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SILVER NAILS [WFB]

Bonjour à tous et bienvenue dans cette critique d’un recueil de nouvelles Warhammer Fantasy Battle doublement spécial: ‘Silver Nails’. Cet opus présente en effet la caractéristique notable de ne rassembler les œuvres que d’un seul auteur, Jack Yeovil (nom de plume de Kim Newman pour la GW-Fiction), ce qui n’est pas la norme pour une publication de la Black Library. La préférence de la maison d’édition va en effet vers les pots pourris collectifs en ce qui concerne les anthologies, et seuls quelques rares élus (William King, Dan Abnett, John French…) ont reçu l’insigne privilège de voir leurs courts formats réunis dans un ouvrage personnel. Vu l’importance cruciale qu’a eu Yeovil dans les premiers temps de la GW-Fiction, qu’il a soutenue à bout de bras et de stylo lorsque David Pringle et Bryan Ansell tentaient tant bien que mal de mettre au monde leur projet commun, il y a maintenant plus de 30 ans, ce traitement particulier était on ne peut plus mérité, même si les héros dont nous allons parler ici sont sans doute peu familiers à la plupart des lecteurs.

Sommaire Silver Nails (WFB)

La deuxième particularité de ‘Silver Nails’ est d’avoir été écrit sur deux périodes très distinctes. Les trois premières nouvelles de cette anthologie ont en effet été intégrées dans les premiers recueils de GW Books (‘The Ignorant Armies’, ‘Wolf Raiders‘ et ‘Red Thirst‘), parus entre 1989 et 1990. Si elles partagent la même bande de protagonistes (Genevieve la Vampire, Dietlef Sierck le dramaturge, Johann von Mecklenberg et son tuteur Vukotich, ‘Filthy’ Harald Kleindest et Rosanna Ophuls) que ces premiers écrits, la dernière histoire (‘The Ibby the Fish Factor‘) a elle été écrite beaucoup plus tard, peu de temps avant la première sortie de ‘Silver Nails‘ (2002). Quand à ‘The Warhawk’elle est restée dans les cartons de l’auteur pendant de nombreuses années, peut-être victime indirecte de l’instabilité chronique des premiers temps dela GW-Fiction (GW Books et Boxtree). Il s’agissait pour Yeovil de donner l’épaisseur requise à ce recueil, tout en rendant une dernière visite aux acteurs de sa trilogie ‘The Vampire Genevieve‘ avant de passer définitivement à autre chose. Profitons donc de l’intégration de ‘Silver Nails‘ dans la réédition récente de cet omnibus par la BL pour poursuivre notre œuvre de revue de nouvelles, en nous attaquant à un monument, oublié mais incontournable, de la GW-Fiction1.

1 : On peut regretter que cette réédition n’inclue pas, en tout cas sous sa forme numérique, la préface écrite par Yeovil à l’occasion de la sortie de la première anthologie Genevieve, en 2005. Cette dernière, présente sur le site de l’auteur, donne des informations intéressantes et n’est pas avare en commentaires savoureux sur la genèse de cette oeuvre.

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Red Thirst :

INTRIGUE:

Réveil brutal pour Vukotich le mercenaire (dont nous croiseront l’incarnation vénérable dans ‘The Ignorant Armies’), qui émerge d’un coma moins éthylique que concussé, conséquence regrettable mais prévisible de sa grande idée de vouloir s’encanailler dans une taverne clandestine de Zhufbar, alors que Claes Glinka et ses séides y avaient pris leurs quartiers d’hiver. Qui est Claes Glinka, me demanderez-vous ? Eh bien, pauvres incultes que vous êtes, Herr Glinka n’est rien de moins que le Frigide Barjot du Vieux Monde, soit un zélote obscurantiste horrifié par la décadence des mœurs contemporaines, mais possédant un talent marketing et événementiel certain, ce qui lui a permis de recruter assez de followers et d’influence auprès des autorités compétentes – ici l’Empereur Luitpold – pour organiser des manifs pour (et contre) tous d’un bout à l’autre du pays. Entre deux autodafés, fermeture de bordels et abattage de vignobles, Glinka trouve également le temps d’ouvrir des Starbucks à la place des estaminets dans les villes que sa caravane visite. Bref, un fléau.

Vuko, lui, est un jeune mercenaire en quête d’un nouvel employeur, à la suite du décès prématuré du précédent, et qui se disait que passer une tête – moustachue – dans la cité où se tenait le Festival d’Ulric (l’équivalent de l’Eurosatory de l’Empire) serait une riche idée pour se trouver une nouvelle affectation. Peu concerné, ou sensible, aux arguments du Gardien de la Moralité, notre héros s’est donc fait surprendre en plein stupre (la fornication était en projet) par quelques croisés à gourdins, et revient à lui à l’arrière d’une carriole l’emmenant, ainsi que quelques dizaines de malheureux, dans des camps de travail gobelins. C’est comme ça que la Glinka se finance. Seule consolation, il réalise que le compagnon de travée auquel il est enchaîné est une fort accorte escort, embarquée comme lui par la patrouille. En tête de wagon, nous faisons la connaissance de Dien Ch’ing, Cathayen d’origine, comme son nom l’indique, et fidèle suivant de Glinka… en apparence. En fait, Ch’ing est un disciple de Tsien-Tsin, où Tzeentch comme certains l’appellent également, expulsé de sa pagode par les moines guerriers du Roi Singe, l’ennemi mortel des Dieux du Chaos dans le grand Orient. Guidé par ses visions, Ch’ing a infiltré la croisade de Glinka afin de porter quelques plans retors du Grand Architecte à maturité, et n’attend que le bon moment pour retourner son kimono. En attendant, il s’amuse à convoyer les mauvais sujets de l’Empire au goulag, ce qui est une activité comme une autre.

Un arbre tombé en travers de la route donne toutefois l’occasion à Vukotich d’échapper à ce funeste destin, notre intrépide Kislévite saisissant sa chance ainsi que son infortunée voisine, et plongeant dans la forêt en contrebas de la route après l’immobilisation du wagon. Outré par ce manque de savoir-vivre, Ch’ing envoie un trio de grouillots régler leur compte aux déserteurs, qui n’ont cependant aucun mal à en venir à bout. Craignant initialement que sa camarade de chaîne ne se révèle être un boulet (ce qui aurait été logique, finalement), Vukotich est favorablement surpris, et même impressionné, par l’agilité et la dextérité de sa compagne, dont l’aide se révèle précieuse pour dézinguer les goons de Ch’ing. C’est donc avec regret qu’il se résout à lui trancher la main avec l’épée qu’il a récupérée sur un cadavre de PNG malchanceux, afin de regagner sa liberté… sans grand succès. Et pour cause, sa comparse n’est autre que la vampire Genevieve, dont les super pouvoirs incluent donc une peau en kevlar (pratique). Mi (plutôt que morte) vivante avec des principes, elle pardonne à Vukotich son coup de sang, et, ne pouvant pas non plus briser les menottes qui les lient – surtout que la sienne est plaquée argent –, le convainc de faire équipe jusqu’à la première forge qui se présentera à eux. Proposition acceptée par son (désormais) side-kick, qui réalise de toute façon qu’il a intérêt à filer droit s’il ne souhaite pas terminer en casse-dalle pour amphisbaenae1.

img430Après quelques heures de marche, notre couple involontaire arrive dans un petit bled paumé, et réussit à squatter une cabane abandonnée pour permettre à Vukotich de reprendre des forces2. Par un hasard qui ne sera pas heureux pour tout le monde, comme nous allons le voir, cette même cabane a été choisie par deux individus de rang pour se rencontrer discrètement. Le premier est le Seigneur Maréchal de Zhufbar, Wladislaw Blasko, qui a laissé Glinka mettre la cité en coupe réglée sans faire trop de vagues… parce qu’il est lui aussi un agent du Chaos infiltré. Ça commence à faire beaucoup. Son interlocuteur est le Haut Prêtre de Tzeentch Yefimovich, ayant tiré le don « je suis une ampoule de feu rouge » dans la table des mutations, et habituellement stationné dans le Kislev, mais en goguette dans le Sud pour les vacances. Nos deux conspirateurs s’entretiennent de leur plan machiavélique, qui consiste en l’assassinat de Glinka lors d’une prochaine cérémonie, ce qui permettra à Blasko de prendre sa place à la tête de la croisade, et de laisser opportunément ouverts aux hordes orientales les cols des Montagnes Noires. Bien évidemment, Vukotich et Genevieve, camouflé sous un drap de scenarium, voient et entendent tout, et décident, à contre-cœur mais il le faut bien, d’aller sauver le Gardien de la Moralité pour éviter son remplacement.

Un peu plus loin, nous retrouvons Dien Ch’ing, perturbé par de sombres pressentiments et l’insatisfaction du devoir non-accompli. Ayant été chargé par Yefimovich d’occire Glinka, il ne veut rien laisser au hasard, et se lance dans une séance de divination à l’aide d’un bol tournant, ce qui lui permet d’assister par visio à la rencontre de son boss avec Blasko, mais également de s’apercevoir que ces derniers n’étaient pas seuls dans la piaule. Contrarié par ce coup du sort, il invoque le fantôme de l’un de ses vénérables ancêtres, l’honorable Xhou, aller négocier (ils sont urbains ces Cathayens) avec les contrevenants, afin qu’ils laissent les événements suivre leur cours. Malgré les trésors de courtoisie et de diplomatie dont fait preuve Xhou, qui se matérialise devant Vukotich et Genevieve alors qu’ils avaient repris la route de Zhufbar en charrette, il ne parvient pas à conclure un deal avec nos héros, qui finissent par le bannir comme l’ennuyeux pop-up spectral qu’il est. Au moins, Ch’ing aura essayé de résoudre le différent à l’amiable. Il passe à nouveau à l’action quelques heures plus tard en envoyant cinq élémentaux régler leur compte aux fâcheux à leur sortie de la ville de Chloesti, où les séides de Glinka avaient organisé un autodafé de la délation3 (c’est comme un pot de l’amitié, sauf que c’est différent), qui a fini dans une très chaude ambiance4. Dépassés par les événements, les aventuriers s’en sortent grâce à la culture G de Mme G, qui réussit à monter les démons les uns contre les autres en demandant innocemment qui avait la plus grosse… énergie mystique parmi le quintet, provoquant un affrontement fratricide aux résultats peu concluants.

Tout est prêt pour le grand final de cette longue nouvelle. Genevieve et ce gros dalleux de Vukotich arrivent sur les rivages de la Blackwater, trouvent un bateau de pêche et partent à la rame vers Zhufbar. Dans la cité, Ch’ing se prépare à commettre l’irréparable au cours d’une adresse publique de Glinka, organisée sur la plage municipale (pourquoi se priver ?). Le plan machiavélique et savamment planifié de nos affreux est toutefois contrarié par l’arrivée soudaine de Genny et Vuko, qui parviennent à créer une belle pagaille parmi l’auguste assemblée, peut-être en exhibant les parties charnues de leur anatomie à la cantonade. Hé, il faut ce qu’il faut. La dague magique de Ch’ing n’ayant pas eu le temps de charger totalement, le cultiste voit s’enfuir sa cible sans avoir pu tenter sa chance. Il a toutefois l’occasion de se venger des éléments perturbateurs et de leurs gros nez d’Occidentaux en leur faisant bénéficier d’un masterclass de MMA5.

Le combat qui s’engage voit le bonze démoniaque tenter de mettre des grands chassés dans la face de ses Némésis, avec des résultats peu concluants, la vampiritude de Genevieve lui permettant d’esquiver ou d’encaisser facilement les coups de pied retournés et manchettes cathayennes de Ch’ing. On suppose que Vukotich, toujours enchaîné à sa dulcinée, a dû avoir un bras disloqué à la fin de la journée. Frustré dans ses tentatives de muay-thaï, l’expat’ se rabat sur ses pouvoirs arcaniques pour finir le taf, mais se trouve là encore contrecarré, cette fois-ci par l’alliance, que dis-je, l’alliage, de circonstance entre le fer et l’argent des chaînes liant Genevieve et Vukotich, qui se révèle être l’anathème du choke-tilège jeté par Ch’ing sur le malheureux Glinka. L’homme sage connaissant ses limites, le moine Ch’(aol)ing décide enfin d’aller voir ailleurs si Tsien-Tsin y est, et prend son congé de Zhufbar, non sans promettre à Genevieve qu’il reprendra contact sous quinzaine (de jours, d’années ou de siècles, mystère). On se rend alors compte que Blasko, qui avait tenté d’aider son pote chaotique dans la mêlée en surinant Vukotich, est tombé dans la Blackwater en armure complète, et peut donc être rayé des cadres. Plus intéressant, l’inflexible puritain Glinka se révèle être un mutant, comme l’atteste la paire de bras surnuméraires qu’il dissimulait sous sa chasuble. C’en est fini de sa croisade, et probablement de son existence, si l’Empire se révèle fidèle à sa politique en matière de diversité.

Fatigué par les événements, Vukotich pique un gros roupillon de deux jours sitôt ses menottes ôtées par le forgeron de fonction, et apprend à son réveil que sa partner in crime-solving n’a pas fait de vieux os à Zhufbar, et est repartie vivre sa non-vie dans l’anonymat qui lui convient mieux. C’est l’affable Maximilian von Konigswald, père d’Oswald (le vainqueur de Drachenfels et compagnon d’armes de Genevieve), qui met le mercenaire au courant des dernières actualités, entre deux rasades d’eau de vie. Plaqué par son crush, Vukotich se sent tout d’un coup bien chose, mais, rassurez-vous, il s’en remettra.

1 : Vous ne savez pas ce que c’est ? Moins non plus. Seul Jack Yeovil est au courant, à mon avis.
2 : Et de rêver, prémonitoirement, d’une bataille au sommet du monde mettant aux prises une faune bigarrée. Il l’ignore encore, mais il s’agit de la conclusion d’Ignorant Armies.
3 : Et où Genevieve rencontre un tout jeune Dietlef Sierck (‘Drachenfels’) déjà sensible aux choses artistiques, et son acariâtre môman.
4 : Pour Vukotich aussi, notez, car une péripétie annexe mais distrayante voit nos héros passer la nuit dans un hôtel de passe reconverti en établissement honorable à la suite des puritains de Glinka, et profiter l’un de l’autre pour réaliser un échange de fluides. Surpris au réveil par une bande de clercs de notaires patibulaires, nos tourtereaux étaient sur le point de se marier sous la contrainte au moment où arriva le cinquième élément (et ses potes avec lui).
: Ce qui dans ce contexte veut dire Mystic Martial Arts.

AVIS:

‘Red Thirst’ (baptisé ainsi en référence au penchant de Genevieve pour le gros rouge) est une des nouvelles qui justifient que l’on s’intéresse de plus près aux origines de la GW-Fiction. Jack Yeovil fait en effet très fort avec cet épisode de ce que l’on doit bien appeler son cycle Genevieve, en parvenant à cocher toutes les cases du cahier des charges de ce type de publication. On pourrait bien sûr parler de son choix de mettre en avant un pan mystérieux du fluff de Warhammer Fantasy, et ce faisant, de le développer, par l’inclusion du personnage de Ch’ing (à ma connaissance le seul Cathayen dépeint dans une œuvre de fiction). Il faudrait alors souligner qu’en quelques lignes, Yeovil parvient à donner une véritable impression d’exotisme et de profondeur à un concept sur lequel GW s’est assis pendant plus de trente ans. Les apports de background ne se cantonnent cependant pas à l’Extrême Orient : l’Empire en bénéficie également, tant au niveau culturel que géopolitique. Et que dire de la figure de Yefimovich, qui illumine (dans tous les sens du terme) de sa présence les quelques pages dans lesquelles il apparaît.

Une autre réussite à mettre au crédit de Jack Yeovil réside dans la construction et le déroulement de son propos, qui enchaîne les péripéties avec un rythme et une facilité déconcertants. La taille du résumé (qui porte bien son nom, car il en reste de là où ça vient) ci-dessus devrait vous donner une bonne idée de la richesse narrative de Red Thirst. C’est la marque des grands conteurs que d’arriver à agencer leur récit sans temps mort ni à coups, et Yeovil fait définitivement partie de cette catégorie. Soulignons en outre la belle variété d’ambiance dont bénéficie cette nouvelle, du grimdark as usual au vaudeville (la scène dans l’hôtel de passe est savoureuse) en passant par la fugace romance entre Vukotich et Genevieve et la légende orientale (l’attaque des élémentaux). Peu nombreux sont les textes de GW-Fiction disposant d’une telle amplitude, bien que l’on puisse également citer William King (un autre grand ancien) ici.

Terminons par la remarque que Jack Yeovil a sans doute été le premier auteur de GW à raisonner en termes d’univers narratif, bien des années avant qu’Abnett ne créé son Daniverse, imité par Graham McNeill et d’autres contributeurs de la Black Library au fil des années. Les liens d’intrigues tissés par Yeovil dans ce Red Thirst sont une autre très bonne raison de lire cette nouvelle… si vous êtes familiers avec la galerie de personnages créés par l’auteur. Genevieve, bien sûr, mais également Vukotich (Ignorant Armies, qui gagne ici son surnom d’Homme de Fer), la lignée des von Konigswald (Drachenfels), un Dietlef Sierck en culottes courtes (ibid)… et sans doute d’autres figures que Yeovil a repris dans d’autres nouvelles et romans lors de sa pige pour Games Workshop. Mine de rien, savoir que l’investissement dans le corpus d’un auteur sera récompensé par des caméos, clins d’œil et autres easter eggs constitue une motivation forte pour le lecteur, et je suis plus déterminé que jamais à combler mes lacunes en Yeovilerie1. Bref, une authentique pépite de la littérature GWesque, injustement condamnée à l’oubli par la politique éditoriale de Nottingham. Si cette critique ne vous donne ne serait-ce que l’envie de vous pencher sur le cas Jack Yeovil (toujours non-traduit à l’heure actuelle, et c’est tragique), elle aura atteint son objectif.

1 : Je suis sûr que cela fera de moi un nouvel homme. 😉

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Ignorant Armies :

INTRIGUE:

Depuis dix ans, date du sac du manoir familial, du massacre de ses occupants et de l’enlèvement de son jeune frère Wolf par le Champion du Chaos Cicatrice (qui s’appelle ainsi à cause de… son strabisme appuyé, évidemment), Johann von Mecklenberg piste la bande de sa Némésis, espérant toujours pouvoir tirer son cadet des griffes du pillard balafré. Accompagné par son taciturne et ironique (on le surnomme l’Homme de Fer) tuteur, Vukotich, le jeune noble a traîné ses guêtres chamarrées et sa crinière de feu – si l’on se fie à la vision de John Blanche de son sujet – d’un bout à l’autre du Vieux Monde, et vécut maintes pittoresques aventures au passage, sans pour autant parvenir à refaire son retard sur l’insaisissable Cicatrice. Jusqu’à maintenant tout du moins.

S’étant arrêtés pour la nuit dans une sombre forêt du nord de Kislev, les chasseurs, après avoir achevé l’un de leurs chevaux qui montrait quelques signes de faiblesse, tendent un piège à un quatuor de mutants peu discrets, envoyés par ‘Tris leur régler leur compte. Comme les 798.841 fois précédentes – en dix ans, on a le temps d’en fomenter des embuscades – Jojo et Vuko s’en sortent haut la main, bien que ce dernier ait perdu quelques points de vie au contact du sang contaminé (un scandale !) de l’homme crapaud qu’il vient de mettre en bouteille. Il en faut toutefois plus pour décourager notre paire de choc, Johann bricolant fissa un brancard de fortune pour permettre à son mentor de passer une convalescence relativement confortable au cul de leur dernier cheval. Que demande le peuple. Ayant appris de la bouche l’orifice facial du meneur des traînards, une ancienne connaissance (Andreas) du manoir des von Mecklenberg ayant abandonné ses études de taxidermie pour devenir Élu du Chaos à la suite de la descente de Cicatrice, que ce dernier se dirigeait vers le Nord et un mystérieux champ de bataille, Johann mène ses suivants (je compte le cheval qui aurait dû s’appeler Tsar – it’s complicated –  parmi ces derniers pour pouvoir user du pluriel) dans la direction indiquée, et finit par déboucher sur une plaine jonchée de cadavres en divers états de décomposition.

Un hameau se dresse, de façon incongrue, au milieu du charnier, qui ne peut être que le champ de bataille auquel le moribond a fait référence. Hêlant les habitants du lieu afin d’obtenir l’hospitalité pour la nuit, Johann fait bientôt la rencontre d’une troupe de lunatiques bigarrés mais très cordiaux, qui acceptent sans trop discuter d’accueillir les deux nouveaux-venus dans leurs cahutes. Le dîner qui s’en suit permet au baron déchu de faire la connaissance du Nain Kleinzack, autorité temporelle de la communauté, et dont le mandat de maire n’est en rien perturbé par l’épée qui le traverse de part en part (blessure de guerre). Ce dernier informe obligeamment ses hôtes qu’ils ont bien atteint le lieu où, chaque nuit, les armées du Chaos s’affrontent pour gagner la faveur des Dieux Sombres. L’endroit est un détour obligé pour les Champions avides de faire leur preuve, et il n’est donc pas étonnant que Cicatrice ait emmené sa bande y passer le weekend. Comme en témoigne le vacarme assourdissant qui s’abat bientôt sur le village, la légende est tout ce qu’il y a de plus fondée, et, si le sommeil ne vient pas facilement à nos héros cette nuit là (en même temps, difficile de faire venir la maréchaussée dans le Pays des Trolls pour faire constater du tapage nocturne), ils s’endorment avec la certitude que leur quête est sur le point de s’achever.

Le lendemain, Johann et Vukotich accompagnent leurs bienfaiteurs à la surface, où ces derniers s’activent à piller les cadavres et à nettoyer le champ de bataille afin que les combattants du soir puissent s’entre-tuer dans des conditions décentes. Demandant à tout hasard à Kleinzack s’il aurait entendu parler de la bande de Cicatrice, dont les guerriers arborent un éclair rouge à travers le visage, les deux voyageurs ont la surprise d’entendre ce dernier leur proposer de les mener jusqu’au chef de guerre en personne. Et en effet, c’est bien cette vieille badingue de Cicatrice que Johann et Vukotich trouvent à l’agonie sur le pré, bien loin de sa prime et terrifiante jeunesse il faut bien le dire. Avant que la mort ne l’emporte (un suicide plein de classe démontrant que, malgré ses méfaits, notre homme avait le cœur sur, ou en tout cas dans, la main), le vieux Champion révèle à un Johann outré s’être fait cruellement navrer par le plus si innocent que ça Wolf. Ce dernier a en effet repris les rênes de la bande depuis deux ans, reléguant Cicatrice à une pré-retraite honorifique, qui s’est donc finie en eau de boudin.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, J&V tombent dans l’embuscade tendue par Kleinzack et ses sbires, que Wolf a payé pour qu’ils leur remettent leurs indéfectibles poursuivants. Malheureusement pour le fourbe nain, son avidité le mènera à sa perte lorsque Johann parvient à se libérer de ses liens alors que le nabot était en train de lui faire les poches. Délesté de son épée au moment de sa capture, Johann se venge en faisant une « Roi Arthur » sur Kleinzack, lui empruntant l’épée qu’il avait en travers du thorax depuis toutes ces années, avec des conséquences fatales pour l’avorton. La nuit étant tombée entre temps, l’affrontement final entre les deux frères peut prendre place, et Johann fait bientôt face à son frangin, qui a acquis la plupart des caractéristiques de son animal totem depuis la dernière fois qu’il se sont vus, il y a dix ans.

Le combat entre les deux von Mecklenberg s’engage donc, tandis que Vukotich corrige les groupies de Wolf à grands coups de hache à l’arrière plan, et, alors que le nouveau chef de guerre semble insensible aux attaques fraternelles, Johann a soudain la bonne idée de viser l’épaule de son adversaire bestial. C’est là que la flèche qu’il avait tirée – comme une patate il faut bien le reconnaître – dix ans plus tôt au cours d’une chasse, avait atteint par erreur Wolf, et contraint ce dernier à retourner au manoir pour se faire soigner, juste au moment où Cicatrice frappait à la porte (pas de chance). Laissée sans traitement pendant une décennie, cette blessure, en tant que seul lien avec son passé « civilisé », constitue le point faible du Champion. Alors qu’il est sur le point de donner le coup de grâce à son frère, Johann est interrompu par le kill-bomb de Vukotich, qui se place sur la trajectoire de la lame et se retrouve prestement embroché. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que l’altruiste mentor a un plan pour inverser la malédiction chaotique ayant transformé Wolf, mais doit pour cela donner de sa personne, et de son sang, plus précisément. S’étant littéralement saigné aux quatre veines tout en marmonnant les incantations consacrées, Vuko’ tombe raide mort, le devoir accompli. Décidément, il ne fait pas bon s’appeler Iron Man. Son sacrifice n’est toutefois pas vain, un Wolf frais comme un gardon émergeant de la sorte de chrysalide magique s’étant refermée sur lui suite à ce rituel impromptu, et que Johann a défendue jusqu’à la levée du jour en bon grand frère protecteur qu’il est. Bref, si vous aviez encore besoin d’être convaincu que le don de sang peut sauver des vies, j’espère que vous êtes maintenant convaincus !

AVIS:

Ignorant Armies - 1Depuis son titre, d’une classe folle1 et d’un warhammerisme consommé (la véritable nature du Chaos n’apparaît pas à ceux qui se battent en son nom jusqu’à ce qu’il soit trop tard), jusqu’à sa conclusion heureuse-même-si-on-pourrait-arguer-qu-elle-n-est-pas-valide-d-un-point-de-vue-fluffique, The Ignorant Armies est une démonstration de ce qu’une nouvelle WFB devrait être. La quête décennale de Johann et de Vukotich à travers le Vieux Monde, sur les traces de l’insaisissable Cicatrice et sa bande de maraudeurs chaotiques, permet à Yeovil d’aborder tous les grands thèmes de l’univers de Warhammer : l’opposition/complémentarité entre l’ordre et le Chaos (depuis les ravages infligés par Cicatrice à l’Empire, dont il était un des défenseurs autrefois2, jusqu’au village du champ de bataille, « symbiote civilisé » opérant de concert avec l’anarchie de la mêlée perpétuelle qui sévit à sa porte), le grimdark héroïque3 (le cheval qu’on présente en détail avant de l’achever, faisant écho avec le sacrifice ultime de Vukotich à la fin de la nouvelle), l’étrangeté inquiétante et démente de l’univers (à peu près tous les habitants du village, avec des mentions spéciales attribuées à Kleinzack l’embroché et Mischa le polythéiste), sans oublier la nature proprement inhumaine et traître du Chaos, qui finit toujours par se retourner contre ses serviteurs. La description du terrible Cicatrice en vieillard défiguré par les mutations et laissé à l’agonie sur le champ de bataille est très intéressante de ce point de vue, mais l’accrochage avec Andreas en début de nouvelle tombe tout aussi juste.

En plus de faire carton plein sur le fond, Yeovil régale sur la forme, démontrant avec style et brio sa maîtrise de la nouvelle d’aventures. Son usage intelligent de flashbacks en début de récit donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un roman de trois cents pages plutôt que dans une nouvelle de cinquante, en plus de donner une profondeur certaine à la traque de Johann et de son mentor. Plutôt à l’aise dans la mise en scène de combats, une composante essentielle du genre, dont il faut savoir user sans en abuser, Jack Yeovil donne au lecteur ce qu’il est en droit d’attendre à ce niveau, mais ce sont bien dans les scènes plus « calmes », qu’il s’agisse de descriptions ou de dialogues, que les talents de conteur de notre homme se révèlent les plus prenants et efficaces.

Lire cette nouvelle, c’est toucher au cœur battant, à la fois pourri et grandiose, du fluff de Warhammer Fantasy Battle, et s’il n’y avait qu’un texte de GW-Fiction à recommander au nouveau-venu désireux de prendre la mesure de cet univers si particulier, The Ignorant Armies serait probablement mon choix.

: Comme l’indiquent les trois vers placés par l’auteur au début de la nouvelle, cette dernière a également été inspirée par le poème ‘Dover Beach’ de Matthew Arnold (1867).
2 : Décidément, Archaon n’a rien inventé.
3 : La notion que les « gentils » ne peuvent triompher sans consentir à de lourds sacrifices, alors que les « méchants » arrivent généralement facilement à leurs fins.

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No Gold in the Grey Mountains :

INTRIGUE:

No Gold in the Grey MountainsJoh Lamprecht, patron d’une TPE de collecte de fonds dans l’arrière-pays du Reikland, emmène sa bande de hors la loi à l’assaut de la diligence transportant les taxes de la ville minière de Raukner jusqu’aux coffres du bon empereur Karl Franz, lorsque le destin lui joue un bien vilain tour. Le fiacre ciblé se révèle inexplicablement dénué du précieux chargement convoité par les bandits1, qui peuvent cependant se consoler, après s’être passé les nerfs sur le pauvre conducteur et le noble pompeux qui voyageait dans la carriole (et s’est rendu compte de la dangerosité insoupçonnée de l’essuyage de carreaux, si votre interlocuteur a une arbalète), à la vue de la dernière passagère. La dame Melissa d’Acques, 12 ans, autant de neurones et, surtout, son papa très riche, peuvent en effet faire le bonheur de Joh et consorts, pour un peu que l’ado attardée sur laquelle ils ont mis la main, et qui ne réalise pas du tout la gravité de sa situation, leur donne les moyens d’expédier une demande de rançon en bonne et due forme à l’un de ses nombreux domiciles.

Pour l’heure, les malfrats (l’affreux Johjoh, le nemrod anxieux Yann Groeteschele, le gladiateur psychopathe et lycantrope Rotwang, et Fat Fool Freder, comme ses collègues l’appellent) décident d’emmener leur invitée jusqu’à leur camp de base, installé dans les ruines lugubres mais désertes du château de Drachenfels (l’histoire se déroule après la purge organisée par Oswald et Genevieve). L’ambiance n’est pas folichonne et la déco franchement datée, mais les voisins ne viennent pas vous embêter, c’est certain. La nuit tombée et Melissa enfermée dans sa chambre, la bande se réunit pour établir un plan d’actions visant à enfin toucher le gros lot, après des mois de chiche brigandage. Cependant, à l’intérieur du château abandonné, une ancienne et maléfique présence s’est éveillée, et Melissa pourrait bien ne pas être la seule à devoir se faire un mauvais sang…

1 : Qui aurait dû se douter que les braves mineurs de Raukner, dont trois virements avaient déjà été interceptés par les ruffians dans des conditions similaires, avaient changé leurs préférences de paiement. Un petit Lydia, ça change tout.

AVIS:

Après avoir donné un petit masterclass en matière de nouvelle d’aventures à la sauce Warhammer dans son Ignorant Armies, publié dans le recueil du même nom, Yeovil se penche sur un genre qu’il maîtrise particulièrement : l’horreur. Et si on ne retrouve pas ici de personnage précédemment mis en scène par l’auteur, mis à part une discrète mention de Geneviève et d’Oswald, l’utilisation du château – abandonné – de Drachenfels comme décor de ce court format à la sauce survival/maison hantée ferait presque illusion, tant ce lieu maudit pèse sur l’ambiance et l’intrigue de No Gold… On parle souvent d’Abnett comme le mètre étalon de la GW-Fiction, et c’est indubitablement vrai pour la production moderne et contemporaine de cette dernière (depuis le lancement de la Black Library, pour simplifier), mais Yeovil aurait fait un concurrent sérieux s’il avait repris du service après la fin de l’aventure GW Books/Boxtree. Ici, l’auteur démontre en quelques paragraphes sa capacité à instiller une atmosphère et convoquer des personnages plus intrigants qu’attachants, faisant de cette nouvelle un authentique page-turner. À un autre niveau, l’intégration d’un rebondissement final à l’intrigue permet de voir « travailler » un scénariste doué, que l’on ait deviné qui était l’antagoniste1 avant le dénouement final – auquel cas, on remarque l’habileté avec laquelle Yeovil entraîne le lecteur sur une fausse piste, en évitant avec maestria le moindre « faux raccord narratif » – ou bien que la surprise joue à plein – chanceux que vous êtes ! Blooding on the cake, on a même droit à quelques éléments de fluff, qui, si on peut douter de leur caractère canonique2 aujourd’hui, apportent une valeur ajoutée supplémentaire à No Gold… Bref, nous tenons ici, près de 30 ans avant que GW ne se lance sur le créneau, la toute première nouvelle de Warhammer Horror, qui n’a pas pris une ride et ferait une pièce centrale de choix dans les anthologies modernes de la BL. Faîtes moi confiance, je les ai lues…

1 : Ce qui était mon cas à la seconde lecture (qui a pris place tellement longtemps après la première que j’avais tout oublié de l’histoire, donc il y avait tout de même un challenge !). Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu une sorte d’épiphanie à la « Entretien avec un Vampire » au moment de la première apparition de la vieille dans la nouvelle.
2 : Friendly reminder que Yeovil a tellement impressionné le patron de l’époque de GW, Bryan Ansell, que ce dernier a arbitré un conflit de background en faveur de l’écrivain. C’est ainsi que Genevieve est restée une Vampire au lieu de devenir une Elfe.

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The Warhawk :

INTRIGUE:

La bête qui terrorisait Altdorf (‘Beasts in Velvet’) a beau avoir été mise hors d’état de nuire, la nature a horreur du vide et un nouveau tueur en série est venu égayer les rues de la capitale impériale, pour le plus grand divertissement macabre des sujets de Karl Franz. Enfin, ceux qui ne tombent pas sous les coups, ou plutôt, les serres, de l’Autour (Warhawk en anglais1), un psychopathe de haute volée assassinant ses proies par l’intermédiaire de son rapace soigneusement dressé, Belle. On pourrait se dire qu’un faucon n’est pas de taille à tuer un être humain normalement constitué, mais si l’oiseau dispose de rasoirs au bout des pattes et a été dressé pour viser la jugulaire, je pense que ça se tente. Ca tombe bien, c’est ici le cas. Si l’Autour tue, c’est parce qu’il est convaincu qu’il pourra réaliser son rêve aérien et s’élancer dans les cieux à la suite de Belle dès que cette dernière aura tué treize fois. Atteindre ce chiffre symbolique, ce sera accomplir le Moyen, une prophétie que notre tueur tient de son père, lui aussi passionné de fauconnerie martiale, et réussir là où les prototypes des ingénieurs et les incantations des sorciers ont échoué2. Au moment où notre histoire débute, l’Autour est en chasse de son dixième sacrifice, qu’il finit par choisir en la personne de Klaus-Ulric Stahlman, officier du guet de faction sur la Konigsplatz et flic le plus malchanceux du mois. Le temps d’un aller-retour aussi feutré que sanglant, le maléfique faucon scalpe proprement le malheureux poulet, laissant la foule ébruiter la nouvelle du nouveau crime de l’Autour.

Ce dixième assassinat ne fait pas les affaires de ‘Filthy’ Harald Kleindest, bombardé commandant de la « Brigade des Atrocités » à la suite de ses résultats probants dans la traque de la Bête, mais qui patine dans la choucroute sur cette nouvelle affaire. Et pour cause, l’Autour ne semble suivre aucune logique dans le choix de ses victimes, qui vont de l’orphelin des rues à la haute bourgeoisie d’Altdorf. La mort de Stahlman, représentant des forces de l’ordre, sonne de plus comme un pied de nez adressé par le tueur en série à ses adversaires, incapables de l’empêcher de nuire. Harald sait qu’il doit trouver un moyen de boucler l’affaire dans les prochains jours, avant que l’Autour ne frappe à nouveau, s’il veut conserver son statut, son poste et possiblement son intégrité physique (une foule effrayée peut être violente, c’est connu), mais la piste est désespérément ténue. Même les pouvoirs surnaturels de sa complice Rosanna Ophuls, clairvoyante de profession, ne lui apportent que de maigres indices sur le mode opératoire et l’affiliation de l’Autour. Cependant, la certitude que ce dernier ait fait sien le surnom donné à son propre père donne une idée à Harald, qui se rend aux archives du guet et exhume un mandat d’arrêt datant de trente ans, établi à l’encontre du Prince Vastarien et de son armée de mercenaires, les Vendeurs de Quiches Vainqueurs (Vastarien’s Vanquishers en VO, ça claque plus). Considéré par la moitié de l’Empire comme une tête brûlée incontrôlable et séditieuse, et par l’autre comme un héros romanesque traquant le mal au mépris des conventions et des arrangements entre puissants, Vastarien s’attacha les services de Papa Autour quelques décennies plus tôt, comme la mention de Warhawk sur le parchemin l’atteste de façon formelle. L’étape suivante sera de trouver un survivant de cette bande de chenapans qui serait disposé à souffler le véritable nom du père, pour en déduire celui du fils. Et cela tombe bien, la prison de Mundsen accueille en ce moment un de ces rares individus.

Pour prometteuse que soit cette piste, elle se montre rapidement complexe à suivre. Premièrement, le gouverneur de Mundsen ne se montre pas franchement coopératif, et il faut un petit tirage de chemise de la part de Harald pour le convaincre d’obtempérer. Deuxièmement, ni les années, si son séjour en prison n’ont été tendre envers le dénommé Rickard Stieglitz, qui se révèle être, entre autres lacunes, dénué de langue. Peu pratique pour dialoguer franchement avec ses premiers visiteurs depuis des lustres, il faut le reconnaître. Stieglitz, qui souhaite aider l’enquête, sans doute pour obtenir une remise de peine, sait bien lire et écrire, mais il lui manque le bras gauche et la majorité des doigts de la main droite, ce qui l’empêche de passer l’information par parchemin interposé. Enfin et surtout, il a été choisi par l’Autour comme onzième victime, et Harald et Rosanna ne peuvent empêcher Belle de venir mettre fin aux souffrances de Stieglitz en un tourbillon d’aile. Ce fiasco sanglant mène les autorités (in)compétentes à retirer l’enquête à Harald, pour la remettre à son rival Viereck, dont la sale manie d’exécuter le premier suspect lui tombant sous la main après chaque nouveau meurtre n’avait pas donné de résultats probants.

Il en faut cependant plus que cela pour décourager notre héros, son estomac crimophobe3 et son fidèle Magnin (une machette de jet, en quelque sorte). Comme il dispose toujours de son badge d’officier du guet et d’une réputation terrifiante auprès des cercles interlopes d’Altdorf, il décide d’user de ses derniers atouts pour obtenir l’information qui lui fait défaut auprès de la pègre locale, d’ordinaire très renseignée. Pour cela, il avise un trafiquant de substances illicites de sa connaissance qui traînait dans la taverne la plus mal famée de la ville, lui extorque quelques grammes de poussière de démon, un puissant analgésique/excitant/hallucinogène, traditionnellement utilisé par les berserkers de Norsca pour s’enjailler avant la bataille, et… commence à tabasser au hasard tous les individus (hommes et femmes, pas de sexisme) lui tombant sous la main. À chaque fois qu’il « termine » la visite d’un établissement, il fait un petit discours expliquant qu’il serait dans l’interêt de tout le monde que le nom de l’Autour Père lui soit communiqué dans les meilleurs délais, sans quoi sa croisade personnelle contre le crime se poursuivra with extreme prejudice. Après une folle nuit à fracasser des chaises sur des crânes, mettre des mandales dans des groins et transformer les tavernes en kits Ikea, Harald connaît logiquement une chute de tension brutale lorsque sa came cesse de faire effet, et est transporté au poste le plus proche pour se remettre de ses émotions.

À son réveil, c’est Rosanna qui lui apporte la nouvelle pour laquelle il a dévasté une bonne partie d’Altdorf : le dealer qu’il a racketé la veille (Ruger) s’est soudainement souvenu qu’un autre vétéran des Vainqueurs de Vastarien était en ville en ce moment, et comme il s’agit d’un Nain, il n’aura sans doute aucun mal à renseigner Harald sur l’identité des Autours père & fils. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel Nain, notez bien : c’est du seul et de l’unique Gotrek Gurnisson dont il est question ici. Malgré le fait que son corps n’est plus qu’une plaie, Harald se traîne hors de sa paillasse et se met en route vers le bouge minable où le Tueur et son chroniqueur ont été aperçus pour la dernière fois pour avoir une petite discussion d’homme à Nain. Le temps presse en effet, car l’Autour a fait sa 12ème victime : Viereck, au moment où il exécutait un nouveau coupable ayant avoué sous la torture. Et Belle a laissé une invitation au nom de Kleindest sur les lieux du crime, invitant ce dernier à attraper son maître, s’il en était capable, bien sûr.

La rencontre entre nos héros se déroulant sans trop d’accroc, grâce aux capacités de facilitateur de leur sidekick respectif, Harald apprend enfin le nom de son suspect, et, surprise, ça ne fait aucun sens pour lui. Andrzej Robida lui est en effet un parfait inconnu, mais cela ne l’empêchera évidemment pas de mettre son rejeton hors d’état de nuire… dès qu’il aura trouvé où il crêche, évidemment. Ne voulant pas mettre en danger sa fidèle Rosanna, il la renvoie au QG de la Brigade des Atrocités avant de partir vers le quartier où la demeure Robida se trouve. Une rencontre fortuite avec le véritable Ruger, identifié par un constable qui trainait dans le coin pendant qu’elle attendait son Hubert (le système de fiacre d’Altdorf), met toutefois la puce à l’oreille de la voyante qu’il y a anguille sous roche. Si le camé qui lèche les pavés en bavant n’est pas celui qui l’a rencardé il y a quelques heures, qui l’a fait, et pourquoi ?

Début spoiler…La réponse est évidemment l’Autour (fils) lui-même, et parce qu’il a choisi Rosanna pour être sa treizième et dernière victime. Selon les règles cryptiques mais immuables du Moyen, cet ultime sacrifice doit venir de son plein gré se faire raptoriser par Belle, et les machinations du tueur4 conduisent effectivement Rosanna à rejoindre Harald chez Robida. Bien que disposant du double avantage de la préparation et de la connaissance des lieux, l’Autour échoue comme une buse à faire assassiner Miss Ophuls, la pauvre Belle se mangeant le Magnin d’Harald en plein dans le bréchet avant d’avoir rempli son office. Le ton passe alors au comique sur les ultimes pages de la nouvelle, l’Autour saisissant son oiseau à moitié crevé par les pattes pour tenter de finir le boulot par serres interposées avant que son faucon ne rende l’âme, mais se faisant interrompre violemment par Harald sans avoir pu griffer à mort Rosanna, et balancer depuis le balcon vers une mort certaine en contrebas, avec une petite punchline digne de ce nom. Avec un piteux 1/13, cette enquête ne rentrera pas dans les best scores de Filthy Harald, mais l’ordre peut au moins de nouveau régner dans les rues d’Altdorf…Fin spoiler

1 : Ce qui se traduit littéralement par « faucon de guerre ». C’est trop moche pour un nom de tueur en série, vous me l’accorderez.
2 : L’histoire ne dit pas s’il a essayé de boire du Red Bull. En même temps, l’Ostland, c’est pas à côté.
3 : Sans rire, c’est un peu son super pouvoir de mutant : dès qu’il sent un agissement répréhensible, Harald a une remontée d’acide. Utile mais caustique.
4 : Et une bonne dose de chance, car si Rosanna n’avait pas croisé fortuitement Ruger et un officier du guet capable d’identifier ce dernier au même moment, juste après le départ d’Harald, le fauconnier aurait pu se la mettre derrière l’oreille.

AVIS:

The Warhawk’ est la version miniaturisée de ‘Beasts in Velvet’, le roman de Yeovil adaptant les codes du polar noir à l’univers de Warhammer Fantasy Battle. Bien que la nouvelle se déroule après la traque de la Bête en question par Harald et Rosanna, l’auteur a eu le bon goût de dissocier les deux intrigues, rendant la lecture individuelle de ‘The Warhawk’ tout à fait possible pour ceux qui n’ont pas (encore) lu le long format précédemment nommé. Comme à chaque fois avec Yeovil, on a le droit à un savant mélange d’immersion profonde et fouillée dans l’univers où se déroule son récit et de clins d’œil appuyés à notre monde, assez faciles à identifier pour le lecteur attentif. D’un côté, c’est un Altdorf populaire, impitoyable et politique (mention spéciale aux factions de révolutionnaires anti-impérialistes que Yeovil passe en revue) qui prend vie comme peu souvent dans les œuvres de la BL. De l’autre, on prend plaisir à voir l’inspecteur Harald dégainer son énorme Magnin1 pour ruiner la journée des punks du Reikland. L’alternance entre les points de vue de l’Autour et ceux de ses poursuivants, et la succession de courtes vignettes, donne un dynamisme indéniable à cette nouvelle qui traîne du côté de la novella par sa longueur, et vient quelque peu compenser le manque de suspens de l’intrigue, qui s’avère finalement assez pauvre en rebondissements et révélations. On peut d’ailleurs arguer que c’est le petit mais savoureux cameo de Gotrek (à l’image de ce dernier) qui constitue l’apex de ‘The Warhawk’, bien plus que la confrontation finale entre le tueur et Harald et Rosanna. Comme dit plus haut, cette conclusion n’est pas vraiment à la hauteur des pages précédentes, ce qui est évidemment dommage, mais était peut-être voulu par Yeovil. En effet, l’auteur fait réaliser à Harald à ce moment que les monstres criminels ne se révèlent toujours être que de « simples » détraqués une fois qu’ils ont été identifiés et capturés, et malgré son plan (presque) infaillible et son costume en cuir fait maison, l’Autour n’a pas fait exception. Une vraie bonne lecture en somme, que l’on peut considérer comme l’ancêtre de la gamme Warhammer Crime2, avec 18 ans d’avance…

1 : Pour les plus jeunes lecteurs de cette chronique, c’est une référence à l’Inspecteur Harry (Dirty Harry en VO) et à son improbable 44 Magnum.
2 : Comme Yeovil est également le père de Warhammer Horror (‘Drachenfels’ a été réédité spécialement pour le lancement de cette gamme), ça fait deux franchises de la GW-Fiction placées sous le tutelage du bon Jack.

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The Ibby the Fish Factor :

INTRIGUE:

Dix ans après avoir déserté Altdorf et son grand amour Detlef Sierck, the one & only Genevieve Sandrine du Pointe du Lac Dieudonné, Vampire teenager, actrice amatrice et accessoirement sauveuse de l’Empire, est de retour dans la capitale impériale. La cité n’est toutefois pas sûre pour une mort-vivante, même aussi accorte et raisonnable que Gené (pour les intimes). Déjà bien échaudées par les guerres vampiriques instiguées par ces tapes à l’œil de Comtes von Carstein, les bonnes gens de l’Empire prêtent en effet une oreille attentive aux discours d’une nouvelle figure eclésiastique, Antiochus Bland, Patriarche du Temple de Morr et ennemi farouche de la non-vie. À son instigation, l’Empereur a décrété l’Acte de Santé Publique (Sanitation Bill), dont la fameuse Clause 17 autorise les disciples du culte à incinérer tous les cadavres non sollicités par leurs proches sous trois jours. Genevieve, qui est techniquement considérée comme un cadavre du fait de sa nature vampirique, prend donc bien soin de passer pour la jeune et frêle Bretonienne tout juste arrivée dans la métropole que son apparence suggère qu’elle est. Toutefois, un accrochage bénin avec un tire laine ayant des vues sur sa bourse, pendant qu’elle mettait à exécution les fameux conseils du grand philosophe de Bordeleaux Zack Girac pour passer pour une bonne vivante, dégénère au point qu’elle se trouve entourée par une foule hostile, toute prête à lui planter des choses peu ragoûtantes à divers endroits de son anatomie. La tuile. Dans ces situations, il est toutefois pratique de pouvoir compter sur une force et une agilité peu commune, et Genevieve parvient à se tirer de ce traquenard grâce à sa détente sèche de Masaï sous stéroïde, le gros paquet de Sigmar (si si), et une statue creuse de l’Impératrice Margritta débouchant sur les égouts de la ville.

Pendant que notre héroïne se remet de ses émotions et nage vers sa destination, remontons à la surface pour nous retrouver dans le bureau d’un Detlef Sierck toujours génial mais bien moins svelte que dans ‘Drachenfels’. À la tête du théâtre Vargr Breughel, le dramaturge, metteur en scène et acteur a mené une vie de bohême depuis le départ de sa bien-aimée, et est actuellement occupé à la finition de sa dernière pièce ‘Genevieve et Vukotich: Complot Céleste à Zhufbar’. Librement adapté des véritables aventures de ces deux aventuriers, du temps où Sierck n’était qu’un gamin joufflu (voir ‘Red Thirst’), cette œuvre présente le défaut majeur d’avoir une Vampire comme héroïne, ce à quoi le visiteur du maître des lieux, Bland en personne, est farouchement opposé. Faudrait pas donner de mauvaises idées aux jeunes, toussa toussa. Ayant réussi à se débarrasser de l’insistant zélote en promettant de réfléchir à ses arguments, Sierck entend gratter derrière une cloison, et quand il ouvre le passage secret d’où vient le bruit suspect, c’est Genevieve qui lui tombe dans les bras. Après 1) un bain et 2) d’émouvantes, sensuelles et sanglantes retrouvailles, Gené doit cependant avouer à son amant que ce n’est pas que pour lui qu’elle est revenue à Altdorf. Elle a en effet été invitée par un autre Vampire pour une réunion pressante, et celle qui l’a faite mander n’est autre que sa chère « grand-mère » en non-vie, Dame Melissa d’Acques. Ayant reçu le baiser de sang à l’âge de 12 ans (mais il y a plus d’un millénaire), Melissa n’a eu aucun mal à se faire passer pour la pauvre orpheline Elsie, recueillie/exploitée par Sierck il y a un mois pour distribuer des programmes et vendre des churros, dans l’attente de l’arrivée de sa petite-fillotte. Elle a même contribué à assainir le théâtre en subsistant sur la colonie de rats qui y vivait, affamant cependant les chats résidents du Vargr Breughel. Une perle.

Si Melissa « Missy » d’Acques a organisé cette rencontre, c’est pour protéger la vie d’Antiochus Bland, qu’une bonne partie des Vampires du Vieux Monde veut voir aussi mort qu’eux. Un assassin mort vivant est prêt à frapper le meneur religieux, Missy en est certaine, et si cela pourrait provoquer une brève satisfaction (parce que le type est abject, reconnaissons-le), les conséquences à moyen et long termes risquent d’être terribles pour la gent vampirique. Il est donc convenu que Genevieve tente d’approcher Bland en prétendant être une recrue du culte de Morr, afin de pouvoir le protéger si besoin était, tandis que Missy et son « oncle » Sierck auront pour tâche d’enquêter parmi la communauté mort-vivante d’Altdorf à la recherche d’informations utiles sur l’identité de l’assassin en puissance.

Avant que les trois conspirateurs n’aient pu commencer à mettre leur plan à exécution, sortons dans la nuit interlope et humide d’Altdorf pour nous rendre sur les lieux d’un crime sordide. Le corps d’Ibrahim « Ibby » Fleuchtweig, figure proéminente du tristement célèbre gang des Poissons, a en effet été retrouvé sans vie dans une allée sombre du quartier des quais. Le cadavre porte une blessure caractéristique au niveau du cou, faisant logiquement penser aux forces de l’ordre et experts arcanolégistes (coucou Rosanna Ophuls !) présents sur les lieux qu’Ibby s’est fait pécho, euh pécher, par ses ennemis de toujours, le gang des Hameçons. Depuis que l’homme est homme et avant que les Dieux du Chaos ne poussent leur premier hurlement/râle/pet/pion, les Poissons et les Hameçons se font la guerre sur le Reikerbahn, à coup de noyades et d’égorgements très codifiés. L’affaire est donc un non-événement pour le guet, mais Bland et ses disciples, prévenus par des indicateurs, ne sont pas de cet avis. L’occasion est en effet trop belle pour la laisser passer : il serait très opportun que le malheureux Ibby ait été la victime d’une attaque de Vampire plutôt que d’un banal règlement de comptes. Faisant fi des protestations de la maréchaussée, Bland catapulte le Poisson pourrissant martyre de sa guerre contre les morts sans repos, et prend la pose pour la postérité avec la tête du macchabée, décapité dans la plus pure tradition vampirifuge, dans les mains, pour le bénéfice de sa chargée de com’, l’affutée Liesel von Sutin. Tirée à des centaines d’exemplaires et affichée sur tous les murs de la ville, cette illustration va contribuer à convaincre l’opinion publique de la nécessité et de l’urgence de mettre un terme à la menace de la non-vie (assez limitée en réalité) : c’est donc ça le fameux effet « Ibby le Poisson » (The Ibby the Fish Factor) qui a donné son titre à cette nouvelle. Je savais que vous vous posiez la question. Retour au théâtre pour le troisième acte.

Commençons par suivre Melissa et Dietlef dans la rue des cent tavernes, et plus précisément au Croissant de Lune, l’établissement de choix de l’aristocratie de la nuit. Inaccessible au tout venant et quasi désert en raison de la sale ambiance régnant à Altdorf, le Croissant reste toutefois une plaque tournante incontournable pour quiconque cherche des contacts et des informations à tendance nécrophiles. Bien que la méthode d’investigation de Melissa (se pinter au gros rouge en racontant sa vieillesse) laisse à désirer, et manque de laisser son chaperon à la merci des intentions hémophiles des quelques buveurs de sang zonant entre le flipper et le comptoir, l’arrivée soudaine d’une connaissance et employé de Dietlef, le machiniste Alvdnov Renastic, permet de faire avancer un peu l’intrigue. Car le nouveau-venu est…

Début spoiler…un ventriloquiste amateur, que Genevieve avait surpris en train de répéter en coulisse lors de son arrivée furtive dans le théâtre depuis les égouts. Vue et entendue de loin, la scène donnait à penser à la conjuration d’un démon mineur « azoivé de zang » (il faut que le Jeff Panacloc travaille un peu sa technique de projection de voix) plutôt qu’à la répétition d’une graine de Tatayet. Mais le plus important est surtout qu’Alvdnov Renastic se trouve être Vlad von Carstein – bravo aux férus d’anagrammes parmi vous. Pas LE Vlad von Carstein hein, mais l’héritier de la fameuse lignée, venu au Croissant de Lune dénoncer publiquement les rumeurs selon lesquelles il mènerait bientôt les morts sans repos contre les vivants. Renastic, qui n’est même pas un Vampire, préférerait percer dans le music hall, et fait donc une petite démonstration de son talent à Sierck et Melissa, avec des résultats mitigés. Mais nos deux larrons apprennent tout de même de sa bouche que l’assassin que l’on dit aux trousses de Bland serait Genevieve en personne, ce qui est évidemment peu probable…Fin spoiler

Genevieve, sous le pseudonyme et la perruque de Jenny Godgift (jeu-jeu-jeu de mots !) a quant à elle réussi à se faire embaucher comme garde du corps de Bland, après avoir fait mordre la poussière à un catcheur reconverti en moine, grâce à sa maîtrise des arts martiaux cathayens. Je vous assure que cette phrase reflète parfaitement ce qui se passe dans l’histoire, aucune exagération de ma part ici (comme si c’était mon genre). Elle a à peine le temps de commencer à sympathiser avec la dévouée Liesel von Sutin, qui se donne corps et âme au projet de croisade de son imbécile de patron, pour lequel elle éprouve des sentiments variés, que Bland se fait finalement attaquer dans sa cellule, malgré la protection des gardes postés devant sa porte (drogués et mordus au cou). Lorsqu’elle entre dans la piaule pour tenter d’empêcher l’irréparable et confronter l’assaillant, elle a la surprise de se retrouver face à un sosie de sa personne (en un peu plus grand, c’est vrai). Mais il ne s’agit évidemment que d’une pâle blonde imitation, fond teint blafard et crocs en os de poulet à l’appui, jouée par nulle autre que la diva Eva Savinien. Qui mieux qu’elle, qui a passé une bonne partie de sa carrière à camper Genevieve dans les productions de Dietlef Sierck, peut en effet mieux faire illusion dans ce rôle ? Ceci dit, des grands airs de Jacqueline Maillan, des griffes en plaqué argent et un vieux reste d’animus de l’inconstant Drachenfels1 ne font pas le poids face aux capacités surnaturelles d’une véritable immortelle. Après un crépage de chignon en règle, et un début d’incendie dans la chambre de Bland, toujours en vie mais affaibli par le suçon sanglant que lui a infligé Savinien, cette dernière finit en torche humaine, permettant à Genevieve d’évacuer les lieux avec son protégé avant qu’il ne suffoque.

Cet acte de bonté, qui a ruiné la permanente et le maquillage de Gené à tel point qu’elle se fait promptement identifier comme Vampire par le reste de la garde du temple, et maîtriser sans vergogne, aurait pu lui coûter très cher sans l’arrivée salutaire de Melissa et Sierck… et la misogynie absolue des sous fifres de Bland, qui refusent catégoriquement d’obéir aux ordres de Liesel von Sutin alors qu’elle est (et a toujours été) la seule à savoir ce qu’elle fait. On apprend que c’est elle qui a fomenté l’assassinat du Patriarche, et a pour cela drogué ses gardes, afin de pouvoir prendre sa place à la tête de la croisade et get some sh*t done. Pour cette mauvaise action, elle gagne un stage non rémunéré dans le Pays des Trolls dans un ordre d’anachorètes intégristes, afin de méditer sur la juste place des femmes dans les sociétés modernes. Non mais. De son côté, Bland est puni pour l’ensemble de son œuvre en étant vampirisé par Melissa, qui agrandit ainsi sa famille et force le culte de Morr à se choisir une nouvelle figure de proue du même coup. Les échanges de fluide ont parfois du bon tout de même.

Notre histoire se termine sur un tableau digne d’un conte de fées et indigne du monde sauvage, violent et nihiliste de Warhammer Fantasy Battle (mais une fois de temps en temps…) : Genevieve et Dietlef se marient en grande pompe dans leur théâtre, entourés de tous leurs proches et amis, depuis l’hériter du trône impérial jusqu’au doyen de l’EHPAD vampirique où Melissa crèche à l’année, et la la Clause 17 est dénoncée par Karl Franz. Vous pouvez transfuser le marié !

1 : Savinien a été brièvement possédée par ce dernier lors de la représentation finale de ‘Drachenfels’.

AVIS:

Tour de piste final pour les deux personnages centraux du cycle Geneviève (la principale intéressée et son love/blood interest Detlef Sierck), ‘The Ibby the Fish Factor’ termine en apothéose l’œuvre de Jack Yeovil pour Warhammer Fantasy Battle. Tout est réussi et porte la patte particulière du maître dans cette novella, depuis le titre1 merveilleusement non-sensique, jusqu’à l’happy ending marital de l’arc Geneviève & Dietlef2, faisant de ‘The Ibby…’ une lecture obligatoire pour tous les amateurs de cette série. Comme à son habitude, Yeovil jongle habilement entre les styles (action, suspens, humour) et parvient à concilier ajouts fluffiques notables, même si probablement pas très canon, et références savoureuses à notre monde. On croise ainsi William King, Popeye et Blanche-Neige au hasard des pages, tous dûment warhammerisés bien sûr, et je suis à peu près certain que cela n’est que la partie émergée de l’easter egg. Cette formule gagnante ayant été reprise des décennies plus tard par Josh Reynolds, notamment dans sa série sur l’Ordre de Manann, j’invite vivement tous les amateurs de cette dernière à donner sa chance à ‘The Ibby…’, qui a de grandes chances de leur plaire.

Si l’intrigue développée dans cette nouvelle fait de nombreuses références, et à plus d’un niveau, à celle de ‘Red Thirst‘, avec Bland dans le rôle de Glinka (notons que ces deux antagonistes connaîtront une fin similaire: « possédé » par le mal qu’ils avaient juré de détruire, et mis au ban de la société en conséquence) , dans une volonté manifeste de Yeovil de « boucler la boucle », c’est tout le Geniverse qui est passé, de près ou de loin, en revue dans cette ultime histoire, depuis le regretté Vukotich (‘Ignorant Armies’) jusqu’au plus récent Autour (‘The Warhawk’), en passant par Filthy Harald et Rosanna Ophuls (‘Beasts in Velvet’), Eva Sarinen (‘Drachenfels’) ou encore Melissa D’Acques (‘No Gold in the Grey Mountains’). On doit d’ailleurs décerner à la mamie Vampire le prix de meilleur second rôle comique dans ‘The Ibby…’, loin du registre horrifique dans lequel elle s’était illustrée dans ‘No Gold…’. Comme quoi, il n’est jamais trop tard pour se réinventer, surtout avec un auteur du calibre de Yeovil au scénario et aux dialogues. Dans un tout autre style, c’est l’assistante dévouée de Bland, Liesel von List, qui attire l’intérêt du lecteur par sa complexité et son ambivalence. Malgré son positionnement clair dans le camp des antagonistes, il n’est pas difficile d’éprouver de la compassion, voire de la sympathie envers ce personnage intelligent, totalement dévoué à sa cause et faisant preuve d’empathie pour son prochain, mais réduit au statut d’esclave domestique par sa condition féminine et l’univers éminemment mysogyne dans lequel elle évolue. Le sous-texte féministe de la nouvelle est d’ailleurs renforcé par le constat que tous les personnages véritablement actifs de cette dernière sont féminins, Sierck et Bland étant au final davantage spectateurs qu’acteurs du drame qui se joue.

Pour ces raisons, comme pour beaucoup d’autres, ‘The Ibby…’ mérite sa place parmi les tous meilleurs courts formats de GW-Fiction, tout comme Jack Yeovil mérite la sienne parmi ses contributeurs les plus illustres. À lire de préférence après avoir terminé/dévoré les autres romans et nouvelles de la série Genevieve, mais à lire en tous les cas, si vous en avez l’occasion.

1: Je dois humblement avouer que c’est le seul titre de GW-Fiction que je n’ai initialement pas compris. L’ajout de guillemets pour guider l’oeil des anglophones non natifs (The « Ibby the Fish » Factor) aurait certainement pu aider, Monsieur Yeovil! Au final, cela rajoute du charme à cette soumission qui n’en manquait déjà pas.
2: On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils aient eu beaucoup d’enfants (à moins d’adoptions bien sûr), mais on peut espérer qu’ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leur jour et la disparition du Monde qui Fut. L’indispensable Josh Reynolds, qui a évidemment lu la série, a même pris la peine de faire apparaître Geneviève dans ses bouquins ‘End Times’.

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En conclusion,Silver Nails‘ se révèle être un ouvrage d’une cohérence et d’une qualité rare pour un recueil de nouvelles de la Black Library. Si le second point n’est pas une surprise pour quiconque est familier de la prose de Jack Yeovil, le premier aurait pu poser question, eut égard aux conditions particulières de l’écriture de cette anthologie. Cette réédition est donc une très bonne occasion pour les amateurs de GW-Fiction de découvrir ou redécouvrir une des oeuvres les plus marquantes de la « préhistoire » de la BL, qui a influencé, de près ou de loin, la grande majorité des auteurs ayant écrit des romans et nouvelles pour le compte de Games Workshop depuis. Même s’il est passé à autre chose depuis longtemps, et que ses franchises de prédilection aient toutes les deux été détruites par GW, je me surprends à espérer que Jack Yeovil daigne un jour reprendre la plume pour le compte de la BL, même si cela ne débouche que sur une collaboration ponctuelle. S’il y a une chose à retenir des aventures de Genevieve Sandrine du Pointe du Lac Dieudonné en effet, c’est que l’on a toujours besoin de ses grands anciens…

RED THIRST [WFB]

Bonjour et bienvenue dans cette critique de Red Thirst, troisième et ultime recueil de nouvelles Warhammer Fantasy Battle sorti par GW Books, l’ancêtre lointain, disgracieux, mais coloré (sans blagues, jaugez-moi ces couvertures !) de notre Black Library. Si vous avez lu, parcouru ou survolé les deux épisodes précédents (ici et ), vous ne serez pas dépaysés par cette nouvelle descente dans le monde merveilleux, mais souvent daté, voire kitsch, des courts formats du tournant des années 901. Encore une fois – et c’est la dernière, alors profitez-en –, nous partirons à la découverte des pépites et pétoncles de cette époque fondatrice, ou en tout cas exploratoire, de la GW-Fiction, et tâcherons d’en apprendre un peu plus sur le (vraiment) Vieux Monde, tel qu’il apparaissait en ces temps antédiluviens.

Sommaire Red Thirst (WFB)

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Troisième round aidant, la majorité du casting de ce Red Thirst nous est déjà plus (Yeovil, King, Craig) ou moins (Baxter, Griffith) familière, seul l’énigmatique Neil Jones faisant ses débuts dans la carrière par l’intermédiaire de cette publication. Cette récurrence des auteurs se solde par le retour de personnages familiers : Gotrek et Felix, Genevieve et Vukotich, ou encore Sam Warble. On notera également que l’ouvrage regroupe des travaux plus conséquents que ses prédécesseurs, avec trois nouvelles (sur six, au lieu des huit « habituelles ») de plus de quarante pages au sommaire, ce qui se ressentira peut-être dans le rythme global du livre. Nous verrons bien. Ce qui ne change pas, en revanche, c’est l’usage délectable d’illustrateurs patentés qui ont égayé les pages de leurs esquisses2. Voilà qui me semble suffire en guide de propos liminaire : à table donc, pour s’en jeter un petit. C’est ma tournée.

1 : 1990, pour les petits malins. J’étais là (Gandalf…), déjà, à l’époque. Pas vieux, mais présent.
2 : Pour être honnête, j’ai même racheté un exemplaire du bouquin en version GW Books (mon premier achat était un Boxtree), pour pouvoir bénéficier de ces illustrations. La GW Fiction, cette passion ruineuse…

Red Thirt

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Red Thirst – J. Yeovil:

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INTRIGUE:

Réveil brutal pour Vukotich le mercenaire (dont nous avons croisé l’incarnation vénérable dans The Ignorant Armies), qui émerge d’un coma moins éthylique que concussé, conséquence regrettable mais prévisible de sa grande idée de vouloir s’encanailler dans une taverne clandestine de Zhufbar, alors que Claes Glinka et ses séides y avaient pris leurs quartiers d’hiver. Qui est Claes Glinka, me demanderez-vous ? Eh bien, pauvres incultes que vous êtes, Herr Glinka n’est rien de moins que le Frigide Barjot du Vieux Monde, soit un zélote obscurantiste horrifié par la décadence des mœurs contemporaines, mais possédant un talent marketing et événementiel certain, ce qui lui a permis de recruter assez de followers et d’influence auprès des autorités compétentes – ici l’Empereur Luitpold – pour organiser des manifs pour (et contre) tous d’un bout à l’autre du pays. Entre deux autodafés, fermeture de bordels et abattage de vignobles, Glinka trouve également le temps d’ouvrir des Starbucks à la place des estaminets dans les villes que sa caravane visite. Bref, un fléau.

Vuko, lui, est un jeune mercenaire en quête d’un nouvel employeur, à la suite du décès prématuré du précédent, et qui se disait que passer une tête – moustachue – dans la cité où se tenait le Festival d’Ulric (l’équivalent de l’Eurosatory de l’Empire) serait une riche idée pour se trouver une nouvelle affectation. Peu concerné, ou sensible, aux arguments du Gardien de la Moralité, notre héros s’est donc fait surprendre en plein stupre (la fornication était en projet) par quelques croisés à gourdins, et revient à lui à l’arrière d’une carriole l’emmenant, ainsi que quelques dizaines de malheureux, dans des camps de travail gobelins. C’est comme ça que la Glinka se finance. Seule consolation, il réalise que le compagnon de travée auquel il est enchaîné est une fort accorte escort, embarquée comme lui par la patrouille. En tête de wagon, nous faisons la connaissance de Dien Ch’ing, Cathayen d’origine, comme son nom l’indique, et fidèle suivant de Glinka… en apparence. En fait, Ch’ing est un disciple de Tsien-Tsin, où Tzeentch comme certains l’appellent également, expulsé de sa pagode par les moines guerriers du Roi Singe, l’ennemi mortel des Dieux du Chaos dans le grand Orient. Guidé par ses visions, Ch’ing a infiltré la croisade de Glinka afin de porter quelques plans retors du Grand Architecte à maturité, et n’attend que le bon moment pour retourner son kimono. En attendant, il s’amuse à convoyer les mauvais sujets de l’Empire au goulag, ce qui est une activité comme une autre.

Un arbre tombé en travers de la route donne toutefois l’occasion à Vukotich d’échapper à ce funeste destin, notre intrépide Kislévite saisissant sa chance ainsi que son infortunée voisine, et plongeant dans la forêt en contrebas de la route après l’immobilisation du wagon. Outré par ce manque de savoir-vivre, Ch’ing envoie un trio de grouillots régler leur compte aux déserteurs, qui n’ont cependant aucun mal à en venir à bout. Craignant initialement que sa camarade de chaîne ne se révèle être un boulet (ce qui aurait été logique, finalement), Vukotich est favorablement surpris, et même impressionné, par l’agilité et la dextérité de sa compagne, dont l’aide se révèle précieuse pour dézinguer les goons de Ch’ing. C’est donc avec regret qu’il se résout à lui trancher la main avec l’épée qu’il a récupérée sur un cadavre de PNG malchanceux, afin de regagner sa liberté… sans grand succès. Et pour cause, sa comparse n’est autre que la vampire Genevieve, dont les super pouvoirs incluent donc une peau en kevlar (pratique). Mi (plutôt que morte) vivante avec des principes, elle pardonne à Vukotich son coup de sang, et, ne pouvant pas non plus briser les menottes qui les lient – surtout que la sienne est plaquée argent –, le convainc de faire équipe jusqu’à la première forge qui se présentera à eux. Proposition acceptée par son (désormais) side-kick, qui réalise de toute façon qu’il a intérêt à filer droit s’il ne souhaite pas terminer en casse-dalle pour amphisbaenae1.

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Après quelques heures de marche, notre couple involontaire arrive dans un petit bled paumé, et réussit à squatter une cabane abandonnée pour permettre à Vukotich de reprendre des forces2. Par un hasard qui ne sera pas heureux pour tout le monde, comme nous allons le voir, cette même cabane a été choisie par deux individus de rang pour se rencontrer discrètement. Le premier est le Seigneur Maréchal de Zhufbar, Wladislaw Blasko, qui a laissé Glinka mettre la cité en coupe réglée sans faire trop de vagues… parce qu’il est lui aussi un agent du Chaos infiltré. Ça commence à faire beaucoup. Son interlocuteur est le Haut Prêtre de Tzeentch Yefimovich, ayant tiré le don « je suis une ampoule de feu rouge » dans la table des mutations, et habituellement stationné dans le Kislev, mais en goguette dans le Sud pour les vacances. Nos deux conspirateurs s’entretiennent de leur plan machiavélique, qui consiste en l’assassinat de Glinka lors d’une prochaine cérémonie, ce qui permettra à Blasko de prendre sa place à la tête de la croisade, et de laisser opportunément ouverts aux hordes orientales les cols des Montagnes Noires. Bien évidemment, Vukotich et Genevieve, camouflé sous un drap de scenarium, voient et entendent tout, et décident, à contre-cœur mais il le faut bien, d’aller sauver le Gardien de la Moralité pour éviter son remplacement.

Un peu plus loin, nous retrouvons Dien Ch’ing, perturbé par de sombres pressentiments et l’insatisfaction du devoir non-accompli. Ayant été chargé par Yefimovich d’occire Glinka, il ne veut rien laisser au hasard, et se lance dans une séance de divination à l’aide d’un bol tournant, ce qui lui permet d’assister par visio à la rencontre de son boss avec Blasko, mais également de s’apercevoir que ces derniers n’étaient pas seuls dans la piaule. Contrarié par ce coup du sort, il invoque le fantôme de l’un de ses vénérables ancêtres, l’honorable Xhou, aller négocier (ils sont urbains ces Cathayens) avec les contrevenants, afin qu’ils laissent les événements suivre leur cours. Malgré les trésors de courtoisie et de diplomatie dont fait preuve Xhou, qui se matérialise devant Vukotich et Genevieve alors qu’ils avaient repris la route de Zhufbar en charrette, il ne parvient pas à conclure un deal avec nos héros, qui finissent par le bannir comme l’ennuyeux pop-up spectral qu’il est. Au moins, Ch’ing aura essayé de résoudre le différent à l’amiable. Il passe à nouveau à l’action quelques heures plus tard en envoyant cinq élémentaux régler leur compte aux fâcheux à leur sortie de la ville de Chloesti, où les séides de Glinka avaient organisé un autodafé de la délation3 (c’est comme un pot de l’amitié, sauf que c’est différent), qui a fini dans une très chaude ambiance4. Dépassés par les événements, les aventuriers s’en sortent grâce à la culture G de Mme G, qui réussit à monter les démons les uns contre les autres en demandant innocemment qui avait la plus grosse… énergie mystique parmi le quintet, provoquant un affrontement fratricide aux résultats peu concluants.

Tout est prêt pour le grand final de cette longue nouvelle. Genevieve et ce gros dalleux de Vukotich arrivent sur les rivages de la Blackwater, trouvent un bateau de pêche et partent à la rame vers Zhufbar. Dans la cité, Ch’ing se prépare à commettre l’irréparable au cours d’une adresse publique de Glinka, organisée sur la plage municipale (pourquoi se priver ?). Le plan machiavélique et savamment planifié de nos affreux est toutefois contrarié par l’arrivée soudaine de Genny et Vuko, qui parviennent à créer une belle pagaille parmi l’auguste assemblée, peut-être en exhibant les parties charnues de leur anatomie à la cantonade. Hé, il faut ce qu’il faut. La dague magique de Ch’ing n’ayant pas eu le temps de charger totalement, le cultiste voit s’enfuir sa cible sans avoir pu tenter sa chance. Il a toutefois l’occasion de se venger des éléments perturbateurs et de leurs gros nez d’Occidentaux en leur faisant bénéficier d’un masterclass de MMA5.

Le combat qui s’engage voit le bonze démoniaque tenter de mettre des grands chassés dans la face de ses Némésis, avec des résultats peu concluants, la vampiritude de Genevieve lui permettant d’esquiver ou d’encaisser facilement les coups de pied retournés et manchettes cathayennes de Ch’ing. On suppose que Vukotich, toujours enchaîné à sa dulcinée, a dû avoir un bras disloqué à la fin de la journée. Frustré dans ses tentatives de muay-thaï, l’expat’ se rabat sur ses pouvoirs arcaniques pour finir le taf, mais se trouve là encore contrecarré, cette fois-ci par l’alliance, que dis-je, l’alliage, de circonstance entre le fer et l’argent des chaînes liant Genevieve et Vukotich, qui se révèle être l’anathème du choke-tilège jeté par Ch’ing sur le malheureux Glinka. L’homme sage connaissant ses limites, le moine Ch’(aol)ing décide enfin d’aller voir ailleurs si Tsien-Tsin y est, et prend son congé de Zhufbar, non sans promettre à Genevieve qu’il reprendra contact sous quinzaine (de jours, d’années ou de siècles, mystère). On se rend alors compte que Blasko, qui avait tenté d’aider son pote chaotique dans la mêlée en surinant Vukotich, est tombé dans la Blackwater en armure complète, et peut donc être rayé des cadres. Plus intéressant, l’inflexible puritain Glinka se révèle être un mutant, comme l’atteste la paire de bras surnuméraires qu’il dissimulait sous sa chasuble. C’en est fini de sa croisade, et probablement de son existence, si l’Empire se révèle fidèle à sa politique en matière de diversité.

Fatigué par les événements, Vukotich pique un gros roupillon de deux jours sitôt ses menottes ôtées par le forgeron de fonction, et apprend à son réveil que sa partner in crime-solving n’a pas fait de vieux os à Zhufbar, et est repartie vivre sa non-vie dans l’anonymat qui lui convient mieux. C’est l’affable Maximilian von Konigswald, père d’Oswald (le vainqueur de Drachenfels et compagnon d’armes de Genevieve), qui met le mercenaire au courant des dernières actualités, entre deux rasades d’eau de vie. Plaqué par son crush, Vukotich se sent tout d’un coup bien chose, mais, rassurez-vous, il s’en remettra.

1 : Vous ne savez pas ce que c’est ? Moins non plus. Seul Jack Yeovil est au courant, à mon avis.
2 : Et de rêver, prémonitoirement, d’une bataille au sommet du monde mettant aux prises une faune bigarrée. Il l’ignore encore, mais il s’agit de la conclusion d’Ignorant Armies.
3 : Et où Genevieve rencontre un tout jeune Dietlef Sierck (‘Drachenfels’) déjà sensible aux choses artistiques, et son acariâtre môman.
4 : Pour Vukotich aussi, notez, car une péripétie annexe mais distrayante voit nos héros passer la nuit dans un hôtel de passe reconverti en établissement honorable à la suite des puritains de Glinka, et profiter l’un de l’autre pour réaliser un échange de fluides. Surpris au réveil par une bande de clercs de notaires patibulaires, nos tourtereaux étaient sur le point de se marier sous la contrainte au moment où arriva le cinquième élément (et ses potes avec lui).
: Ce qui dans ce contexte veut dire Mystic Martial Arts.

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AVIS:

Red Thirst (baptisé ainsi en référence au penchant de Genevieve pour le gros rouge) est une des nouvelles qui justifient que l’on s’intéresse de plus près aux origines de la GW-Fiction. Jack Yeovil fait en effet très fort avec cet épisode de ce que l’on doit bien appeler son cycle Genevieve, en parvenant à cocher toutes les cases du cahier des charges de ce type de publication. On pourrait bien sûr parler de son choix de mettre en avant un pan mystérieux du fluff de Warhammer Fantasy, et ce faisant, de le développer, par l’inclusion du personnage de Ch’ing (à ma connaissance le seul Cathayen dépeint dans une œuvre de fiction). Il faudrait alors souligner qu’en quelques lignes, Yeovil parvient à donner une véritable impression d’exotisme et de profondeur à un concept sur lequel GW s’est assis pendant plus de trente ans. Les apports de background ne se cantonnent cependant pas à l’Extrême Orient : l’Empire en bénéficie également, tant au niveau culturel que géopolitique. Et que dire de la figure de Yefimovich, qui illumine (dans tous les sens du terme) de sa présence les quelques pages dans lesquelles il apparaît.

Une autre réussite à mettre au crédit de Jack Yeovil réside dans la construction et le déroulement de son propos, qui enchaîne les péripéties avec un rythme et une facilité déconcertants. La taille du résumé (qui porte bien son nom, car il en reste de là où ça vient) ci-dessus devrait vous donner une bonne idée de la richesse narrative de Red Thirst. C’est la marque des grands conteurs que d’arriver à agencer leur récit sans temps mort ni à coups, et Yeovil fait définitivement partie de cette catégorie. Soulignons en outre la belle variété d’ambiance dont bénéficie cette nouvelle, du grimdark as usual au vaudeville (la scène dans l’hôtel de passe est savoureuse) en passant par la fugace romance entre Vukotich et Genevieve et la légende orientale (l’attaque des élémentaux). Peu nombreux sont les textes de GW-Fiction disposant d’une telle amplitude, bien que l’on puisse également citer William King (un autre grand ancien) ici.

Terminons par la remarque que Jack Yeovil a sans doute été le premier auteur de GW à raisonner en termes d’univers narratif, bien des années avant qu’Abnett ne créé son Daniverse, imité par Graham McNeill et d’autres contributeurs de la Black Library au fil des années. Les liens d’intrigues tissés par Yeovil dans ce Red Thirst sont une autre très bonne raison de lire cette nouvelle… si vous êtes familiers avec la galerie de personnages créés par l’auteur. Genevieve, bien sûr, mais également Vukotich (Ignorant Armies, qui gagne ici son surnom d’Homme de Fer), la lignée des von Konigswald (Drachenfels), un Dietlef Sierck en culottes courtes (ibid)… et sans doute d’autres figures que Yeovil a repris dans d’autres nouvelles et romans lors de sa pige pour Games Workshop. Mine de rien, savoir que l’investissement dans le corpus d’un auteur sera récompensé par des caméos, clins d’œil et autres easter eggs constitue une motivation forte pour le lecteur, et je suis plus déterminé que jamais à combler mes lacunes en Yeovilerie1. Bref, une authentique pépite de la littérature GWesque, injustement condamnée à l’oubli par la politique éditoriale de Nottingham. Si cette critique ne vous donne ne serait-ce que l’envie de vous pencher sur le cas Jack Yeovil (toujours non-traduit à l’heure actuelle, et c’est tragique), elle aura atteint son objectif.

1 : Je suis sûr que cela fera de moi un nouvel homme. 😉

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The Dark Beneath the World – W. King:

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INTRIGUE:

Après avoir recouvré leur indépendance, à la suite de la tentative avortée de la dynastie des Von Diehl de bâtir leur petite baronnie dans la prairie des Principautés Frontalières (Wolf Riders), Gotrek et Felix prennent la route de Karak aux Huit Pics, toujours bien décidés (surtout pour le Tueur) à mettre la main sur le magot dont leur a parlé le tavernier Faragrim lors de leur dernier passage à Altdorf. Sur le chemin de la forteresse, le duo vole à la rescousse d’un petit groupe de voyageurs embusqués par une tribu de peaux vertes alors qu’ils traversaient une rivière. Alors que Gotrek parvient à rendre une copie propre, en débitant quelques Orques avec le professionnalisme qu’on lui connaît, cette mauviette de Felix trouve le moyen de tomber dans l’eau (normal pour une poule mouillée, me direz-vous) lors de son duel, et manque de basculer dans l’inévitable cascade qui s’écoule à proximité du gué. Il n’en rate décidément pas une. Les ruffians mis en fuite et/ou en morceaux, il est l’heure de procéder aux présentations, pendant que blondin se change1 : seuls survivants du groupe d’aventuriers partis faire la boucle de huit pics, le templier Aldred Keppler de l’ordre du Cœur Enflammé, le mage Johann Zauberlich et le pisteur bretonnien Jules Gascoigne sont fort aise de pouvoir compter sur la compagnie de Gotrek et de son commémorateur. Le désormais trio voyage en effet lui aussi en direction du chantier de réhabilitation du Roi Belegar, guidé par la vision que Keppler pense que Sigmar lui a envoyée, qui lui intime d’aller récupérer l’épée magique Karaghul, une relique de son ordre, perdue en même temps que son porteur – le propre frère de Keppler – lors de la tentative de reconquête de la forteresse. Bien que la proximité du trésor convoité par Gotrek rende ce dernier aussi méfiant qu’antisocial, il accepte toutefois de tracer la route avec ces compagnons d’infortune, sans rien révéler de ses propres motivations.

L’arrivée de la petite troupe dans la tête de pont sécurisée à grand peine par les survivants de l’expédition de Belegar, dépeint par King comme un mélange des pires aspects de Theoden et de Denethor (un vieillard cacochyme mais empli de morgue et de malice), se passe sans difficulté notable, tout comme l’obtention par l’un et l’autre groupe de l’autorisation de pénétrer dans les niveaux inférieurs du Karak, toujours aux mains des Gobelins et/ou des Skavens. Gotrek impressionne même la prêtresse de Vallaya locale – Magda Freyadotter – à tel point qu’elle lui remet une carte (en braille – ou son équivalent nain – ) des souterrains, en lui recommandant toutefois la prudence car des fantômes ont été aperçus par les colons. Et là, surprise, on découvre que le farouche Gotrek a une peur bleue des ectoplasmes. Attendons de voir comment il se débrouillera face aux Nighthaunts des Royaumes Mortels… Il en faut toutefois plus pour faire rebrousser chemin à un Tueur auquel on a promis un Troll et un trésor aussi gros l’un que l’autre. Prenant son courage comme sa hache, c’est-à-dire à deux mains, le petit rouquin teigneux quitte la zone des PNJ et part explorer la map, ses sidekicks sur les talons.

La descente dans les entrailles de la forteresse déchue réserve à nos aventuriers son lot de découvertes, recueillement et, inévitablement, emmerdes. En témoigne ce premier accrochage contre une bande de gobelinoïdes, menés par un Ogre ayant lui aussi fait le choix du mohawk (bicolore dans son cas), à moins que ça ne soit un gladiateur Goliath de Necromunda s’étant trompé de porte en allant bosser ce matin là; et qui permet à nos héros de faire montre de leur habileté dans le maniement des armes et des boules de feu2. Sauf Felix, qui rate son test de terrain dangereux en voulant corriger un Gobelin lui ayant tiré la langue, et s’étale de tout son long dans l’escalier qu’il était censé gardé en tant qu’avant dernier défenseur (heureusement que Jules Gascoigne veillait au grain) de la troupe. Ayant mis leurs ennemis en fuite, les aventuriers croisent un fantôme de Nain timide, ce qui n’est pas loin de provoquer une crise d’apoplexie chez Gotrek. Un peu plus tard, cette andouille de Felix, après avoir manqué de se suicider en buvant de l’eau contaminée avec de la malepierre, trouve le moyen de s’illustrer à nouveau, en accusant à demi-mot Zauberlich de fricoter avec le Chaos… avant de s’écraser comme une grosse bouse lorsque Keppler, et sa grande épée, viennent à la rescousse du mage. Décidément, il n’en rate pas une.

Après avoir négocié une infestation de mites géantes – true story, lisez la nouvelle – et s’être faits remettre une quête annexe – passer le balai dans la crypte locale – par une Fantômette courte sur patte, Gotrek et Cie finissent par toucher au but. La crypte en question est en fait celle décrite par Faragrim pendant la nuit de beuverie qui a déclenché le road trip du Tueur, et comme Keppler n’a pas de meilleure idée d’où peut se trouver l’épée qu’il recherche, il décide également de passer une tête… avant de la perdre de façon sanglante et définitive. Le mausolée est en effet le QG  d’un Troll du Chaos effectivement monstrueux, dont la consommation d’eau lourde n’a pas amélioré la photogénie. On comprend alors que Faragrim, dans son avidité, a cherché à faire main basse sur le trésor des rois défunts de Karak aux Huit Pics, en fracturant la porte scellée menant à leurs tombes. L’arrivée du Troll en question, peu de temps après, a mis un énorme, vorace et odoriférant bâton dans les roues du charognard, qui s’est enfui sans avoir pu récupérer son bien mal acquis. C’est la persistance de la présence de ce squatteur disgracieux qui a contraint nos braves Nains retraités à aller demander un coup de main à leurs descendants, sans succès jusqu’à l’arrivée salutaire de Gotrek (OSEF de Felix, vraiment).

Le combat qui s’engage voit rapidement périr les deux autres accompagnants du binôme héroïque, Gascoigne se prenant une torgnole fatale et Zauberlich finissant pincé à mort avant d’avoir pu balancer son Inferno. Pendant que Gotrek se tape tout le sale boulot, Felix réussit à grand mal à se défaire de la tête tranchée de nourrisson que le Troll arborait comme fleur à la boutonnière, et sombre dans son désespoir habituel de fin de nouvelle – comme à chaque fois que la Nemesis du Tueur pointe le bout de son anatomie – avant de se ressaisir et d’enfin servir à quelque chose. Bricolant un cocktail molotov avec le contenu de sa besace, il parvient en effet à enflammer le Troll, l’affaiblissant assez pour permettre à Gotrek de lui porter le coup de grâce. La situation de nos héros ne s’améliore cependant que marginalement après la mort du monstre, une armée de peaux vertes, attirée par le son et lumière organisé de façon impromptue par les aventuriers, décidant de venir se joindre aux mondanités. Résignés à mourir dignement, ces derniers sont toutefois sauvés par l’arrivée de l’armée des morts de petite taille, les esprits ancestraux de Karak aux Huit Pics venant finir le boulot commencé par leur factotum, jugeant sans doute le problème matériel (à défaut de l’être, eux). Ceci fait, il ne reste plus à notre vieux couple qu’à reprendre le chemin de la surface, Felix ayant gagné au passage l’épée Karaghul (qui se trouvait bien dans le trésor du Troll), tandis que Gotrek décide noblement de repartir sans le moindre petit loot, mais avec la promesse, faite par la Mimi (Mathy) Geignarde locale que sa fin serait grandiose. C’est déjà ça.

1 : On apprend ainsi que Felix voyage avec des capes de rechange. Ce qui explique pourquoi sa fameuse houppelande de laine rouge du Suddenland, que King nous ressort à toutes les sauces – c’est le troisième personnage principal de la saga, devant Ulrika et Snorri – résiste si bien aux aventures de son porteur.
2 : J’ai découvert en lisant la nouvelle que cette scène avait servi d’inspiration à une illustration vintage mais assez connue – puisqu’elle a été reprise en couverture de la première édition du JDR Warhammer – de WFB. Eh oui, le Tueur à barbe blanche, c’est bien Gotrek (qui a également regagné un œil au passage). On notera que le seul personnage absent du tableau est… Felix. Quelle surprise.

AVIS:

Avec The Dark Beneath the World, William King signe le dernier volet du corpus “fondateur” de la série Gotrek & Felix. Après avoir présenté les personnages dans Geheimnisnacht, puis avoir mis en scène une aventure où Felix, et le Vieux Monde, tenaient la vedette (Wolf Riders), l’auteur choisit cette fois de se concentrer sur la quête de mort de Gotrek, et à travers lui, la déchéance de l’empire nain, avec des résultats une nouvelle fois probants. Aventure empruntant fortement aux codes du RPG (ce qui semble n’avoir échappé à personne, même pas à GW – voir remarque ci-dessus –), The Dark… mise beaucoup sur ses scènes de combat, et sur l’ambiance particulière apportée par l’exploration des ruines mal fréquentées d’une ancienne forteresse naine. Très riche en fluff, même si ce dernier est parfois daté (notamment les fantômes nains, qui auraient pu gagner la guerre souterraine à eux tout seuls s’ils l’avaient voulu), cette nouvelle constitue également un tournant dans la saga de King, qui aurait pu choisir de tuer son héros de manière « satisfaisante » en conclusion de son propos. Après tout, quelle plus belle fin pour un Tueur nain que de mourir au combat contre un Troll, entouré des tombes et de l’or de ses ancêtres? Peut-être que King s’est réellement posé la question du devenir de son personnage en cette année 1990, ou bien peut-être qu’il avait toujours eu pour projet de faire vivre à ce dernier des aventures interminables (et interminées à ce jour). Qui peut dire ? En tout cas, The Dark… demeure pour moi un jalon essentiel dans le parcours, singulier et iconique, de Gotrek (que l’on découvre de plus capable d’émotion telles que la mélancolie, le désespoir et la peur, ce qui contribue à l’humaniser quelque peu), et à ce titre, sans doute l’un des textes les plus essentiels de la série.

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The Spells Below – N. Jones:

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INTRIGUE:

Katarina Kraeber, apprentie sorcière à l’IUT (Institut Universitaire de Thaumaturgie) de Waldenhof1 retournait tranquillement chez son tuteur, père adoptif et amant (ce qui fait beaucoup, même pour la Sylvannie), en s’amusant à faire tourner les girouettes contre le sens du vent malgré les froncements de narine des braves bourgeois du cru, lorsqu’elle se retrouve mêlée à une opération de gens d’armerie de grande ampleur. La maison où elle réside avec son cher et tendre Anton Freiwald, sorcier de grand renom, est en effet entourée par une véritable armée de gardes, envoyés par le Graf Jurgen von Stolzing mettre un terme aux recherches non sanctionnées du praticien des arts occultes. Un peu trop occultes donc. Révoltée autant qu’inquiète par ce revirement de situation, Katarina tente d’en apprendre plus sur le guêpier dans lequel Anton s’est fourré, non pas en lisant dans l’esprit des gardes aux alentours (trop simple), mais en leur lançant un sort de loquacité, qui les fait déblatérer de tout et de rien. Entre deux remarques sur la météo et le résultat du match de Blood Bowl de la veille, notre héroïne apprend que le Graf a donné pour ordre à ses nervis de capturer le sorcier vivant afin de lui soutirer ses secrets. Son petit tour de passe passe (ou plutôt de bla bla) a toutefois été remarqué par un autre mage, et non des moindres, puisque c’est le rival de Freiwald et maître de la guilde des mages locale, Gerhard Lehner, qui lui met la main au collet, et l’amène jusque devant la litière du Graf, pour un interrogatoire express. La séance de questions-réponses est rapidement interrompue par le début des opérations à proprement parler, et, plutôt que d’envoyer quelques hommes ouvrir la porte avec un bélier, les autorités compétentes décident de bombarder le domicile du sorcier avec une catapulte, OKLM. Fort heureusement pour les tuiles d’Anton Freiwald, un bouclier mystique arrête le projectile en pleine trajectoire, prodige magique estomaquant l’assistance assez longtemps pour que Katarina se libère et se rue vers la porte de son domicile.

Elle aussi sauvée par le champ de force magique qui ralentit les flèches que ne manque pas de lui décocher la maréchaussée, elle arrive à bon port et est accueillie par la figure sévère-mais-juste-et-tellement-beau-gosse de Freiwald, secondé par sa garde personnelle de mercenaires Kislevites et son homonculus contrefait. Jugeant la situation grave mais pas désespérée, le sorcier recherché annonce qu’il a besoin de renforcer ses capacités arcaniques dans son laboratoire souterrain, et qu’il a besoin d’y aller seul, malgré les protestations de Katarina. Ayant sécurisé la loyauté de ses gros bras en leur lançant un petit sort de loyauté sous le manteau – c’est contre le RGPD, mais on n’est pas à ça près –, il part donc en sous sol avec son familier, laissant Katarina à la porte. Bien évidemment, cette dernière décide finalement de rejoindre son sugar daddy, motivée en cela par l’arrivée impromptue dans les locaux d’un adepte de Khaine, dûment mandaté par le Graf pour mettre fin au bazar et lui économiser de devoir payer les heures supplémentaires de tous les fonctionnaires mobilisés en cas de siège interminable. Protégé par une amulette enchantée, le tueur assermenté n’a aucun mal à déjouer les différentes protections magiques que Freiwald a placé dans l’escalier menant à son étude… ce qui n’est pas le cas de la pauvre Katarina, que son amour pousse à poursuivre l’assassin.

Une alarme sonore et un serpent en 3D plus tard, la voilà en bas de l’escalier, où elle se fait mordiller la cheville par l’homonculus domestique du sorcier, décidément moins bien élevé que le regretté Dobby. Encore une porte à poignée brûlante-mais-pas-vraiment à ouvrir, et la voilà à l’intérieur… malheureusement un chouilla trop tard. Si l’assassin est décédé, victime d’une attaque imparable de filet à provision constrictor (Anton est décidémment le spécialiste des pièges à c*ns et autres farces et attrapes), il a eu le temps de planter une dague en plein cœur de sa cible, elle aussi tout à fait morte.  Désespoir de Katarina, qui ne peut qu’empêcher l’homonculus de son défunt protecteur de boulotter le cadavre de son créateur, en lui balançant une flasque à la tronche. C’est ça aussi que de ne pas nourrir ses animaux de compagnie…

Début spoiler…Kat’ ne met cependant pas longtemps à se rendre compte qu’elle éprouve beaucoup moins de chagrin qu’elle pensait en ressentir à la mort de son cher Anton, et pour cause… Les Kislevites laissé en arrière garde pour ralentir les troupes du Graf ne sont pas les seuls à avoir été victimes de l’emprise mentale du mage défunt : Katarina réalise brutalement qu’elle était sous la coupe de Freiwald, et que l’amour qu’elle éprouvait pour lui était aussi réel que celui des candidats de Love Island. Trahison (et du coup, détournement de mineur) ! Dégoûtée par cet abus de confiance2, elle décide de se faire la malle par le souterrain prolongeant le laboratoire du sorcier, après avoir mis la main sur son grimoire, afin de pouvoir continuer ses études en toute indépendance. Localiser le fameux bouquin n’est cependant pas chose facile, même si elle finit par déduire que le précieux livre est caché derrière l’imposant portrait qu’Anton avait fait faire de lui-même – en toute modestie – et gardé par un prototype de Tisse-Mort en fin de batterie, ce qui sauve Katarina du même destin que le cultiste de Khaine. Un tableau fracassé et un coffre-fort à moitié Mimic ouvert à coups de latte (véridique) plus tard, le manuel de sorcellerie est enfin récupéré.

Ces péripéties ont toutefois assez retardé Katarina pour qu’elle assiste à la réincarnation de son tourmenteur, qui prend possession de son homonculus, laissé à dessein en back-up par le mage. Ce n’est pas la première fois que Freiwald change de corps, comme son ancienne élève le découvre en voyant le crâne du cadavre du sorcier rejoindre les cinq autres artefacts similaires qui tournoient au milieu de la pièce, et dont le mage tirait une grande partie de ses pouvoirs. Un peu groggy par cette restauration de session après un arrêt non programmé, Freiwald a la surprise de constater que son esclave sexuelle ne le regarde plus avec les yeux de Chimène, et lui renvoie même le premier sort d’entrave qu’il tente de lui lancer dans les dents. Comprenant que rien ne sera plus comme avant, la chose qui était Anton Freiwald se résout au meurtre de son ancienne complice avant de prendre la fuite pour une nouvelle ville et nouvelle vie, avec ses crânes et son grimoire… sauf que Katarina ne l’entend pas de cette oreille, et parvient à se saisir de la dague toujours plantée dans le torse de l’ancien cadavre de Freiwald, avant de trucider le disque dur externe fait homme (unculus) qui lui fait des misères. Pris au dépourvu par ce revirement de ce situation, c’en est cette fois définitivement fini de notre grand méchant, qui n’avait pas penser à faire une sauvegarde de sa sauvegarde, comme le gros noob qu’il est. Sad! Enfin débarrassée de cette masculinité toxique, Katarina est libre de prendre la poudre d’escampette, et d’aller s’installer en praticienne libérale dans la banlieue de Bogenhafen, comme son vieux père l’aurait voulu.Fin spoiler

1 : La capitale de Sylvannie (tout comme Canberra est la capitale de l’Australie… c’est tout à fait vrai mais ce n’est pas à cette ville qu’on pense immédiatement), qui bénéficie donc d’une académie de magie d’après Neil Jones. Je prendrais cette info avec des pincettes.
2 : En même temps, Anton était un disciple de l’école de magie arc-en-ciel, et organisait la marche des fiertés de Waldenhof (l’une de ces affirmations est fausse, mais laquelle). Elle aurait dû le voir venir.

AVIS:

Si on met de côté les éléments ayant très mal vieilli de The Spells Below, qui sont suffisamment nombreux pour parasiter un chouilla la lecture pour ne rien vous cacher, on se retrouve avec une histoire de rape and revenge matinée de sword and sorcery, mélange à ma connaissance inédit dans la GW-Fiction. L’intrigue que déroule Neil Jones tient assez bien la route, et réserve quelques surprises bienvenues au lecteur ; quant au personnage de Katarina, il est loin d’être celui d’une simple potiche énamourée, comme le début – et l’illustration de Kev Walker – pouvaient le laisser craindre. On se trouve même en présence d’une nouvelle que l’on pourrait qualifier de féministe, ce qui se doit d’être souligné pour un texte aussi ancien (la lutte contre le patriarcat n’était pas un sujet aussi fort qu’il l’est devenu aujourd’hui). Bref, une nouvelle comme on en écrit plus depuis longtemps, signée par un auteur dont on est sans nouvelles depuis des lustres. Dépaysement, à défaut de satisfaction (c’est quand vraiment WTF sur les bords…), garanti.

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The Light of Transfiguration – B. Craig:

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INTRIGUE:

Fidèle à son approche résolument bretonnisante du background de Warhammer Fantasy, Brian Craig nous revient avec une nouvelle histoire se déroulant sur les terres du Roy, racontée par nul autre que le ménestrel itinérant Orfeo, protagoniste de la trilogie Zaragoz, Plague Daemon et Storm Warriors. Notre propos débute avec la croisade purificatrice ordonnée par un aïeul du bon souverain Charles contre les déprédations commises par le sorcier Khemis Kezula depuis la cité fortifiée de Selindre, à proximité des Voûtes. Chargeant son plus preux paladin Super Dupont Lanval de Valancourt d’aller apprendre les bonnes manières, le port du béret et la dégustation de cuisses de skinks à cet intégriste de Kezula, le noble Roy sort de notre conte, avec la satisfaction du devoir accompli. De son côté, LdV se met à la tâche sans tarder, et parvient à enlever la citadelle ennemie, mettant un point final au règne de terreur du mage noir, qui se révéla être un cultiste chaotique. Le bon sens franchouillard de Lanval lui fit également raser le donjon de Kezula, dont il soupçonnait – à raison – le caractère profondément néfaste, et pas seulement à cause de l’infestation de punaises de lit qu’il y constata une fois la victoire obtenue. Le temps suivit son cours, et les terres de Selindre passèrent aux descendants de Lanval après le décès de ce dernier, jusqu’à ce que son arrière-petit fils, Lanfranc, arrive aux affaires. Traumatisé par une méchante chute de cheval terminée tête la première sur un pavé mal placé alors qu’il faisait le kéké sur les lieux des exploits de son aïeul, le père de Lanfranc, Jehan, avait en effet couché sur son testament sa volonté que Selindre soit léguée au culte de Shallya, afin que les bonnes sœurs viennent purifier l’endroit de leurs saines prières.

Guère enthousiasmées par cette – pourtant généreuse – donation (il n’y a qu’à voir la tête qu’elles tirent sur l’illustration), les sistas acceptèrent toutefois de tenir un couvent sur le gazon maudit de Khemis Kezula, à condition que le nouveau comte mette à leur disposition quelques maçons pour construire le lieu de culte. Un peu chafouin d’avoir perdu un bout de fief des suites de la démence paternelle, Lanfranc se montra tout de même gentilhomme, et accéda à la requête des bonnes sœurs, avant de quitter à son tour l’intrigue pour de bon. Nous faisons alors la rencontre de la véritable héroïne de notre histoire, la jeune Adalia, envoyée avec quelques collègues s’occuper de la joint venture si habilement négociée par le culte. Fille d’un artisan vitrier réputé de Quenelles, Adalia avait démontré quelques aptitudes pour la magie durant son adolescence, provoquant son intégration dans les ordres (autre temps, autres mœurs…). Malheureusement pour elle, ces signes prometteurs ne débouchèrent sur rien de concret, condamnant la novice à végéter en bas de l’échelle régulière. Affectée aux tâches ménagères par sa supérieure, la Mère Thelinda, en support des manœuvres et artisans obligeamment prêtés par Lanfranc, Adalia occupe ses journées à faire du mortier et ses soirées à consacrer1 les murs de la cellule minable qu’elle a reçu en dotation, quotidien assez morne il faut bien le reconnaître.

Tout change lorsqu’elle reçoit une nouvelle mission de la part de Thelinda : inspecter les ruines de la forteresse de Kezula à la recherche d’objets récupérables. Lorsqu’elle trouve des éclats de verre colorés jonchant le sol, elle ne met pas longtemps à comprendre qu’il s’agit des restes d’un vitrail ayant orné l’ancienne bâtisse, et décide naturellement de… le reconstituer (sans que Thelinda s’émeuve beaucoup du projet un chouilla hérétique de sa charge). La suite de la nouvelle relate les longs mois de labeur qu’Adalia consacre à sa nouvelle marotte, entre la recherche de fragments dans les décombres et la mise en place de ces derniers dans sa chambre, deux processus longs et ingrats, mais pour lesquels elle se passionne néanmoins. Alors qu’elle est sur le point de toucher au but, et que les parties reconstituées de la rosace se mettent à briller d’eux-mêmes à la nuit tombée (ce qui n’est aaaabsolument pas inquiétant), permettant à Adalia de bosser sans éveiller les soupçons qu’une consommation disproportionnée de chandelles pourrait causer; notre héroïne réalise qu’il lui manque les pièces centrales du puzzle, ce qui la plonge dans l’embarras. Fort heureusement, un Nain, probablement du Chaos3, se présente à elle peu de temps après pour lui remettre le DLC dont elle a besoin pour terminer son ouvrage, contre la modique somme de son âme (probablement).

Dès lors, plus d’échappatoire possible pour la malheureuse Adalia, dont la ferveur et la considération pour Shallya avaient de toute façon baissées de façon drastique au cours des derniers mois. Par une nuit fatidique, elle termine la reconstitution du vitrail, au centre duquel se révèle être un homme oiseau à l’aspect peu amène. Cette complétion permet de débloquer complètement le mode photophore hallucinogène de la pièce, d’où Adalia voit apparaître Birdman en chair et en plumes. Extase mirifique pour notre nonne nerd, mais malheureusement de courte durée. Son cadavre est en effet retrouvé le lendemain par le reste de sa congrégation, carbonisé et incrusté des mêmes éclats qu’elle avait passé tant de soin à récupérer. L’autopsie conclura à une mal-fonction critique d’une cabine à UV dans laquelle se serait trouvée une boule à facettes, mais nous savons tous que la vérité est ailleurs…

1 : Ce qui n’est pas facile car ce diable de Kezula a visiblement traité les pierres (noires) de son donjon, récupérées pour servir de base au couvent des Sœurs, au PFAS, rendant leur blanchiment très compliqué. Et en plus, ça donne le cancer.
2 : La Mère Thelinda tient en effet plus de Thénardier que de Teresa. Le seul moment de la nouvelle où elle fait mine d’intervenir dans le hobby peu recommandable de sa subalterne est quand cette dernière explose son forfait bougie à force de travailler sur son 10.000 pièces toute la nuit.
3 : Une légende locale raconte en effet qu’un clan de Nains des Voûtes choisit d’abandonner Grugni pour se tourner vers une divinité capable de leur apprendre les mystères et merveilles de la confection du cristal. Les érudits supputent qu’il s’agit du dieu du Chaos mineur Bhakkara.

AVIS:

Une Craig-erie très classique et sérieuse que ce The Light of Transfiguration, qui est à ranger aux côtés de A Gardener in Parravon, dans la catégorie « Tentations Chaotiques » du corpus de cet auteur. Si les talent de conteur et le style particulier de ce dernier permettent au lecteur de suivre sans peine la tragique destinée d’Adalia, cette nouvelle ne s’avère toutefois pas aussi prenante, ni divertissante, que d’autres travaux de Craig, qui n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il s’attaque aux « bons côtés » du lore de WFB (Who Mourns a Necromancer ?, The Phantom of Yremi). La GW-Fiction regorgeant de récits dépeignant la déchéance vers le Chaos, et les conséquences, au mieux simplement fatales, de ce choix de carrière pour les malheureux qui se lancent/glissent sur cette voie, les contributions de Brian Craig à ce topos des plus classiques ne sont pas celles que je mettrais le plus en avant, même si la qualité reste présente. Vous voilà prévenus.

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The Song – S. Baxter:

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INTRIGUE:

Abordé à sa table fétiche du Tablier d’Esmeralda, son QG bistronomique du quartier halfling de Marienburg, par une poignée de congénères aussi bavards que dissipés, le détective privé Sam Warble tente tant bien que mal d’envoyer paître les nouveaux venus pour finir son repas en paix, sans grand succès. Refusant catégoriquement, et à la grande surprise de ses interlocuteurs, de participer à une partie de cartes pour célébrer ces retrouvailles moyennement appréciées, Warble se justifie en commençant le récit d’une mésaventure lui étant arrivé récemment, et qui lui a passé le goût du jeu.

Quelques jours plus tôt, en effet, notre limier de poche se trouvait engagé dans une partie de three cards pegasus, toujours au Tablier, contre un marchand Haut Elfe aussi insupportablement hautain que diablement chanceux. Voire un peu plus que chanceux. En fort mauvaise posture, mais refusant obstinément de s’avouer vaincu, Warble avait commis l’erreur de faire un tapis sur la foi d’une main quasiment imbattable… mais au final battue, ce qui avait eu pour conséquence de lui faire perdre littéralement l’esprit, confisqué par son adversaire (Eladriel) en guise de dette de jeu. Voilà pourquoi il ne faut jamais jouer avec des mages. S’étant réveillé une semaine plus tard avec la sensation désagréable d’avoir perdu la moitié de ses sens, Warble reçut une convocation pour se présenter dans une maison isolée du quartier elfique, où l’attendait son vainqueur, sa garde du corps contrefaite mais très costaude (à défaut d’avoir de la conversation), ainsi qu’une petite bouteille où Eladriel avait scellé une bonne partie de la sensibilité de notre héros, et qu’il n’accepterait de lui restituer que si ce dernier lui rendait un petit service. Le marchand kleptomane était en effet féru d’art, et, en plus d’être une sommité mondiale en matière de boucles de ceinture tiléennes, s’était piqué de chant lyrique et désirait ardemment entendre un récital – ou à défaut, une seule chanson – de la jeune Lora, chanteuse exceptionnelle dont l’un de ses congénères, le nabab Periel avait fait l’acquisition sur le marché au noir municipal. The Voice Marienburg, ça ne rigole vraiment pas. Charge à Warble de trouver un moyen de ramener à Eladriel l’objet de ses désirs, s’il voulait retrouver la pleine mesure de ses capacités.

Seulement équipé d’une fiole de verre enchantée semblable à celle dans laquelle Eladriel gardait son précieux, Warble prit le chemin de l’île privée où le puissant Periel avait fait bâtir sa demeure, persuadant un pêcheur cocu et complexé par sa calvitie (ce sont de vrais détails de la nouvelle) de le faire traverser contre quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Une fois sur place, le halfling diminué avait eu la mauvaise surprise de croiser le chemin de l’Ogre domestique de Periel, qui semblait de prime abord bien décidé à le renvoyer sur l’autre rive à grands coups de massue. Pour diminué qu’il fut, sensitivement parlant, Warble demeurait toutefois assez vif d’esprit pour embrouiller le vigile, et le dépouiller de toutes ses possessions terrestres (y compris son inestimable – et inestimée – collection de fientes de chauve-souris géante) en quelques rounds de three cards pegasus. Profitant du désespoir de sa pauvre victime, l’impitoyable halfling l’avait alors assommé à l’aide de sa propre massue, confisquée en même temps que son pagne en recouvrement de dettes. Les ravages du jeu.

Cet obstacle écarté, Warble n’avait pas eu de mal à trouver le chemin des quartiers de Lora, dont le mécène s’occupait de façon attentive et loin d’être abusive. Profondément touché par la pureté du chant de la captive, Sam commença par échafauder des plans de libération audacieux, visant à ramener la belle auprès de ses parents, avant que cette dernière ne lui fasse comprendre qu’elle ne tenait pas spécialement à retourner dans la porcherie familiale, merci beaucoup. Comprenant que la partie était mal engagée, Warble eut toutefois la présence d’esprit de faire enregistrer à la cantatrice snob un single sur Snapchat, à l’aide de la bouteille remise (et heureusement d’ailleurs #CaTombeBien #FacilitéNarrative), dont l’enchantement protecteur lui permit de survivre aux vocalises ultrasoniques de Lora.

De retour chez Eladriel, Warble n’eut qu’à convaincre ce dernier de prêter une oreille attentive aux castafioreries de Lora, pour récupérer pleine possession de ses moyens lorsque la roucoulade de la prima donna vint fracasser la flasque dans laquelle le roué Elfe avait enfermé la mise perdue par son adversaire (c’était bien la peine de préciser un peu plus tôt que le carafon était indestructible…). Beau joueur, Eladriel accepta de laisser partir son prestataire sans le faire étriper par sa domestique, ayant eu comme convenu l’occasion d’écouter Lora se produire, ne fut-ce que pour une chanson (son tube en plus : Snowflake). Et voilà qui explique à la foi l’approche distanciée que Warble a développé envers les jeux de cartes, et le nouvel anneau d’or rehaussé d’éclats de cristal qu’il porte au doigt. À notre détective, et à Erik Satie, reviennent le mot de la fin : et tout cela m’est advenu par la faute de la musique.

AVIS:

Steve Baxter reprend impeccablement le flambeau de Sandy Mitchell, créateur du personnage de Sam Warble (The Tilean Rat), avec ce court récit d’enquête dans le dédale pittoresque de Marienburg, mettant en avant avec un second degré assumé la vie « normale » des habitants de la plus grande, riche et corrompue cité du Vieux Monde. Plus originale en termes d’intrigue que la soumission, totalement parodique, de Mitchell, The Song comporte cependant son lot de situations drôlatiques, à tel point que l’on se prend à rêver d’une adaptation du personnage de Warble sur le petit écran en format sitcom (il paraît que Games Workshop veut se positionner sur ce média, alors…). Sans prétention particulière au niveau de sa construction ou de ses apports de fluff, cette nouvelle constitue un petit entracte burlesque bienvenu entre deux œuvres plus caractéristiques, et donc plus sérieuses, de la GW-Fiction. Dommage que Baxter n’ait pas persévéré sur cette voie, il avait un talent certain pour l’exercice. Petit détail amusant (encore un), l’illustration réalisée par Martin McKenna pour cette nouvelle intègre une représentation de McKenna lui-même, en bas à droite du cadre.

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The Voyage South – N. Griffith:

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INTRIGUE:

Ariel et Isabel sont deux sœurs issues de la haute bourgeoisie de Quenelles, et profitant comme chaque année du domaine familial sur les hauteurs de la cité pour passer l’été en compagnie d’autres jeunes gens bien nés. Jusqu’ici, rien de bien méchant, jusqu’à ce que la partie fine slaaneshi à laquelle les frangines se sont rendues pour passer la soirée tourne au drame. Initiée par un autre convive au plaisir psychotrope du lait d’Olla, substance hallucinogène ramenée à grands frais d’Arabie par des marchands peu fréquentables (la meth du Vieux Monde, en quelque sorte), Isabel fait une overdose subite, et décède quelques jours plus tard après une agonie totalement biscor-« Nuh ». Saleté d’intolérance au lactose. Pour Ariel, qui culpabilise un petit peu de n’avoir pas su protéger sa sœur des ravages de la drooooooooogue, débute alors une quête de longue haleine afin de comprendre comment ce drame a pu avoir lieu1. Ayant fait analyser le reste du lait dont Isabel s’était enduit le visage, elle commence par découvrir que la substance a été coupée avec de la caronna, plante estalienne agissant comme un poison à haute dose. En cherchant à identifier le fournisseur du produit laitier avarié dont sa frangine à fait les frais, elle finit par s’engager sur la Rosamund, un navire marchand remontant la Brienne de Quenelles à Brionne, et profitant des étapes sur la route pour faire un peu de transport de fret, dont le fameux pâté de Cixous (ne rigolez pas, Griffith y revient souvent au cours de l’histoire). Cette décision, qui s’apparente plus à une crise d’adolescence un peu tardive qu’à un véritable choix réfléchi, lui permet de côtoyer quelques matelots forts en gueule, hauts en couleurs et avec un cœur gros comme ça, comme l’alcoolique mais secourable Marya (au physique de Capitaine Marlot, ou plutôt Merlot, du fait de son penchant prononcé pour la dîve bouteille), le bourru mais généreux Capitaine Holseher, ou encore son second Jean-Luc, qui ne sert pas à grand-chose dans l’histoire mais qui méritait qu’on le cite rien que pour son nom2.

La croisière fluviale n’est pas de tout repos, à la rudesse de la vie de matelot venant s’ajouter les signes inquiétants d’une traque dont Ariel est la cible de la part d’individus louches, dont un type très grand et très mince, qui trouve le moyen de s’introduire dans la cale où notre héroïne se retrouve confinée pour se dérober aux regards, et lui conseille fortement de stopper son enquête avant qu’il soit trop tard. Guère convaincue par l’argumentaire du slender man, Ariel lui saute dessus le couteau à la main… et se fait bolosser en deux secondes par son interlocuteur, qui se révèle porter d’étranges rembourrages sous ses vêtements. Spoiler, c’est un Elfe dont il s’agit, et qui cherche ainsi à estomper son manque de carrure par rapport à un être humain normalement constitué. Hit the gym, bro ! Résolument non violent, le visiteur se retire sans abuser de sa position de force, laissant Ariel nager en plein marasme sur les forces en présence dans ce trafic de yaourt. Un peu plus tard, la Rosamund tombe dans une embuscade alors que le navire venait de sortir d’une zone de rapides, forçant son équipage à se défendre bellement contre les ruffians qui montent à l’abordage, bien aidé il faut dire par le mystérieux skipper du pédalo qui suivait la barge de près depuis son départ de Cixous, et canarde les affreux avec un arc indubitablement elfique. Tiens tiens. En tout cas, sans son intervention salutaire, cela aurait senti le pâté pour Ariel et ses comparses, et pas seulement à cause de la cargaison embarquée.

Finalement arrivée à Brionne, où elle se rend compte que le dealer qu’elle poursuivait depuis Quenelles, et dont elle a appris qu’il travaillait pour l’amiral Escribano de Magritta, venait de quitter la ville pour l’Estalie, Ariel décide de lui emboîter le pas, et quitte la Rosamund pour s’engager sur un navire faisant la traversée jusqu’à Bilbali. Débarquant seule au terme de cette transat, elle est fort mal accueillie par la populace locale, qui prend ombrage de son teint pâle et de ses cheveux blonds et se met donc à la poursuivre dans les rues en la bombardant de salades. Les monstres. Tout cela aurait pu mal finir sans l’intervention opportune de Mr Corps de Lâche, qui entraîne la malheureuse dans sa maison en plein quartier elfique… Parce que oui, c’est un Elfe. En même temps, je vous avais prévenu. Par un mystérieux hasard, il s’avère que le sauveur d’Ariel, qui s’appelle Senduiuiel Cortengren, mais que ses amis tout le monde appelle Send (alors que Oui Oui aurait tout aussi bien fait l’affaire), a également une dent contre Escribano, qui rackette allègrement tous les navires croisant au large de Magritta, y compris les pacifiques voiliers elfiques. Après un entretien d’embauche rapidement expédié, Send accepte qu’Ariel lui file un coup de main dans son grand projet géo-politique. Cette confiance est rapidement récompensée lorsque la Bretonnienne en vadrouille sauve le Phil de fer de la capture des mains de la milice locale, alors qu’il faisait des signaux de lanterne au Uber naval qu’il avait commandé pour quitter Magritta incognito, après un repérage discret pendant lequel Ariel s’était surtout intéressée à la confection des pasteis de nata du Vieux Monde, et du dosage précis de farine de caronna que ces pâtisseries réputées nécessitent.

S’étant jetés à l’eau pour la bonne cause, nos deux espions sont repêchés par un sultan arabien qui chillait tranquillement sur son yacht de plaisance, en compagnie de sa famille et ses domestiques. Il s’avère rapidement que leur sauveur providentiel est de mèche avec Send pour calmer les velléités impérialistes d’Escribano, et que l’Elfe a conclu un accord avec le divin Hamqa – c’est son nom – pour que leurs flottes combinées aillent couler l’armada magrittane. Après un peu de stratégie et beaucoup de croquettes de poisson, nous passons enfin à la bataille finale, qui voit s’affronter la puissante alliance des Azur et des Arabiens et… la flotte mal réveillée d’Escribano, complètement prise au dépourvue, et qui n’a donc pas le temps de se mettre en position que déjà les assaillants ont envoyé leurs navires brûlots foutre le souk dans leur marina. Et bien que l’amiral estalien soit réputé avoir conclu un pacte avec le Dieu du Sang, ce partenariat impie ne donne rien de bien concluant pour les défenseurs, car Send, qui est un mage en plus d’un archer, invoque un Gardien des Secrets aquatique pour aller souffler dans les branchies du colérique Rhug’guari’ihlulan, démon majeur de Khorne de son état. Ce dernier ne trouve rien de plus malin à faire que de fracasser les navires de son propre camp, avant de chercher à faire boire la tasse – après tout, c’est un buveur –  à son rival parfumé, sans doute jaloux de son maillot deux pièces fuschia. Quoi qu’il en soit, la victoire est totale et sans appel pour nos héros, qui se séparent peu de temps après en léger froid (c’est souvent le cas lorsque votre collègue se révèle être un mage chaotique). Peu emballée par l’idée de revenir à Quenelles, Ariel résout de tenter sa chance dans le shipping longue distance, en partenariat avec l’une des filles du sultan Hamqa, elle aussi en quête d’indépendance. Le women empowerment, il n’y a que ça de vrai.

1 : On notera au passage que sa mère (et donc celle d’Isabel) se montre plus intéressée par la sauvegarde de la réputation familiale que par l’identification d’un éventuel coupable du décès de sa fille, qu’elle considère – à raison tout de même – comme une hédoniste délurée n’ayant pas volé ce qui lui est arrivé. Il faut croire qu’au début des années 90, on pouvait flirter avec le Chaos sans passer dans le camp des méchants.
2 : Avouez que c’est le premier Jean-Luc que vous croisez à Warhammer Battle. Le dernier aussi, sans doute.

AVIS:

Nicola Griffith s’offre un dernier tour de piste (à ce jour en tout cas) d’anthologie avec The Voyage South, OVNI de la GW-Fiction à bien des égards, et donc d’une lecture conseillée à tous les amateurs d’exotisme littéraire. Exit le grimdark pluvieux et désespéré caractéristique d’un Empire assailli/gangréné par des hordes d’ennemis, et bonjour au boat trip entre Quenelles et l’Arabie, en passant par les contrées ensoleillées d’Estalie. S’il est vrai que la région compte de nombreux périls, il flotte malgré tout un goût de soleil et de farniente sur cette longue nouvelle, dont l’héroïne bien née réalise un voyage initiatique dans des conditions un peu rudes mais loin d’être horribles, et qui pourraient être qualifiées de croisière touristique si on se réfère aux standards habituels de Warhammer Fantasy. Ajoutez à cela le manque de crédibilité induit (en tout cas pour un lectorat francophone) par l’intégration d’un personnage nommé Jean-Luc et la fixette que fait Griffith sur le pâté, et la prise au premier degré des tribulations d’Ariel se complique encore davantage. L’auteur a beau mettre en scène une intrigue finalement assez intéressante de trafic de drogue frelatée comme instrument de déstabilisation politique, mis en œuvre par des Estaliens qu’on ne savait pas si entreprenants, la petite histoire ne cesse de prendre le pas sur la grande, bien aidée en cela par le finalement tout petit rôle joué par le grand méchant Escribano et son âme damnée Jorge, qui n’apparaîtront jamais directement dans la nouvelle, même pas lors de la bataille finale, dont le déroulement à sens unique vient conclure ces cinquante pages de façon un peu terne. À titre personnel, j’aurais apprécié que Griffith développe un peu plus le personnage de Send, dont le positionnement ambigu (pour le dire poliment) renforce considérablement l’intérêt. Pour l’anecdote, on notera que Nicola Griffith avait indiqué dans il y a quelques temps considérer la possibilité de donner une suite aux aventures d’Ariel et Cie, en rebaptisant les personnages et enlevant toutes les références à l’univers de WFB de son propos afin de ne pas avoir de problème avec Games Workshop. Ce vœu pieux n’a pas encore réalisé à ce jour, mais tout vient à point à qui sait attendre…

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Et voilà qui termine (pour un temps en tout cas) cette plongée dans les profondeurs doublement vintage de la GW-Fiction à la sauce médiévale-fantastique. Si Red Thirst s’avère à bien des égards être la continuation de la ligne éditoriale déjà affirmée dans Ignorant Armies et Wolf Riders, le parti pris de David Pringle de se concentrer sur des nouvelles plus longues qu’à l’accoutumée se révèle avoir un vrai impact sur l’expérience de lecture. On a en effet l’impression d’une immersion plus poussée et profonde dans le Vieux Monde, sensation renforcée par le choix des auteurs d’intégrer des éléments assez exotiques dans leur récit : Cathay, Kislev, l’Estalie, l’Arabie, Karak aux Huits Pics, Marienburg… Il n’y a finalement que Neil Jones pour s’être cantonné à l’Empire. Si vous avez envie d’un peu plus de variété qu’à l’accoutumée dans vos lectures d’ouvrages GW, Red Thirst pourrait donc vous convenir, davantage en tout cas que les deux volumes précédents.

D’un point vue qualitatif, cet ouvrage s’avère également être assez solide, ne serait-ce que parce qu’il renferme une pépite de Jack Yeovil et probablement LA meilleure nouvelle de Gotrek et Felix jamais écrite par Bill King. The Voyage South, bien qu’un peu particulier dans son approche, mérite également le détour, tandis que les trois (plus) courts formats qui complètent le sommaire s’avèrent tout ce qu’il y a de plus lisibles, même si aucun d’entre eux ne peut prétendre à une distinction spéciale dans le corpus de la GW-Fiction. Finalement, on peut aussi remarquer que, bien des années avant que le sujet d’une meilleure représentation des genres ne soit vraiment considéré en haut lieu, Red Thirst était un recueil finalement assez féministe, puisque quatre de ses six nouvelles ont mises en avant une héroïne plutôt qu’un héros (même si cela ne s’est pas toujours bien fini pour cette dernière, comme Adalia peut en témoigner). Finalement, 1990 était une année très moderne…

 

IGNORANT ARMIES [WFB]

Au commencement était le Verbe (selon certains), et le Chaos (selon d’autres). Même si l’amateur de Warhammer Fantasy Battle aurait tendance à se rapprocher de la genèse grecque antique plutôt que  de celle de l’évangile, la bonne réponse dans le cas qui nous intéresse est tout autre. Au commencement du background romancé de WFB était le recueil de nouvelles Ignorant Armies, publié en Octobre 1989 par GW Books. Le début d’une aventure qui se poursuit encore aujourd’hui, bien que ni la maison d’édition, ni les auteurs, ni même la franchise dans laquelle se déroulent les récits de cette première anthologie, ne soient encore des nôtres à ce jour1. Trente ans plus tard, il était sans doute temps de procéder à un petit inventaire, en forme d’hommage, de cet ouvrage fondateur, histoire de ne pas finir aussi ignorants que les osts décrits par Jack Yeovil dans la nouvelle qui a donné son titre à l’opus.

Sommaire Ignorant Armies (WFB)

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Collection de huit nouvelles illustrées (on savait vivre à l’époque) rassemblées par David Pringle en sa qualité de primo-éditeur de Games Workshop, Ignorant Armies explore le Vieux Monde dans sa sombre, et, il faut bien le remarquer, floue, singularité, alternant entre les forêts profondes du cœur de l’Empire et les jardins proprets de Bretonnie, en passant par les classiques donjons en ruines et désolations chaotiques du grand Nord. En ces temps héroïques où le « fameux » (en tout cas, de mon point de vue) BL style était encore à inventer, Pringle dut composer avec un aréopage d’auteurs ayant chacun leur propre style, résultant en un ouvrage protéiforme et hétérogène, à mille lieues des recueils soigneusement formatés – d’un point de vue stylistique, s’entend – qui sont aujourd’hui la norme pour les publications de la Black Library. Telle la bouteille de gnôle du grand-père, oubliée pendant des lustres dans l’obscurité fraîche de la cave familiale, et qui se retrouverait, sans que l’on sache trop comment, parmi les bouteilles de Beaujolais Nouveau au hasard d’une réunion de famille, il y a des chances que la dégustation de ce cru vintage fasse tousser plus d’un lecteur. Comme disent nos amis anglais, spécialistes devant l’éternel des consommations clivantes2, « it’s an acquired taste ». Cela ne doit cependant pas nous détourner de notre devoir de mémoire, et sous réserve que vous ne vous éloigniez pas trop du guide, je vous garantis que l’expérience que vous vous apprêtez à vivre sera, à défaut de plaisante (la maison ne prends pas ce genre d’engagements), au moins sans danger. Au commencement, donc, était le Verbe, le Verbe coloré et fleuri d’un Tueur de Trolls encore glabre et pas encore borgne, et très remonté contre les conducteurs de diligences…

1 : Pour les auteurs, je précise que cela signifie que les sept contributeurs d’Ignorant Armies ne travaillent plus pour la Black Library à ce jour et à ma connaissance (dur à dire avec tous ces noms de plume), et non qu’ils sont tous passés ad patres.

2 : Comment qualifier sinon un peuple qui soutient que la jelly est un dessert ? La jelly quoi. Les monstres.

Ignorant Armies

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Geheimnisnacht – W. King :

Geheimnisnacht

Art: John Sibbick

INTRIGUE:

C’est sur la route, non pas de Memphis, mais de Bogenhafen, que nous faisons la connaissance de nos héros, alors qu’ils viennent de se faire lourder sans ménagement de la diligence qu’ils partageaient avec une dame de bonne société, sans doute du fait d’une remarque peu amène1 de la partie courtaude, rougeaude et édentée de la paire. Au grand désespoir de son longiligne, blond et geignard camarade, très peu emballé par l’idée de faire du stop en pleine forêt à la tombée de la Geheimnisnacht, ou nuit des secrets. Et on le comprend. Ces héros en question, puisqu’il faut bien les présenter, ne sont autres que, vous l’aurez deviné, Gotrek Gurnisson et Felix Jaeger, duo mythique de Warhammer Fantasy Battle s’il en est, qui vécut dans ce Geheimnisnacht sa toute première aventure, sous la plume de William King. C’est donc à la naissance d’une légende que nous assistons ici. Émotion et recueillement.

Très énervé par cette déconvenue, Gotrek pique sa crise et se met à montrer sa hache et brandir ses fesses, ou l’inverse, en direction des sous-bois tous proches, espérant sans doute qu’une harde d’Hommes Bêtes secourables lui envoie un petit champion pour se passer les nerfs. Las, et au grand soulagement de Felix, aucun antropovin ne surgit des fougères, mais le danger peut prendre bien des formes dans ces zones désolées de l’Empire, et c’est un carrosse noir qui déboule bientôt à toute berzingue, et manque de percuter l’irascible Dawi, peu enclin à se laisser doubler. Indemne, mais maculé de boue (ce qui est bon pour la peau mais moins pour l’odeur), Gogo ajoute une nouvelle rancune sur son carnet personnel, et se lance à la poursuite des chauffards invétérés, son commémorateur sur les talons.

Débouchant sur une auberge au détour du chemin, les deux compères résolvent d’y passer la nuit, mais trouvent (assez logiquement) porte close. Après quelques négociations menées de main et hache de maître, les tenanciers acceptent d’ouvrir pour éviter de devoir se payer une nouvelle porte, et laissent entrer nos héros. À l’intérieur, entre deux pintes de bière et commentaires désobligeants, Fotrek et Gelix apprennent de leurs hôtes et compagnons de veillée que la région est la proie d’une funeste malédiction, qui voit les enfants disparaître dans la forêt pendant la Geheimnisnacht et ne jamais reparaître. Et justement, le fils des aubergistes, un dénommé Gunter n’est pas rentré de sa corvée de bois ce soir là, ce qui désole sa vieille maman et chagrine son pingre papa. Au fil de la conversation, l’intérêt du Tueur se retrouve piqué par les rumeurs de cultistes et de démons que les locaux tiennent responsables de ces disparitions, et il décide promptement d’aller trekker jusqu’au Darkstone Ring pour s’enquérir de la véracité de ces racontars. Ayant juré de réaliser un compte-rendu digne de ce nom de la quête de mort de son acolyte, Felix n’a d’autre choix que d’emboîter le pas du berserk, acceptant au passage un talisman en forme de marteau que lui remet la Thénardière, et dont le petit Gunter est censé porter le jumeau.

L’excursion jusqu’au Stonehenge local se passe dans des conditions presque parfaites, seule une mauvaise rencontre sur le chemin avec un mutant un peu trop tactile venant retarder les compagnons. Malheureusement pour le collant quidam, Gotrek est plus full contact que peau à peau, et le faquin finit en deux morceaux dans un buisson quelconque (il aura tout de même l’honneur d’être la première victime homologuée de notre Tueur, ce qui n’est pas rien). Une fois arrivée sur place, la paire rampe dans les hautes herbes jusqu’au fameux cercle de pierres noires, où, effectivement, un rituel artistico-naturo-sado-masochiste2 est en train de se dérouler. Aussi captivés par cette création inédite de la SLAANESH3 que la foule bigarrée et biodiverse qui sert de public à cette représentation très caliente, nos héros voient surgir du fameux carrosse noir un individu portant les cape, masque, poignard et frêle enfançon drogué de rigueur pour le maître de cérémonie qu’il se révèle être.

Se rappelant qu’ils sont dans le camp du Bee-1, Gotrek et Felix se secouent enfin les puces et fondent sur les Slaaneshi comme la vérole sur… les Slaaneshi aussi (y a pas de raison), et font un sanglant massacre dans la partouze libertine. Ça vous apprendra, bande de sales petits frotteurs de pierre. Profitant que tous les yeux, mains, tentacules, et autres corps caverneux soient posés sur le robuste nabot, Felix profite du temps de lag du maître de culte pour lui balancer sa dague en travers du gosier, ce qui suffit pour faire retomber l’ambiance comme le membre d’un milliardaire chinois privé de poudre de corne de rhinocéros. Tandis que Gotrek se relève péniblement du gang-bang brutal dont il a été l’objet (ce qu’il prend à la rigolade, because boys Dwarves don’t cry), Felix s’en va récupérer le poupon droppé par le boss de niveau, qui, coup de chance, a survécu à la chute. Ce qui est moins heureux par contre, est la découverte d’un pendentif en forme de marteau autour du cou de l’un des derviches fouetteurs, ce qui permet de solutionner le mystère de la disparition de Gunter. Les ravages d’une éducation trop stricte, sans aucun doute. Cependant, nos héros n’ont guère le temps de s’attarder sur les lieux, la quête de mort de Gotrek entraînant ce dernier vers de nouvelles aventures, qui se poursuivent encore, trente ans plus tard…

AVIS:

La toute première apparition de Gotrek & Felix, on ne peut guère faire plus iconique que ça. Avec le recul que trois décennies nous apportent, on peut reconnaître que ce Geheimnisnacht, pour simple qu’il soit en matière de construction narrative, est véritablement une oeuvre séminale (et pas seulement parce qu’il met en scène une cérémonie en l’honneur de Slaanesh) pour le background de Warhammer Fantasy Battle, et a sans doute contribué à donner le ton, sombre, caustique et souvent cruel, qui a caractérisé la franchise d’un bout à l’autre de son existence. Si certains éléments de l’histoire peuvent sembler étranges, ou entrer en contradiction, avec les dernières versions du fluff canon de WFB, cette dernière, prise dans son ensemble, reste encore aujourd’hui un jalon littéraire pour l’univers en question, et est sans doute l’oeuvre d’Ignorant Armies qui a la « mieux vieilli ». En une vingtaine de pages, King parvient à planter le décor d’un monde med-fan dangereux et désespéré, où les actions de héros pas vraiment exemplaires (Gotrek est un maniaque suicidaire et ultra-violent, Felix un poète ivrogne piégé par le serment alcoolisé qu’il a prêté) parviennent parfois à contrer les manigances des forces des ténèbres, sans qu’aucune victoire ne soit vraiment éclatante (Gunter, la victime présumée, se révèle être un cultiste). Que se serait-il passé si Bill King n’avait pas eu l’idée en 1989 de donner vie à un Tueur de Troll accompagné de son commémorateur ? Comme la face de notre monde si le nez de Cléopâtre avait été plus court, celle de Warhammer aurait été changée. Si la genèse de cet univers vous intéresse (ce qui est sans doute un peu le cas si vous lisez ces lignes), je vous garantis que la lecture de Geheimnisnacht vaut le détour, a minima pour pouvoir dire « je l’ai fait ». Et en plus, cette nouvelle a été traduite en français4. Aucune excuse, donc

: Il est à noter que la toute première phrase de la toute première nouvelle du tout premier recueil de textes de background romancé publié par Games Workshop (en l’état, via GW Books, l’ancêtre de la Black Library), consiste en Gotrek jurant comme un charretier. Et contre les charretiers. Et les femmes humaines. C’est ce qu’on appelle réussir ses débuts.

: En bref, on a des danseurs presque à poil qui jouent des sagattes en se flagellant à coups de branches de bouleau. De l’art contemporain comme on l’aime.

3 : Société Libertine des Amateurs d’Abjections Nudistes Et Supplices Hédonistes.

4 : Incluse dans l’ouvrage Tueur de Troll, le premier « roman » – en fait un agrégat de nouvelles – de la saga de Gotrek.

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The Reavers & the Dead – C. Davidson :

The Reavers & the Dead

Art: Steven Tappin

INTRIGUE:

Adolescent solitaire et secret, Helmut Kerzer, qui s’amusait innocemment à réanimer des cadavres de campagnols dans une crique isolée de la côte de la mer des Griffes (chacun ses passe-temps), a l’effroi de voir approcher un navire pirate de son village natal. Bien que sachant qu’il est de son devoir de donner l’alerte afin de permettre à ses concitoyens d’évacuer les lieux avant l’arrivée des pillards, notre héros est retenu dans son élan par la peur d’être identifié comme un nécromant par la communauté. Parce qu’apparemment, l’endroit où il pratique son macabre hobby est connu comme « la crique de la nécromancie », ou quelque chose comme ça, et que le simple fait de s’y rendre fait de vous un suppôt (ce qui est toujours mieux qu’un suppo) de Nagash. Soit. Ne pouvant cependant pas décemment laisser le futur crime des flibustiers du terrible Ragnar One-Eye impuni, Helmut se hâte en direction du cimetière local, où il sait que l’attend une entrée vers une ancienne crypte…

À quelques encablures de là, nous faisons la connaissance du borgne et de son équipage, et apprenons que ces derniers sont des militants de Sea Shepherd. C’est en effet suite à la remontée de poissons pourris – sans doute victimes d’une marée noire – dans leurs filets que cette bande de Norses a pris la mer pour aller se venger sur les pêcheurs d’en face, reconnus coupables de ce coup en traître par les chamans chiromanciens de la tribu. On pourrait sérieusement arguer que les augures ont perdu la main (mouahaha), mais les voies divines sont impénétrables, et il n’est pas dit que les pêcheurs ne soient pas des pécheurs. Après tout, il suffit d’accentuer le trait. Bref, nos braves vandales écoutent religieusement la harangue de leur chef, et se mettent en rang pour boire la potion magique que leur a concocté leur druide prêtre en prévision du combat. Ici, pas question de force surhumaine (contre une bande de pisciculteurs, pas besoin), mais plutôt d’une exaltation guerrière exacerbée1.

Pendant que les villageois réalisent enfin que le danger les guette, et sonnent le tocsin – avec des effets mitigés il faut dire2 – Helmut se décide à passer une porte dont le heurtoir est fait d’os, flanquée de colonnes représentant des momies hurlantes, et surmontée de niches où sont recroquevillés des squelettes. Qui l’attend derrière cette macabre façade, me demanderez-vous ? Jarvis Johnson. En fait non, bien plus prosaïquement, c’est une Liche morte de vieillesse – ce qui est à la limite de la faute professionnelle pour un nécromant, tout de même –, ce que notre héros savait déjà car… c’est de notoriété publique dans la région ? Quoi qu’il en soit, sa Splendeur Anonyme (le nom que lui donne l’auteur) accueille chaleureusement celui qui sera son apprenti et héritier, et, après un entretien d’embauche rapidement expédié, commence à transférer ses données dans l’inconscient de Helmut, et lui donne les clés de son logement de fonction. Notre héros, après avoir choisi une robe convenablement ésotérique (+3 en Intelligence parce qu’il y a encore la griffe de composition qui indique bien qu’il faut laver à 30°C avec des couleurs identiques et repasser sur l’envers ; -5 en Endurance car elle est pleine de poussière et que Helmut est allergique) commence à binge mémoriser les incantations du premier grimoire qui lui tombe sous la main, et, la tête bien pleine à défaut d’être bien faite, sort de son antre à la nuit tombée pour se venger des loubards de Ragnar, qui ont entre temps convenablement massacrés la population locale, famille de Helmut comprise.

Arrivé sur les lieux de l’holocauste, notre apprenti liche (apprentiche ?) a tôt fait de réanimer ses anciens voisins et camarades3, et de les faire fondre sur le camp des pillards, qui, malgré la sentinelle et les feux allumés sur la plage, se font surprendre dans les grandes largeurs par les Zombies ninjas de Helmut. S’en suit un massacre à sens unique, duquel on se doute que Ragnar ne réchappe pas (en fait, on n’en a aucune idée, l’auteur n’ayant pas jugé bon de nous tenir au courant du destin de l’antagoniste principal), qui laisse notre héros retourner à ses chères et chair études avec le sentiment du devoir accompli. Encore quelques années, et il aura rétabli la splendeur et le faste de la cour nécromantique que son tuteur squelettique avait établi sur la côte de la Mer des Griffes. C’est tout le mal qu’on lui souhaite, en tout cas.

AVIS:

Le récit que nous livre Charles Davidson, s’il s’avère être factuellement exact (ou, en tout cas, ne pas entrer en conflit frontal avec le fluff établi par ailleurs), diffère fortement des canons habituels de la Black Library, tant par le style que par l’atmosphère instillée par l’auteur à son histoire. Si la singularité du premier n’est somme toute que la marque d’une maturité en termes d’écriture, la seconde aurait gagné à se conformer davantage à l’approche majoritairement grimdark qui caractérise le background romancé de Warhammer Fantasy Battle. Ici, les éléments plus légers, comme un nécromancien de treize ans qui pratique les arts sombres en autodidacte et comme d’autres peuvent se découvrir une passion pour le crochet ou le rempaillage, une Liche paternaliste, ou un chef Maraudeur qui se soulage sur une ruine fumante après un carnage rondement mené, alternent avec les passages plus sombres, comme la tuerie de femmes et d’enfants par nos fripons de pirates. Rien de vraiment rédhibitoire au final, mais une sensation d’étrangeté qui peut intéresser ou rebuter le lecteur, selon ses goûts et attentes.

On pourra cependant s’accorder sur le fait que l’intrigue de ce The Reavers & the Dead est loin d’être claire, Davidson insinuant que la Liche serait responsable de la pollution des eaux Norses, ce qui aurait déclenché la colère de ces derniers et le sac du village de Helmut… et précipité sa venue dans le F3 de sa Splendeur Anonyme ? Hmmmm, un peu capillotracté ce raisonnement, Mr Davidson. De même, la conclusion très anti-climatique du récit (les pirates se font massacrer par les zombies en trois lignes), si elle peut être mise sur le compte d’une approche du med fan moins hack & slash qu’il est de coutume pour WFB, peut laisser le lecteur sur sa faim. Bref, comme dirait le sage : ce n’est pas mauvais, c’est différent. Peut-être un peu trop, justement.

1 : On ne donne pas la recette exacte du breuvage, mais peut-être qu’un mélange un tiers harissa, un tiers tabasco, un tiers Red Bull ferait l’affaire.

2 : J’en veux pour preuve que les pirates réussissent à surprendre un pêcheur en train de repriser ses filets sur la jetée. Il devait être sourd et aveugle – ou alors très, mais très concentré – en plus d’être chauve, c’est pas possible autrement. Ah, ils arrivent aussi à massacrer les femmes et les enfants qui n’avaient pourtant rien d’autre à faire qu’à s’enfuir dans les bois le temps que l’orage passe.

3 : Dont un Julius Fleischer, qui est peut-être le père, le frère, l’oncle ou le cousin par alliance d’Angelika Fleischer ?

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The Other – N. Griffith :

INTRIGUE:

The Other

Art: Jim Burns

Accompagnant son père, le renommé et influent Doktor Franz Hochen jusqu’à Middenheim où il a affaire, Stefan Hochen, notre héros, fait la connaissance d’une mystérieuse baladine alors qu’il patiente1 sur l’un des viaducs d’accès de la cité du Loup Blanc, momentanément embouteillé par le renversement d’une carriole de vin (ce qui est un comble, si on y réfléchit). Cette dernière (la troubadour, pas la barrique de vinasse), ayant appris la médecine en autodidacte, se montre assez peu impressionnée par la manière cavalière dont l’honorable Doktor prend en charge l’accidenté, envoyé jusqu’à l’hospice de Shallya le plus proche par brouette pour cause de non-solvabilité manifeste2. Cette première rencontre, pour brève qu’elle fut, ayant un chouilla chamboulée notre Stefan, qui a embrassé la carrière paternelle par facilité et convénience plutôt que par réel intérêt, il est tout content de retomber sur l’inconnue du périf à l’occasion de sa soirée d’enterrement de vie d’interne en médecine, qu’il passe en compagnie de quelques amis dans la chaude ambiance de la taverne de la Lune Rouge.

La street medic, de son nom Katya Raine et de sa profession joueuse de tam tam (eh, il en faut), régale l’assistance d’une composition de son cru, narrant le destin tragique d’une jeune femme ayant eu le malheur de confondre une pierre de sang, aux propriétés curatives supposées, avec un éclat de malepierre. La caillasse, plongée dans les flammes en préparation d’une concoction miraculeuse, lui péta ainsi à la figure, fichant un fragment de roche chaotique dans le gras du bras de l’apprentie alchimiste. Le corps étranger n’ayant pu être retiré, la pauvresse, d’abord tourmentée par des cauchemars, puis des crises de somnambulisme extrêmes, finit par hériter d’un membre écailleux et griffu, avec lequel elle égorgea toute sa famille lors d’une nuit enfiévrée. Fin. C’est autre chose que Despacito, c’est sûr. Bien que la complainte du racaillou soit accueillie par des tonnerres d’applaudissements par l’assistance, Stefan se fait la réflexion, que, oh comme c’est bizarre, Katya a une écharpe nouée autour du bras, comme son héroïne lorsqu’elle cherchait à cacher son affliction à ses proches. Méfiance, méfiance. Mais béguin tout de même.

De plus en plus épris, Herr Hochen résout de jouer de ses relations (son père est l’autorité qui délivre les permis d’exercer aux médecins impériaux) pour gagner les faveurs de son crush, qu’il stalke avec insistance mais balourdise au cours des jours qui suivent. Furieux et jaloux de constater qu’elle s’est rendue dans la demeure de l’adjointe du Sorcier Suprême de Middenheim (Janna Eberhauer) – l’homophobie est toujours un fléau en 2425 –, il se fait carrément krav maga-er la face par sa chère et (pas si) tendre (que ça) lorsqu’elle se rend compte qu’il l’a prise en filature le lendemain. Cherchant à se faire bien voir, il accepte de l’accompagner alors qu’elle réalise sa tournée de bienfaisance parmi les déshérités de Middenheim, mais la simple vue d’Oliphant Man suffit à lui faire tourner les talons. Stefan Hochen, médecin mais surtout esthète.

Soupçonnant fortement que Katya se soit inspirée de son expérience personnelle pour écrire son tube inter-tavernial, Hochen insiste lourdement pour que la belle lui dévoile le bras qu’elle tient écharpe, en échange d’ingrédients médicinaux qu’elle ne pourra pas obtenir sans son aide, faute de licence. Le chantage à l’aspirine, c’est moche tout de même. Mais en tout cas ça marche. Déception ou soulagement pour le voyeur brachiophile, le biceps de Frau Raine est tout ce qu’il y a de plus banal. S’étant engagé à faire les courses pour sa comparse, notre héros réalise sur le chemin du retour, à la faveur d’un tour de passe passe commenté par une brave commère, qu’il s’est probablement fait rouler dans la farine par Katya. Si elle a placé l’écharpe autour de son bras, c’est pour attirer l’attention sur ce dernier et la détourner d’une autre partie de son anatomie… comme sa jambe, qui semble boiteuse depuis quelques temps. Mind blown.

Déterminé à faire quelque chose, et en tout cas, à vider son sac à une autorité compétente en matière de mutant, Stefan s’en va cafarder auprès de Janna Eberhauer, sans savoir que Katya est également présente (il y avait vraiment une romance à l’oeuvre entre les deux femmes), et qu’elle a demandé à la sorcière de l’aider à retirer l’éclat de malepierre qu’elle a reçu dans la cuisse avant que ce dernier ne lui fasse perdre pied (à tout point de vue). D’abord réticent à l’idée de donner un coup de main – c’est toujours dur d’apprendre qu’on est relégué à la friend zone – Stefan finit par se laisser convaincre, et, aidé par les incantions anesthésiques et purificatrices de Janna, parvient à extraire le grain fâcheux de sa patiente. Réalisant qu’il n’a aucune chance de conclure, mais tout de même beau joueur, il quitte son chevet en laissant la licence qu’il a fait signer par son père ainsi que ses sentiments les plus distingués et sa carte de visite, dans l’attente que Miss Raine, qui a prévu une petite virée au Kislev pour fêter sa rémission, revienne du côté du Middenheim. La persistance, c’est la clé.

AVIS:

On peut mettre au crédit de Nicola Griffith l’écriture de la première nouvelle intégrant une histoire d’amour homosexuelle de l’histoire de la fiction GW, et à celui des éditeurs et valideurs de l’époque (David Pringle et Bryan Ansell, probablement) l’inclusion d’un texte assez subversif à sa manière dans le premier ouvrage publié par GW Books. Ce qui peut sembler franchement banal aujourd’hui – et encore, on peine à voir les sujets de genre émerger dans les publications de la Black Library – l’était beaucoup moins en 1989, même s’il faut à mon avis voir dans cette nouvelle la tolérance d’une équipe éditoriale ne disposant pas d’un réservoir infini de contributeurs de bon niveau à solliciter, plutôt qu’un manifeste assumé pour la tolérance et l’inclusion. Parenthèse close.

Au delà de ces considérations méta-littéraires, The Other se révèle être une nouvelle assez sympathique à lire, présentant le double avantage de faire l’effort de s’intégrer dans l’univers de Warhammer de façon plausible (plus que d’autres soumissions de Ignorant Armies, flirtant parfois avec la parodie de façon un peu trop visible, ou présentant des signes évidents de « saupoudrage de background » afin de lier de façon artificielle le récit à la franchise à laquelle il est sensé appartenir), tout en conservant une originalité forte par rapport au courant hack & slash grimdark (si une telle juxtaposition est tolérée) aujourd’hui omniprésent dans les publications de la Black Library. En choisissant de mettre au même niveau d’importance le triangle amoureux reliant les protagonistes et le sombre secret de son héroïne, Griffith humanise fortement sa nouvelle, et donne la vision d’un Vieux Monde un soupçon moins cruel, méchant et violent qu’on en avait l’habitude. De la à soutenir que le pouvoir de l’amour peut faire obstacle à l’influence corruptrice et mutagène du Chaos, il y a un peu plus qu’un pas à franchir, mais à titre personnel, je dois dire que cette approche moins « tranchante » que d’accoutumée du sujet de la mutation n’a pas été pour me déplaire. En définitive, si vous appréciez l’approche « Craigesque » de Warhammer, je ne peux que vous conseiller de donner sa chance à The Other, qui présente une certaine similitude avec les travaux du grand Brian.

1 : Pour tuer le temps, il se représente les résultats d’infections cutanées particulièrement virulentes et purulentes chez tous les péquenauds qu’il croise. À chacun ses hobbies.

2 : À croire que dans l’Empire, le serment d’Hippocrate commence par « d’abord, ne pas faire crédit ».

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Apprentice Luck – S. Flynn :

Apprentice Luck

Art: Martin McKenna

INTRIGUE:

Assistant du peu commode, ni sobre d’ailleurs, libraire Otto von Stumpf à Middenheim, le jeune Karl Spielbrunner, laissé orphelin et sans ressources par la mort de son père, s’ennuie à mourir dans l’échoppe miteuse dans laquelle il passe ses journées. Rêvant d’une vie plus trépidante, il est exaucé sans le savoir lorsque qu’une commère vient lui vendre un livre de sorts qu’elle a récupéré sur un cadavre au pied de la Falaise des Soupirs (parce que le recyclage de macchabées est une activité tout à fait honorable à Middenheim). Songeant d’abord qu’il a moyen de tirer un petit bénéfice de la revente de l’opuscule à un des antiquaires de la cité, Karl a à peine le temps de parcourir quelques formules magiques de bas niveau1 de son acquisition – découvrant au passage une sorte de carte au trésor dissimulé dans la reliure de l’ouvrage –  que le sorcier qui a pris un Air B&B en face de la boutique débarque et déclare qu’il est à la recherche d’un livre que Von Stumpf & Son a récemment reçu, ou recevra bientôt (la magie, ce n’est pas toujours précis). Sentant qu’il a la possibilité de tirer une somme plus coquette que prévue de l’aventure s’il joue ses cartes dans l’ordre, Karl nie crânement avoir le bouquin en question, ce qui convainc le mage de quitter les lieux en jurant de revenir, mais non sans avoir jeté un regard lourd de sens à notre fripon de héros, en lui intimant de « se souvenir de ceci ». Vivement l’invention du post-it.

Un peu plus tard dans la soirée, ayant aidé son patron bien imbibé à retrouver le chemin de sa paillasse avant de continuer l’étude du mystérieux manuel convoité par Aldore Dumblebus, Karl surprend ce dernier en flagrant délit d’intrusion dans le local commercial en dehors des heures d’ouverture, et, ne donnant pas lourd de ses chances en face d’un authentique sorcier à grand nez (l’espèce la plus dangereuse), décide sagement de s’éclipser par derrière. Là, il tombe sur un mystérieux jeune homme habillé comme le valet de pique (c’est à dire de façon assez classe, mais totalement vieillotte), qui l’enjoint de le suivre pour éviter se prendre un Avada Kedavra dans le buffet. Acceptant la proposition sans trop réfléchir, Karl remarque quelques détails curieux chez son nouveau meilleur ami, comme le fait qu’il semble courir sans toucher le sol, qu’il ne respire pas vraiment, et qu’il utilise systématiquement le nous de majesté. Tout cela n’est définitivement pas très ulricain. Lui aussi très intéressé par l’incunable de Karl, et précisément par la carte qui s’y trouvait, il se fait convaincre par notre roublard de héros de se délester d’une bourse de pièces d’or, et de lui laisser 10% du trésor qui attend d’être collecté au bout du labyrinthe dessiné sur la fameuse carte, s’il accepte de le mener jusqu’à bon port. Ayant appris tous les détails du plan par cœur grâce à sa mémoire eidétique de Space Marine, Karl se fait fort de servir de guide urbain au généreux touriste, qui révèle s’appeller Argo.

Première étape pour nos larrons : accéder aux souterrains de Middenheim, là où se trouve le dédale en question. Ne souhaitant pas emprunter l’entrée officielle et se confronter à la Garde de la Cité, Karl emmène son pote jusque dans les bas-fonds de l’Ostwald, où il sait qu’une taverne possède une cave donnant sur les souterrains en question. Mettant à profit le chill absolu et le talent à l’épée d’Argo, et la brusque poussée de compétences magiques de Karl, qui se révèle tout à fait capable de lancer le sort de confusion survolé dans le grimoire lorsqu’un ruffian tente de lui mettre la main dessus (bien que l’effort se solde par une épistaxis carabinée), les compères descendent dans l’underground middenheimer, où, après avoir repoussé les assauts désorganisés d’une tribu de gobelins nains (des nobelins quoi), avec la même recette imparable que quelques niveaux plus haut (et les mêmes conséquences sanguines pour Coral), ils arrivent à l’entrée du labyrinthe.

Karl n’ayant pas sur-vendu ses capacités mnémoniques, et malgré une saute d’attention qui manque de lui retomber – littéralement – dessus, les aventuriers arrivent dans la salle du trésor, où, bien évidemment, Argo tombe le masque et se révèle être… une créature du chaos nécromantique. Un méchant en tout cas. Entendons-nous sur ceci et continuons. Ayant convoqué le trio de squelettes de fonction que tout boss de fin qui se respecte peut réclamer de la part des RH, le perfide antagoniste menace le pauvre Karl de mille maux s’il ne lui donne pas le mot de passe qui lui permettra d’accéder au butin. Fort heureusement pour Herr Spielbrunner, c’est le moment que choisit le sorcier du début de la nouvelle pour surgir – utilisant le trait de classe ‘un magicien n’est jamais en retard, et fuck la logique’ – et régler la situation d’un cantrip bien senti. S’en suit une nécessaire contextualisation, qui nous apprend que Big Nose est en fait le gentil, et que son apprenti a dérobé la carte à Argo et l’a dissimulé dans son livre de sorts pour empêcher le trésor de tomber entre de mauvaises mains. Malheureusement pour le brave stagiaire thaumaturge, il se fit coincer par le méchant et sa bande avant d’avoir pu regagner Poudlard, et préféra sauter de la Falaise des Soupirs plutôt que de remettre le plan. Voilà qui est corporate. La suite est facile à déduire, et il est révélé au passage que les pouvoirs inexpliqués et sanglants de Karl sont une sorte d’échantillon gratuit insufflé par Marlin le Chanteur à son jeune ami lors de leur première rencontre.

Les explications sont toutefois interrompues par le réveil d’Argo, qui ne pouvait pas décemment finir banni comme le premier goon venu. Le combat qui s’ensuit permet de percer le secret des origines de notre blanc méchant, qui s’avère être un cadavre animé par des milliers de scarabées, comme Karl en fait la découverte lorsqu’un coup d’épée bien placé déclenche une hémorragie de chitine chez sa majesté des élytres. Un sort de strip tease, et un autre de fumigation plus tard, et c’en est fait, cette fois pour de bon, de notre méchant bio-diversifié. La fin de la nouvelle n’est plus qu’une formalité pour la team Poulpesouffre : Karl prononce le mot de passe2, et le mage et son futur apprenti accèdent à la légendaire bibliothèque de Fistoria Spratz, un puissant mage… nain. Fail. Better (Apprentice) luck next time, Sean !

AVIS:

Difficile de déterminer s’il faut blâmer un background pas encore bien en place au moment de l’écriture de cette nouvelle ou un franc dédain de Sean Flynn pour ce dernier (les deux explications sont possibles d’après les témoignages de l’époque), mais force est de reconnaître que cet Apprentice Luck n’est guère fringant d’un point de vue fluffique, comme la lecture du résumé ci-dessus le fait apparaître de façon assez flagrante. Si le lecteur veut se donner la peine et la bonté de passer outre ce détail (qui ajoute au charme un peu suranné de la nouvelle de mon point de vue), il se retrouvera avec un récit d’aventures fantastique d’un classicisme consommé, soit très véridiquement, du sword & sorcery à la sauce Donjons & Dragons sans grande originalité ni valeur ajoutée. Si les critiques de forme peuvent être épargnées à Sean Flynn eut égard aux conditions dans lesquelles fut écrit Ignorant Armies, le fond n’est pas irréprochable non plus, ce qui est bien dommage. Résolvant tous les « points durs » de son intrigue par les tous premiers TGCM de l’histoire de la GW-Fiction, et livrant une intrigue d’une linéarité d’autoroute, Flynn/MacAuley donne l’impression d’un mercenaire littéraire plus intéressé par son chèque que par le respect du matériel original et le souci d’offrir à son lectorat une expérience satisfaisante. Ce qui a été sans doute le cas. Dommage.

1 : Dont un sort de confusion mineur, le fameux ‘Tooween zeyesnid zeuno tooween euguainst zeuno’.

2 : Que l’auteur ne nous révèle pas, ce qui est vraiment petit bras de sa part. Je soupçonne qu’il a simplement oublié d’insérer un set-up digne de ce nom dans son intrigue…

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A Gardener in Parravon – B. Craig :

A Gardener in Parravon

Art: IanMcCaig

INTRIGUE:

Dans la ville de Parravon, réputée dans le Vieux Monde pour ses jardins et ses oiseaux (eh oui), le jeune Armand Carriere, fils de marchands mais peu intéressé par en devenir un lui-même, se passionne pour le mystérieux jardin d’un voisin, qui semble attirer des nombreux oiseaux des environs. La propriété mitoyenne étant ceinturée d’un hallier aussi haut que fourni, notre héros ne peut qu’imaginer ce qui attire la faune ailée de Parravon dans le verger du sieur Gaspard Gruiller – le nom du voisin en question. Ayant remarqué que plus d’oiseaux semblaient s’approcher de l’endroit qu’en repartir, Armand suppute que le jardin abrite quelque espèce de plantes carnivores, comme celles qu’il a découvertes par le biais de ses lectures. Prêt à tout pour lever le mystère, il convainc un jour son ami Philippe Lebel de lui prête main forte afin de grimper sur le toit de la maison familiale, et ainsi bénéficier d’une meilleure vue sur les plates bandes de Monsieur Gruiller. Surpris par ce dernier, il a la surprise d’être convié par le voisin en question à visiter son jardin quelques jours plus tard, et de constater ainsi que ses suppositions étaient fondées. Gruiller entretient bien une espèce très particulière de fleurs, dont les tiges et les lianes capturent les oiseaux qui passent à portée pour s’en nourrir, et dont les fleurs, de fort belle taille, produisent un nectar particulièrement savoureux.

La nuit qui suit cette visite est agitée pour Armand, qui rêve qu’un démon mi-aigle, mi-poulet rôti, vient frapper à sa fenêtre pour l’emmener jusqu’au jardin voisin, afin qu’il puisse se nourrir, en compagnie de la volée chaotique qui butine gaiement dans les bosquets, du substantifique suc des orchidémoniques de ce bon Gruiller, le tout sous le regard attendri d’un démon majeur (mi-autruche mi-dinde rôtie) perché sur un champignon. Les légumes du dîner ne devaient pas être de première fraîcheur, c’est moi qui vous le dit. S’étant ouvert de son rêve à son pote Philippe Le Bel (pas encore Roy de France), Armand se fait convaincre par ce dernier que sa vision n’était justement qu’une vision, sans fondement sérieux. L’argumentation de Philou ne se montre toutefois pas aussi irréfutable que ce dernier le pensait, puisque l’on retrouve le lendemain le corps d’Armand suspendu dans la haie de Gruiller, comme s’il s’était jeté de sa fenêtre en contrebas. Le cadavre présente également de nombreuses lacérations, qui auraient pu être causées par des griffes ou par les épines du hallier, allez savoir. C’en est en tout cas fini de l’histoire d’Armand Carriere, le botaniste bohème, et de celle de Brian Craig, qui aura démontré une fois pour toute que le flower power n’est pas toujours aussi bénin qu’on le croit.

AVIS:

Les débuts de Brian Stableford, ici Brian Craig, dans la GW-Fiction présentent déjà les caractéristiques que l’on retrouvera dans ses contributions suivantes pour GW Books, Boxtree et même la Black Library. Un rythme posé, voire contemplatif (pour ne pas dire lent), une prose à la fois poétique et réfléchie, et la volonté de faire réfléchir ses lecteurs sur les grands principes et concepts sous-tendant l’univers dans lequel il fait évoluer ses personnages. C’est bien simple, le Vieux Monde n’apparaît jamais plus civilisé et raisonnable que sous la plume de Mr Craig, l’homme qui arriverait presque à banaliser les apparitions démoniaques (A Gardener in Parravon, The Winter Wind), et à respectabiliser la profession de Nécromancien (Who Mourns A Necromancer ?). Si cette nouvelle ne s’avère pas la plus réussie de ses soumissions à mes yeux – la faute à une absence de chute1 digne de ce nom – sa lecture s’avère tout aussi agréable que celle des travaux ultérieurs de notre homme. Une mise en bouche des plus satisfaisantes donc2.

1 : À moins que celle, littérale et fatale, d’Armand Carriere soit celle que nous attendions.

: Sache, fidèle lecteur, que je me suis retenu très fort de partir dans l’analyse psychanalytique de cette nouvelle, après m’être rendu compte que le rêve du héros peut être interprété de diverses façons lorsqu’on note que le pistil des fleurs de Gruiller arbore une forme phallique sans aucune équivoque (décrit dans le texte et repris dans l’illustration de la nouvelle). Je n’en dirai pas plus…

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The Star Boat – S. Baxter :

1

Art: Adrian Smith

INTRIGUE:

Alors qu’il buvait1 tranquillement dans une taverne de Norsca au retour d’une campagne victorieuse en Arabie, le farouche Erik the Were – à ne pas confondre avec le fantoche Eric the Woerth, un fameux alpiniste bretonnien – est abordé par un mystérieux étranger, qui souhaite s’attacher les services du lupin, à défaut d’être turlupin, mercenaire. Notre héros est en effet frappé d’une sorte de lycanthropie passive, se manifestant par une pilosité épaisse (ce qui lui a posé quelques problèmes dans son enfance) et la capacité, jamais utilisée à fond par le prudent Erik, de décupler ses forces en laissant libre cours à sa nature animale. Bien qu’ayant initialement refusé l’offre de cet intriguant et coassant mécène, Erik se rend le lendemain dans l’auberge où ce dernier réside, et apprend que Cotza – son nom – le Slann – son espèce – s’est lancé dans la quête d’un légendaire artefact remontant à la chute des portails polaires : un navire céleste (star boat) s’étant écrasé quelque part dans les Désolations du Chaos, à l’époque où elles étaient beaucoup moins désolées. Un peu réticent à l’idée de se mettre au service de Kermit, Erik finit toutefois par succomber aux trésors de persuasion de Cotza, qui l’envoie tout d’abord récupérer la carte indiquant l’emplacement exact de l’épave.

Le temps pour notre taciturne berserker de faire un aller-retour à Erengrad, où le parchemin en question est conservé dans le palais du gouverneur comme souvenir de la Grande Guerre contre le Chaos2, et les véritables préparatifs de l’expédition arctique peuvent commencer. Ayant recruté une petite armée de Nordiques pour l’emmener jusqu’aux côtes des Désolations, Cotza supervise la réalisation d’une sorte de roulotte isolée au mithril/gromril (métal magique réputé pour ses propriétés anti-chaotiques), et dotée de toutes les dernières options technologiques (GPS, climatisation, moteur 12 chevaux – de guerre – …), ce qui permettra à notre intrépide duo de se rendre sans trop de danger jusqu’au vaisseau en question. Le voyage aller se passe en effet sans trop de problème, les assauts d’une bande de Démonettes en maraude ricochant3 sur le blindage renforcé de la Kangoo de Cotza, et l’intrusion d’un Elémental d’air glacial et brutal dans l’habitacle du véhicule, permise par la trop grande porosité du système de ventilation, étant chaudement repoussée par les capacités de chauffagiste d’Erik.

Enfin, le mobil home s’arrête pile au dessus de l’épave, et le Slann et le Norse pénètrent dans le mythique vaisseau céleste. Leur exploration tourne toutefois rapidement court, lorsque Cotza décide de toucher au tableau de bord de ce qui semble être la salle des machines, et provoque des contre-mesures extrêmes de la part du Star Boat. Bilan : un bras arraché pour la grenouille impatiente, et un trou dans le toit de la roulotte tout terrain des aventuriers du pédalo perdu4. Heureusement qu’Erik est là pour ramasser et recoller les morceaux, son enchaînement garrottage + cautérisation du moignon cotzique sauvant la vie de l’amphibien, et son marouflage express de la toiture permettant à la paire d’échapper à une exposition prolongée à l’atmosphère délétère du Grand Nord. Il faut toutefois se résoudre à faire demi-tour sur ce constat d’échec, qui se retrouve agravé par la révélation que Cotza n’est finalement pas un vrai Slann (comme son incapacité à désactiver la protection du vaisseau céleste l’a fait supposer à Erik). La fourbe et veule grenouille s’avère être – tenez-vous bien – un paysan bretonnien, recruté contre son gré dans les armées du Roy Charles et ayant obtenu du mage de bataille servant dans l’ost royal une transmutation en Slann en échange de la remise d’un parchemin arcanique qu’il avait trouvé par hasard pendant un bivouac. Je ne parie que vous ne vous attendiez pas à cela. Moi non, en tout cas.

Le chemin vers la civilisation Norsca n’est pas une partie de plaisir pour Erik, malgré le retour des maraudeuses Slaaneshi, qui ont cette fois pensé à amener un minotaure avec elles, qui vient rapidement à bout du camping-car de Cotza, avant de s’en aller en rigolant bruyamment. L’homme triton ayant sombré dans l’apathie la plus profonde depuis sa mutilation – guère aidé dans sa convalescence par l’apparition d’une tête grotesque à l’extrémité de son moignon – Erik ne perd pas de temps à s’enquérir du bien-être de son commanditaire, et taille la route vers le Sud après s’être bibendum-mé de plaques de mithril. Hanté par des rêves et des visions interdits au moins de 18 ans, notre héros a également la malchance de se faire attaquer par une chimère constituée des chevaux utilisés pour tracter la Kangoo de fonction de Cotza, et de ce dernier (décidément toujours dans les bons coups). Poussé dans ses derniers retranchements par cette monstruosité mutante, Erik décide de laisser l’animal en lui prendre le dessus, ce qui lui permet de sortir victorieux de l’affrontement. Magie des latitudes nordiques, cet ultimate résulte de plus en la séparation de la partie humaine et de la partie lupine du mercenaire, qui revient donc au camp de base guéri de sa malédiction. Qui a dit qu’il ne se passait que des mauvaises choses dans les Désolations du Chaos ?

AVIS:

Récit d’aventures ambitieux par sa longueur (45 pages) et son approche du background de Warhammer Fantasy Battle, The Star Boat est une nouvelle qui mérite vraiment la lecture, même 30 ans après sa publication initiale. Bien que certains passages et détails n’aient pas résisté aux ravages du temps et des retcons du fluff, le choix de Baxter de traiter d’un artefact Slann perdu au milieu des Désolations Nordiques a contribué à « préserver » la pertinence de son propos. Si l’historique de WFB a beaucoup évolué au cours de ses décennies d’existence, la persistance des mythes entourant les Slanns/Anciens et la nature éminemment permissive des terres chaotiques, ou le hors-sujet est un concept inconnu, font de la lecture de The Star Boat une expérience moins étrange que celle d’autres antiques nouvelles, elles totalement et absolument démodées. Après tout, Bill King reprendra l’idée de l’aventure en rover dans le Grand Nord pollué du Vieux Monde dans sa série Gotrek & Felix : l’idée n’était donc pas si farfelue qu’elle peut paraître de prime abord.

Autre aspect de la nouvelle à mettre au crédit de l’auteur, son inventivité en termes d’intrigue. C’est bien simple, on ne sait jamais à quoi s’attendre dans ce périple nordique, ce qui est toujours appréciable pour le lecteur. Alors que d’autres soumissions du recueil Ignorant Armies sont bien plus linéaires et prévisibles dans leur déroulé, soit qu’il s’agisse de respecter un cahier des charges précis (Geheimnisnacht, la « mère » de toutes les nouvelles Gotrek & Felix), soit que l’auteur n’ait pas été très inspiré au moment de prendre la plume (Apprentice Luck, et dans une moindre mesure, The Reavers & the Dead et The Other), The Star Boat est très difficile à prédire, ce qui est une bonne chose !

On notera également que Baxter a bien pris la mesure du monde dans lequel il place son propos, convoquant aussi bien la Norsca que le Kislev, la Lustrie, l’Arabie, la Bretonnie et les Désolations du Chaos, ce qui sous-entend un sérieux effort de documentation de la part de notre homme, et est tout à son honneur.  De la même manière, et de façon plus métaphysique que géographique, le concept du Chaos est bien intégré et illustré dans la nouvelle, comme la fin peu ragoûtante de Cotza, premier (et probablement seul) personnage trans-racial de WFB, le démontre amplement. Cela peut sembler naturel de notre point de vue de lecteur de la Black Library, qui a la chance de pouvoir compter sur des cohortes d’auteurs expert ès-Chaos du fait de leur passif d’hobbyiste, mais en 1989, et comme il le révèle dans la chronique qu’il a consacré aux débuts de la GW-Fiction, Warhammer n’était qu’un univers de fantasy parmi d’autres, et tous les auteurs mis à contribution pour les premiers ouvrages de cette gamme n’ont pas pris le temps de potasser leur Realms of Chaos et Slaves of Darkness pour complaire à Pringle et Ansell. Bref, un texte intéressant à plusieurs chefs, que je conseille sans hésitation ni réserve aux lecteurs intéressés par une plongée dans les profondeurs mythiques de l’Oldhammer. Il y a bien pire, croyez-moi.

1 : Probablement le verre d’eau que tous les restaurateurs et taverniers sont obligés de servir gratuitement à quiconque en fait la demande, car notre homme n’est pas du genre à claquer sa paie en mojitos. 

2 : La nouvelle comporte, du fait de son grand âge, son lot de détails fluff incohérents avec le background canon. L’un d’entre eux est l’affirmation que ce serait le Gouverneur d’Erengrad qui aurait vaincu les armées chaotiques lors de la Grande Guerre contre le Chaos.

3 : Et pourtant, elles disposaient d’une épée tronçonneuse (dixit l’auteur en personne, je n’invente rien). Ah, la magie des cross-over…

4 : Les anciens Slanns n’étaient pas du genre à se contenter d’équiper leurs véhicules d’une simple alarme sonore.

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The Ignorant Armies – J. Yeovil :

2

Art: Adrian Smith

INTRIGUE:

Depuis dix ans, date du sac du manoir familial, du massacre de ses occupants et de l’enlèvement de son jeune frère Wolf par le Champion du Chaos Cicatrice (qui s’appelle ainsi à cause de… son strabisme appuyé, évidemment), Johann von Mecklenberg piste la bande de sa Némésis, espérant toujours pouvoir tirer son cadet des griffes du pillard balafré. Accompagné par son taciturne et ironique (on le surnomme l’Homme de Fer) tuteur, Vukotich, le jeune noble a traîné ses guêtres chamarrées et sa crinière de feu – si l’on se fie à la vision de John Blanche de son sujet – d’un bout à l’autre du Vieux Monde, et vécut maintes pittoresques aventures au passage, sans pour autant parvenir à refaire son retard sur l’insaisissable Cicatrice. Jusqu’à maintenant tout du moins.

S’étant arrêtés pour la nuit dans une sombre forêt du nord de Kislev, les chasseurs, après avoir achevé l’un de leurs chevaux qui montrait quelques signes de faiblesse, tendent un piège à un quatuor de mutants peu discrets, envoyés par ‘Tris leur régler leur compte. Comme les 798.841 fois précédentes – en dix ans, on a le temps d’en fomenter des embuscades – Jojo et Vuko s’en sortent haut la main, bien que ce dernier ait perdu quelques points de vie au contact du sang contaminé (un scandale !) de l’homme crapaud qu’il vient de mettre en bouteille. Il en faut toutefois plus pour décourager notre paire de choc, Johann bricolant fissa un brancard de fortune pour permettre à son mentor de passer une convalescence relativement confortable au cul de leur dernier cheval. Que demande le peuple. Ayant appris de la bouche l’orifice facial du meneur des traînards, une ancienne connaissance (Andreas) du manoir des von Mecklenberg ayant abandonné ses études de taxidermie pour devenir Élu du Chaos à la suite de la descente de Cicatrice, que ce dernier se dirigeait vers le Nord et un mystérieux champ de bataille, Johann mène ses suivants (je compte le cheval qui aurait dû s’appeler Tsar – it’s complicated –  parmi ces derniers pour pouvoir user du pluriel) dans la direction indiquée, et finit par déboucher sur une plaine jonchée de cadavres en divers états de décomposition.

Un hameau se dresse, de façon incongrue, au milieu du charnier, qui ne peut être que le champ de bataille auquel le moribond a fait référence. Hêlant les habitants du lieu afin d’obtenir l’hospitalité pour la nuit, Johann fait bientôt la rencontre d’une troupe de lunatiques bigarrés mais très cordiaux, qui acceptent sans trop discuter d’accueillir les deux nouveaux-venus dans leurs cahutes. Le dîner qui s’en suit permet au baron déchu de faire la connaissance du Nain Kleinzack, autorité temporelle de la communauté, et dont le mandat de maire n’est en rien perturbé par l’épée qui le traverse de part en part (blessure de guerre). Ce dernier informe obligeamment ses hôtes qu’ils ont bien atteint le lieu où, chaque nuit, les armées du Chaos s’affrontent pour gagner la faveur des Dieux Sombres. L’endroit est un détour obligé pour les Champions avides de faire leur preuve, et il n’est donc pas étonnant que Cicatrice ait emmené sa bande y passer le weekend. Comme en témoigne le vacarme assourdissant qui s’abat bientôt sur le village, la légende est tout ce qu’il y a de plus fondée, et, si le sommeil ne vient pas facilement à nos héros cette nuit là (en même temps, difficile de faire venir la maréchaussée dans le Pays des Trolls pour faire constater du tapage nocturne), ils s’endorment avec la certitude que leur quête est sur le point de s’achever.

3

Art: Adrian Smith

Le lendemain, Johann et Vukotich accompagnent leurs bienfaiteurs à la surface, où ces derniers s’activent à piller les cadavres et à nettoyer le champ de bataille afin que les combattants du soir puissent s’entre-tuer dans des conditions décentes. Demandant à tout hasard à Kleinzack s’il aurait entendu parler de la bande de Cicatrice, dont les guerriers arborent un éclair rouge à travers le visage, les deux voyageurs ont la surprise d’entendre ce dernier leur proposer de les mener jusqu’au chef de guerre en personne. Et en effet, c’est bien cette vieille badingue de Cicatrice que Johann et Vukotich trouvent à l’agonie sur le pré, bien loin de sa prime et terrifiante jeunesse il faut bien le dire. Avant que la mort ne l’emporte (un suicide plein de classe démontrant que, malgré ses méfaits, notre homme avait le cœur sur, ou en tout cas dans, la main), le vieux Champion révèle à un Johann outré s’être fait cruellement navrer par le plus si innocent que ça Wolf. Ce dernier a en effet repris les rênes de la bande depuis deux ans, reléguant Cicatrice à une pré-retraite honorifique, qui s’est donc finie en eau de boudin.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, J&V tombent dans l’embuscade tendue par Kleinzack et ses sbires, que Wolf a payé pour qu’ils leur remettent leurs indéfectibles poursuivants. Malheureusement pour le fourbe nain, son avidité le mènera à sa perte lorsque Johann parvient à se libérer de ses liens alors que le nabot était en train de lui faire les poches. Délesté de son épée au moment de sa capture, Johann se venge en faisant une « Roi Arthur » sur Kleinzack, lui empruntant l’épée qu’il avait en travers du thorax depuis toutes ces années, avec des conséquences fatales pour l’avorton. La nuit étant tombée entre temps, l’affrontement final entre les deux frères peut prendre place, et Johann fait bientôt face à son frangin, qui a acquis la plupart des caractéristiques de son animal totem depuis la dernière fois qu’il se sont vus, il y a dix ans.

Le combat entre les deux von Mecklenberg s’engage donc, tandis que Vukotich corrige les groupies de Wolf à grands coups de hache à l’arrière plan, et, alors que le nouveau chef de guerre semble insensible aux attaques fraternelles, Johann a soudain la bonne idée de viser l’épaule de son adversaire bestial. C’est là que la flèche qu’il avait tirée – comme une patate il faut bien le reconnaître – dix ans plus tôt au cours d’une chasse, avait atteint par erreur Wolf, et contraint ce dernier à retourner au manoir pour se faire soigner, juste au moment où Cicatrice frappait à la porte (pas de chance). Laissée sans traitement pendant une décennie, cette blessure, en tant que seul lien avec son passé « civilisé », constitue le point faible du Champion. Alors qu’il est sur le point de donner le coup de grâce à son frère, Johann est interrompu par le kill-bomb de Vukotich, qui se place sur la trajectoire de la lame et se retrouve prestement embroché. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que l’altruiste mentor a un plan pour inverser la malédiction chaotique ayant transformé Wolf, mais doit pour cela donner de sa personne, et de son sang, plus précisément. S’étant littéralement saigné aux quatre veines tout en marmonnant les incantations consacrées, Vuko’ tombe raide mort, le devoir accompli. Décidément, il ne fait pas bon s’appeler Iron Man. Son sacrifice n’est toutefois pas vain, un Wolf frais comme un gardon émergeant de la sorte de chrysalide magique s’étant refermée sur lui suite à ce rituel impromptu, et que Johann a défendue jusqu’à la levée du jour en bon grand frère protecteur qu’il est. Bref, si vous aviez encore besoin d’être convaincu que le don de sang peut sauver des vies, j’espère que vous êtes maintenant convaincus !

Ignorant Armies - 1

Art: John Blanche

AVIS:

Depuis son titre, d’une classe folle1 et d’un warhammerisme consommé (la véritable nature du Chaos n’apparaît pas à ceux qui se battent en son nom jusqu’à ce qu’il soit trop tard), jusqu’à sa conclusion heureuse-même-si-on-pourrait-arguer-qu-elle-n-est-pas-valide-d-un-point-de-vue-fluffique, The Ignorant Armies est une démonstration de ce qu’une nouvelle WFB devrait être. La quête décennale de Johann et de Vukotich à travers le Vieux Monde, sur les traces de l’insaisissable Cicatrice et sa bande de maraudeurs chaotiques, permet à Yeovil d’aborder tous les grands thèmes de l’univers de Warhammer : l’opposition/complémentarité entre l’ordre et le Chaos (depuis les ravages infligés par Cicatrice à l’Empire, dont il était un des défenseurs autrefois2, jusqu’au village du champ de bataille, « symbiote civilisé » opérant de concert avec l’anarchie de la mêlée perpétuelle qui sévit à sa porte), le grimdark héroïque3 (le cheval qu’on présente en détail avant de l’achever, faisant écho avec le sacrifice ultime de Vukotich à la fin de la nouvelle), l’étrangeté inquiétante et démente de l’univers (à peu près tous les habitants du village, avec des mentions spéciales attribuées à Kleinzack l’embroché et Mischa le polythéiste), sans oublier la nature proprement inhumaine et traître du Chaos, qui finit toujours par se retourner contre ses serviteurs. La description du terrible Cicatrice en vieillard défiguré par les mutations et laissé à l’agonie sur le champ de bataille est très intéressante de ce point de vue, mais l’accrochage avec Andreas en début de nouvelle tombe tout aussi juste.

En plus de faire carton plein sur le fond, Yeovil régale sur la forme, démontrant avec style et brio sa maîtrise de la nouvelle d’aventures. Son usage intelligent de flashbacks en début de récit donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un roman de trois cents pages plutôt que dans une nouvelle de cinquante, en plus de donner une profondeur certaine à la traque de Johann et de son mentor. Plutôt à l’aise dans la mise en scène de combats, une composante essentielle du genre, dont il faut savoir user sans en abuser, Jack Yeovil donne au lecteur ce qu’il est en droit d’attendre à ce niveau, mais ce sont bien dans les scènes plus « calmes », qu’il s’agisse de descriptions ou de dialogues, que les talents de conteur de notre homme se révèlent les plus prenants et efficaces.

Lire cette nouvelle, c’est toucher au cœur battant, à la fois pourri et grandiose, du fluff de Warhammer Fantasy Battle, et s’il n’y avait qu’un texte de GW-Fiction à recommander au nouveau-venu désireux de prendre la mesure de cet univers si particulier, The Ignorant Armies serait probablement mon choix.

: Comme l’indiquent les trois vers placés par l’auteur au début de la nouvelle, cette dernière a également été inspirée par le poème ‘Dover Beach’ de Matthew Arnold (1867).

2 : Décidément, Archaon n’a rien inventé.

3 : La notion que les « gentils » ne peuvent triompher sans consentir à de lourds sacrifices, alors que les « méchants » arrivent généralement facilement à leurs fins.

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The Laughter of the Dark Gods – W. King:

4

Art: Bob Naismith

INTRIGUE:

Chassé de ses terres par les manigances de sa famille, le noble Kurt von Diehl, accompagné d’un Kislevite chétif nommé Oleg Zaharoff, s’enfonce dans les Désolations du Chaos à la recherche de la puissance nécessaire pour reconquérir son fief. Ayant délesté un guerrier du Chaos malchanceux de ses armes et armures sur la route du trône de Khorne, Kurt progresse chaque jour plus au Nord, combattant les bandes rivales et attirant de nouveaux suivants1 à sa bannière, tandis que les dons du Dieu du Sang remodèlent sa chair selon le bon plaisir de ce dernier. Bien que sortant vainqueur de tous les défis et toutes les batailles croisant sa route, Kurt constate, entre deux crises de démence homicidaire, qu’il est lentement mais sûrement en train de perdre la boule, alors que les souvenirs de sa vie précédente s’effacent les uns après les autres.

La fin arrive lorsque, arrivé à hauteur d’un carrefour à sens giratoire (tout est possible dans les Désolations du Chaos), Kurt s’engueule avec le général de l’ost dans lequel lui et ses serviteurs ont été assimilés. Entre Khorneux, la discussion débouche rapidement sur un affrontement en bonne et due forme, pendant lequel, malgré la puissance apportée par son arbalète laser (lootée sur un Wookie de Khorne – tout est possible dans…) et les pouvoirs régénérants de la grande bannière sur laquelle il parvient à mettre la griffe, Kurt finit tout de même par passer l’arme à gauche. Petite consolation, ou ultime déchéance, le méritant Kurt reçoit une dédicace de Big K. avant de mourir de sa belle mort, son enveloppe charnelle explosant pour donner naissance à un démon. Et paf, ça fait des Chocapics un Buveur de Sang. Ou une Gargouille, ce qui serait moins la classe. Tout est possible… En tout cas, ça fait bien rire ce crâneur de Khorne, pépouze sur son trône. Thank you, next.

AVIS:

Si vous vous demandiez ce à quoi s’occupent les champions, aspirants, et autres stagiaires des Dieux Sombres lorsqu’ils prennent la route du pôle, The Laughter of Dark Gods est la nouvelle parfaite pour vous. Si l’histoire narrée par King n’est pas des plus originales, elle a le mérite de décrire de façon imagée, dérangeante et éminemment sanguinolente la déchéance/ascension (ça dépend du point de vue que l’on prend) d’un guerrier ayant vendu, mis en gage ou prêté pour deux minutes – ce qui revient au même – son âme aux Dieux Sombres. Arrivé dans les Désolations du Chaos avec un projet clair, un fidèle camarade et une apparence que l’on suppose être normale, Kurt von Diehl2 finit son parcours avec des idées très embrouillées, un Skaven de compagnie et la flexibilité plastique d’un Mr Patate démoniaque. Tel est le destin des fous qui succombent aux promesses impies des Fab Four, et si cela va sans doute sans dire pour les lecteurs aguerris de la BL et les hobbyistes vétérans, il faut bien réaliser qu’au moment où King a soumis sa nouvelle, le sujet n’avait simplement pas été couvert du tout dans des textes de fiction.

The Laughter of Dark Gods est donc la pierre fondatrice sur lequel s’est élevé le cairn du corpus chaotique, et, devrait être en conséquence une des premières lectures que le nouveau venu dans les mondes « merveilleux » de GW devrait s’enquiller. Même si ce ne sera pas souvent le cas – pas facile de mettre la main sur une nouvelle publiée en 1989 – ce texte mérite le détour, ne serait-ce que parce qu’il a véritablement réussi à passer à la postérité, et conserve, trente après son écriture, toute sa pertinence et son intérêt. Combien peuvent s’en targuer ? S’il y avait un GW-Fiction Wall of Fame, nul doute que The Laughter… y figurerait en bonne place. Et ça, ça se respecte.

: Parmi lesquels on compte le Prince Deiter le Stable (ou the Unchanging en VO), un aristocrate maniéré mais mortel à l’épée – comme Kurt en fera l’expérience – parlant en vieux françois et rejoignant les rangs des groupies de Kurt Khorben après un millénaire à tergiverser en périphérie des Désolations. Comme quoi, on peut être Deiter et pas déter’. Tout est possible dans les Désolations.

2 : Un descendant de la lignée maudite des von Diehl, dont on croisera d’autres représentants dans une aventure de Gotrek & Felix (du même Bill King), ‘Wolf Riders’.

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Alors, trente ans après, quel jugement porter, et que retirer de ce tout premier recueil de nouvelles made in Games Workshop ? Comme vous pouviez l’imaginer, plusieurs de ces soumissions présentent un caractère suranné, pour ne pas dire daté, qui, s’il peut parfois avoir un certain charme, peut également s’avérer d’une lecture difficile. Les canons narratifs de la BL étant très différents de ceux de son illustre aîné, l’expérience pourrait dérouter le novice. Bien évidemment, le fait que David Pringle ait eu le luxe de mettre à contribution des auteurs confirmés, ayant pour beaucoup développé un style et une approche de la Fantasy propres, et pas forcément en ligne avec les desiderata de la maison mère, explique ce dépaysement. Comme la – relative – rareté de cet opus viendra empêcher qu’il tombe entre les mains de tous les lecteurs, et que ces derniers l’auront très probablement choisi en connaissance de cause, je ne considère pas cette étrangeté comme rédhibitoire, en tout cas pas quand elle se double d’une réflexion et/ou d’un effort d’écriture manifeste. Il est cependant des nouvelles pour lesquelles on comprend en quelques pages que leur auteur s’était mis en stylo automatique, et pour lesquelles on n’aura donc aucune pitié dans l’appréciation. Déjà à l’époque, le cachetonnage pour raisons alimentaires existait, comme l’article de Steve Baxter (un des auteurs dont je pense qu’il a vraiment joué le jeu, à l’inverse) le souligne bien. Cela n’a pas empêché tous les contributeurs de cette anthologie d’avoir fait carrière en tant qu’écrivain – tant mieux pour eux – et il est assez drôle de constater que, si King est probablement l’auteur dont le nom aura le plus de chances d’être familier aux habitués de la BL, sa reconnaissance par le « grand public » de la littérature de genre est au contraire beaucoup plus faible que celle de ses petits camarades (à la niche, le Bill !).

La querelle des Anciens contre les Modernes évoquée et vidée, on peut reconnaître à Ignorant Armies des textes de qualité, si on les compare aux standards actuels de la Black Library. Bien sûr, Geheimnisnacht et The Laughter of the Dark Gods en font partie, ce qui n’est guère étonnant car on peut leur attribuer – en partie – la paternité du « BL-style ». The Star Boat  et Ignorant Armies, les deux nouvelles majeures (en termes de longueur) du recueil, méritent également une lecture, leurs auteurs ayant bien réussi à capter l’atmosphère de Warhammer dans leurs écrits, en plus de proposer des intrigues intéressantes. The Other et A Gardener in Parravon constituent des expériences assez agréables, même si pas transcendantes, et permettent d’appréhender une Fantasy très différente de celle qui finira par faire école chez Games Workshop. Il n’y a guère que The Reavers & the Dead et Apprentice Luck qui, à mon humble avis, ne s’avèrent pas très intéressantes à lire (facteur mon-dieu-ça-ne-ressemble-à-rien-de-ce-que-j-ai-pu-lire-avant évacué).

Autre point notable, et qui dénote du souci de GW de bien-faire, les illustrations pleine page dont le recueil bénéficie (au moins sous son édition GW Books) sont un plus très appréciables. Là aussi, on se retrouve parfois face à des visions d’artistes pas vraiment warhammeresque dans l’esprit et avec le recul (ma préférée restant celle de Geheimnisnacht, avec un Gotrek imberbe et baveur), mais pour certaines de remarquable qualité, et qui agrémentent agréablement la lecture.

Bref, le bilan est plutôt positif pour cette vieillerie (terme affectueusement utilisé ici, l’auteur de ces lignes étant quasiment aussi ancien que l’ouvrage qu’il chronique), que je place certainement dans le top 5 des meilleurs recueils de nouvelles WFB publiés par GW depuis l’origine. Il sera intéressant de comparer les qualités et lacunes d’Ignorant Armies avec celles de ses « frères et sœurs » de rayonnage (Wolf Riders, Red Thirst, et Deathwing), quand cela nous sera possible. D’ici là, bonnes lectures à tous, et à bientôt pour de nouvelles aventures !