Archives du blog

SILVER NAILS [WFB]

Bonjour à tous et bienvenue dans cette critique d’un recueil de nouvelles Warhammer Fantasy Battle doublement spécial: ‘Silver Nails’. Cet opus présente en effet la caractéristique notable de ne rassembler les œuvres que d’un seul auteur, Jack Yeovil (nom de plume de Kim Newman pour la GW-Fiction), ce qui n’est pas la norme pour une publication de la Black Library. La préférence de la maison d’édition va en effet vers les pots pourris collectifs en ce qui concerne les anthologies, et seuls quelques rares élus (William King, Dan Abnett, John French…) ont reçu l’insigne privilège de voir leurs courts formats réunis dans un ouvrage personnel. Vu l’importance cruciale qu’a eu Yeovil dans les premiers temps de la GW-Fiction, qu’il a soutenue à bout de bras et de stylo lorsque David Pringle et Bryan Ansell tentaient tant bien que mal de mettre au monde leur projet commun, il y a maintenant plus de 30 ans, ce traitement particulier était on ne peut plus mérité, même si les héros dont nous allons parler ici sont sans doute peu familiers à la plupart des lecteurs.

Sommaire Silver Nails (WFB)

La deuxième particularité de ‘Silver Nails’ est d’avoir été écrit sur deux périodes très distinctes. Les trois premières nouvelles de cette anthologie ont en effet été intégrées dans les premiers recueils de GW Books (‘The Ignorant Armies’, ‘Wolf Raiders‘ et ‘Red Thirst‘), parus entre 1989 et 1990. Si elles partagent la même bande de protagonistes (Genevieve la Vampire, Dietlef Sierck le dramaturge, Johann von Mecklenberg et son tuteur Vukotich, ‘Filthy’ Harald Kleindest et Rosanna Ophuls) que ces premiers écrits, la dernière histoire (‘The Ibby the Fish Factor‘) a elle été écrite beaucoup plus tard, peu de temps avant la première sortie de ‘Silver Nails‘ (2002). Quand à ‘The Warhawk’elle est restée dans les cartons de l’auteur pendant de nombreuses années, peut-être victime indirecte de l’instabilité chronique des premiers temps dela GW-Fiction (GW Books et Boxtree). Il s’agissait pour Yeovil de donner l’épaisseur requise à ce recueil, tout en rendant une dernière visite aux acteurs de sa trilogie ‘The Vampire Genevieve‘ avant de passer définitivement à autre chose. Profitons donc de l’intégration de ‘Silver Nails‘ dans la réédition récente de cet omnibus par la BL pour poursuivre notre œuvre de revue de nouvelles, en nous attaquant à un monument, oublié mais incontournable, de la GW-Fiction1.

1 : On peut regretter que cette réédition n’inclue pas, en tout cas sous sa forme numérique, la préface écrite par Yeovil à l’occasion de la sortie de la première anthologie Genevieve, en 2005. Cette dernière, présente sur le site de l’auteur, donne des informations intéressantes et n’est pas avare en commentaires savoureux sur la genèse de cette oeuvre.

;;;;;;;;;;;;;

.

Red Thirst :

INTRIGUE:

Réveil brutal pour Vukotich le mercenaire (dont nous croiseront l’incarnation vénérable dans ‘The Ignorant Armies’), qui émerge d’un coma moins éthylique que concussé, conséquence regrettable mais prévisible de sa grande idée de vouloir s’encanailler dans une taverne clandestine de Zhufbar, alors que Claes Glinka et ses séides y avaient pris leurs quartiers d’hiver. Qui est Claes Glinka, me demanderez-vous ? Eh bien, pauvres incultes que vous êtes, Herr Glinka n’est rien de moins que le Frigide Barjot du Vieux Monde, soit un zélote obscurantiste horrifié par la décadence des mœurs contemporaines, mais possédant un talent marketing et événementiel certain, ce qui lui a permis de recruter assez de followers et d’influence auprès des autorités compétentes – ici l’Empereur Luitpold – pour organiser des manifs pour (et contre) tous d’un bout à l’autre du pays. Entre deux autodafés, fermeture de bordels et abattage de vignobles, Glinka trouve également le temps d’ouvrir des Starbucks à la place des estaminets dans les villes que sa caravane visite. Bref, un fléau.

Vuko, lui, est un jeune mercenaire en quête d’un nouvel employeur, à la suite du décès prématuré du précédent, et qui se disait que passer une tête – moustachue – dans la cité où se tenait le Festival d’Ulric (l’équivalent de l’Eurosatory de l’Empire) serait une riche idée pour se trouver une nouvelle affectation. Peu concerné, ou sensible, aux arguments du Gardien de la Moralité, notre héros s’est donc fait surprendre en plein stupre (la fornication était en projet) par quelques croisés à gourdins, et revient à lui à l’arrière d’une carriole l’emmenant, ainsi que quelques dizaines de malheureux, dans des camps de travail gobelins. C’est comme ça que la Glinka se finance. Seule consolation, il réalise que le compagnon de travée auquel il est enchaîné est une fort accorte escort, embarquée comme lui par la patrouille. En tête de wagon, nous faisons la connaissance de Dien Ch’ing, Cathayen d’origine, comme son nom l’indique, et fidèle suivant de Glinka… en apparence. En fait, Ch’ing est un disciple de Tsien-Tsin, où Tzeentch comme certains l’appellent également, expulsé de sa pagode par les moines guerriers du Roi Singe, l’ennemi mortel des Dieux du Chaos dans le grand Orient. Guidé par ses visions, Ch’ing a infiltré la croisade de Glinka afin de porter quelques plans retors du Grand Architecte à maturité, et n’attend que le bon moment pour retourner son kimono. En attendant, il s’amuse à convoyer les mauvais sujets de l’Empire au goulag, ce qui est une activité comme une autre.

Un arbre tombé en travers de la route donne toutefois l’occasion à Vukotich d’échapper à ce funeste destin, notre intrépide Kislévite saisissant sa chance ainsi que son infortunée voisine, et plongeant dans la forêt en contrebas de la route après l’immobilisation du wagon. Outré par ce manque de savoir-vivre, Ch’ing envoie un trio de grouillots régler leur compte aux déserteurs, qui n’ont cependant aucun mal à en venir à bout. Craignant initialement que sa camarade de chaîne ne se révèle être un boulet (ce qui aurait été logique, finalement), Vukotich est favorablement surpris, et même impressionné, par l’agilité et la dextérité de sa compagne, dont l’aide se révèle précieuse pour dézinguer les goons de Ch’ing. C’est donc avec regret qu’il se résout à lui trancher la main avec l’épée qu’il a récupérée sur un cadavre de PNG malchanceux, afin de regagner sa liberté… sans grand succès. Et pour cause, sa comparse n’est autre que la vampire Genevieve, dont les super pouvoirs incluent donc une peau en kevlar (pratique). Mi (plutôt que morte) vivante avec des principes, elle pardonne à Vukotich son coup de sang, et, ne pouvant pas non plus briser les menottes qui les lient – surtout que la sienne est plaquée argent –, le convainc de faire équipe jusqu’à la première forge qui se présentera à eux. Proposition acceptée par son (désormais) side-kick, qui réalise de toute façon qu’il a intérêt à filer droit s’il ne souhaite pas terminer en casse-dalle pour amphisbaenae1.

img430Après quelques heures de marche, notre couple involontaire arrive dans un petit bled paumé, et réussit à squatter une cabane abandonnée pour permettre à Vukotich de reprendre des forces2. Par un hasard qui ne sera pas heureux pour tout le monde, comme nous allons le voir, cette même cabane a été choisie par deux individus de rang pour se rencontrer discrètement. Le premier est le Seigneur Maréchal de Zhufbar, Wladislaw Blasko, qui a laissé Glinka mettre la cité en coupe réglée sans faire trop de vagues… parce qu’il est lui aussi un agent du Chaos infiltré. Ça commence à faire beaucoup. Son interlocuteur est le Haut Prêtre de Tzeentch Yefimovich, ayant tiré le don « je suis une ampoule de feu rouge » dans la table des mutations, et habituellement stationné dans le Kislev, mais en goguette dans le Sud pour les vacances. Nos deux conspirateurs s’entretiennent de leur plan machiavélique, qui consiste en l’assassinat de Glinka lors d’une prochaine cérémonie, ce qui permettra à Blasko de prendre sa place à la tête de la croisade, et de laisser opportunément ouverts aux hordes orientales les cols des Montagnes Noires. Bien évidemment, Vukotich et Genevieve, camouflé sous un drap de scenarium, voient et entendent tout, et décident, à contre-cœur mais il le faut bien, d’aller sauver le Gardien de la Moralité pour éviter son remplacement.

Un peu plus loin, nous retrouvons Dien Ch’ing, perturbé par de sombres pressentiments et l’insatisfaction du devoir non-accompli. Ayant été chargé par Yefimovich d’occire Glinka, il ne veut rien laisser au hasard, et se lance dans une séance de divination à l’aide d’un bol tournant, ce qui lui permet d’assister par visio à la rencontre de son boss avec Blasko, mais également de s’apercevoir que ces derniers n’étaient pas seuls dans la piaule. Contrarié par ce coup du sort, il invoque le fantôme de l’un de ses vénérables ancêtres, l’honorable Xhou, aller négocier (ils sont urbains ces Cathayens) avec les contrevenants, afin qu’ils laissent les événements suivre leur cours. Malgré les trésors de courtoisie et de diplomatie dont fait preuve Xhou, qui se matérialise devant Vukotich et Genevieve alors qu’ils avaient repris la route de Zhufbar en charrette, il ne parvient pas à conclure un deal avec nos héros, qui finissent par le bannir comme l’ennuyeux pop-up spectral qu’il est. Au moins, Ch’ing aura essayé de résoudre le différent à l’amiable. Il passe à nouveau à l’action quelques heures plus tard en envoyant cinq élémentaux régler leur compte aux fâcheux à leur sortie de la ville de Chloesti, où les séides de Glinka avaient organisé un autodafé de la délation3 (c’est comme un pot de l’amitié, sauf que c’est différent), qui a fini dans une très chaude ambiance4. Dépassés par les événements, les aventuriers s’en sortent grâce à la culture G de Mme G, qui réussit à monter les démons les uns contre les autres en demandant innocemment qui avait la plus grosse… énergie mystique parmi le quintet, provoquant un affrontement fratricide aux résultats peu concluants.

Tout est prêt pour le grand final de cette longue nouvelle. Genevieve et ce gros dalleux de Vukotich arrivent sur les rivages de la Blackwater, trouvent un bateau de pêche et partent à la rame vers Zhufbar. Dans la cité, Ch’ing se prépare à commettre l’irréparable au cours d’une adresse publique de Glinka, organisée sur la plage municipale (pourquoi se priver ?). Le plan machiavélique et savamment planifié de nos affreux est toutefois contrarié par l’arrivée soudaine de Genny et Vuko, qui parviennent à créer une belle pagaille parmi l’auguste assemblée, peut-être en exhibant les parties charnues de leur anatomie à la cantonade. Hé, il faut ce qu’il faut. La dague magique de Ch’ing n’ayant pas eu le temps de charger totalement, le cultiste voit s’enfuir sa cible sans avoir pu tenter sa chance. Il a toutefois l’occasion de se venger des éléments perturbateurs et de leurs gros nez d’Occidentaux en leur faisant bénéficier d’un masterclass de MMA5.

Le combat qui s’engage voit le bonze démoniaque tenter de mettre des grands chassés dans la face de ses Némésis, avec des résultats peu concluants, la vampiritude de Genevieve lui permettant d’esquiver ou d’encaisser facilement les coups de pied retournés et manchettes cathayennes de Ch’ing. On suppose que Vukotich, toujours enchaîné à sa dulcinée, a dû avoir un bras disloqué à la fin de la journée. Frustré dans ses tentatives de muay-thaï, l’expat’ se rabat sur ses pouvoirs arcaniques pour finir le taf, mais se trouve là encore contrecarré, cette fois-ci par l’alliance, que dis-je, l’alliage, de circonstance entre le fer et l’argent des chaînes liant Genevieve et Vukotich, qui se révèle être l’anathème du choke-tilège jeté par Ch’ing sur le malheureux Glinka. L’homme sage connaissant ses limites, le moine Ch’(aol)ing décide enfin d’aller voir ailleurs si Tsien-Tsin y est, et prend son congé de Zhufbar, non sans promettre à Genevieve qu’il reprendra contact sous quinzaine (de jours, d’années ou de siècles, mystère). On se rend alors compte que Blasko, qui avait tenté d’aider son pote chaotique dans la mêlée en surinant Vukotich, est tombé dans la Blackwater en armure complète, et peut donc être rayé des cadres. Plus intéressant, l’inflexible puritain Glinka se révèle être un mutant, comme l’atteste la paire de bras surnuméraires qu’il dissimulait sous sa chasuble. C’en est fini de sa croisade, et probablement de son existence, si l’Empire se révèle fidèle à sa politique en matière de diversité.

Fatigué par les événements, Vukotich pique un gros roupillon de deux jours sitôt ses menottes ôtées par le forgeron de fonction, et apprend à son réveil que sa partner in crime-solving n’a pas fait de vieux os à Zhufbar, et est repartie vivre sa non-vie dans l’anonymat qui lui convient mieux. C’est l’affable Maximilian von Konigswald, père d’Oswald (le vainqueur de Drachenfels et compagnon d’armes de Genevieve), qui met le mercenaire au courant des dernières actualités, entre deux rasades d’eau de vie. Plaqué par son crush, Vukotich se sent tout d’un coup bien chose, mais, rassurez-vous, il s’en remettra.

1 : Vous ne savez pas ce que c’est ? Moins non plus. Seul Jack Yeovil est au courant, à mon avis.
2 : Et de rêver, prémonitoirement, d’une bataille au sommet du monde mettant aux prises une faune bigarrée. Il l’ignore encore, mais il s’agit de la conclusion d’Ignorant Armies.
3 : Et où Genevieve rencontre un tout jeune Dietlef Sierck (‘Drachenfels’) déjà sensible aux choses artistiques, et son acariâtre môman.
4 : Pour Vukotich aussi, notez, car une péripétie annexe mais distrayante voit nos héros passer la nuit dans un hôtel de passe reconverti en établissement honorable à la suite des puritains de Glinka, et profiter l’un de l’autre pour réaliser un échange de fluides. Surpris au réveil par une bande de clercs de notaires patibulaires, nos tourtereaux étaient sur le point de se marier sous la contrainte au moment où arriva le cinquième élément (et ses potes avec lui).
: Ce qui dans ce contexte veut dire Mystic Martial Arts.

AVIS:

‘Red Thirst’ (baptisé ainsi en référence au penchant de Genevieve pour le gros rouge) est une des nouvelles qui justifient que l’on s’intéresse de plus près aux origines de la GW-Fiction. Jack Yeovil fait en effet très fort avec cet épisode de ce que l’on doit bien appeler son cycle Genevieve, en parvenant à cocher toutes les cases du cahier des charges de ce type de publication. On pourrait bien sûr parler de son choix de mettre en avant un pan mystérieux du fluff de Warhammer Fantasy, et ce faisant, de le développer, par l’inclusion du personnage de Ch’ing (à ma connaissance le seul Cathayen dépeint dans une œuvre de fiction). Il faudrait alors souligner qu’en quelques lignes, Yeovil parvient à donner une véritable impression d’exotisme et de profondeur à un concept sur lequel GW s’est assis pendant plus de trente ans. Les apports de background ne se cantonnent cependant pas à l’Extrême Orient : l’Empire en bénéficie également, tant au niveau culturel que géopolitique. Et que dire de la figure de Yefimovich, qui illumine (dans tous les sens du terme) de sa présence les quelques pages dans lesquelles il apparaît.

Une autre réussite à mettre au crédit de Jack Yeovil réside dans la construction et le déroulement de son propos, qui enchaîne les péripéties avec un rythme et une facilité déconcertants. La taille du résumé (qui porte bien son nom, car il en reste de là où ça vient) ci-dessus devrait vous donner une bonne idée de la richesse narrative de Red Thirst. C’est la marque des grands conteurs que d’arriver à agencer leur récit sans temps mort ni à coups, et Yeovil fait définitivement partie de cette catégorie. Soulignons en outre la belle variété d’ambiance dont bénéficie cette nouvelle, du grimdark as usual au vaudeville (la scène dans l’hôtel de passe est savoureuse) en passant par la fugace romance entre Vukotich et Genevieve et la légende orientale (l’attaque des élémentaux). Peu nombreux sont les textes de GW-Fiction disposant d’une telle amplitude, bien que l’on puisse également citer William King (un autre grand ancien) ici.

Terminons par la remarque que Jack Yeovil a sans doute été le premier auteur de GW à raisonner en termes d’univers narratif, bien des années avant qu’Abnett ne créé son Daniverse, imité par Graham McNeill et d’autres contributeurs de la Black Library au fil des années. Les liens d’intrigues tissés par Yeovil dans ce Red Thirst sont une autre très bonne raison de lire cette nouvelle… si vous êtes familiers avec la galerie de personnages créés par l’auteur. Genevieve, bien sûr, mais également Vukotich (Ignorant Armies, qui gagne ici son surnom d’Homme de Fer), la lignée des von Konigswald (Drachenfels), un Dietlef Sierck en culottes courtes (ibid)… et sans doute d’autres figures que Yeovil a repris dans d’autres nouvelles et romans lors de sa pige pour Games Workshop. Mine de rien, savoir que l’investissement dans le corpus d’un auteur sera récompensé par des caméos, clins d’œil et autres easter eggs constitue une motivation forte pour le lecteur, et je suis plus déterminé que jamais à combler mes lacunes en Yeovilerie1. Bref, une authentique pépite de la littérature GWesque, injustement condamnée à l’oubli par la politique éditoriale de Nottingham. Si cette critique ne vous donne ne serait-ce que l’envie de vous pencher sur le cas Jack Yeovil (toujours non-traduit à l’heure actuelle, et c’est tragique), elle aura atteint son objectif.

1 : Je suis sûr que cela fera de moi un nouvel homme. 😉

.

Ignorant Armies :

INTRIGUE:

Depuis dix ans, date du sac du manoir familial, du massacre de ses occupants et de l’enlèvement de son jeune frère Wolf par le Champion du Chaos Cicatrice (qui s’appelle ainsi à cause de… son strabisme appuyé, évidemment), Johann von Mecklenberg piste la bande de sa Némésis, espérant toujours pouvoir tirer son cadet des griffes du pillard balafré. Accompagné par son taciturne et ironique (on le surnomme l’Homme de Fer) tuteur, Vukotich, le jeune noble a traîné ses guêtres chamarrées et sa crinière de feu – si l’on se fie à la vision de John Blanche de son sujet – d’un bout à l’autre du Vieux Monde, et vécut maintes pittoresques aventures au passage, sans pour autant parvenir à refaire son retard sur l’insaisissable Cicatrice. Jusqu’à maintenant tout du moins.

S’étant arrêtés pour la nuit dans une sombre forêt du nord de Kislev, les chasseurs, après avoir achevé l’un de leurs chevaux qui montrait quelques signes de faiblesse, tendent un piège à un quatuor de mutants peu discrets, envoyés par ‘Tris leur régler leur compte. Comme les 798.841 fois précédentes – en dix ans, on a le temps d’en fomenter des embuscades – Jojo et Vuko s’en sortent haut la main, bien que ce dernier ait perdu quelques points de vie au contact du sang contaminé (un scandale !) de l’homme crapaud qu’il vient de mettre en bouteille. Il en faut toutefois plus pour décourager notre paire de choc, Johann bricolant fissa un brancard de fortune pour permettre à son mentor de passer une convalescence relativement confortable au cul de leur dernier cheval. Que demande le peuple. Ayant appris de la bouche l’orifice facial du meneur des traînards, une ancienne connaissance (Andreas) du manoir des von Mecklenberg ayant abandonné ses études de taxidermie pour devenir Élu du Chaos à la suite de la descente de Cicatrice, que ce dernier se dirigeait vers le Nord et un mystérieux champ de bataille, Johann mène ses suivants (je compte le cheval qui aurait dû s’appeler Tsar – it’s complicated –  parmi ces derniers pour pouvoir user du pluriel) dans la direction indiquée, et finit par déboucher sur une plaine jonchée de cadavres en divers états de décomposition.

Un hameau se dresse, de façon incongrue, au milieu du charnier, qui ne peut être que le champ de bataille auquel le moribond a fait référence. Hêlant les habitants du lieu afin d’obtenir l’hospitalité pour la nuit, Johann fait bientôt la rencontre d’une troupe de lunatiques bigarrés mais très cordiaux, qui acceptent sans trop discuter d’accueillir les deux nouveaux-venus dans leurs cahutes. Le dîner qui s’en suit permet au baron déchu de faire la connaissance du Nain Kleinzack, autorité temporelle de la communauté, et dont le mandat de maire n’est en rien perturbé par l’épée qui le traverse de part en part (blessure de guerre). Ce dernier informe obligeamment ses hôtes qu’ils ont bien atteint le lieu où, chaque nuit, les armées du Chaos s’affrontent pour gagner la faveur des Dieux Sombres. L’endroit est un détour obligé pour les Champions avides de faire leur preuve, et il n’est donc pas étonnant que Cicatrice ait emmené sa bande y passer le weekend. Comme en témoigne le vacarme assourdissant qui s’abat bientôt sur le village, la légende est tout ce qu’il y a de plus fondée, et, si le sommeil ne vient pas facilement à nos héros cette nuit là (en même temps, difficile de faire venir la maréchaussée dans le Pays des Trolls pour faire constater du tapage nocturne), ils s’endorment avec la certitude que leur quête est sur le point de s’achever.

Le lendemain, Johann et Vukotich accompagnent leurs bienfaiteurs à la surface, où ces derniers s’activent à piller les cadavres et à nettoyer le champ de bataille afin que les combattants du soir puissent s’entre-tuer dans des conditions décentes. Demandant à tout hasard à Kleinzack s’il aurait entendu parler de la bande de Cicatrice, dont les guerriers arborent un éclair rouge à travers le visage, les deux voyageurs ont la surprise d’entendre ce dernier leur proposer de les mener jusqu’au chef de guerre en personne. Et en effet, c’est bien cette vieille badingue de Cicatrice que Johann et Vukotich trouvent à l’agonie sur le pré, bien loin de sa prime et terrifiante jeunesse il faut bien le dire. Avant que la mort ne l’emporte (un suicide plein de classe démontrant que, malgré ses méfaits, notre homme avait le cœur sur, ou en tout cas dans, la main), le vieux Champion révèle à un Johann outré s’être fait cruellement navrer par le plus si innocent que ça Wolf. Ce dernier a en effet repris les rênes de la bande depuis deux ans, reléguant Cicatrice à une pré-retraite honorifique, qui s’est donc finie en eau de boudin.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, J&V tombent dans l’embuscade tendue par Kleinzack et ses sbires, que Wolf a payé pour qu’ils leur remettent leurs indéfectibles poursuivants. Malheureusement pour le fourbe nain, son avidité le mènera à sa perte lorsque Johann parvient à se libérer de ses liens alors que le nabot était en train de lui faire les poches. Délesté de son épée au moment de sa capture, Johann se venge en faisant une « Roi Arthur » sur Kleinzack, lui empruntant l’épée qu’il avait en travers du thorax depuis toutes ces années, avec des conséquences fatales pour l’avorton. La nuit étant tombée entre temps, l’affrontement final entre les deux frères peut prendre place, et Johann fait bientôt face à son frangin, qui a acquis la plupart des caractéristiques de son animal totem depuis la dernière fois qu’il se sont vus, il y a dix ans.

Le combat entre les deux von Mecklenberg s’engage donc, tandis que Vukotich corrige les groupies de Wolf à grands coups de hache à l’arrière plan, et, alors que le nouveau chef de guerre semble insensible aux attaques fraternelles, Johann a soudain la bonne idée de viser l’épaule de son adversaire bestial. C’est là que la flèche qu’il avait tirée – comme une patate il faut bien le reconnaître – dix ans plus tôt au cours d’une chasse, avait atteint par erreur Wolf, et contraint ce dernier à retourner au manoir pour se faire soigner, juste au moment où Cicatrice frappait à la porte (pas de chance). Laissée sans traitement pendant une décennie, cette blessure, en tant que seul lien avec son passé « civilisé », constitue le point faible du Champion. Alors qu’il est sur le point de donner le coup de grâce à son frère, Johann est interrompu par le kill-bomb de Vukotich, qui se place sur la trajectoire de la lame et se retrouve prestement embroché. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que l’altruiste mentor a un plan pour inverser la malédiction chaotique ayant transformé Wolf, mais doit pour cela donner de sa personne, et de son sang, plus précisément. S’étant littéralement saigné aux quatre veines tout en marmonnant les incantations consacrées, Vuko’ tombe raide mort, le devoir accompli. Décidément, il ne fait pas bon s’appeler Iron Man. Son sacrifice n’est toutefois pas vain, un Wolf frais comme un gardon émergeant de la sorte de chrysalide magique s’étant refermée sur lui suite à ce rituel impromptu, et que Johann a défendue jusqu’à la levée du jour en bon grand frère protecteur qu’il est. Bref, si vous aviez encore besoin d’être convaincu que le don de sang peut sauver des vies, j’espère que vous êtes maintenant convaincus !

AVIS:

Ignorant Armies - 1Depuis son titre, d’une classe folle1 et d’un warhammerisme consommé (la véritable nature du Chaos n’apparaît pas à ceux qui se battent en son nom jusqu’à ce qu’il soit trop tard), jusqu’à sa conclusion heureuse-même-si-on-pourrait-arguer-qu-elle-n-est-pas-valide-d-un-point-de-vue-fluffique, The Ignorant Armies est une démonstration de ce qu’une nouvelle WFB devrait être. La quête décennale de Johann et de Vukotich à travers le Vieux Monde, sur les traces de l’insaisissable Cicatrice et sa bande de maraudeurs chaotiques, permet à Yeovil d’aborder tous les grands thèmes de l’univers de Warhammer : l’opposition/complémentarité entre l’ordre et le Chaos (depuis les ravages infligés par Cicatrice à l’Empire, dont il était un des défenseurs autrefois2, jusqu’au village du champ de bataille, « symbiote civilisé » opérant de concert avec l’anarchie de la mêlée perpétuelle qui sévit à sa porte), le grimdark héroïque3 (le cheval qu’on présente en détail avant de l’achever, faisant écho avec le sacrifice ultime de Vukotich à la fin de la nouvelle), l’étrangeté inquiétante et démente de l’univers (à peu près tous les habitants du village, avec des mentions spéciales attribuées à Kleinzack l’embroché et Mischa le polythéiste), sans oublier la nature proprement inhumaine et traître du Chaos, qui finit toujours par se retourner contre ses serviteurs. La description du terrible Cicatrice en vieillard défiguré par les mutations et laissé à l’agonie sur le champ de bataille est très intéressante de ce point de vue, mais l’accrochage avec Andreas en début de nouvelle tombe tout aussi juste.

En plus de faire carton plein sur le fond, Yeovil régale sur la forme, démontrant avec style et brio sa maîtrise de la nouvelle d’aventures. Son usage intelligent de flashbacks en début de récit donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un roman de trois cents pages plutôt que dans une nouvelle de cinquante, en plus de donner une profondeur certaine à la traque de Johann et de son mentor. Plutôt à l’aise dans la mise en scène de combats, une composante essentielle du genre, dont il faut savoir user sans en abuser, Jack Yeovil donne au lecteur ce qu’il est en droit d’attendre à ce niveau, mais ce sont bien dans les scènes plus « calmes », qu’il s’agisse de descriptions ou de dialogues, que les talents de conteur de notre homme se révèlent les plus prenants et efficaces.

Lire cette nouvelle, c’est toucher au cœur battant, à la fois pourri et grandiose, du fluff de Warhammer Fantasy Battle, et s’il n’y avait qu’un texte de GW-Fiction à recommander au nouveau-venu désireux de prendre la mesure de cet univers si particulier, The Ignorant Armies serait probablement mon choix.

: Comme l’indiquent les trois vers placés par l’auteur au début de la nouvelle, cette dernière a également été inspirée par le poème ‘Dover Beach’ de Matthew Arnold (1867).
2 : Décidément, Archaon n’a rien inventé.
3 : La notion que les « gentils » ne peuvent triompher sans consentir à de lourds sacrifices, alors que les « méchants » arrivent généralement facilement à leurs fins.

.

No Gold in the Grey Mountains :

INTRIGUE:

No Gold in the Grey MountainsJoh Lamprecht, patron d’une TPE de collecte de fonds dans l’arrière-pays du Reikland, emmène sa bande de hors la loi à l’assaut de la diligence transportant les taxes de la ville minière de Raukner jusqu’aux coffres du bon empereur Karl Franz, lorsque le destin lui joue un bien vilain tour. Le fiacre ciblé se révèle inexplicablement dénué du précieux chargement convoité par les bandits1, qui peuvent cependant se consoler, après s’être passé les nerfs sur le pauvre conducteur et le noble pompeux qui voyageait dans la carriole (et s’est rendu compte de la dangerosité insoupçonnée de l’essuyage de carreaux, si votre interlocuteur a une arbalète), à la vue de la dernière passagère. La dame Melissa d’Acques, 12 ans, autant de neurones et, surtout, son papa très riche, peuvent en effet faire le bonheur de Joh et consorts, pour un peu que l’ado attardée sur laquelle ils ont mis la main, et qui ne réalise pas du tout la gravité de sa situation, leur donne les moyens d’expédier une demande de rançon en bonne et due forme à l’un de ses nombreux domiciles.

Pour l’heure, les malfrats (l’affreux Johjoh, le nemrod anxieux Yann Groeteschele, le gladiateur psychopathe et lycantrope Rotwang, et Fat Fool Freder, comme ses collègues l’appellent) décident d’emmener leur invitée jusqu’à leur camp de base, installé dans les ruines lugubres mais désertes du château de Drachenfels (l’histoire se déroule après la purge organisée par Oswald et Genevieve). L’ambiance n’est pas folichonne et la déco franchement datée, mais les voisins ne viennent pas vous embêter, c’est certain. La nuit tombée et Melissa enfermée dans sa chambre, la bande se réunit pour établir un plan d’actions visant à enfin toucher le gros lot, après des mois de chiche brigandage. Cependant, à l’intérieur du château abandonné, une ancienne et maléfique présence s’est éveillée, et Melissa pourrait bien ne pas être la seule à devoir se faire un mauvais sang…

1 : Qui aurait dû se douter que les braves mineurs de Raukner, dont trois virements avaient déjà été interceptés par les ruffians dans des conditions similaires, avaient changé leurs préférences de paiement. Un petit Lydia, ça change tout.

AVIS:

Après avoir donné un petit masterclass en matière de nouvelle d’aventures à la sauce Warhammer dans son Ignorant Armies, publié dans le recueil du même nom, Yeovil se penche sur un genre qu’il maîtrise particulièrement : l’horreur. Et si on ne retrouve pas ici de personnage précédemment mis en scène par l’auteur, mis à part une discrète mention de Geneviève et d’Oswald, l’utilisation du château – abandonné – de Drachenfels comme décor de ce court format à la sauce survival/maison hantée ferait presque illusion, tant ce lieu maudit pèse sur l’ambiance et l’intrigue de No Gold… On parle souvent d’Abnett comme le mètre étalon de la GW-Fiction, et c’est indubitablement vrai pour la production moderne et contemporaine de cette dernière (depuis le lancement de la Black Library, pour simplifier), mais Yeovil aurait fait un concurrent sérieux s’il avait repris du service après la fin de l’aventure GW Books/Boxtree. Ici, l’auteur démontre en quelques paragraphes sa capacité à instiller une atmosphère et convoquer des personnages plus intrigants qu’attachants, faisant de cette nouvelle un authentique page-turner. À un autre niveau, l’intégration d’un rebondissement final à l’intrigue permet de voir « travailler » un scénariste doué, que l’on ait deviné qui était l’antagoniste1 avant le dénouement final – auquel cas, on remarque l’habileté avec laquelle Yeovil entraîne le lecteur sur une fausse piste, en évitant avec maestria le moindre « faux raccord narratif » – ou bien que la surprise joue à plein – chanceux que vous êtes ! Blooding on the cake, on a même droit à quelques éléments de fluff, qui, si on peut douter de leur caractère canonique2 aujourd’hui, apportent une valeur ajoutée supplémentaire à No Gold… Bref, nous tenons ici, près de 30 ans avant que GW ne se lance sur le créneau, la toute première nouvelle de Warhammer Horror, qui n’a pas pris une ride et ferait une pièce centrale de choix dans les anthologies modernes de la BL. Faîtes moi confiance, je les ai lues…

1 : Ce qui était mon cas à la seconde lecture (qui a pris place tellement longtemps après la première que j’avais tout oublié de l’histoire, donc il y avait tout de même un challenge !). Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu une sorte d’épiphanie à la « Entretien avec un Vampire » au moment de la première apparition de la vieille dans la nouvelle.
2 : Friendly reminder que Yeovil a tellement impressionné le patron de l’époque de GW, Bryan Ansell, que ce dernier a arbitré un conflit de background en faveur de l’écrivain. C’est ainsi que Genevieve est restée une Vampire au lieu de devenir une Elfe.

.

The Warhawk :

INTRIGUE:

La bête qui terrorisait Altdorf (‘Beasts in Velvet’) a beau avoir été mise hors d’état de nuire, la nature a horreur du vide et un nouveau tueur en série est venu égayer les rues de la capitale impériale, pour le plus grand divertissement macabre des sujets de Karl Franz. Enfin, ceux qui ne tombent pas sous les coups, ou plutôt, les serres, de l’Autour (Warhawk en anglais1), un psychopathe de haute volée assassinant ses proies par l’intermédiaire de son rapace soigneusement dressé, Belle. On pourrait se dire qu’un faucon n’est pas de taille à tuer un être humain normalement constitué, mais si l’oiseau dispose de rasoirs au bout des pattes et a été dressé pour viser la jugulaire, je pense que ça se tente. Ca tombe bien, c’est ici le cas. Si l’Autour tue, c’est parce qu’il est convaincu qu’il pourra réaliser son rêve aérien et s’élancer dans les cieux à la suite de Belle dès que cette dernière aura tué treize fois. Atteindre ce chiffre symbolique, ce sera accomplir le Moyen, une prophétie que notre tueur tient de son père, lui aussi passionné de fauconnerie martiale, et réussir là où les prototypes des ingénieurs et les incantations des sorciers ont échoué2. Au moment où notre histoire débute, l’Autour est en chasse de son dixième sacrifice, qu’il finit par choisir en la personne de Klaus-Ulric Stahlman, officier du guet de faction sur la Konigsplatz et flic le plus malchanceux du mois. Le temps d’un aller-retour aussi feutré que sanglant, le maléfique faucon scalpe proprement le malheureux poulet, laissant la foule ébruiter la nouvelle du nouveau crime de l’Autour.

Ce dixième assassinat ne fait pas les affaires de ‘Filthy’ Harald Kleindest, bombardé commandant de la « Brigade des Atrocités » à la suite de ses résultats probants dans la traque de la Bête, mais qui patine dans la choucroute sur cette nouvelle affaire. Et pour cause, l’Autour ne semble suivre aucune logique dans le choix de ses victimes, qui vont de l’orphelin des rues à la haute bourgeoisie d’Altdorf. La mort de Stahlman, représentant des forces de l’ordre, sonne de plus comme un pied de nez adressé par le tueur en série à ses adversaires, incapables de l’empêcher de nuire. Harald sait qu’il doit trouver un moyen de boucler l’affaire dans les prochains jours, avant que l’Autour ne frappe à nouveau, s’il veut conserver son statut, son poste et possiblement son intégrité physique (une foule effrayée peut être violente, c’est connu), mais la piste est désespérément ténue. Même les pouvoirs surnaturels de sa complice Rosanna Ophuls, clairvoyante de profession, ne lui apportent que de maigres indices sur le mode opératoire et l’affiliation de l’Autour. Cependant, la certitude que ce dernier ait fait sien le surnom donné à son propre père donne une idée à Harald, qui se rend aux archives du guet et exhume un mandat d’arrêt datant de trente ans, établi à l’encontre du Prince Vastarien et de son armée de mercenaires, les Vendeurs de Quiches Vainqueurs (Vastarien’s Vanquishers en VO, ça claque plus). Considéré par la moitié de l’Empire comme une tête brûlée incontrôlable et séditieuse, et par l’autre comme un héros romanesque traquant le mal au mépris des conventions et des arrangements entre puissants, Vastarien s’attacha les services de Papa Autour quelques décennies plus tôt, comme la mention de Warhawk sur le parchemin l’atteste de façon formelle. L’étape suivante sera de trouver un survivant de cette bande de chenapans qui serait disposé à souffler le véritable nom du père, pour en déduire celui du fils. Et cela tombe bien, la prison de Mundsen accueille en ce moment un de ces rares individus.

Pour prometteuse que soit cette piste, elle se montre rapidement complexe à suivre. Premièrement, le gouverneur de Mundsen ne se montre pas franchement coopératif, et il faut un petit tirage de chemise de la part de Harald pour le convaincre d’obtempérer. Deuxièmement, ni les années, si son séjour en prison n’ont été tendre envers le dénommé Rickard Stieglitz, qui se révèle être, entre autres lacunes, dénué de langue. Peu pratique pour dialoguer franchement avec ses premiers visiteurs depuis des lustres, il faut le reconnaître. Stieglitz, qui souhaite aider l’enquête, sans doute pour obtenir une remise de peine, sait bien lire et écrire, mais il lui manque le bras gauche et la majorité des doigts de la main droite, ce qui l’empêche de passer l’information par parchemin interposé. Enfin et surtout, il a été choisi par l’Autour comme onzième victime, et Harald et Rosanna ne peuvent empêcher Belle de venir mettre fin aux souffrances de Stieglitz en un tourbillon d’aile. Ce fiasco sanglant mène les autorités (in)compétentes à retirer l’enquête à Harald, pour la remettre à son rival Viereck, dont la sale manie d’exécuter le premier suspect lui tombant sous la main après chaque nouveau meurtre n’avait pas donné de résultats probants.

Il en faut cependant plus que cela pour décourager notre héros, son estomac crimophobe3 et son fidèle Magnin (une machette de jet, en quelque sorte). Comme il dispose toujours de son badge d’officier du guet et d’une réputation terrifiante auprès des cercles interlopes d’Altdorf, il décide d’user de ses derniers atouts pour obtenir l’information qui lui fait défaut auprès de la pègre locale, d’ordinaire très renseignée. Pour cela, il avise un trafiquant de substances illicites de sa connaissance qui traînait dans la taverne la plus mal famée de la ville, lui extorque quelques grammes de poussière de démon, un puissant analgésique/excitant/hallucinogène, traditionnellement utilisé par les berserkers de Norsca pour s’enjailler avant la bataille, et… commence à tabasser au hasard tous les individus (hommes et femmes, pas de sexisme) lui tombant sous la main. À chaque fois qu’il « termine » la visite d’un établissement, il fait un petit discours expliquant qu’il serait dans l’interêt de tout le monde que le nom de l’Autour Père lui soit communiqué dans les meilleurs délais, sans quoi sa croisade personnelle contre le crime se poursuivra with extreme prejudice. Après une folle nuit à fracasser des chaises sur des crânes, mettre des mandales dans des groins et transformer les tavernes en kits Ikea, Harald connaît logiquement une chute de tension brutale lorsque sa came cesse de faire effet, et est transporté au poste le plus proche pour se remettre de ses émotions.

À son réveil, c’est Rosanna qui lui apporte la nouvelle pour laquelle il a dévasté une bonne partie d’Altdorf : le dealer qu’il a racketé la veille (Ruger) s’est soudainement souvenu qu’un autre vétéran des Vainqueurs de Vastarien était en ville en ce moment, et comme il s’agit d’un Nain, il n’aura sans doute aucun mal à renseigner Harald sur l’identité des Autours père & fils. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel Nain, notez bien : c’est du seul et de l’unique Gotrek Gurnisson dont il est question ici. Malgré le fait que son corps n’est plus qu’une plaie, Harald se traîne hors de sa paillasse et se met en route vers le bouge minable où le Tueur et son chroniqueur ont été aperçus pour la dernière fois pour avoir une petite discussion d’homme à Nain. Le temps presse en effet, car l’Autour a fait sa 12ème victime : Viereck, au moment où il exécutait un nouveau coupable ayant avoué sous la torture. Et Belle a laissé une invitation au nom de Kleindest sur les lieux du crime, invitant ce dernier à attraper son maître, s’il en était capable, bien sûr.

La rencontre entre nos héros se déroulant sans trop d’accroc, grâce aux capacités de facilitateur de leur sidekick respectif, Harald apprend enfin le nom de son suspect, et, surprise, ça ne fait aucun sens pour lui. Andrzej Robida lui est en effet un parfait inconnu, mais cela ne l’empêchera évidemment pas de mettre son rejeton hors d’état de nuire… dès qu’il aura trouvé où il crêche, évidemment. Ne voulant pas mettre en danger sa fidèle Rosanna, il la renvoie au QG de la Brigade des Atrocités avant de partir vers le quartier où la demeure Robida se trouve. Une rencontre fortuite avec le véritable Ruger, identifié par un constable qui trainait dans le coin pendant qu’elle attendait son Hubert (le système de fiacre d’Altdorf), met toutefois la puce à l’oreille de la voyante qu’il y a anguille sous roche. Si le camé qui lèche les pavés en bavant n’est pas celui qui l’a rencardé il y a quelques heures, qui l’a fait, et pourquoi ?

Début spoiler…La réponse est évidemment l’Autour (fils) lui-même, et parce qu’il a choisi Rosanna pour être sa treizième et dernière victime. Selon les règles cryptiques mais immuables du Moyen, cet ultime sacrifice doit venir de son plein gré se faire raptoriser par Belle, et les machinations du tueur4 conduisent effectivement Rosanna à rejoindre Harald chez Robida. Bien que disposant du double avantage de la préparation et de la connaissance des lieux, l’Autour échoue comme une buse à faire assassiner Miss Ophuls, la pauvre Belle se mangeant le Magnin d’Harald en plein dans le bréchet avant d’avoir rempli son office. Le ton passe alors au comique sur les ultimes pages de la nouvelle, l’Autour saisissant son oiseau à moitié crevé par les pattes pour tenter de finir le boulot par serres interposées avant que son faucon ne rende l’âme, mais se faisant interrompre violemment par Harald sans avoir pu griffer à mort Rosanna, et balancer depuis le balcon vers une mort certaine en contrebas, avec une petite punchline digne de ce nom. Avec un piteux 1/13, cette enquête ne rentrera pas dans les best scores de Filthy Harald, mais l’ordre peut au moins de nouveau régner dans les rues d’Altdorf…Fin spoiler

1 : Ce qui se traduit littéralement par « faucon de guerre ». C’est trop moche pour un nom de tueur en série, vous me l’accorderez.
2 : L’histoire ne dit pas s’il a essayé de boire du Red Bull. En même temps, l’Ostland, c’est pas à côté.
3 : Sans rire, c’est un peu son super pouvoir de mutant : dès qu’il sent un agissement répréhensible, Harald a une remontée d’acide. Utile mais caustique.
4 : Et une bonne dose de chance, car si Rosanna n’avait pas croisé fortuitement Ruger et un officier du guet capable d’identifier ce dernier au même moment, juste après le départ d’Harald, le fauconnier aurait pu se la mettre derrière l’oreille.

AVIS:

The Warhawk’ est la version miniaturisée de ‘Beasts in Velvet’, le roman de Yeovil adaptant les codes du polar noir à l’univers de Warhammer Fantasy Battle. Bien que la nouvelle se déroule après la traque de la Bête en question par Harald et Rosanna, l’auteur a eu le bon goût de dissocier les deux intrigues, rendant la lecture individuelle de ‘The Warhawk’ tout à fait possible pour ceux qui n’ont pas (encore) lu le long format précédemment nommé. Comme à chaque fois avec Yeovil, on a le droit à un savant mélange d’immersion profonde et fouillée dans l’univers où se déroule son récit et de clins d’œil appuyés à notre monde, assez faciles à identifier pour le lecteur attentif. D’un côté, c’est un Altdorf populaire, impitoyable et politique (mention spéciale aux factions de révolutionnaires anti-impérialistes que Yeovil passe en revue) qui prend vie comme peu souvent dans les œuvres de la BL. De l’autre, on prend plaisir à voir l’inspecteur Harald dégainer son énorme Magnin1 pour ruiner la journée des punks du Reikland. L’alternance entre les points de vue de l’Autour et ceux de ses poursuivants, et la succession de courtes vignettes, donne un dynamisme indéniable à cette nouvelle qui traîne du côté de la novella par sa longueur, et vient quelque peu compenser le manque de suspens de l’intrigue, qui s’avère finalement assez pauvre en rebondissements et révélations. On peut d’ailleurs arguer que c’est le petit mais savoureux cameo de Gotrek (à l’image de ce dernier) qui constitue l’apex de ‘The Warhawk’, bien plus que la confrontation finale entre le tueur et Harald et Rosanna. Comme dit plus haut, cette conclusion n’est pas vraiment à la hauteur des pages précédentes, ce qui est évidemment dommage, mais était peut-être voulu par Yeovil. En effet, l’auteur fait réaliser à Harald à ce moment que les monstres criminels ne se révèlent toujours être que de « simples » détraqués une fois qu’ils ont été identifiés et capturés, et malgré son plan (presque) infaillible et son costume en cuir fait maison, l’Autour n’a pas fait exception. Une vraie bonne lecture en somme, que l’on peut considérer comme l’ancêtre de la gamme Warhammer Crime2, avec 18 ans d’avance…

1 : Pour les plus jeunes lecteurs de cette chronique, c’est une référence à l’Inspecteur Harry (Dirty Harry en VO) et à son improbable 44 Magnum.
2 : Comme Yeovil est également le père de Warhammer Horror (‘Drachenfels’ a été réédité spécialement pour le lancement de cette gamme), ça fait deux franchises de la GW-Fiction placées sous le tutelage du bon Jack.

.

The Ibby the Fish Factor :

INTRIGUE:

Dix ans après avoir déserté Altdorf et son grand amour Detlef Sierck, the one & only Genevieve Sandrine du Pointe du Lac Dieudonné, Vampire teenager, actrice amatrice et accessoirement sauveuse de l’Empire, est de retour dans la capitale impériale. La cité n’est toutefois pas sûre pour une mort-vivante, même aussi accorte et raisonnable que Gené (pour les intimes). Déjà bien échaudées par les guerres vampiriques instiguées par ces tapes à l’œil de Comtes von Carstein, les bonnes gens de l’Empire prêtent en effet une oreille attentive aux discours d’une nouvelle figure eclésiastique, Antiochus Bland, Patriarche du Temple de Morr et ennemi farouche de la non-vie. À son instigation, l’Empereur a décrété l’Acte de Santé Publique (Sanitation Bill), dont la fameuse Clause 17 autorise les disciples du culte à incinérer tous les cadavres non sollicités par leurs proches sous trois jours. Genevieve, qui est techniquement considérée comme un cadavre du fait de sa nature vampirique, prend donc bien soin de passer pour la jeune et frêle Bretonienne tout juste arrivée dans la métropole que son apparence suggère qu’elle est. Toutefois, un accrochage bénin avec un tire laine ayant des vues sur sa bourse, pendant qu’elle mettait à exécution les fameux conseils du grand philosophe de Bordeleaux Zack Girac pour passer pour une bonne vivante, dégénère au point qu’elle se trouve entourée par une foule hostile, toute prête à lui planter des choses peu ragoûtantes à divers endroits de son anatomie. La tuile. Dans ces situations, il est toutefois pratique de pouvoir compter sur une force et une agilité peu commune, et Genevieve parvient à se tirer de ce traquenard grâce à sa détente sèche de Masaï sous stéroïde, le gros paquet de Sigmar (si si), et une statue creuse de l’Impératrice Margritta débouchant sur les égouts de la ville.

Pendant que notre héroïne se remet de ses émotions et nage vers sa destination, remontons à la surface pour nous retrouver dans le bureau d’un Detlef Sierck toujours génial mais bien moins svelte que dans ‘Drachenfels’. À la tête du théâtre Vargr Breughel, le dramaturge, metteur en scène et acteur a mené une vie de bohême depuis le départ de sa bien-aimée, et est actuellement occupé à la finition de sa dernière pièce ‘Genevieve et Vukotich: Complot Céleste à Zhufbar’. Librement adapté des véritables aventures de ces deux aventuriers, du temps où Sierck n’était qu’un gamin joufflu (voir ‘Red Thirst’), cette œuvre présente le défaut majeur d’avoir une Vampire comme héroïne, ce à quoi le visiteur du maître des lieux, Bland en personne, est farouchement opposé. Faudrait pas donner de mauvaises idées aux jeunes, toussa toussa. Ayant réussi à se débarrasser de l’insistant zélote en promettant de réfléchir à ses arguments, Sierck entend gratter derrière une cloison, et quand il ouvre le passage secret d’où vient le bruit suspect, c’est Genevieve qui lui tombe dans les bras. Après 1) un bain et 2) d’émouvantes, sensuelles et sanglantes retrouvailles, Gené doit cependant avouer à son amant que ce n’est pas que pour lui qu’elle est revenue à Altdorf. Elle a en effet été invitée par un autre Vampire pour une réunion pressante, et celle qui l’a faite mander n’est autre que sa chère « grand-mère » en non-vie, Dame Melissa d’Acques. Ayant reçu le baiser de sang à l’âge de 12 ans (mais il y a plus d’un millénaire), Melissa n’a eu aucun mal à se faire passer pour la pauvre orpheline Elsie, recueillie/exploitée par Sierck il y a un mois pour distribuer des programmes et vendre des churros, dans l’attente de l’arrivée de sa petite-fillotte. Elle a même contribué à assainir le théâtre en subsistant sur la colonie de rats qui y vivait, affamant cependant les chats résidents du Vargr Breughel. Une perle.

Si Melissa « Missy » d’Acques a organisé cette rencontre, c’est pour protéger la vie d’Antiochus Bland, qu’une bonne partie des Vampires du Vieux Monde veut voir aussi mort qu’eux. Un assassin mort vivant est prêt à frapper le meneur religieux, Missy en est certaine, et si cela pourrait provoquer une brève satisfaction (parce que le type est abject, reconnaissons-le), les conséquences à moyen et long termes risquent d’être terribles pour la gent vampirique. Il est donc convenu que Genevieve tente d’approcher Bland en prétendant être une recrue du culte de Morr, afin de pouvoir le protéger si besoin était, tandis que Missy et son « oncle » Sierck auront pour tâche d’enquêter parmi la communauté mort-vivante d’Altdorf à la recherche d’informations utiles sur l’identité de l’assassin en puissance.

Avant que les trois conspirateurs n’aient pu commencer à mettre leur plan à exécution, sortons dans la nuit interlope et humide d’Altdorf pour nous rendre sur les lieux d’un crime sordide. Le corps d’Ibrahim « Ibby » Fleuchtweig, figure proéminente du tristement célèbre gang des Poissons, a en effet été retrouvé sans vie dans une allée sombre du quartier des quais. Le cadavre porte une blessure caractéristique au niveau du cou, faisant logiquement penser aux forces de l’ordre et experts arcanolégistes (coucou Rosanna Ophuls !) présents sur les lieux qu’Ibby s’est fait pécho, euh pécher, par ses ennemis de toujours, le gang des Hameçons. Depuis que l’homme est homme et avant que les Dieux du Chaos ne poussent leur premier hurlement/râle/pet/pion, les Poissons et les Hameçons se font la guerre sur le Reikerbahn, à coup de noyades et d’égorgements très codifiés. L’affaire est donc un non-événement pour le guet, mais Bland et ses disciples, prévenus par des indicateurs, ne sont pas de cet avis. L’occasion est en effet trop belle pour la laisser passer : il serait très opportun que le malheureux Ibby ait été la victime d’une attaque de Vampire plutôt que d’un banal règlement de comptes. Faisant fi des protestations de la maréchaussée, Bland catapulte le Poisson pourrissant martyre de sa guerre contre les morts sans repos, et prend la pose pour la postérité avec la tête du macchabée, décapité dans la plus pure tradition vampirifuge, dans les mains, pour le bénéfice de sa chargée de com’, l’affutée Liesel von Sutin. Tirée à des centaines d’exemplaires et affichée sur tous les murs de la ville, cette illustration va contribuer à convaincre l’opinion publique de la nécessité et de l’urgence de mettre un terme à la menace de la non-vie (assez limitée en réalité) : c’est donc ça le fameux effet « Ibby le Poisson » (The Ibby the Fish Factor) qui a donné son titre à cette nouvelle. Je savais que vous vous posiez la question. Retour au théâtre pour le troisième acte.

Commençons par suivre Melissa et Dietlef dans la rue des cent tavernes, et plus précisément au Croissant de Lune, l’établissement de choix de l’aristocratie de la nuit. Inaccessible au tout venant et quasi désert en raison de la sale ambiance régnant à Altdorf, le Croissant reste toutefois une plaque tournante incontournable pour quiconque cherche des contacts et des informations à tendance nécrophiles. Bien que la méthode d’investigation de Melissa (se pinter au gros rouge en racontant sa vieillesse) laisse à désirer, et manque de laisser son chaperon à la merci des intentions hémophiles des quelques buveurs de sang zonant entre le flipper et le comptoir, l’arrivée soudaine d’une connaissance et employé de Dietlef, le machiniste Alvdnov Renastic, permet de faire avancer un peu l’intrigue. Car le nouveau-venu est…

Début spoiler…un ventriloquiste amateur, que Genevieve avait surpris en train de répéter en coulisse lors de son arrivée furtive dans le théâtre depuis les égouts. Vue et entendue de loin, la scène donnait à penser à la conjuration d’un démon mineur « azoivé de zang » (il faut que le Jeff Panacloc travaille un peu sa technique de projection de voix) plutôt qu’à la répétition d’une graine de Tatayet. Mais le plus important est surtout qu’Alvdnov Renastic se trouve être Vlad von Carstein – bravo aux férus d’anagrammes parmi vous. Pas LE Vlad von Carstein hein, mais l’héritier de la fameuse lignée, venu au Croissant de Lune dénoncer publiquement les rumeurs selon lesquelles il mènerait bientôt les morts sans repos contre les vivants. Renastic, qui n’est même pas un Vampire, préférerait percer dans le music hall, et fait donc une petite démonstration de son talent à Sierck et Melissa, avec des résultats mitigés. Mais nos deux larrons apprennent tout de même de sa bouche que l’assassin que l’on dit aux trousses de Bland serait Genevieve en personne, ce qui est évidemment peu probable…Fin spoiler

Genevieve, sous le pseudonyme et la perruque de Jenny Godgift (jeu-jeu-jeu de mots !) a quant à elle réussi à se faire embaucher comme garde du corps de Bland, après avoir fait mordre la poussière à un catcheur reconverti en moine, grâce à sa maîtrise des arts martiaux cathayens. Je vous assure que cette phrase reflète parfaitement ce qui se passe dans l’histoire, aucune exagération de ma part ici (comme si c’était mon genre). Elle a à peine le temps de commencer à sympathiser avec la dévouée Liesel von Sutin, qui se donne corps et âme au projet de croisade de son imbécile de patron, pour lequel elle éprouve des sentiments variés, que Bland se fait finalement attaquer dans sa cellule, malgré la protection des gardes postés devant sa porte (drogués et mordus au cou). Lorsqu’elle entre dans la piaule pour tenter d’empêcher l’irréparable et confronter l’assaillant, elle a la surprise de se retrouver face à un sosie de sa personne (en un peu plus grand, c’est vrai). Mais il ne s’agit évidemment que d’une pâle blonde imitation, fond teint blafard et crocs en os de poulet à l’appui, jouée par nulle autre que la diva Eva Savinien. Qui mieux qu’elle, qui a passé une bonne partie de sa carrière à camper Genevieve dans les productions de Dietlef Sierck, peut en effet mieux faire illusion dans ce rôle ? Ceci dit, des grands airs de Jacqueline Maillan, des griffes en plaqué argent et un vieux reste d’animus de l’inconstant Drachenfels1 ne font pas le poids face aux capacités surnaturelles d’une véritable immortelle. Après un crépage de chignon en règle, et un début d’incendie dans la chambre de Bland, toujours en vie mais affaibli par le suçon sanglant que lui a infligé Savinien, cette dernière finit en torche humaine, permettant à Genevieve d’évacuer les lieux avec son protégé avant qu’il ne suffoque.

Cet acte de bonté, qui a ruiné la permanente et le maquillage de Gené à tel point qu’elle se fait promptement identifier comme Vampire par le reste de la garde du temple, et maîtriser sans vergogne, aurait pu lui coûter très cher sans l’arrivée salutaire de Melissa et Sierck… et la misogynie absolue des sous fifres de Bland, qui refusent catégoriquement d’obéir aux ordres de Liesel von Sutin alors qu’elle est (et a toujours été) la seule à savoir ce qu’elle fait. On apprend que c’est elle qui a fomenté l’assassinat du Patriarche, et a pour cela drogué ses gardes, afin de pouvoir prendre sa place à la tête de la croisade et get some sh*t done. Pour cette mauvaise action, elle gagne un stage non rémunéré dans le Pays des Trolls dans un ordre d’anachorètes intégristes, afin de méditer sur la juste place des femmes dans les sociétés modernes. Non mais. De son côté, Bland est puni pour l’ensemble de son œuvre en étant vampirisé par Melissa, qui agrandit ainsi sa famille et force le culte de Morr à se choisir une nouvelle figure de proue du même coup. Les échanges de fluide ont parfois du bon tout de même.

Notre histoire se termine sur un tableau digne d’un conte de fées et indigne du monde sauvage, violent et nihiliste de Warhammer Fantasy Battle (mais une fois de temps en temps…) : Genevieve et Dietlef se marient en grande pompe dans leur théâtre, entourés de tous leurs proches et amis, depuis l’hériter du trône impérial jusqu’au doyen de l’EHPAD vampirique où Melissa crèche à l’année, et la la Clause 17 est dénoncée par Karl Franz. Vous pouvez transfuser le marié !

1 : Savinien a été brièvement possédée par ce dernier lors de la représentation finale de ‘Drachenfels’.

AVIS:

Tour de piste final pour les deux personnages centraux du cycle Geneviève (la principale intéressée et son love/blood interest Detlef Sierck), ‘The Ibby the Fish Factor’ termine en apothéose l’œuvre de Jack Yeovil pour Warhammer Fantasy Battle. Tout est réussi et porte la patte particulière du maître dans cette novella, depuis le titre1 merveilleusement non-sensique, jusqu’à l’happy ending marital de l’arc Geneviève & Dietlef2, faisant de ‘The Ibby…’ une lecture obligatoire pour tous les amateurs de cette série. Comme à son habitude, Yeovil jongle habilement entre les styles (action, suspens, humour) et parvient à concilier ajouts fluffiques notables, même si probablement pas très canon, et références savoureuses à notre monde. On croise ainsi William King, Popeye et Blanche-Neige au hasard des pages, tous dûment warhammerisés bien sûr, et je suis à peu près certain que cela n’est que la partie émergée de l’easter egg. Cette formule gagnante ayant été reprise des décennies plus tard par Josh Reynolds, notamment dans sa série sur l’Ordre de Manann, j’invite vivement tous les amateurs de cette dernière à donner sa chance à ‘The Ibby…’, qui a de grandes chances de leur plaire.

Si l’intrigue développée dans cette nouvelle fait de nombreuses références, et à plus d’un niveau, à celle de ‘Red Thirst‘, avec Bland dans le rôle de Glinka (notons que ces deux antagonistes connaîtront une fin similaire: « possédé » par le mal qu’ils avaient juré de détruire, et mis au ban de la société en conséquence) , dans une volonté manifeste de Yeovil de « boucler la boucle », c’est tout le Geniverse qui est passé, de près ou de loin, en revue dans cette ultime histoire, depuis le regretté Vukotich (‘Ignorant Armies’) jusqu’au plus récent Autour (‘The Warhawk’), en passant par Filthy Harald et Rosanna Ophuls (‘Beasts in Velvet’), Eva Sarinen (‘Drachenfels’) ou encore Melissa D’Acques (‘No Gold in the Grey Mountains’). On doit d’ailleurs décerner à la mamie Vampire le prix de meilleur second rôle comique dans ‘The Ibby…’, loin du registre horrifique dans lequel elle s’était illustrée dans ‘No Gold…’. Comme quoi, il n’est jamais trop tard pour se réinventer, surtout avec un auteur du calibre de Yeovil au scénario et aux dialogues. Dans un tout autre style, c’est l’assistante dévouée de Bland, Liesel von List, qui attire l’intérêt du lecteur par sa complexité et son ambivalence. Malgré son positionnement clair dans le camp des antagonistes, il n’est pas difficile d’éprouver de la compassion, voire de la sympathie envers ce personnage intelligent, totalement dévoué à sa cause et faisant preuve d’empathie pour son prochain, mais réduit au statut d’esclave domestique par sa condition féminine et l’univers éminemment mysogyne dans lequel elle évolue. Le sous-texte féministe de la nouvelle est d’ailleurs renforcé par le constat que tous les personnages véritablement actifs de cette dernière sont féminins, Sierck et Bland étant au final davantage spectateurs qu’acteurs du drame qui se joue.

Pour ces raisons, comme pour beaucoup d’autres, ‘The Ibby…’ mérite sa place parmi les tous meilleurs courts formats de GW-Fiction, tout comme Jack Yeovil mérite la sienne parmi ses contributeurs les plus illustres. À lire de préférence après avoir terminé/dévoré les autres romans et nouvelles de la série Genevieve, mais à lire en tous les cas, si vous en avez l’occasion.

1: Je dois humblement avouer que c’est le seul titre de GW-Fiction que je n’ai initialement pas compris. L’ajout de guillemets pour guider l’oeil des anglophones non natifs (The « Ibby the Fish » Factor) aurait certainement pu aider, Monsieur Yeovil! Au final, cela rajoute du charme à cette soumission qui n’en manquait déjà pas.
2: On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils aient eu beaucoup d’enfants (à moins d’adoptions bien sûr), mais on peut espérer qu’ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leur jour et la disparition du Monde qui Fut. L’indispensable Josh Reynolds, qui a évidemment lu la série, a même pris la peine de faire apparaître Geneviève dans ses bouquins ‘End Times’.

.

***

En conclusion,Silver Nails‘ se révèle être un ouvrage d’une cohérence et d’une qualité rare pour un recueil de nouvelles de la Black Library. Si le second point n’est pas une surprise pour quiconque est familier de la prose de Jack Yeovil, le premier aurait pu poser question, eut égard aux conditions particulières de l’écriture de cette anthologie. Cette réédition est donc une très bonne occasion pour les amateurs de GW-Fiction de découvrir ou redécouvrir une des oeuvres les plus marquantes de la « préhistoire » de la BL, qui a influencé, de près ou de loin, la grande majorité des auteurs ayant écrit des romans et nouvelles pour le compte de Games Workshop depuis. Même s’il est passé à autre chose depuis longtemps, et que ses franchises de prédilection aient toutes les deux été détruites par GW, je me surprends à espérer que Jack Yeovil daigne un jour reprendre la plume pour le compte de la BL, même si cela ne débouche que sur une collaboration ponctuelle. S’il y a une chose à retenir des aventures de Genevieve Sandrine du Pointe du Lac Dieudonné en effet, c’est que l’on a toujours besoin de ses grands anciens…

L’Âge des Mythes: la ‘GW-Fiction’ au temps de GW Books et Boxtree

Bonjour à tous! En préparant la critique du recueil Ignorant Armies, je suis tombé sur un article tout à fait intéressant, et rigoureusement indispensable à la bonne compréhension de notre propos, écrit par l’un des acteurs de cette époque héroïque, l’auteur Stephen (Steve) Baxter. Initialement publiée dans le magazine Vector en 2003, cette chronique passionnante des débuts de la GW-Fiction a été exhumée par le blog Pariedolia en 2016. Vous en trouverez ci-dessous une version traduite par votre serviteur (VO ici).

Beasts in Velvet

‘« Maudits soient tous les cochers humains et toutes leurs passagères », grommela Gotrek Gurnisson, ajoutant une malédiction en Khazalide…’

Il s’agit de l’incipit de ‘Geheimnisnacht‘ par William King, la première nouvelle du premier livre de fiction de Warhammer, l’anthologie Ignorant Armies, publié en 1989. D’innombrables livres, magazines et bandes dessinées prenant place dans les univers des très populaires wargames et jeux de rôle commercialisés par Games Workshop (GW) ont depuis suivi.

Il est fort probable que l’implication de David Pringle, alors rédacteur en chef d’Interzone, en tant que premier éditeur de GW de 1988 à 1991, ait joué un rôle dans la participation d’un certain nombre d’éminents écrivains de SF et Fantasy britanniques – contingent connu sous le nom de Génération Interzone – aux débuts de la « GW-Fiction ». Si mon propre apport fut modeste, deux nouvelles publiées en 1989 et en 1990; David Garnett (rq : David Ferring), Kim Newman (rq : Jack Yeovil), Brian Stableford (rq : Brian Craig), Ian Watson et d’autres ont contribué de façon bien plus significative. Aujourd’hui, GW publie et republie – en vastes quantités – des œuvres de fiction sous l’égide de sa filiale Black Library. Entre ces débuts modestes et l’époque contemporaine, la GW-Fiction a connu des hauts et des bas dignes d’une saga épique, convoquant tour à tour hobbyistes idéalistes et financiers pragmatiques, stakhanovistes diligents et rebelles effrontés, et faite à égales parts d’orthodoxies dogmatiques et d’hérésies plus ou moins tolérées, d’effondrements temporaires et de renaissances laborieuses, d’intrigantes options laissées inexplorées et de conflits sans cesse renouvelés entre licence artistique et respect de la propriété intellectuelle.

Comeback Tour

Cela fait un certain temps que je soutiens que quelqu’un devrait se pencher sérieusement sur cette saga. Et puisque personne plus qualifié que moi n’a relevé ce défi à ce jour, et que comme dit l’adage, on n’est jamais mieux servi… L’objectif de cette chronique sera de présenter une histoire informelle de la littérature GWesque, en particulier celle de la « période Pringle », sur la base des souvenirs personnels des personnes concernées, et, autant que possible en utilisant leurs propres mots. J’adorerais qu’une véritable étude universitaire soit menée sur la base de ce corpus, un jour.

Mon premier contact avec le projet GW-Fiction eut lieu à l’automne 1988, et prit la forme d’un appel de David Pringle.

Games Workshop a été créé dans le sud-ouest de Londres en 1975 par un groupe d’enthousiastes, parmi lesquels Steve Jackson et Ian Livingstone, qui s’étaient initiés au wargame pendant leurs études. S’ennuyant dans leur travail, ils conçurent le projet et lancèrent une nouvelle société, Games Workshop, spécialisée dans le développement et la vente de jeux innovants. Bien que leur premier catalogue fut marqué du sceau du classicisme, avec des jeux aussi originaux que le backgammon et le go, leur prédilection commune allait vers les jeux de Fantasy comme Lensman (1971), basé sur les romans de EE Smith, et s’inspirant de jeux basés sur des confits réels – tels que Diplomacy et Warlock.

Pour faire connaître GW, les amis créèrent un fanzine intitulé Owl and Weasel, dont un numéro trouva le chemin du développeur de jeux américain Gary Gygax. Ce dernier envoya à la jeune entreprise, pour revue critique, un exemplaire d’un nouveau jeu appelé Donjons & Dragons (D&D).

Publié par TSR Hobbies, D&D, en tant que premier RPG à disposer d’une véritable diffusion commerciale, révolutionna le jeu de rôle sur table. Un RPG comme D&D a un «univers» – le cadre fictif dans lequel se déroule le jeu – défini dans un ensemble de manuels. Les joueurs créent et contrôlent leurs personnages, avec lesquels ils s’identifient souvent étroitement. Il est possible d’utiliser des figurines en plomb pour représenter physiquement le personnage sur la table, mais dans les premiers jeux de rôle, l’intérêt des joueurs se portait en d’abord sur la qualité et la flexibilité des scénarios et des règles, plutôt que sur les produits dérivés.

Chaos ChildImmédiatement enthousiastes à propos de D&D et des jeux de rôle en général, Jackson et Livingstone signèrent rapidement un accord de distribution exclusif avec TSR sur le marché européen, pour une durée de trois ans – ils apprendraient plus tard que TSR était une toute jeune compagnie, dont les tentatives de faire distribuer D&D par les majors du secteur avaient jusqu’alors rencontré une ferme fin de non-recevoir –. Comme le souligne Cheryl Morgan, une ancienne camarade d’école de Kim Newman et Eugene Byrne ayant connu les prémices du jeu de rôle en Grande-Bretagne, GW a dès l’origine nourri de sérieuses ambitions commerciales.  ‘Même si Steve [Jackson] et Ian [Livingstone] étaient tous deux des passionnés, ils… voulaient également gagner beaucoup d’argent…’ Le pari fait par les deux amis à propos de D&D se révéla payant et les commandes se multiplièrent.

Jusqu’en mai 1976, GW fut géré depuis un appartement de Shepherd’s Bush (rq : un quartier de l’ouest de Londres). L’entreprise grandissant, Jackson et Livingstone louèrent un bureau à l’arrière d’une agence immobilière du sud de Londres, puis investirent un fonds de commerce à Hammersmith en 1977. À partir de 1978, GW commercialisa tous les RPG majeurs (TravelerRuneQuestMiddle Earth Roleplay…). Marc Gascoigne – qui rejoindra GW en tant qu’éditeur en 1984,  et deviendra plus tard éditeur au sein de la Black Library – souligne qu’à l’époque, tout jeu de rôle digne de ce nom était distribué par GW sur le territoire britannique.

Parallèlement à ces développements, GW commença à publier White Dwarf, un magazine spécialisé au format A4. Alors que Owl & Weasel était un fanzine dupliqué à la photocopieuse, White Dwarf fut conçu dès l’origine pour une diffusion beaucoup plus large, et était en conséquence d’une qualité de tirage bien supérieure, similaire à celle d’Interzone. Preuve du succès rencontré par cette nouvelle itération, au bout de dix-huit mois cette dernière était vendue dans les kiosques à journaux. Le ‘Dwarf présentait les produits de GW et d’autres fabricants, et gagna rapidement en popularité auprès de la communauté des joueurs. Un tout jeune Charles Stross y fit ses débuts d’auteurs, avec : ‘des profils de monstres pour D&D, à mon grand embarras, alors que j’avais 13-15 ans… J’ai découvert avec stupeur il y a quelques années que ces travaux de jeunesse avaient engendré leur propre jeu, qui dispose d’une réputation assez outrancière parmi la communauté des joueurs.’

Le succès ne se démentant pas, les activités commerciales de GW, initialement à destination des professionnels, s’ouvrirent au grand public, avec l’ouverture du premier magasin Games Workshop à Hammersmith (rq : un quartier de l’ouest de Londres). Dès le début, sa gestion fut confiée à une équipe de passionnés, dans le but de créer et cultiver un sentiment de communauté. Grâce à la publicité des White Dwarfs, le succès fut immédiat et d’autres magasins furent rapidement ouverts à Manchester, Birmingham, Sheffield, Nottingham et ailleurs.

Genevieve UndeadEn 1980, GW lança ses propres jeux de plateau – basés respectivement sur les franchises du Doctor Who et de Judge Dredd – sous le slogan « L’Empire Britannique Contre-Attaque! » (récupération publicitaire peu appréciée par George Lucas, qui obtint une modification de cette campagne marketing – le premier mais pas le dernier des démêlés juridiques de notre histoire –). S’en suivit la sortie du premier RPG siglé GW (Judge Dredd – The Roleplaying Game, co-écrit par Marc Gascoigne) en 1985, bientôt suivi du super-héroïque Golden Heroes.

Il devint bientôt évident que la vente de figurines, dont les jeunes joueurs (10 à 14 ans) raffolaient particulièrement, générait une marge bénéficiaire importante. Désireux de pénétrer ce marché porteur, GW créa une filiale à Nottingham, Citadel Miniatures, dont la croissance fut portée par les canaux de distribution (vente par correspondance et chaîne de magasins) et de publicité mis en place par la société mère. Le premier dirigeant de Citadel fut Bryan Ansell. Ansell, qui « avait commencé sa carrière en tant que fabricant de petits soldats », selon David Pringle, avait précédemment développé la populaire gamme de produits Asgard. Comme beaucoup d’autres figures du monde du jeu de l’époque, ses véritables débuts se firent cependant en tant que rédacteur en chef d’un fanzine, dans son cas le poétiquement nommé Trollcrusher.

En 1983, Citadel a lança la première itération de ce qui deviendrait sa franchise phare : Warhammer. Le jeu prenait place dans un univers d’heroic fantasy tolkienisant, et était  co-écrit par Ansell.

À la croisée des années 1980, le marché vécut une profonde évolution. Alors que les ventes de RPG ralentissaient, celles des figurines Warhammer progressaient fortement. En dépit d’investissements initiaux élevés, les marges réalisées sur des figurines en plomb se révélèrent être beaucoup plus élevées que celles des livres de jeux de rôle et les jeux de plateau, particulièrement grâce au réseau de distribution bien développé de GW.

Cette logique poussa l’équipe dirigeante de Citadel, menée par Ansell, à racheter la société mère à ses fondateurs au début de l’année 1986. S’en suivit une transformation du business model afin de se concentrer sur la vente de figurines et d’accessoires de jeux. Cheryl se souvient que Livingstone et Jackson avaient de toute façon connu le succès avec un autre de leur projet, la série de « Livres dont vous êtes le héros » de Fighting Fantasy. ‘Après avoir fait fortune, ils ont revendu [GW] à Bryan Ansell … Bryan était encore plus concentré sur l’argent que Steve et Ian, et il a fixé à GW des objectifs très spécifiques, avec un succès notable il faut le reconnaître (bien que cette réussite puisse également être mise au crédit de Tom Kirby [le bras droit d’Ansell])… Toute [sa] politique reposait sur la vente de figurines grâce aux jeux. ‘

Ces changements provoquèrent une controverse parmi la communauté de clients et fans historiques de GW, qui regrettèrent la perte manifeste de la philosophie hippie et estudiantine de la société, et son ralliement aux sirènes du corporatisme, tandis que le White Dwarf se muait visiblement en une rutilante machine marketing. Même au sein de l’entreprise, ce changement de management ne fit pas l’unanimité : dans le dernier numéro de White Dwarf publié par l’équipe d’origine, l’initiale de chaque partie du sommaire épelait ‘Sod Off Bryan Ansell’ ! (rq : Va ch*er Bryan Ansell !) Mais, comme le souligne Marc [Gascoigne], le rachat et la relocalisation d’une entreprise basée à Londres par un fabricant de Nottingham n’aurait de toute façon pas pu faire que des heureux. Certains membres du personnel londonien, y compris Marc (bien qu’il parte travailler pour Fighting Fantasy un an après l’avènement de l’ère Ansell) se plièrent cependant de bonne grâce à ces changements.

Deathwing

La nouvelle direction mit l’accent sur le développement de jeux riches en personnages, conçus pour servir de plate-forme à la vente de figurines et d’accessoires. 1986 vit la publication du jeu de rôle Warhammer Fantasy Roleplay ; à cette époque, le jeu de figurines du même nom en était à sa troisième édition. Ce RPG Warhammer fut un succès – la meilleure vente de RPG de 1987 au Royaume-Uni et la meilleure vente d’un RPG anglais à l’international plusieurs années durant selon Marc Gascoigne.

Au début de 1988, GW avait largement abandonné la vente des jeux d’autres fabricants pour se concentrer sur ses propres gammes. Les jeux majeurs de l’entreprise étaient Warhammer (décliné en wargame et RPG), Warhammer 40.000 (40K), un jeu de figurines se déroulant dans un univers de space opera grimdark, et Dark Future, un jeu de société et de figurines se déroulant dans un monde alternatif teinté de cyberpunk post-apocalyptique, et faisant la part belle aux poursuites en voiture. Dark Future, co-écrit par Marc Gascoigne, était une des démonstrations les plus manifestes du repositionnement de la société sur les jeux de figurines.

De nouvelles opportunités commerciales se firent jour. Certains créateurs de jeux de rôle avaient commencé à produire des œuvres de fiction associées aux univers dans lesquels se déroulaient leurs jeux, parfois avec des succès notables comme dans le cas de TSR (séries Weiss et Hickman Dragonlance). En janvier 1987, et à la suite du lancement réussi de Warhammer RPG, GW décida de tenter sa chance et de publier des recueils de nouvelles, peut-être même des romans, prenant place dans cet univers.

La saga de la « GW-Fiction » pouvait commencer.Demon Download

GW se tourna d’abord vers le (regretté) Richard Evans, qui officiait à l’époque comme éditeur chez Macdonald (rq : une maison d’édition britannique, pas la chaîne de fast-food), et lui demanda de recommander un « bon auteur fantastique » pour développer un livre basé sur l’univers de Warhammer. Richard soumit le nom de Mike Scott Rohan, qui se souvient: ‘comme à l’époque, j’étais le meilleur vendeur de Macdonald (fierté !), [Richard] m’a sollicité en ce sens. J’ai dit que je jetterai un œil sur leur proposition, mais comme je ne voulais pas que cela empiète sur mes travaux en cours, j’ai demandé la permission d’inclure mon collaborateur occasionnel et expert ès Vikings Allan Scott à la discussion. Ils ont accepté, et nous sommes rendus à leur siège pour une série de réunions de plus en plus étranges…’. Scott Rohan et Scott s’entendirent bien avec leur interlocuteur chez GW, dont l’expertise sur l’Allemagne du XVIème siècle, en plus d’impressionner Mike, avait influencé le développement de l’univers de Warhammer.

Mike poursuit: ‘Al et moi… reçûmes des propositions plutôt intéressantes d’un point de vue pécuniaire, et acceptâmes la proposition. Nous ne nourrissions aucune réserve sur ce projet, car nous avions le sentiment que nous pouvions être créatifs. Nous pensions pouvoir développer une intrigue se déroulant à la périphérie de l’univers de Warhammer, et qui éviterait autant que possible d’utiliser les personnages de leur jeu – et, si possible, les pasticher sans pitié…’ Malheureusement, la combinaison d’un manque de stabilité des interlocuteurs chez GW, et le criant manque d’expérience et d’intérêt de la part de certains membres de la hiérarchie de GW sur la manière de gérer des auteurs et le monde de l’édition en général, vint ralentir les progrès. Un directeur, rapporte Mike : ‘indiqua de façon très claire qu’il n’était pas intéressé par la qualité littéraire, et pour tout dire ne croyait pas qu’il soit possible d’obtenir un résultat qualitatif pour de la fiction fantastique. De son point de vue, les auteurs et les créatifs en général n’étaient qu’une bande de hippies chevelus que vous pouviez payer au lance-pierre… Nous avons donc naturellement décidé que [le livre] ne pourrait être écrit qu’au second degré, dans une optique picaresque assumée, et ne nous sommes pas gênés pour inclure des caricatures outrancières de nous-mêmes parmi les personnages principaux, et de certains des sales types de GW parmi les méchants…’

GW valida néanmoins le synopsis de Mike et Allan, mais des différends se firent jour à propos d’éléments susceptibles de porter atteinte au droit d’auteur de Tolkien. Finalement, les éditeurs abandonnèrent le contrat de GW. Mike et Allan réécrirent le livre en supprimant  toutes références à Warhammer et le faisant se dérouler dans un monde de leur création. Mike précise: ‘Rebaptisé A Spell of Empire, il a été publié par Orbit – qui appartient maintenant à Little, Brown – en 1992. Il a reçu un accueil plutôt favorable et a bénéficié de quatre éditions étrangères. Cela reste l’un des livres pour lesquels on me demande le plus souvent si une suite est prévue.’

Drachenfels

Cette débâcle ne découragea pas GW de retenter sa chance. La société se tourna cette fois-ci vers Penguin (rq : une maison d’édition britannique, qui a notamment publié une très belle, complète et commentée anthologie en trois volumes de l’œuvre de Lovecraft), et recruta David Langford pour démarcher des auteurs professionnels potentiellement intéressés par le projet.

David officiait comme critique littéraire pour White Dwarf, et était déjà à l’époque le robuste moyeu de la roue un peu voilée qu’est la SF britannique, ce qui faisait de lui un candidat parfait pour ce poste. En Janvier 1987, il adressa une proposition de collaboration à douze auteurs établis de ce microcosme – la collaboration de figures reconnues au projet étant nécessaire pour finaliser le contrat avec Penguin. La lettre était empreinte de l’humour particulier de Dave, et détaillait de façon honnête cette « proposition louche », en plus de donner des détails sur la nature du projet : ‘Comme vous pouvez l’imaginer, un dieu de la mort appelé Morr nécessitera quelques notions basiques d’étymologie, et le dieu de la maladie appelé Nurgle n’est pas lié au Goon Show (rq : une émission de radio humoristique diffusée sur la BBC dans les années 50, qui a influencé les Monty Pyton) pour autant que nous le sachions…’ ‘En termes de paiement,’ précise David, citant les managers de GW, ‘nous proposons les taux usuels, éventuellement complétés d’un léger intéressement sur les ventes, ces dernières ayant une chance d’être plus élevées que d’habitude…’ En Février, David fit un retour assez mitigé à GW. ‘En résumé: trois OUI, sept ALLEZ VOUS FAIRE VOIR, et deux réponses toujours attendues.’

Parmi les auteurs ayant décliné la proposition, on comptait John Brunner (rq : qui collaborera bien plus tard à la Black Library, avec ‘A Place of Quiet Assembly’), qui ‘désapprouvait fortement [l’initiative]’, Chris Evans, pour qui l’univers de Warhammer était ‘un embrouillamini de références diverses sans originalité… laissant très peu de place à un processus créatif’, et Chris Priest, auquel David se souvient d’avoir ‘proposé le projet de vive voix, et s’estimer heureux de s’en être tiré vivant’. Les autres fins de non-recevoir furent envoyées par Rob Holdstock, Tanith Lee, Lisa Tuttle et Ian Watson (rq : qui se fit finalement convaincre, comme nous le verrons plus tard). Les retours tardifs de Bob Shaw et Ramsey Campbell se révélèrent être également négatifs. David lui-même botta en touche: ‘Je doutais sérieusement de ma capacité à écrire ce type de fantasy avec un honnête premier degré.’

Deux des retours positifs vinrent de Garry Kilworth et de Brian Stableford, qui furent extrêmement honnêtes quant à leurs motivations: ‘Votre lettre est arrivée le même jour que mon relevé bancaire’, déclara ainsi Garry. Le troisième et dernier ‘oui’ fut envoyé par Terry Pratchett (!), qui écrivit : ‘Quel délicieux univers que le vôtre, et original sur bien des aspects. Pour citer Robert Robinson, il semble que vous ayez appris la langue des indigènes pour leur vendre vos verroteries. Mais, à la condition que personne ne s’offusque que je considère cette offre un tout petit moins sérieusement qu’elle semble se prendre elle-même, je serais a minima intéressé de savoir quels sont les « taux habituels » auxquels il est fait référence.’ Dans une note ultérieure, Terry écrivit: ‘Je me sens un peu comme le roi Hérode auquel on aurait demandé de contribuer à la gazette de l’Association des Jeunes Parents de Bethléem (rq : référence au Massacre des Innocents, ou le meurtre de tous les enfants de moins de deux ans de la région de Bethléem sur l’ordre de Hérode, qui voulait empêcher la venue du Messie).’

En fin de compte, l’entreprise échoua lorsque le contrat proposé par GW s’avéra inacceptable pour les auteurs intéressés. De toute évidence, l’entreprise n’avait toujours pas pris la mesure du marché qu’elle tentait de pénétrer – et Terry Pratchett n’a jamais écrit pour Games Workshop.

En 1988, GW fit une nouvelle tentative en vue de lancer une gamme de fictions liées à ses franchises. Cette fois, il fut décidé que l’éditeur serait GW lui-même, via une nouvelle filiale nommée GW Books. GW recruta David Pringle en tant qu’éditeur en chef et Ian Miller en tant que conseiller artistique.

 Ghost DancersDavid Pringle se souvient: ‘Ian Miller… était la personne qui m’a obtenu ce job chez GW… Il a mis sur pied le bureau de Brighton et était employé à plein temps comme conseiller artistique, avec un salaire plus élevé que le mien.’ Miller avait été le professeur d’arts plastiques d’un certain John Blanche, directeur artistique de GW: ce que Marc Gascoigne décrit comme du « Bosch-isme dément » était déjà au cœur de l’identité visuelle de Warhammer.

En 1988, Interzone existait depuis six ans et David Pringle était un nom très respectable dans le milieu de la science-fiction britannique. Sa capacité à mettre à contribution l’«écurie» des actuels et futurs auteurs d’Interzone ne faisait pas de doute. David résuma ses objectifs de la façon suivante: ‘Obtenir autant d’argent et d’opportunités de publication que possible pour les auteurs. Et bien sûr, c’était un gagne-pain pour moi également. Je pense que j’ai commencé avec un salaire de 13.000 £ (rq : environ 18.800 €) par an en Octobre 1988, et que je touchais 14.000 £ à mon départ en Octobre 1991′.

Des motivations moins terre à terre peuvent également être considérées. Ian Watson se souvient que ‘Bryan Ansell souhaitait ardemment lire de vrais romans écrits par de vrais auteurs traitant de ses univers bien-aimés. David Pringle a réussi à convaincre Bryan que cela était possible, en mettant à profit le vivier des contributeurs d’Interzone, à la condition que ces derniers puissent se partager dix mille livres sterling de royalties garanties par volume.’

Apprenant de ses déboires passés, GW commença par charger David Pringle d’établir un modèle de contrat robuste à destination de ses auteurs. Brian Stableford l’assista dans cette tâche.

À mesure que la perspective d’une GW-Fiction se solidifiait, certains observateurs eurent le sentiment que l’approche mercantile de GW se renforçait. David Langford raconte qu’en Octobre 1988 : ‘j’avais transféré mes revues littéraires de White Dwarf à GamesMaster… Ils avaient déjà laissé tomber toutes les critiques de jeux indépendants en faveur d’un matraquage sur les produits GW, et il semblait probable que les critiques de livres indépendants suivraient rapidement le même chemin – ce qui a bien été le cas au final… David Pringle a repris la colonne dans le Dwarf après mon départ, bien que je pense le vol de ma formule «Critical Mass» (rq : un jeu de mot anglais entre « masse critique » et « messe de la critique ») lui a été imposé par GW et n’était pas de son fait! Ses revues ont été publiées dans les numéros 107 à 109, et 111. David V. Barrett a ensuite repris le flambeau – en utilisant toujours mon titre – du numéro 112 au numéro 115. L’emprunt s’arrête au numéro 116, qui n’a pas de rubrique critique. DVB m’a dit (même si je ne me souviens pas exactement quand) qu’il avait démissionné après avoir subi des pressions de sa direction pour mettre de l’eau dans son vin’.

David Pringle, de son côté, commença à contacter de potentiels contributeurs.

InquisitorJ’étais encore nouveau dans le métier lorsque David Pringle m’a appelé. J’avais publié de nombreuses nouvelles dans Interzone et ailleurs, mais mon premier roman (Raft) ne sortirait pas avant 1990, je n’avais jamais écrit de la Fantasy et je ne pratiquais même pas de RPG! Mais relever de nouveaux défis ne me faisait pas peur, et la compensation financière proposée était des plus sympathiques: pas moins qu’un très respectable 1.000 £ (en royalties garanties) pour un texte de sept mille mots, bien au-delà des tarifs proposés par Interzone et de la plupart des commissionnaires à l’international. Il s’agissait cependant d’une pure « vacation littéraire » : les droits d’auteur de la fiction appartiendraient à GW, les auteurs s’engageant à renoncer à leur propriété intellectuelle en échange de royalties. Je serais bien payé, mais tout ce que je créerais appartiendrait à GW.

David m’a envoyé une pile de manuels de jeu GW, dans lesquels je me suis consciencieusement plongé. Les premières nouvelles devraient prendre place dans le monde fantastique de Warhammer, qui ressemblait plus ou moins à une Terre du XIVème siècle peuplée de sorciers, Elfes, Nains et autres figures classiques de la Fantasy. Le ‘Chaos’, le concept fondamental de cet univers, jouait le rôle d’élément perturbateur. Ce background m’est apparu comme un assemblage d’éléments provenant de sources familières, Tolkien parmi elles – Cheryl souligne que Warhammer était «désespérément peu original». David Langford parle ‘d’emprunts divers et variés’, fragments lovecraftiens inclus.

La question des origines évacuée, il fallait reconnaître qu’il s’agissait d’un monde complexe, laissant beaucoup de place pour la création d’histoires. Quelques idées me vinrent. La première, qui donna au final la nouvelle intitulée ‘The Star Boat’, était basée sur une trace de science-fiction que j’avais identifiée au cours de mes lectures : une race convenablement mystérieuse et quasiment éteinte ayant bénéficié d’une technologie de pointe (rq : les fameux primo-Slanns). L’histoire convoquerait un ‘Norse’ – Erik le Changepeau, ayant hérité de la malédiction du loup-garou de ses ancêtres – à la recherche de l’ancien vaisseau spatial susnommé. La deuxième nouvelle, ‘The Song’, serait un pastiche fantastique incluant un «détective» Elfe. David apprécia ces idées et les transmit à Andy Jones, son contact pour l’écriture de scénarios chez GW, qui demanda des changements mineurs par rapport à mes pitchs initiaux. Je me suis mis au travail – sur la foi de la parole donnée par David, car je n’avais encore signé aucun contrat. J’ai livré ‘Star Boat’ à la Noël de 1988 et ‘The Song’ fin Janvier 1989.

En Janvier 1989, David fournit, à nous autres auteurs, ‘quelques principes directeurs’. Nous apprîmes que notre lecteur cible était un ‘ado intelligent de 18 ans’, qu’il fallait éviter le sadisme et le sexe explicite, et que notre ‘ligne directrice devait être l’aventure fantastique’. Comme je pense que nous avions été nombreux à buter sur la nature de ce fameux ‘Chaos’, David précisa : ‘Il est important de garder à l’esprit que « chaos » et « mal » ne sont pas synonymes. Il peut y avoir de bons dieux du Chaos (de fait, les dieux de la loi eux-mêmes sont nés du Royaume du Chaos… )‘

Marc Gascoigne indique que le concept de ‘Chaos’ a été inspiré par la série Eternal Champion de Michael Moorcock, qui avait également influencé Dungeons and Dragons. Les concepteurs de GW avaient toutefois à cœur de rendre justice à cette notion, que D&D avait galvaudée à leur goût. Marc révèle que les gens de GW étaient également au courant de l’influence qu’avait eu le Three Hearts & Three Lions de Poul Anderson sur l’univers de Moorcock. Selon lui, les Elfes de Warhammer tiennent autant de The Broken Sword d’Anderson que de Tolkien.

 KonradPour nous les auteurs, ce genre de subtilités s’avérait parfois déroutant, et leur non-inclusion dans les manuels de jeu ne facilitait pas notre appropriation du ‘dogme’. Nous ne tardâmes pas à apprendre que rien n’était laissé au hasard, et que le clergé de Nottingham, dirigé par Bryan Ansell en personne, était un gardien vigilant du sacro-saint lore. J’avais déjà reçu des commentaires éditoriaux sur mes manuscrits de la part de David, et d’autres suivirent de la part d’Andy Jones, et même d’Ansell. Certaines de ces remarques portaient sur d’obscurs détails de background, mais d’autres touchaient à la structure du récit, que l’on aurait pensé être la seule prérogative de David. Plus tard, ce fut au tour de William King d’entrer dans la danse. Bill était un contributeur d’Interzone doublé d’un joueur de Warhammer doté d’une solide connaissance du fluff, et fut recruté directement par GW peu de temps après. Alex Stewart (Sandy Mitchell) se souvient de ces expériences avec contrariété: « [Bryan Ansell] imposait des dictats absurdes tels que « les histoires ne doivent jamais être écrites à la première personne » quelques jours après la rendue d’un draft tout à fait satisfaisant, par exemple. »

Avec le recul, je réalise que cela n’était pas propre à GW; la propriété intellectuelle d’autres franchises telles que Star Trek est tout aussi étroitement contrôlée. À l’époque, j’éprouvais des difficultés à rendre des copies qui satisfassent mes innombrables relecteurs. Mais cela faisait partie du métier, du moins le pensais-je, et me servirait sans doute dans la suite de ma carrière. Au final, le changement le plus difficile à réaliser fut de transformer en ‘halfling’ le protagoniste elfique de ‘The Song’, afin de faire le lien avec un personnage créé par Alex dans une autre nouvelle ! (rq : le « fameux » Sam Warble)

La tâche de David Pringle n’était pas plus aisée. Les détails des jeux ‘ne cessaient de changer, au gré des humeurs des démiurges de Nottingham, donc c’était difficile. J’avais un bureau à Brighton et […] je montais [sur Nottingham] environ une fois par mois, la première année tout du moins, mais j’étais très éloigné du cœur du réacteur et des changements quasi-quotidiens apportés au background. Cela dit, c’était mon choix – je serais devenu fou si j’avais dû travailler à Nottingham, dans l’atmosphère assez étrange du siège de GW.’

En 1989, après cette interminable gestation, les premières publications de GW, prenant place dans le monde de Warhammer Fantasy Battle, firent enfin leur apparition en librairie.

 Krokodil TearsMon ‘Star Boat’ apparut dans la première anthologie publiée par GW Books, intitulée Ignorant Armies, avec des nouvelles de William King, Charles Stross (Charles Davidson), Nicola Griffith, Brian Stableford (Brian Craig), Kim Newman (Jack Yeovil) et Paul McAuley (sous le pseudonyme de Sean Flynn, le nom du fils du fils disparu d’Errol Flynn!). Les autres anthologies publiées peu de temps après mirent à contribution Storm Constantine, Eugene Byrne, Charles Platt et Alex Stewart. C’était un casting des plus respectables.

Le livre en lui-même était un poche joliment produit, avec une couverture en couleurs et des illustrations intérieures, dont certaines de Jim Burns (rq : un des grands noms de l’illustration de genre) – bien que certains pensent que ‘le caractère idiosyncratique (rq : plutôt particulier) de la couverture a pu affecter la visibilité globale [du livre]’ (Peter Garratt dans Interzone #70, Mars 1991). Marc Gascoigne ajoute que les premiers tirages furent réalisés au format B, plus large que le poche traditionnel, avant que ce dernier ne devienne courant dans les librairies, ce qui put également engendrer des difficultés marketing opérationnel.

Tout le monde n’utilisait pas de pseudonymes. J’eu recours au subtil alias de ‘Steve Baxter’, dans la veine du ‘Iain M. Banks’ (rq : l’identité ‘secrète’ de l’auteur Ian Banks), afin de marquer la différence avec mes autres travaux. Je ne voyais pas l’intérêt de dissimuler mon identité aux lecteurs qui auraient pu être attirés par mes autres écrits, et je n’avais de toute façon pas honte du travail réalisé pour le compte de GW. Nicola Griffith abonde: ‘Lorsque j’ai choisi de ne pas utiliser un pseudonyme pour cette commission, presque tout le monde a pensé que j’étais folle… Pour moi, il s’agissait d’une conséquence logique de ma conviction profonde de ne jamais publier quoi que ce soit dont je ne sois pas fière, et prête à y attacher mon nom et ma réputation.’

Pour Nicola comme pour certains des auteurs les plus inexpérimentés (moi inclus), la collaboration avec GW fut une source d’apprentissage. ‘Travailler sur du Warhammer ne m’a apporté que du positif… De façon cruciale, [j’ai] appris à mettre en scène une histoire de façon consciente et structurée. Par histoire, j’englobe l’évolution du personnage et la progression de l’intrigue. Avant cette collaboration, j’avais tendance à utiliser la méthode dite du ‘j-attends-d-être-frappée-par-l-inspiration’ (qui nécessite d’atteindre une sorte de ’masse critique psychologique’, processus incertain et mal compris, sur lequel il est difficile d’influer). En d’autres termes, j’avais l’habitude de ressentir mes histoires de manière assez incohérente, puis d’essayer de les coucher sur le papier. Évidemment, ce processus créatif n’est pas vraiment compatible avec l’écriture de travaux commissionnés. Quand l’argent, les délais et d’autres contraintes sont entrés en ligne de mire, j’ai appris à atteler ma muse (généreuse pourvoyeuse en thèmes, métaphores, émois intérieurs et autres mignardises littéraires en tous genres) à la parfois terne, mais toujours robuste, voiture ‘intrigue’. L’astuce était d’imaginer un petit David Pringle flottant au-dessus de mon clavier, répétant à intervalles réguliers ‘Oui, oui, c’est très bien, mais quand est-ce qu’il se passe quelque chose ?’.

Nous fûmes invités à une soirée de lancement pour Ignorant Armies. Nicola se souvient: ‘Ça a été ma toute première séance de dédicace – Je m’en souviens encore très bien : moi, toi, Bill King, Alex [Stewart], Kim Newman et d’autres, signant à la chaîne dans un hôtel miteux de Birmingham et buvant de la bière (gracieusement offerte). Je pense que la bière gratuite est la raison pour laquelle je me souviens de cette soirée. Je n’avais jamais associé les termes ‘bière’ et gratuit’ auparavant. Je n’avais jamais fait de dédicace non plus, et ça m’a semblé plutôt cool.’

L’anthologie fut généreusement, bien que de façon légèrement incestueuse, critiquée dans Interzone (#33, Janvier 1990), par Neil McIntosh et Neil Jones. Ce dernier finirait par aller travailler pour GW, et le premier deviendrait un des auteurs de la Black Library (rq : série Stefan Kumansky, entre autres). Ils signèrent: ‘Verdict : c’est un succès… Une expérience équilibrée et très divertissante, à la fois pour le joueur de Warhammer (auquel le livre est principalement destiné) et pour l’amateur de littérature Sword & Sorcery.’

Les premiers romans, également publiés en 1989, incluaient le premier tome de la trilogie ‘Orfeo’ de Brian Stableford (‘Zaragoz’), et le ‘Drachenfels’ de Kim [Newman a.k.a. Jack Yeovil], le début de sa série vampirique ‘Genevieve’. Brian Stableford apprécia le projet: ‘Warhammer m’a fourni une occasion en or de m’essayer à un type de production qui m’intéressait de longue date, et certaines des nouvelles que j’ai réalisées dans ce cadre font partie de mes œuvres préférées.’

Le Drachenfels de Kim fut critiqué par John Clute (rq : un des critiques de science-fiction et fantasy les plus reconnus et respectés) en personne dans Interzone (#35, Mai 1990). Clute ne manqua pas de remarquer qu’il s’agissait d’une œuvre commissionnée, mais nota également une récurrence de la figure de l’acteur dans l’intrigue de Kim, ainsi que des références appuyées à divers films. Comme si ‘l’intrigue… intégrait de façon consciente son existence à l’intérieur d’une franchise, gagnant du même coup une paradoxale et ultime liberté par rapport à cette dernière’ (rq : une mise en abyme quoi). Kim déclara que l’intrigue lui avait été inspirée par Busby Berkeley (rq : un réalisateur et chorégraphe américain du début du XXème siècle).

Plague DaemonWarhammer inspira Kim. Il signa, avec une facilité apparente – et décourageante –, sept romans pour GW Books au cours de ces premières années, en plus de contribuer aux recueils de nouvelles. Kim réussit manifestement à composer avec (toujours) et se jouer (parfois) des instructions de Nottingham que d’aucuns trouvaient contraignantes. ‘J’étais convaincu que cela [le second degré] était inhérent à cet univers, qui faisait un usage régulier de références clairement identifiables – la ville de Bilbali dans ‘l’Espagne’ de Warhammer, l’Impératrice Magritta qui prit le pouvoir en 1979 et opprima son peuple (rq : clin d’œil à Margaret Thatcher)… Pour 40K,  certains arguaient que le divin et immortel Empereur de l’Humanité était en fait Cliff Richards’ (rq : un pionnier du rock anglais, et le 3ème artiste ayant vendu le plus de disques au Royaume-Uni, derrière les Beatles et Elvis Presley. Le Johnny Hallyday anglais). Marc met en opposition l’aspect sarcastique et pince-sans-rire typiquement britannique de Warhammer et le premier degré absolu de D&D. Kim acquiesce: ‘Je n’ai guère eu à me forcer pour intégrer quelques éléments satiriques ou absurdes dans mes écrits – j’avais retiré de mon expérience (assez limitée) de rôliste que la plupart des groupes incluent un bouffon assumé, je suppose que je faisais la même chose à mon niveau. J’ai également abordé des sujets sérieux, comme des problèmes sociaux, la corruption politique… ce qui a peut-être équilibré le tout. » Marc se rappelle en souriant d’un chapitre de ‘Genevieve Undead’ intitulé ‘The Cold Stark House‘, une parodie de Cold Comfort Farm (rq : un roman de Stella Gibbons parodiant les romans champêtres du début du XXème siècle) avec des vampires. Beaucoup de lecteurs ne relevèrent pas la référence, cependant.

L’entreprise ne s’attira pas que des retours positifs cependant. Dans une chronique dans ‘The Face’ (Mars 1990) sur l’état de la science-fiction britannique, Colin Greenland l’assimila à un retour de la pulp fiction. ‘GW s’appuie sur des novices enthousiastes usant de pseudonymes, contribuant à faire de la Fantasy insipide la norme, exactement comme lorsque Michael Moorcock s’est lancé il y a 30 ans’. Et dans sa critique, plutôt favorable de ‘Drachenfels’, publiée dans le GamesMaster du mois d’Août 1990, David Langford abonde : ‘Je dois avouer que je nourrissais quelques craintes à me plonger dans les livres de Games Workshop se déroulant dans, et donc potentiellement contaminés par, le monde de Warhammer, ce qui m’a poussé à en retarder la lecture. GW m’avait sollicité pour que je participe à ce projet il y a quelques temps, mais après avoir lu les manuels de jeu, j’ai conclu que ce n’était pas pour moi. Le jeu est peut-être excellent, mais l’univers dans lequel il se déroule relève de la Fantasy bas de gamme et désespérément resucée’. Un contributeur initial, sous couvert d’anonymat, enfonce le clou : ‘Je me suis dit : ‘Qu’ils aillent se faire voir’. Je me suis contenté d’écrire un roman d’aventures classique, saupoudré de quelques références à Warhammer pour qu’ils me fichent la paix’.

Même les critiques publiées pour ces ouvrages générèrent leur lot de controverses.  Dans un article de l’Interzone #70, Peter Garrat réfuta l’idée cynique que David Pringle avait comme plan de remplir Interzone de revues dithyrambiques des livres de GW, et souligna qu’au contraire, ces derniers avaient reçu ‘étonnamment peu d’attention pour des ouvrages intelligents et bien conçus’. En tout état de cause, la bonne et large réception de ces livres avait enchanté David Pringle. ‘Les excellentes critiques que certains des premiers livres, dont le ‘Drachenfels’ de Kim, reçurent dans Locus (rq: un des magazines de référence de la science-fiction et de la fantasy) nous satisfirent  tout particulièrement. On ne pouvait soupçonner les contributeurs de Locus de conflit d’intérêt, et l’avis positif qu’ils émirent sur nos ouvrages n’en eut donc que plus de poids.  Si Locus les estimait dignes d’être portés à l’attention du grand public SF/Fantasy, il n’y avait aucune raison qu’ils ne soient pas également abordés dans Interzone.’ Une critique acerbe de Gwyneth Jones de deux publications 40K dans l’Interzone #46 (Avril 1991) vint renforcer la thèse d’un traitement (relativement) impartial de la gamme.

Pour ma part, je visitai le siège de Games Workshop en compagnie de David en Février 1989. Nous eûmes droit à un tour complet de la petite usine où les figurines étaient peintes à la main, et rencontrâmes Bryan Ansell et d’autres cadres de l’entreprise, comme si nous avions été des chefs d’Etat en visite. Je pus me rendre compte à quel point ils étaient fiers et protecteurs de la propriété intellectuelle de leurs univers franchisés; c’était comme une visite au Vatican.

 Red THirstJ’ai soumis de nouvelles idées. Après avoir retravaillé le manuscrit de ‘Star Boat’, j’ai proposé d’écrire une suite, intitulée ‘Wood and Iron’, centrée sur l’invasion du monde médiéval-fantastique d’Erik par des pillards de 40K, à la technologie beaucoup plus avancée. Un troisième volet, ‘Titan vs. T Rex’, aurait mis en scène une bataille sans merci entre un des ‘robots ambulants’ de 40K et un lézard géant.  En Mars 1989, j’ai en outre soumis un pitch de roman pour 40K, appelé ‘Assassin’. David accusa réception de mes idées et me demanda d’avancer sur ‘Wood and Iron’, là encore avant qu’un contrat en bonne et due forme eut été signé.

En coulisses, cependant, les lignes étaient déjà en train de bouger.  David Pringle se souvient: «[Ian Miller] n’a tenu qu’un an environ. Ses relations avec Bryan Ansell et Tom Kirby n’avaient jamais été cordiales… Mais je n’ai pas tous les détails de cette affaire, à moins que j’aie réussi à les oublier (rq : Ambiance, ambiance…). J’ai fait profil bas et j’ai continué à éditer mes livres. Quand Ian est parti en claquant la porte, le type qu’il avait recruté pour nous servir d’assistant à tous les deux l’a suivi. Au final, à la fin de 1989 ou au début de 1990, je me suis retrouvé tout seul pour gérer le bureau de Brighton. Après que les choses se soient tassées, j’ai glissé le nom de Neil Jones au commandement suprême et ai été autorisé à le faire venir comme adjoint.’

En 1990, le rythme des publications s’accéléra. David Garnett, sous le pseudonyme de ‘David Ferring’, était un vieux briscard de la fiction commissionnée, et avait une manière bien à lui de gérer l’imposant corpus soumis par GW pour références : il pitcha une trilogie sur un héros nommé Konrad, et commença à l’écrire. ‘Konrad débute son aventure à un âge similaire à celui de la majorité de la clientèle de Warhammer, soit 11-14 ans. Il a grandi dans un petit village et ne connaît rien du monde extérieur. Le premier livre permet à tout le monde (lui, les lecteurs, et moi-même, au fur et à mesure de mes lectures des manuels de jeu) d’en apprendre plus sur le monde de Warhammer’.

Comme Kim, David n’hésita pas à inclure du second degré à ses travaux. ‘Lorsque je devais baptiser un de mes personnages, et compte tenu de l’influence germanique de l’Empire de Warhammer, j’inventais souvent un patronyme en prenant la première syllabe d’un nom de famille et en y ajoutant la ou les dernières syllabes d’un nom différent. Je dois reconnaître avoir utilisé la liste des joueurs (Ouest) allemands de la Coupe du Monde de 1990 pour ce faire. J’ai également mis à contribution quelques amis Allemands lors de leur séjour en Angleterre pour obtenir des noms qui sonnent convenablement germanique – comme le sorcier renégat ‘Litzenreich’ dans ma trilogie ‘Konrad’. En reconnaissance des services rendus, j’ai baptisé deux personnages secondaires de ‘Shadowbreed’ (le 2ème livre de la trilogie) du nom de ces amis, Gertraut et Rita. Mais quand le livre est sorti en Allemagne, sous le nom de ‘Schattenbrut’, ‘Gertraut’ fut « dé-germanisé » en ‘Gertraud’ (Rita, prénom non-Teutonique, fut cependant maintenu).

Le premier livre, ‘Konrad’, parut en 1990. La stratégie de David Garnett s’avéra payante; comme le fit remarquer la critique d’Interzone (#74, Août 1993), le lecteur adopte ‘le point de vue du personnage principal, qui passe une bonne partie du livre sans avoir la moindre idée de ce qui se passe autour de lui’, ce qui n’empêche pas le résultat final de dégager ’une impression d’un monde complexe et fantastique’. Bien que la série des ‘Konrad’ ait été moins favorablement reçue par la critique, elle semble faire partie des publications les plus populaires pour le public ciblé.

 Route 6661990 fut également l’année de sortie des premiers livres se déroulant dans l’univers du jeu Dark Future. Le roman ‘Demon Download’ de Kim Newman était le premier tome d’une future série, et fut accompagné d’une anthologie de courts formats baptisée d’après sa novella ‘Route 666’.

Dark Future inspira quelques-uns des ouvrages les plus intéressants et singuliers de GW Books. Cheryl Morgan se souvient que Dark Future ‘était conçu à l’origine comme un RPG cyberpunk, inspiré par des livres tels que ‘Neuromancien’ (‘Neuromancer’ – William Gibson), ‘Tous à Zanzibar’ (‘Stand on Zanzibar’ – John Brunner), ‘Soleil Vert’ (‘Make Room ! Make Room !’ – Harry Harrison), ‘Jack Barron et l’Eternité’ (‘Bug Jack Barron’ – Norman Spinrad), ‘Le Troupeau Aveugle’ (‘The Sheep Look Up’ – John Brunner), ‘Planète à gogos’ (‘The Space Merchants’ – Frederik Pohl & Cyril M. Kornbluth), etc…’ Ça avait été le projet personnel de Marc Gascoigne lors de son année à Nottingham, et aurait pu être le tout premier jeu de rôle cyberpunk au moment de sa sortie, qui coïncida avec la publication du ‘Comte Zéro’ (‘Count Zero’) de William Gibson. Mais’, ajoute Cheryl, ‘les pontes de GW décrétèrent qu’ils voulaient plutôt un jeu de combat avec des voitures, à la Mad Max. Avec le recul, c’était en effet bien mieux aligné avec les goûts de leur public cible, les adolescents ne s’intéressant pas encore aux filles et aux mobylettes. Et bien sûr, cela fit vendre beaucoup plus de figurines’. Néanmoins, Marc réussit à injecter une grande partie du background du RPG mort-né dans le livre de règles du jeu de voitures, dont il supervisa la réalisation. Ce changement de dernière minute reste perceptible à la lecture des premiers romans, en particulier ceux de Kim.

Kim développe: ‘Le matériel de départ était si mince que nous avions toute latitude pour développer l’univers. David Pringle, Alex Stewart, Eugene Byrne, Brian Stableford et moi avons pu nous faire plaisir à ce point de vue. Là où l’histoire devient complexe, c’est lorsqu’on sait qu’Alex et Eugene ont écrit des livres qui ne sont finalement pas sortis sous l’appellation Dark Future. Mon dessein initial était de réaliser deux trilogies, mais en cinq livres seulement ! Deux livres sur Sister Chantal (mon ‘Demon Download’ et le ‘Violent Tendency’ – terminé mais non publié –  d’Eugene, dont nous avons réalisé l’intrigue ensemble), deux livres sur Krokodil (‘Krokodil Tears’ et ‘Comeback Tour’), et un dernier volume collaboratif (‘United States Cavalry’) dans lequel les personnages se rencontrent et qui vient clore tous les arcs narratifs. Ce dernier ouvrage (qui aurait pu être décliné en plusieurs tomes, car il y avait beaucoup d’éléments à couvrir) aurait dû être une collaboration entre Eugene et moi,  et nous avions commencé à plancher sur son intrigue’. La charge de travail des deux compères empêcha toutefois le projet de se concrétiser. ‘Je me suis récemment (rq : l’article initial a été publié en Mai 2003) replongé dans nos notes [pour la série], et ai réalisé que nous avions probablement laissé passer notre chance. L’action se passe en 2000 et contient beaucoup d’éléments qui ont très mal vieilli.’

Assassin’ étant mon premier roman, j’avais demandé un an pour le terminer. De son côté, Kim pouvait rendre un manuscrit de 70.000 mots en seulement quatre semaines: ‘Pour la plupart de mes livres GW, je me suis astreint à la cadence suivante : 7.000 mots par jour, cinq jours par semaine, pendant une quinzaine, puis une semaine de congé, puis une semaine de révisions. […] Ce rythme soutenu m’a souvent permis de me concentrer sur un livre à la fois, au lieu de de devoir jongler entre plusieurs projets. Je pense que ma vitesse d’exécution a excusé le caractère parfois un peu « brut de décoffrage » de ma prose.’ Kim ajoute au sujet de son ‘Comeback Tour’ (Dark Future) qu’il n’avait de toutes façons pas prévu de consacrer plus de trois semaines à explorer le concept d’un Elvis mercenaire ! La stratégie de Kim s’avéra efficace, comme le nota Peter Garratt dans Interzone #70 (Mars 1991): ‘Bien qu’il soit de notoriété publique que Mr Yeovil est plus expéditif à la table d’écriture que Dr. Newman, comme le veut la tradition de la pulp fiction, les textes du premier sont en général plus réussis que ceux du second’.

 Ce fut à cette époque que furent publiés les premiers livres traitant de 40K.

ShadowbreedEut égard à mon passif d’auteur de hard-SF, David me demanda de lui soumettre des idées de romans pour cet univers de space-opera. 40K s’avéra cependant être un terrain de jeu difficile à exploiter de mon point de vue.  Confrontée à des menaces indicibles, l’humanité s’en est remise aux pouvoirs télépathiques d’un Empereur morbide et grotesque, et a sacrifié sa liberté sur l’autel de la survie. Le pitch de mon roman, ‘Assassin’, mettait en scène un Garde Impérial renégat élaborant un complot pour assassiner ce fameux Empereur. Mais les gardiens du dogme de GW déclarèrent que le projet de mon malheureux héros lui vaudrait une exécution quasi immédiate des mains de ses camarades, sans doute motivés par la perspective d’une mort tout aussi certaine s’ils avaient la mauvaise idée de le laisser faire. Pour ma part, je ne voyais pas comment développer des intrigues dignes de ce nom dans un environnement où le conflit est impossible (rq : mais la guerre est éternelle, ironiquement) et toute velléité de changement écrasée dans l’œuf : c’était comme écrire des histoires se déroulant dans une fourmilière.

Je n’étais clairement pas le seul à éprouve ce genre de difficultés. Barrington J. Bayley proposa quelques nouvelles de manière spontanée, et se rendit à Nottingham pour rencontrer Bryan Ansell et quelques autres. Visiblement peu inspiré par la perspective impériale, Barry se tourna vers les factions non-humaines de 40K: les Tyranides, des insectes sociaux intelligents (rq : c’est… une manière de les voir, en effet), et les Eldars, des Elfes à la technologie très avancée. Ces propositions intéressantes n’aboutirent cependant pas, malgré le soutien de David Pringle, qui se souvient: ‘Nous avons eu énormément de difficulté à faire accepter les idées de Barry à GW. Je ne pense pas que Bryan Ansell était fan. Heureusement, ils ont accepté de le prendre quand ils ont lancé Black Library, quelques années après, ce qui lui a permis de mettre à profit ses travaux préparatoires’.

Charles Stross complète: ‘Je me souviens d’avoir été invité et expédié par car à un séminaire d’une journée à Nottingham, afin d’entendre [Bryan Ansell] et ses séides prêcher l’Evangile du Bolter (qui pourrait se résumer à Violence! Totale! Maximale! Immédiate!), et nous interdire formellement de prendre la moindre liberté avec leur prrrrrrréééééciiiiiieuse (*gollum*) propriété intellectuelle.’

Mes réserves initiales ne m’empêchèrent toutefois pas de réaliser que cet univers disposait d’une certaine profondeur intellectuelle. Lors d’une visite à Nottingham, j’ai débattu de 40K et de son manque d’humanité avec Bryan Ansell. Il m’a donné l’exemple des adolescents Irakiens fonçant en scooter à travers des champs de mines (rq : Guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988) en avance du gros des troupes, persuadés de gagner ainsi leur place au paradis. Son point était que même notre monde prétendument moderne regorgeait de systèmes de croyances archaïques du point de vue de l’école de science-fiction « occidentale ». On ne pouvait pas reprocher à Ansell de ne pas avoir une vision claire de ce qu’il voulait. Certains estimèrent que les tenants de 40K, et dans une certaine mesure, ceux de Warhammer Fantasy Battle également, avaient été influencés par ses convictions politiques personnelles.  Cheryl se souvient: ‘Je n’ai rencontré [Ansell] que quelques fois, et ce qui m’a le plus marqué chez lui était son désir de vivre dans une gated community, avec des miradors et des mitrailleuses pour empêcher les fauteurs de trouble d’entrer. Il avait une philosophie de la vie très Texane’. Marc se rappelle qu’Ansell pouvait être un patron difficile pour ses employés, travailleur mais parfois capricieux et impulsif. Un des rôles de Tom Kirby semble d’avoir été de tempérer les coups de sang de son boss.

À titre personnel, Ansell s’est révélé être un client compliqué. Il défendait de façon véhémente sa propriété intellectuelle et vous ne vouliez certainement pas le mettre en rogne. Je reste convaincu qu’il aurait pu tirer davantage des talentueux auteurs que David Pringle avait attirés sur le projet, et dont il s’était attaché les services pour des sommes coquettes, s’il leur avait laissé une plus grande liberté créative.

D’autres ont cependant réussi à composer avec Ansell. Kim raconte que ‘Bryan Ansell… a vraiment aimé ‘Drachenfels’, au point d’arbitrer en mon sens quelques conflits de canon avec les livre de règles, qui changeaient tout le temps de toute façon. Je me souviens d’une de mes rares réunions à Nottingham, où il avait été question des grandes lignes de ‘Drachenfels’. Quelqu’un a dit que les règles ne permettaient pas que l’héroïne soit une vampire, et il a été proposé que Genevieve devienne une Elfe. Bryan a préféré changer les règles en question. J’ai utilisé cette anecdote dans le passage où la méchante actrice demande si son personnage ‘ne peut pas être une Elfe’ à la place d’un vampire’.

 Storm WarriorsDe son côté, Ian Watson commençait à trouver ses marques dans la jungle de 40K, après avoir décliné la première offre de David Langford en Janvier 1987. Il justifie sa décision : ‘Contribuer à un projet baptisé ‘Warhammer’ m’aurait causé un profond problème éthico-politique. J’aurais largement préféré ‘Peacefeather’ ! Mais’, ajoute-t-il, ‘c’était avant que je réalise que j’avais urgemment besoin de quelques milliers de dollars (et avant que Stanley Kubrick n’entre dans ma vie – rq : Watson a collaboré avec Kubrick, qui avait racheté les droits de la nouvelle ‘Supertoys Last All Summer Long’ de Brian Aldiss, sur l’adaptation d’‘Artificial Intelligence’, et son travail a été repris dans le film de Spielberg)…’

‘David [Pringle] m’avait initialement dirigé vers 40K parce que je suis un auteur de SF, et pas de Fantasy… J’ai donc potassé l’Encyclopaedia Psychotica Galactica’ et j’ai soumis une nouvelle d’essai, assez caricaturale je dois dire, pour 40K. Sous le patronage bienveillant de David, je me suis ensuite plongé dans les profondeurs hallucinées du 41ème millénaire, et je me suis fait plaisir en jouant la carte du grimest & darkest grimdark à fond. La sauce a pris et le résultat est la trilogie ‘Inquisition War’.

Inquisitor’, le premier tome de la trilogie imaginée par Ian, fut publié en 1990. L’approche suivie par Ian était habile. Toutes les histoires ont besoin de conflit, et dans le cas du héros de Ian, Jaq Draco, ce conflit ne vient pas des fissures théologiques apparentes de l’univers de GW, mais de la perte de son humanité afin de devenir un outil de l’Empereur. Peter Garratt jugea dans Interzone #70 que Ian avait livré ‘le portrait convaincant d’une société désespérément dysfonctionnelle, qui reste cependant préférable à toutes les autres alternatives’. Garratt voyait en Ian ‘le Jack Yeovil du lointain futur’. Satisfait de son travail, Ian fit partie des auteurs qui ne recoururent pas un pseudonyme pour ses collaborations avec GW.

Ian Watson se rendit à Nottingham à quelques reprises, ‘dont une fois pour une réunion généreusement fournie en vin et canapés, dont l’objet était de faire collaborer plusieurs auteurs sur un projet de roman sur les Space Marines. L’un d’entre nous (moi, en l’occurrence) fut chargé de créer les personnages et l’intrigue, et les autres étaient censés prendre la suite. Comme personne n’est revenu vers moi à ce sujet, j’ai fini par écrire le roman entier (rq : le fameux ‘Space Marine’) et je me suis encore une fois beaucoup amusé. Comme cela s’est fait entre l’écriture d’Inquisitor’ et celle de ‘Harlequin’ [le 2ème livre de la trilogie ‘Inquisitor War’], j’ai recruté l’un de mes Space Marines comme personnage principal de ce dernier. On peut donc vraiment considérer ‘Space Marine’ comme le quatrième livre de la trilogie’.

Quant à moi, j’ai continué à guetter un retour sur ma novella ‘Wood and Iron’ et sur les autres idées que j’avais soumises. Malheureusement, je finis par me brouiller avec GW à propos d’un retard de paiement en 1990. GW annula promptement nos pistes de collaboration, y compris, et à mon grand chagrin, car j’en avais terminé le manuscrit avant qu’un contrat ne soit signé, ‘Wood and Iron’. GW finit cependant par me payer ce qui m’était dû.

GW pouvait être assez brutal dans ses relations avec ses auteurs, son manque d’expérience dans le domaine n’aidant évidemment pas, et je ne fus pas le seul à faire les frais de péripéties similaires.  David Pringle évoque le cas de ‘Angus Wells… qui écrivit un roman entier en l’espace de quelques semaines, alors que je lui avais conseillé d’attendre la signature d’un contrat. Finalement, le manuscrit d’Angus fut rejeté sans cérémonie par Ansell & Cie. Vous pouvez imaginer sa colère…’

Ayant globalement apprécié mon expérience avec GW – et je considère d’ailleurs les travaux réalisés à ce titre comme toujours pertinents – j’ai regretté que cela se termine de cette façon. Après avoir retravaillé ‘Wood and Iron‘, je pus trouver un autre acquéreur pour cette nouvelle. ‘Titan vs. T Rex’ n’a hélas jamais vu le jour, mais je reste persuadé que l’idée avait du potentiel! Au bout du compte, j’ai tout de même appris quelques ficelles du métier, et sur la manière de l’exercer en tant que professionnel, qui m’ont été utiles pour la suite de ma carrière.

Nous ne le savions pas, mais l’ère Interzone de GW était sur le point de prendre fin.

Wolf Riders

En dépit d’une réception critique raisonnable, les premiers titres s’écoulèrent dans des quantités décevantes. Peut-être était-ce dû à une mauvaise identification du public cible. David Pringle se souvient: ‘J’explique cela par un marketing déficient, des prix prohibitifs et des choix de design de couvertures pas vraiment commerciaux. Si on remonte à la source du problème, cependant, on se rend compte que GW ne savait tout simplement pas comment vendre des livres’. Le choix de travailler avec une équipe de commerciaux externes (ABS) sur ce chantier n’a certainement pas facilité les choses. Marc note que les indépendants comme ABS ont souvent des difficultés à faire distribuer leurs produits par les grandes chaînes. ‘De plus’, ajoute David Pringle, ‘alors que Bryan Ansell était un grand support du projet, Tom Kirby était plutôt dubitatif à ce sujet (il m’avait déclaré qu’il détestait la Fantasy et que son auteur préféré était Jane Austen – rq : une auteur réaliste britannique du début du XIXème siècle)’.

D’autres changements prirent place chez GW, Tom Kirby menant à son terme un nouveau rachat de l’entreprise. Bryan Ansell, qui souhaitait tirer récolter les fruits de son investissement initial, vendit ses part et s’installa à Jersey, où il lança une petite entreprise de modélisme appelée Wargames Foundry (rq : qui commercialise des vieux modèles Citadel, notamment ceux des frères Perry). Bien que doté de qualités indéniables, Ansell avait été un patron et un client difficile, et son départ fit des heureux.

Ansell parti, le support dont avait bénéficié les activités littéraires de GW, et avec elles, les nouveaux projets d’écriture, se réduisirent comme peau de chagrin. Charles Stross commente: ‘J’avais écrit deux nouvelles, sans convaincre Dave [Pringle] de me commander un roman (un mal pour un bien, avec le recul), et les propositions de contribution aux recueils se sont espacées… J’étais sur le point de mettre en chantier une deuxième nouvelle 40K lorsque l’annonce est tombée: désolé, mais nous n’allons garder que quelques Stakhanovistes, et vous ne faîtes pas partie des heureux élus’.

Paul McAuley fut de nouveau approché après la publication de sa nouvelle ‘Apprentice Luck‘. ‘Nous eûmes une discussion à propos d’une série de space-opera, pour capitaliser sur le succès rencontré par les livres de Ian Watson. Cela ne déboucha que sur une visite, plutôt agréable je le reconnais, de leurs bureaux et du domicile du très serviable Bryan, où j’ai pu admirer sa collection de voitures et ses bootlegs de Van Morrison.’ Cette reprise de contact ne donna rien de concret, et Paul ne travailla plus pour GW.

Sans nouvelles de la part de GW, les auteurs ayant soumis des manuscrits validés mais encore non publiés commencèrent à s’inquiéter. David Garnett et Ian Watson avaient tous deux une trilogie en cours. Les livres d’Eugene Byrne et Alex Stewart – qui craignait de toute façon s’être brouillé avec Bryan Ansell pour ‘ne pas avoir traité sa précieuse propriété intellectuelle avec le respect dû’ –  pour Dark Future passèrent en pertes et profits lorsqu’il fut décidé d’arrêter le jeu. Alex avait convoqué la sagesse de Colin Greenland (rq : un auteur de SF britannique, ayant notamment écrit ‘Le Pays de Cocagne’). ‘Ils voulaient moins de développement des personnages et plus de violence. Je ne voyais pas l’intérêt de me plier à un cahier des charges qui allait à l’encontre de ce qui m‘intéressait dans l’écriture. Je pense que mon roman Dark Future en a fait les frais, et s’est trouvé rayé des tablettes. En fonction de l’interlocuteur, l’excuse officielle était soit qu’ils s’apprêtaient à sabrer le jeu, soit que les changements apportés par Kim au background initial étaient tellement importants que mon manuscrit s’en trouvait hors-sujet. La raison officieuse était qu’Ansell avait mis son veto’. Alex réussit à négocier une prime de dédommagement, mais il n’y a rien de pire pour un auteur qu’une œuvre terminée mais non publiée.

En définitive, GW stoppa tout bonnement de commander de nouveaux livres. Au début de 1991, Neil Jones avait repris le chemin des salles de classe après la fin de son année de contrat, et David Pringle se retrouva tout seul à Brighton. Il se souvient: ‘Ma troisième année [chez GW] se révéla être une sinécure payée, car ils ne m’ont pas autorisé à sortir le moindre livre ! Je venais au bureau et je travaillais sur mes projets Interzone’. Les ultimes publications de GW Books sortirent en Mai 1991 : le ‘Ghost Dancers’ (Dark Future) de Brian Stableford et le ‘Beasts in Velvet’ de Kim Newman.

David Pringle fut licencié en Octobre 1991. En Novembre, des rumeurs firent état d’une liquidation prochaine de GW Books. GW annonça qu’il ne s’agissait que d’un arrêt temporaire, mais GW Books ne devait plus sortir aucun livre.

L’histoire de la GW-Fiction était cependant loin d’être terminée.

ZaragozIl s’écoula presque un an avant qu’il soit question de conclure un partenariat avec un nouvel éditeur pour poursuivre la diffusion des titres de feu GW Books. Ce dernier était Boxtree, ‘le spécialiste incontesté des spins-off de séries télévisées et des livres sur la pêche’, persifla un chroniqueur d’Ansible (rq : un fanzine de SF dirigé par David Langford). Ce portrait peu flatteur n’était pas tout à fait exact. Boxtree avait commencé à publier des ouvrages franchisés en 1991 (et continuerait jusqu’en 1998), et GW aurait certainement pu plus mal tomber en termes de partenaire commercial.

On consulta David Pringle. ‘Je me suis rendu à Londres pour une réunion, où ils me proposèrent un poste de rédacteur consultant sur cette nouvelle gamme. Je n’aurais pas été salarié, ni bénéficié du versement d’un acompte, mais il a été vaguement question de quelques centaines de livres de commission pour chaque roman publié. Dans ces conditions, j’ai refusé.’

Des plans ambitieux furent échafaudés en vue d’une publication de la saga ‘Konrad‘ de Garnett et des livres 40K de Watson en Janvier 1993, puis des titres Dark Future en Août. Une péripétie inattendue vint perturber ce planning de sortie. En Novembre 1992, une bataille juridique débuta entre GW + Boxtree et la maison d’édition Bantam/Transworld. Cette dernière avait lancé une série de romans pour jeunes adultes, signée par l’auteur Laurence James, et intitulée… Dark Future. Ce fut Kim Newman qui vint porter cette coïncidence à la connaissance de GW. Bien que le jeu ne soit plus distribué, GW intenta une action en justice et la remporta. Au début du mois de Décembre 1992, Transworld fut condamné à retirer ses livres des rayons sous une semaine, et à couvrir les frais juridiques engagés par GW, à hauteur de 60.000 £. Par le truchement des appels, l’affaire devait traîner jusqu’en 1993.

Les textes de loi relatifs aux marques déposées et aux droits d’auteur ne sont pas faciles à interpréter même dans des situations relativement simples, ce qui n’était pas le cas ici. Laurence James alla jusqu’à comparer l’affaire à la question du Schleswig-Holstein (rq : un différend diplomatique très compliqué ayant impliqué les duchés en question, la couronne du Danemark et la confédération germanique). Ce jugement, et le choix de GW de ne faire aucun compromis sur la défense de sa propriété intellectuelle, suscita quelques controverses (voir les numéros 66 et 67 d’Ansible pour plus de détails). De l’avis de Kim : ‘Cette histoire était assez stupide, notamment car Dark Future avait déjà été enterré par GW à l’époque et qu’ils n’avaient pas prévu d’en faire grand-chose. Le nom n’était pas vraiment marquant, ni même pertinent quand on y réfléchit (le jeu et les livres prenaient place dans un univers alternatif plutôt que dans le futur), et il aurait été possible de le remplacer par quelque chose de mieux – j’avais un faible pour Route 666, que l’on a depuis retrouvé dans des livres, des films et sur des t-shirts’.

Cette controverse repoussa le lancement des premiers titres de Boxtree à Février 1993. La trilogie ‘Konrad’, incluant son dernier tome, jusque-là inédit ‘Warblade’, les romans ‘Inquisitor’ et ‘Space Marine’ d’Ian Watson, et un livre de Jack Yeovil, reçurent les honneurs de la première publication. Une soirée de lancement fort sympathique, à laquelle je participai comme reporter pour Ansible (#78), fut organisée dans une librairie d’Oxford. Les principaux auteurs firent une brève intervention et répondirent aux questions d’un public amical. David Ferring raconta qu’on l’avait forcé à retirer toutes ses blagues de la série ‘Konrad’, Jack Yeovil révéla que l’intrigue de ‘Drachenfels’ venait d’un film d’Orson Welles, et Ian Watson donna un cours sur l’origine du wargaming (qu’il fit remonter à HG Wells, en 1913), et démontra à un auditoire un peu surpris que la GW-Fiction – tout comme les jeux de figurines dont elle s’inspirait – avait une certaine noblesse car la plupart des événements de l’histoire humaine, dit-il, dérivent de psychoses de masse générées par des fantasmes. Un peu d’optimisme ne fait jamais de mal.

Ces remarques trouvèrent un écho certain dans les observations faites par Barrington J. Bayley dans une interview récente (Interzone #184, Novembre-Décembre 2002). L’univers fouillé de 40K ‘entraînait beaucoup de travail… avant même de commencer l’écriture à proprement parler, mais je l’appréciais [l’univers de 40K] pour son côté impitoyable totalement assumé. C’est un condensé des pires facettes du XXème siècle – l’autoritarisme sanglant, le racisme impitoyable… -, mais ces dernières sont des maux nécessaires. L’humanité ne pourrait survivre sans elles’.

Au cours des deux années qui suivirent, Boxtree sortit des nouvelles éditions de la trilogie ‘Orfeo’ de Brian Stableford, et des recueils de nouvelles de David Pringle. Les tomes deux (‘Harlequin’) et trois (‘Chaos Child’) de la trilogie inquisitoriale de Ian Watson furent également publiés pour la première fois.

En matière de nouvelles commissions, David Pringle avait recommandé Neil Jones à Boxtree en tant qu’éditeur consultant. ‘Cependant’, suppute David, ‘il est probable que Neil ait trouvé l’expérience très frustrante, en plus d’avoir travaillé à l’œil pour Boxtree. Je sais qu’il a collaboré avec Bill King, et a été impliqué dans la réalisation des premiers livres ‘Gotrek & Felix’. Son ami Neil McIntosh (dont le premier roman fut publié quelques années plus tard par la Black Library) fut également de la partie. Je me souviens que Neil et moi avons essayé de faire recruter John Meaney (rq : un auteur de SF britannique et contributeur d’Interzone) par Boxtree pour écrire du 40K. Je reste convaincu que John, avec son attrait pour le mysticisme, les arts martiaux, la science dure et les idées loufoques, aurait parfaitement fait l’affaire. Je pense que j’ai réussi, au moins pour un moment, à l’intéresser au projet, et à lui faire lire les romans de Ian Watson… Mais ça n’a rien donné’. Encore une autre conjoncture intrigante !

Boxtree commanda à Kim son quatrième et dernier livre pour Dark Future, ‘Route 666’, en Octobre 1993. Kim se souvient : ‘Route 666’ était la suite de la novella qui avait initié la série… Comme beaucoup de lecteurs avaient fait l’impasse [sur la novella], commencé avec les romans et s’étaient perdus dans l’intrigue, quand Boxtree a lancé une nouvelle édition, j’ai transformé la novella en un roman. Au fina, la saga a un début, et plutôt deux fois qu’une, mais pas vraiment de fin… Je pense que Boxtree avait un faible pour Dark Future, car contrairement aux autres franchises de GW, l’univers était plus compréhensible pour quelqu’un qui n’était pas familier des jeux de figurines – ce qui était le cas de Boxtree. J’ai bien aimé travailler avec eux et nous avons discuté d’autres projets, qui n’ont jamais rien donné’.

HarlequinDes tensions persistantes virent toutefois ternir les relations entre GW et son éditeur. En Octobre 1994, Ian Watson se rendit à un événement ludique à Birmingham pour marquer la sortie de ‘Harlequin’, et Boxtree fit le pari d’expédier trois cents exemplaires d’une coûteuse édition collector à couverture rigide sur place, sans savoir s’ils arriveraient à écouler leurs stocks. Finalement, tous les livres se vendirent avant même le début de la séance de dédicace. GW arrêta de distribuer ces hardback dans ses magasins, prétextant que leur taille n’était pas adaptée aux étagères (Ian fit cependant remarquer que le prix de vente élevé des livres les faisait peut-être entrer en concurrence avec les jeux de GW, dont les taux de marge étaient bien supérieurs). Ian eut également le sentiment que les gardiens du temple de GW voyaient d’un mauvais œil la déviance manifeste de ses ouvrages ; ‘40K était en pleine évolution (ou en pleine régression, si j’en crois certains des joueurs historiques, qui déplorèrent le tournant ‘jeuniste’ de l’univers) et mes livres étaient (a) trop particuliers, (b) trop cosmopolites, la tendance étant plutôt à concentrer l’action sur des petits périmètres, et (c) trop déconnectés des jeux, et aider à vendre ces derniers était le nerf de la guerre’.

Peut-être que la relation entre GW et Boxtree n’était pas faite pour durer, les objectifs poursuivis par les deux entreprises étant trop différents. Finalement, la licence accordée par GW à Boxtree expira, le second se fit racheter par Pan, et ce fut la fin de l’histoire. Le ‘Chaos Child’ de Ian Watson fut la dernière publication originale du couple GW/Boxtree, en Juin 1995.

Pour autant que l’on puisse en juger, Boxtree accomplit sa part du contrat de façon honnête et diligente, même si (comme cela fut souligné dans Ansible en Décembre 1993) un commercial n’ayant pas potassé ses dossiers avait un jour déclaré : ‘Nous travaillons avec la crème des auteurs – des écrivains comme Ian Newman et Kim Watson’.

Ce n’était pas encore l’épilogue de la GW-Fiction, cependant.

En 1997, GW, sur une inspiration de Tom Kirby, initia un nouveau projet de publication de fictions, appelé ‘Black Library’. La Black Library, vitrine de Black Library Publishing, fut pensée comme une maison d’édition qui appartiendrait au Groupe GW. Marc Gascoigne retourna chez GW en 1997 en tant qu’éditeur pour cette nouvelle entité, dont la direction fut confiée au vétéran Andy Jones. En Juillet 1997, GW lança un magazine de fictions inédites se déroulant dans les univers de Warhammer Fantasy Battle et 40.000, baptisé Inferno!. La première nouvelle publiée sous ce nouveau format, comme cela avait été le cas pour ‘Ignorant Armies’, était signée Bill King et mettait en scène Grotek (sic) le Tueur de Trolls et son compagnon Felix (rq : Il s’agit de la nouvelle ‘The Mutant Master’, effectivement au sommaire de l’Inferno! #1. Cependant, on peut arguer que la toute première nouvelle Inferno! est à mettre au crédit de Jonathan Green, dont le ‘The Hounds of Winter’ figura dans le pilote du magazine, inclus dans le White Dwarf de Juin 1997). En Août 1999, GW commença à publier de nouveaux romans de GW-Fiction siglés Black Library, et des rééditions d’anciens titres ne tardèrent pas à suivre.

Entre la fin du partenariat avec Boxtree et le lancement de la Black Library, les activités de GW avaient connu un développement spectaculaire. L’entreprise était devenue une multinationale cotée en bourse, pouvant se flatter d’un chiffre d’affaires annuel dépassant les 100 millions de livres sterling –  à 100 lieues de ses origines estudiantines. Après avoir tant fait pour protéger et promouvoir sa propriété intellectuelle, on peut ironiser sur le fait que GW commercialise maintenant des jeux Seigneur des Anneaux, une des inspirations principales de son univers Fantasy, comme de tant autres d’ailleurs. Aujourd’hui, Black Library Publishing se compose de Black Library, Warhammer Historical Wargames et GW Partworks. La Black Library est elle-même divisée en trois segments : les romans et recueils de GW-Fiction, les magazines et les projets spéciaux. À l’avenir, la maison d’édition prévoit de publier des ouvrages n’appartenant pas à la GW-Fiction, se déroulant dans d’autres univers franchisés (rq : on attend encore, ou alors j’ai mal regardé).

Le marketing de la Black Library est une affaire bien mieux rodée que celui de ses prédécesseurs, et son rythme de parution sans commune mesure. La Black Library publie deux ouvrages par mois, un pour Warhammer Fantasy Battle et un autre pour 40K. Les livres sont distribués aux États-Unis et en Australie par Simon & Schuster et bénéficient de licences d’exploitation pour huit autres langues (allemand, espagnol, italien, polonais, russe, finnois, tchèque et hongrois). Rien qu’en 2002, se sont rajoutés à ces sorties « classiques » cinq romans graphiques, treize comics, six numéros d’Inferno! et quatre livres de background ou d’illustrations. Le White Dwarf n’est pas édité par la Black Library, mais continue son rôle de support marketing des jeux GW. Il s’en vend plus de 70.000 exemplaires au Royaume-Uni chaque mois, et près de 250.000 dans le monde entier. On compte même des comics Warhammer. Les publications littéraires ont clairement été intégrées au business model de GW. David Garnett abonde: ‘Un des gérants de boutiques GW m’a récemment informé que les volumineux manuels [que nous avions utilisés comme référence] ne faisaient plus partie de la gamme, et que le meilleur moyen pour les joueurs de s’initier au background était de lire les romans.’

Space MarineAutre changement notable, les ouvrages de la Black Library sont désormais critiqués dans SFX plutôt que dans Interzone – ce que je vois comme une preuve de maturité de la part de GW – bien que GW continue à envoyer des exemplaires de tous ses romans à David [Pringle] avant leur sortie commerciale. Les critiques de SFX ne sont pas toujours dépourvues d’intérêt (rq : on sent une certaine rivalité entre Interzone et SFX…): ‘Bien que tous les auteurs de la Black Library travaillent dans les mêmes univers, il est intéressant de voir comment chacun d’eux parvient à trouver un angle d’attaque personnel et à l’explorer dans ses publications …’ (Eddie Robson, SFX Décembre 2002). Et certaines peuvent être mordantes: ‘Ecrire en devant puiser dans un catalogue préétabli de monstres, d’armes, de sortilèges et de clichés éculés, j’appelle ça du « karaoké littéraire »’ (Sam Croft, Janvier 2003).

Pendant les années 2001 et 2002, beaucoup d’anciens titres de GW Books furent réédités – y compris ma nouvelle ‘The Song’, dans un recueil intitulé ‘The Laughter of Dark Gods’ – dont des ouvrages de Kim Newman, Brian Stableford, Ian Watson et la série ‘Konrad’ de David Garnett. Kim se fendit en outre d’une anthologie de nouvelles: ‘J’ai soumis l’idée de regrouper tous mes courts formats – dont une novella inédite (‘Warhawk’) – complétés d’un nouveau texte (‘The Ibby the Fish Factor’) que j’ai écrit pour que le tout atteigne une longueur acceptable, et pour clore de façon satisfaisante quelques-uns des arcs narratifs que j’avais développés au fil des ans. Cela m’a donné l’occasion de mettre au goût du jour certains aspects de mes précédents travaux, qui commençaient à accuser leur âge… Les gens de la Black Library ont accueilli l’idée avec un enthousiasme et un intérêt que je n’avais plus connu après le départ de David Pringle et Neil Jones.’ Conséquence de l’arrêt définitif de Dark Future, les meilleurs (à mes yeux) livres de Kim sous le nom de Jack Yeovil n’ont pas bénéficié de cette réédition; mais Marc Gascoigne affirme qu’un reboot de Dark Future reste possible (rq : ça aussi, on l’attend toujours…).

Pour certains des plus anciennes publications de GW-Fiction, le respect du background des univers Warhammer se poursuit post mortem, si l’on peut dire. Cela explique pourquoi la Black Library a longtemps ignoré la trilogie ‘Inquisition War’ de Ian Watson. ‘Il semblait établi que mes livres ne seraient jamais réédités, malgré les innombrables mails en provenance d’Amérique, d’Australie, d’Allemagne et d’ailleurs faisant état de recherches frénétiques autant qu’infructueuses de la part de potentiels lecteurs. Après des années de transfert diligent de ces mails à la Black Library, GW a finalement accepté de republier mes ‘classiques’, agrémentés de préfaces romancées dénonçant ces derniers comme un tissu de mensonges hérétiques. La solution idéale, en quelque sorte…’

‘Avant cela, une dispute avait éclaté entre la Black Library et les concepteurs de jeux. À la faveur d’une réédition de ma nouvelle ‘Warped Stars’, mon adorable Grimm le Squat à la barbe pouilleuse, le sidekick comique par excellence, avait été changé en l’insipide Grill le Technoprêtre, sans que je sois consulté. Les concepteurs de jeux avaient insisté sur ce point car les Squats avaient entre-temps disparu de l’univers de 40K et n’étaient plus utilisés dans les jeux. Si ‘Inquisition War’ avait subi le même sort, la qualité des ouvrages en aurait été grandement affectée, car Grimm y joue un rôle central. Heureusement, la Black Library a réussi à sauver sa barbe…’ Les livres furent bien republiés au final, bien qu’Inquisitor’ soit renommé ‘Draco’ pour éviter toute confusion avec un produit portant le même nom (rq : le jeu Inquisitor, bien sûr).

Ian annonce: ‘Je serais partant pour écrire un quatrième livre pour cette… ‘trilogie’ car c’était mon plan initial (Boxtree avait exprimé son intérêt pour le projet en des termes non incertains). Mes personnages finissent le troisième tome dans une situation un peu délicate, l’un complètement fou, l’autre définitivement mort, et comme ils me sont assez sympathiques, je me devais de faire quelque chose. Bien sûr, ce dernier livre devrait être écrit dans le même esprit que les trois précédents, sinon à quoi bon ? Une autre préface expiatrice serait donc nécessaire…’ Marc confirme que des discussions sont actuellement en cours pour donner une conclusion à la ‘trilogie’. ‘Space Marine’, à l’inverse, ne reviendra probablement pas du fait du gouffre infranchissable séparant le roman des canons du background actuel de 40K, mais la Black Library envisage malgré tout de l’e-publier (rq : ce qui a bien été le cas).

En outre, l’approche littéraire de Ian ne correspond guère à la philosophie de la BL, qui mise davantage sur la production de récits basiques mais efficaces. ‘L’écriture de Watson, quoique de qualité, se dénote par un maniérisme caractéristique, qui peut parfois distraire le lecteur,’ souligne Eddie Robson dans sa critique de la réédition de ‘Harlequin’ (SFX Décembre 2002).

Brian Stableford signa, malgré la persistance des restrictions créatives imposées par le background de GW, deux nouveaux livres, dont un roman pour 40K intitulé ‘Pawns of Chaos’. Ce dernier fut considéré comme ‘plutôt inabouti de l’avis général (y compris du mien), mais [je] ne fus pas capable de rendre une meilleure copie, mon processus créatif se trouvant étouffé par leurs directives draconiennes’.

Alex Stewart rempila également. ‘[Après que GW] eut republié ma vieille nouvelle (rq : ‘The Tilean Rat’) pour Warhammer dans ‘The Laughter of Dark Gods’… ils finirent par me proposer de contribuer à Inferno!… Ils apprécièrent tellement ma première soumission (rq : ‘Fight or Flight’, les premières armes du désormais fameux Commissaire Ciaphas Cain) que je travaille désormais sur une série de nouvelles centrée sur ce personnage pour Inferno!, qui débouchera sur un roman en bonne due forme (rq : ‘For the Emperor!’). Je dois reconnaître que la nouvelle équipe est bien plus professionnelle et amène que la précédente. La Tchéka stalinienne de l’ère Ansell a fait son temps. Les retours sont rapides et positifs, les demandes de réécriture se limitent aux problèmes de continuité ou à l’amélioration d’un passage, et le background a été descendu de son piédestal : sa subversion est tolérée, voire encouragée dans certains cas.’

D’autres noms familiers collaborent de temps à autres avec la Black Library. Recalé à l’époque de GW Books, Barrington J. Bayley est devenu un contributeur d’Inferno !, et a publié le roman ‘Eye of Terror’ pour 40K. La suite qu’il avait prévue de donner à cet ouvrage n’a finalement pas été commandée par GW (rq : et Bayley est malheureusement mort avant que le projet ait pu être mené à bien. Il est possible de consulter le synopsis de ce roman mort-né – ‘An Age of Adventure’ – sur un fan site). D’un point de vue personnel, la publication en 1999 d’une nouvelle de Bayley mettant en scène une bataille entre des Titans et des dinosaures géants (‘Battle of the Archaeosaurs’) est venu raviver quelques souvenirs…

WarbladeCas à part parmi les représentants de la génération Interzone, William King n’a jamais pris ses distances avec la GW-Fiction. Ayant atteint la quarantaine, Bill continue d’écrire des nouvelles et des romans pour les univers de 40K et de Warhammer Fantasy Battle. Depuis ses modestes débuts dans Ignorant Armies, la paire Gotrek et Felix a survécu à sept romans à ce jour (dont certains constitués des premières nouvelles écrites par King), à commencer par le judicieusement nommé ‘Trollslayer’. Bill travaille également sur une série 40K consacrée à Ragnar, un guerrier ‘dont les instincts primordiaux sont libérés par l’implantation du Canis Helix sacré’ (ce Ragnar ressemble un peu à mon Erik the Were!). Bill parvient à travailler sur des fictions originales, mais il était un gamer avant d’être un écrivain professionnel. Je suis content pour lui, mais pour ma part j’avoue être heureux d’avoir tourné la page d’Erik the Were (rq : c’est très petit ça, Stephen)!

De nombreux nouveaux auteurs ont rejoint l’aventure de la GW-Fiction. Parmi les contributeurs phares de la maison, Marc cite Bill King (Gotrek et Felix, Space Wolf, et la trilogie Eldar), Dan Abnett (Les Fantômes de Gaunt, la série Eisenhorn), Graham McNeill (Ultramarines), Gav Thorpe (The Last Chancers, Slaves of Darkness), en plus d’une douzaine d’autres auteurs ayant deux ou trois ouvrages à leur actif. Dan Abnett, qui s’est fait un nom en travaillant sur diverses franchises allant de Scooby Doo à Thunderbirds et 2000AD, a signé (au moment où cet article est écrit) neuf romans pour Warhammer 40.000 et deux autres pour Warhammer Fantasy Battle pour le compte de la BL, et contribué à divers romans graphiques. Marc souligne qu’Abnett est le meilleur vendeur de la Black Library : son premier roman Les Fantômes de Gaunt, ‘First & Only’, s’est écoulé à plus de 50.000 exemplaires, et les ventes cumulées pour cette série approchent rapidement les 325.000 copies. Bill King peut se vanter de chiffres comparables.

Honor Guard’ du même Abnett, publié en 2001, est un exemple typique de la ligne éditoriale de l’époque moderne de la GW-Fiction. Le concept est assez intriguant (rq : si tu le dis, Steve), la saga étant centrée autour d’un commandant franc-tireur, Ibram Gaunt, menant ses fidèles «Fantômes» de soldats dans une mission à hauts risques pour mettre en sûreté les reliques d’une sainte ayant mené l’Humanité vers les étoiles dans un passé lointain (rq : pas tout à fait, non.). Il est certain que le livre mise beaucoup sur l’attrait sombre et intemporel qu’évoque la figure du soldat. Marc assure que le pitch original d’Abnett était ‘Sharpe (rq : une série télévisée britannique mettant en scène le Sergent Richard Sharpe – Sean Bean – en tant que soldat des guerres napoléoniennes) dans l’espace’, mais Gaunt a viré au Band of Brothers (rq : un livre de Stephen Ambrose retraçant le parcours de la 101ème Division Aéroportée de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale, adapté en 2001 en mini-série par Steven Spielberg) à la sauce space-opera. À la faveur de combats incessants, les Fantômes forgent de très forts liens de loyauté entre eux et leur officier. L’autoritarisme latent de l’univers de 40K n’empêche pas les soldats de tenir tête aux décisions stupides des clowns du Haut Commandement et de contrevenir aux ordres pour aller sauver leurs camarades. Les personnages ont une véritable profondeur : un des Fantômes développe un syndrome post-traumatique à la suite d’un bombardement, et Gaunt se met parfois des mines carabinées.

Mais nous ne sommes pas en présence de romans de guerre classique ; évoluant dans le cauchemardesque 41ème millénaire, les Fantômes sont avant tout les soldats de l’Empereur-Dieu de l’Humanité. La guerre éternelle est devenue le lot de la condition humaine : ‘L’Imperium est immense et recèle de merveilles, mais qu’en resterait-il si l’on ne se battait pas pour le défendre ? …Rien… L’humanité ne survivra pas à la guerre, c’est la guerre qui survivra à l’humanité’ (p. 210). Les civils sont envieux des soldats et la vie ‘normale’ – les marchés, les églises, les maisons – ne sert que de toile de fond aux pérégrinations des Fantômes.

L’univers de 40K – comme les drames antiques avant lui – est parcouru par des saints et des démons qui se mêlent des affaires des mortels. La cosmogonie de 40K peut également convoquer des envahisseurs extraterrestres et des technologies antiques – ‘Nous avons détecté une flotte ennemie traversant l’Immaterium dans notre direction’ (p. 92) – mais 40K s’écarte franchement de l’approche rationnelle de la hard SF. A la place, pour déformer Arthur C. Clarke, la technologie est indissociable du miracle. Gaunt et ses hommes sont profondément religieux: ils croient vraiment en ‘la nature divine de l’Empereur’ et sont prêts à donner leur vie à son service, en temps de paix comme de guerre. Cette conviction les libère de tout dilemme moral quant à leurs actions. On peut facilement les comparer au plus zélés de nos Croisés historiques.

On doit reconnaître à Abnett sa capacité à créer du conflit, essentiel à toute intrigue, sans enfreindre les règles de l’univers de 40K : Gaunt, par exemple, désobéira à ses ordres s’ils se révèlent en opposition avec sa foi, qui est au centre de son système de valeurs. Abnett réussit également à donner au lecteur une bonne impression de ce que c’est que de vivre au 41ème millénaire. Dans la description sérieuse de Gaunt et de ses Fantômes, j’ai ressenti des échos de notre monde moderne, dans lequel les GI de l’ère Bush, armés d’un équipement ultra-moderne, d’une foi chrétienne chevillée au corps et d’une inébranlable philosophie conservatrice, sont envoyés pacifier la Bosnie et le Golfe. Peut-être que Barry Bayley et Ian Watson avaient raison au final, et que le futur cauchemardesque promis par 40K est plus proche de notre monde moderne que je ne le pensais.

Loin de moi l’idée de dénigrer les accomplissements de la GW-Fiction. Marc avoue sans fard que la ligne directrice de la Black Library consiste à produire ‘de la pulp fiction robuste et divertissante, dans la droite ligne des ouvrages qui nous firent basculer dans la science-fiction et les wargames (Moorcock, Leiber, Anderson…) – sans pour autant sacrifier la qualité littéraire des ouvrages. Nous voulons être fiers de nos livres, et nous le sommes. Comme nous sommes fiers qu’ils soient distribués en librairies, et s’adressent à tous les fans de SF/Fantasy. En 2000, la National Library Association a décerné un prix à GW en récompense des services rendus en faveur de l’alphabétisation – nous sommes plutôt fiers d’avoir contribué à faire retourner des ados de 14 ans en bibliothèque. Oh, et je confirme que certains de nos romans ont bien été écrits à la première personne du singulier, et nous ont donné toute satisfaction.’

La GW-Fiction reposant sur des travaux de commission dans l’acceptation la plus classique du terme, on peut comprendre que peu d’auteurs soient capables de se sublimer tout en respectant les consignes strictes qui caractérisent ce type de productions. Il faut toutefois reconnaître que David Pringle, au temps héroïque de GW Books, fit tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir des résultats qualitatifs, tout en cherchant à promouvoir la carrière de ses charges. En imposant à ses contributeurs une base et des contraintes communes, les franchises de GW ont permis à chacun des auteurs concernés de s’affirmer, et la grande variété stylistique et narrative de nos travaux n’en ressort que davantage. Ainsi, les premières années de la GW-Fiction ont agi comme catalyseur et creuset pour la ‘génération Interzone’ – les sommaires des recueils de nouvelles de cette période apparaissent avec le recul comme autant d’instantanés de l’époque.

Beaucoup des auteurs ayant participé à l’aventure de la GW-Fiction gardent un souvenir assez positif de cette dernière. Brian Stableford opine : ‘Je suis très reconnaissant envers Games Workshop, qui a très significativement contribué à mon passage au statut d’auteur à plein temps (même si de façon temporaire, malheureusement) dès 1989. Tous les problèmes, finalement assez mineurs, qui se sont posés au fil des ans – certains d’eux causés par leur manque d’expérience en matière de publication lorsqu’ils se sont lancés, d’autres par les changements qui touchèrent l’industrie du jeu à cette époque, et les impacts de ces derniers sur leur ligne éditoriale – n’éclipseront jamais les conséquences extrêmement bénéfiques que GW eut, à intervalles réguliers, sur l’état – toujours fragile –  de mes finances… De mon point de vue, les univers de Warhammer se sont calcifiés, et avec eux les opportunités de création, depuis quelques années, mais cela ne m’a pas empêché de poursuivre des relations fructueuses et productives avec eux jusqu’à tout récemment. Je suis très heureux d’avoir pu bénéficier des opportunités que GW m’a procurées et espère que leurs activités de publication (et leurs activités de manière générale) continueront à se développer.’

Nicola Griffith envisage de replonger dans l’univers de Warhammer Fantasy Battle, mais selon ses propres règles. ‘Je réfléchis à me lancer dans une bonne vieille épopée de sword & sorcery, autour des personnages créés pour ‘The Other’ (‘Ignorant Armies’) et ‘The Voyage South’ (‘Red Thirst’). Lorsque j’en ai discuté avec Games Workshop il y a quelques années, ils ont eu la gentillesse de m’autoriser à les utiliser du moment que je changeais leurs noms (rq : du coup, c’est assez restrictif au final) et expurgeais mes travaux de toute référence à Warhammer… La jeune héroïne de ‘The Other’ m’intéresse de plus en plus : qui est-elle, d’où vient-elle, comment a-t-elle vécu sa transformation et sa guérison (rq : ‘The Other’ raconte l’histoire d’une ménestrel dont la jambe commence à muter après qu’elle ait reçu un éclat de malepierre dans la cuisse), comment est-elle parvenue à faire front et donner le change pendant cette épreuve, etc… Ce ne serait au final pas si éloigné de mes travaux postérieurs, qui tournent également autour du concept du changement (rq : Nicola Griffith, séide de Tzeentch ?).

En règle général, tous les auteurs chérissent leurs écrits, qu’il s’agisse de créations originales ou de travaux de commande. Kim Newman acquiesce: ‘Je les [mes vieux livres pour GW] aime bien. Sans doute parce que je les ai écrits très rapidement, il m’arrive d’être surpris par leur contenu. Le fait que les lecteurs et la critique aient reconnu que je ne me suis pas contenté de mettre le pilote automatique au moment de leur écriture – ce qui était la manière dont je pensais que ce genre d’ouvrage était produit, avant que cela me concerne –, doit également jouer dans cette appréciation positive. Dommage qu’ils soient restés confinés à la minorité de lecteurs-hobbyistes de Games Workshop, et n’aient pas trouvé un plus large public (mon ambition a toujours été d’écrire des romans qui pourraient intéresser autant les filles que les garçons), mais la messe n’est jamais totalement dite, je suppose…’ Le rêve de Kim semble toutefois se réaliser aux Etats-Unis, où, d’après Marc, 50 à 60% des ventes de livres de la Black Library se font à destination de personnes ne connaissant pas les jeux de Games Workshop.

Laissons le mot de la fin à Ian Watson : ‘Les livres que j’ai écrit pour 40K, qui ne ressemblent pas vraiment au reste de ma bibliographie, comptent encore aujourd’hui parmi mes ouvrages les plus populaires, tant en termes de ventes que de retours de fans… Je n’ai donc aucun problème avec le fait d’avoir contribué à la GW-Fiction, et sous mon propre nom qui plus est…  Cela m’a permis de découvrir, et d’être découvert par, une communauté très différente de celle des lecteurs de SF « classique », et nos interactions ont été, et restent, plutôt enrichissantes. J’ai même reçu des lettres de fans de mes romans de GW-Fiction dont j’aurais « changé la vie » (rq : pour le meilleur, j’espère). C’est pour moi la raison d’être d’un écrivain.’

Remerciements: Merci aux personnes suivantes d’avoir si généreusement accepté de partager leurs souvenirs avec moi (par ordre alphabétique) : David Garnett, Marc Gascoigne, Colin Greenland, Nicola Griffith, David Langford, Paul McAuley, Cheryl Morgan, Kim Newman, David Pringle, Mike Scott Rohan, Allan Scott, Brian Stableford, Alex Stewart, Charles Stross et Ian Watson. L’aide de Charles, Alex et Marc a été particulièrement utile pour la chronique des prémisses du wargame et la préhistoire de GW. Charles m’a dirigé vers http://www.fightingfantasy.com/fftale.htm, un compte rendu à la première personne sur la fondation de GW par Steve Jackson, et Marc m’a indiqué où trouver des éléments biographiques sur Ian Livingstone. L’Encyclopédie de la Science-Fiction (Clute/Nicholls – Orbit, 1993), et Ansible contiennent également des informations et références qui ont été utiles à la rédaction de cet article. Merci encore à Dave Langford, qui m’a mis à disposition sa correspondance de 1987 avec GW. Les critiques de David citées ci-dessus peuvent être consultées dans The Complete Critical Assembly (Cosmos 2001). Toute erreur ou omission relève de ma seule responsabilité (rq : ou de la mienne).