu’au doyen de l’EHPAD vampirique où Melissa crèche à l’année, et la la Clause 17 est dénoncée par Karl Franz. Vous pouvez transfuser le marié !

1 : Savinien a été brièvement possédée par ce dernier lors de la représentation finale de ‘Drachenfels’.

AVIS:

Tour de piste final pour les deux personnages centraux du cycle Geneviève (la principale intéressée et son love/blood interest Detlef Sierck), ‘The Ibby the Fish Factor’ termine en apothéose l’œuvre de Jack Yeovil pour Warhammer Fantasy Battle. Tout est réussi et porte la patte particulière du maître dans cette novella, depuis le titre1 merveilleusement non-sensique, jusqu’à l’happy ending marital de l’arc Geneviève & Dietlef2, faisant de ‘The Ibby…’ une lecture obligatoire pour tous les amateurs de cette série. Comme à son habitude, Yeovil jongle habilement entre les styles (action, suspens, humour) et parvient à concilier ajouts fluffiques notables, même si probablement pas très canon, et références savoureuses à notre monde. On croise ainsi William King, Popeye et Blanche-Neige au hasard des pages, tous dûment warhammerisés bien sûr, et je suis à peu près certain que cela n’est que la partie émergée de l’easter egg. Cette formule gagnante ayant été reprise des décennies plus tard par Josh Reynolds, notamment dans sa série sur l’Ordre de Manann, j’invite vivement tous les amateurs de cette dernière à donner sa chance à ‘The Ibby…’, qui a de grandes chances de leur plaire.

Si l’intrigue développée dans cette nouvelle fait de nombreuses références, et à plus d’un niveau, à celle de ‘Red Thirst‘, avec Bland dans le rôle de Glinka (notons que ces deux antagonistes connaîtront une fin similaire: « possédé » par le mal qu’ils avaient juré de détruire, et mis au ban de la société en conséquence) , dans une volonté manifeste de Yeovil de « boucler la boucle », c’est tout le Geniverse qui est passé, de près ou de loin, en revue dans cette ultime histoire, depuis le regretté Vukotich (‘Ignorant Armies’) jusqu’au plus récent Autour (‘The Warhawk’), en passant par Filthy Harald et Rosanna Ophuls (‘Beasts in Velvet’), Eva Sarinen (‘Drachenfels’) ou encore Melissa D’Acques (‘No Gold in the Grey Mountains’). On doit d’ailleurs décerner à la mamie Vampire le prix de meilleur second rôle comique dans ‘The Ibby…’, loin du registre horrifique dans lequel elle s’était illustrée dans ‘No Gold…’. Comme quoi, il n’est jamais trop tard pour se réinventer, surtout avec un auteur du calibre de Yeovil au scénario et aux dialogues. Dans un tout autre style, c’est l’assistante dévouée de Bland, Liesel von List, qui attire l’intérêt du lecteur par sa complexité et son ambivalence. Malgré son positionnement clair dans le camp des antagonistes, il n’est pas difficile d’éprouver de la compassion, voire de la sympathie envers ce personnage intelligent, totalement dévoué à sa cause et faisant preuve d’empathie pour son prochain, mais réduit au statut d’esclave domestique par sa condition féminine et l’univers éminemment mysogyne dans lequel elle évolue. Le sous-texte féministe de la nouvelle est d’ailleurs renforcé par le constat que tous les personnages véritablement actifs de cette dernière sont féminins, Sierck et Bland étant au final davantage spectateurs qu’acteurs du drame qui se joue.

Pour ces raisons, comme pour beaucoup d’autres, ‘The Ibby…’ mérite sa place parmi les tous meilleurs courts formats de GW-Fiction, tout comme Jack Yeovil mérite la sienne parmi ses contributeurs les plus illustres. À lire de préférence après avoir terminé/dévoré les autres romans et nouvelles de la série Genevieve, mais à lire en tous les cas, si vous en avez l’occasion.

1: Je dois humblement avouer que c’est le seul titre de GW-Fiction que je n’ai initialement pas compris. L’ajout de guillemets pour guider l’oeil des anglophones non natifs (The « Ibby the Fish » Factor) aurait certainement pu aider, Monsieur Yeovil! Au final, cela rajoute du charme à cette soumission qui n’en manquait déjà pas.
2: On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils aient eu beaucoup d’enfants (à moins d’adoptions bien sûr), mais on peut espérer qu’ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leur jour et la disparition du Monde qui Fut. L’indispensable Josh Reynolds, qui a évidemment lu la série, a même pris la peine de faire apparaître Geneviève dans ses bouquins ‘End Times’.

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En conclusion,Silver Nails‘ se révèle être un ouvrage d’une cohérence et d’une qualité rare pour un recueil de nouvelles de la Black Library. Si le second point n’est pas une surprise pour quiconque est familier de la prose de Jack Yeovil, le premier aurait pu poser question, eut égard aux conditions particulières de l’écriture de cette anthologie. Cette réédition est donc une très bonne occasion pour les amateurs de GW-Fiction de découvrir ou redécouvrir une des oeuvres les plus marquantes de la « préhistoire » de la BL, qui a influencé, de près ou de loin, la grande majorité des auteurs ayant écrit des romans et nouvelles pour le compte de Games Workshop depuis. Même s’il est passé à autre chose depuis longtemps, et que ses franchises de prédilection aient toutes les deux été détruites par GW, je me surprends à espérer que Jack Yeovil daigne un jour reprendre la plume pour le compte de la BL, même si cela ne débouche que sur une collaboration ponctuelle. S’il y a une chose à retenir des aventures de Genevieve Sandrine du Pointe du Lac Dieudonné en effet, c’est que l’on a toujours besoin de ses grands anciens…