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RED THIRST [WFB]

Bonjour et bienvenue dans cette critique de Red Thirst, troisième et ultime recueil de nouvelles Warhammer Fantasy Battle sorti par GW Books, l’ancêtre lointain, disgracieux, mais coloré (sans blagues, jaugez-moi ces couvertures !) de notre Black Library. Si vous avez lu, parcouru ou survolé les deux épisodes précédents (ici et ), vous ne serez pas dépaysés par cette nouvelle descente dans le monde merveilleux, mais souvent daté, voire kitsch, des courts formats du tournant des années 901. Encore une fois – et c’est la dernière, alors profitez-en –, nous partirons à la découverte des pépites et pétoncles de cette époque fondatrice, ou en tout cas exploratoire, de la GW-Fiction, et tâcherons d’en apprendre un peu plus sur le (vraiment) Vieux Monde, tel qu’il apparaissait en ces temps antédiluviens.

Sommaire Red Thirst (WFB)

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Troisième round aidant, la majorité du casting de ce Red Thirst nous est déjà plus (Yeovil, King, Craig) ou moins (Baxter, Griffith) familière, seul l’énigmatique Neil Jones faisant ses débuts dans la carrière par l’intermédiaire de cette publication. Cette récurrence des auteurs se solde par le retour de personnages familiers : Gotrek et Felix, Genevieve et Vukotich, ou encore Sam Warble. On notera également que l’ouvrage regroupe des travaux plus conséquents que ses prédécesseurs, avec trois nouvelles (sur six, au lieu des huit « habituelles ») de plus de quarante pages au sommaire, ce qui se ressentira peut-être dans le rythme global du livre. Nous verrons bien. Ce qui ne change pas, en revanche, c’est l’usage délectable d’illustrateurs patentés qui ont égayé les pages de leurs esquisses2. Voilà qui me semble suffire en guide de propos liminaire : à table donc, pour s’en jeter un petit. C’est ma tournée.

1 : 1990, pour les petits malins. J’étais là (Gandalf…), déjà, à l’époque. Pas vieux, mais présent.
2 : Pour être honnête, j’ai même racheté un exemplaire du bouquin en version GW Books (mon premier achat était un Boxtree), pour pouvoir bénéficier de ces illustrations. La GW Fiction, cette passion ruineuse…

Red Thirt

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Red Thirst – J. Yeovil:

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INTRIGUE:

Réveil brutal pour Vukotich le mercenaire (dont nous avons croisé l’incarnation vénérable dans The Ignorant Armies), qui émerge d’un coma moins éthylique que concussé, conséquence regrettable mais prévisible de sa grande idée de vouloir s’encanailler dans une taverne clandestine de Zhufbar, alors que Claes Glinka et ses séides y avaient pris leurs quartiers d’hiver. Qui est Claes Glinka, me demanderez-vous ? Eh bien, pauvres incultes que vous êtes, Herr Glinka n’est rien de moins que le Frigide Barjot du Vieux Monde, soit un zélote obscurantiste horrifié par la décadence des mœurs contemporaines, mais possédant un talent marketing et événementiel certain, ce qui lui a permis de recruter assez de followers et d’influence auprès des autorités compétentes – ici l’Empereur Luitpold – pour organiser des manifs pour (et contre) tous d’un bout à l’autre du pays. Entre deux autodafés, fermeture de bordels et abattage de vignobles, Glinka trouve également le temps d’ouvrir des Starbucks à la place des estaminets dans les villes que sa caravane visite. Bref, un fléau.

Vuko, lui, est un jeune mercenaire en quête d’un nouvel employeur, à la suite du décès prématuré du précédent, et qui se disait que passer une tête – moustachue – dans la cité où se tenait le Festival d’Ulric (l’équivalent de l’Eurosatory de l’Empire) serait une riche idée pour se trouver une nouvelle affectation. Peu concerné, ou sensible, aux arguments du Gardien de la Moralité, notre héros s’est donc fait surprendre en plein stupre (la fornication était en projet) par quelques croisés à gourdins, et revient à lui à l’arrière d’une carriole l’emmenant, ainsi que quelques dizaines de malheureux, dans des camps de travail gobelins. C’est comme ça que la Glinka se finance. Seule consolation, il réalise que le compagnon de travée auquel il est enchaîné est une fort accorte escort, embarquée comme lui par la patrouille. En tête de wagon, nous faisons la connaissance de Dien Ch’ing, Cathayen d’origine, comme son nom l’indique, et fidèle suivant de Glinka… en apparence. En fait, Ch’ing est un disciple de Tsien-Tsin, où Tzeentch comme certains l’appellent également, expulsé de sa pagode par les moines guerriers du Roi Singe, l’ennemi mortel des Dieux du Chaos dans le grand Orient. Guidé par ses visions, Ch’ing a infiltré la croisade de Glinka afin de porter quelques plans retors du Grand Architecte à maturité, et n’attend que le bon moment pour retourner son kimono. En attendant, il s’amuse à convoyer les mauvais sujets de l’Empire au goulag, ce qui est une activité comme une autre.

Un arbre tombé en travers de la route donne toutefois l’occasion à Vukotich d’échapper à ce funeste destin, notre intrépide Kislévite saisissant sa chance ainsi que son infortunée voisine, et plongeant dans la forêt en contrebas de la route après l’immobilisation du wagon. Outré par ce manque de savoir-vivre, Ch’ing envoie un trio de grouillots régler leur compte aux déserteurs, qui n’ont cependant aucun mal à en venir à bout. Craignant initialement que sa camarade de chaîne ne se révèle être un boulet (ce qui aurait été logique, finalement), Vukotich est favorablement surpris, et même impressionné, par l’agilité et la dextérité de sa compagne, dont l’aide se révèle précieuse pour dézinguer les goons de Ch’ing. C’est donc avec regret qu’il se résout à lui trancher la main avec l’épée qu’il a récupérée sur un cadavre de PNG malchanceux, afin de regagner sa liberté… sans grand succès. Et pour cause, sa comparse n’est autre que la vampire Genevieve, dont les super pouvoirs incluent donc une peau en kevlar (pratique). Mi (plutôt que morte) vivante avec des principes, elle pardonne à Vukotich son coup de sang, et, ne pouvant pas non plus briser les menottes qui les lient – surtout que la sienne est plaquée argent –, le convainc de faire équipe jusqu’à la première forge qui se présentera à eux. Proposition acceptée par son (désormais) side-kick, qui réalise de toute façon qu’il a intérêt à filer droit s’il ne souhaite pas terminer en casse-dalle pour amphisbaenae1.

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Après quelques heures de marche, notre couple involontaire arrive dans un petit bled paumé, et réussit à squatter une cabane abandonnée pour permettre à Vukotich de reprendre des forces2. Par un hasard qui ne sera pas heureux pour tout le monde, comme nous allons le voir, cette même cabane a été choisie par deux individus de rang pour se rencontrer discrètement. Le premier est le Seigneur Maréchal de Zhufbar, Wladislaw Blasko, qui a laissé Glinka mettre la cité en coupe réglée sans faire trop de vagues… parce qu’il est lui aussi un agent du Chaos infiltré. Ça commence à faire beaucoup. Son interlocuteur est le Haut Prêtre de Tzeentch Yefimovich, ayant tiré le don « je suis une ampoule de feu rouge » dans la table des mutations, et habituellement stationné dans le Kislev, mais en goguette dans le Sud pour les vacances. Nos deux conspirateurs s’entretiennent de leur plan machiavélique, qui consiste en l’assassinat de Glinka lors d’une prochaine cérémonie, ce qui permettra à Blasko de prendre sa place à la tête de la croisade, et de laisser opportunément ouverts aux hordes orientales les cols des Montagnes Noires. Bien évidemment, Vukotich et Genevieve, camouflé sous un drap de scenarium, voient et entendent tout, et décident, à contre-cœur mais il le faut bien, d’aller sauver le Gardien de la Moralité pour éviter son remplacement.

Un peu plus loin, nous retrouvons Dien Ch’ing, perturbé par de sombres pressentiments et l’insatisfaction du devoir non-accompli. Ayant été chargé par Yefimovich d’occire Glinka, il ne veut rien laisser au hasard, et se lance dans une séance de divination à l’aide d’un bol tournant, ce qui lui permet d’assister par visio à la rencontre de son boss avec Blasko, mais également de s’apercevoir que ces derniers n’étaient pas seuls dans la piaule. Contrarié par ce coup du sort, il invoque le fantôme de l’un de ses vénérables ancêtres, l’honorable Xhou, aller négocier (ils sont urbains ces Cathayens) avec les contrevenants, afin qu’ils laissent les événements suivre leur cours. Malgré les trésors de courtoisie et de diplomatie dont fait preuve Xhou, qui se matérialise devant Vukotich et Genevieve alors qu’ils avaient repris la route de Zhufbar en charrette, il ne parvient pas à conclure un deal avec nos héros, qui finissent par le bannir comme l’ennuyeux pop-up spectral qu’il est. Au moins, Ch’ing aura essayé de résoudre le différent à l’amiable. Il passe à nouveau à l’action quelques heures plus tard en envoyant cinq élémentaux régler leur compte aux fâcheux à leur sortie de la ville de Chloesti, où les séides de Glinka avaient organisé un autodafé de la délation3 (c’est comme un pot de l’amitié, sauf que c’est différent), qui a fini dans une très chaude ambiance4. Dépassés par les événements, les aventuriers s’en sortent grâce à la culture G de Mme G, qui réussit à monter les démons les uns contre les autres en demandant innocemment qui avait la plus grosse… énergie mystique parmi le quintet, provoquant un affrontement fratricide aux résultats peu concluants.

Tout est prêt pour le grand final de cette longue nouvelle. Genevieve et ce gros dalleux de Vukotich arrivent sur les rivages de la Blackwater, trouvent un bateau de pêche et partent à la rame vers Zhufbar. Dans la cité, Ch’ing se prépare à commettre l’irréparable au cours d’une adresse publique de Glinka, organisée sur la plage municipale (pourquoi se priver ?). Le plan machiavélique et savamment planifié de nos affreux est toutefois contrarié par l’arrivée soudaine de Genny et Vuko, qui parviennent à créer une belle pagaille parmi l’auguste assemblée, peut-être en exhibant les parties charnues de leur anatomie à la cantonade. Hé, il faut ce qu’il faut. La dague magique de Ch’ing n’ayant pas eu le temps de charger totalement, le cultiste voit s’enfuir sa cible sans avoir pu tenter sa chance. Il a toutefois l’occasion de se venger des éléments perturbateurs et de leurs gros nez d’Occidentaux en leur faisant bénéficier d’un masterclass de MMA5.

Le combat qui s’engage voit le bonze démoniaque tenter de mettre des grands chassés dans la face de ses Némésis, avec des résultats peu concluants, la vampiritude de Genevieve lui permettant d’esquiver ou d’encaisser facilement les coups de pied retournés et manchettes cathayennes de Ch’ing. On suppose que Vukotich, toujours enchaîné à sa dulcinée, a dû avoir un bras disloqué à la fin de la journée. Frustré dans ses tentatives de muay-thaï, l’expat’ se rabat sur ses pouvoirs arcaniques pour finir le taf, mais se trouve là encore contrecarré, cette fois-ci par l’alliance, que dis-je, l’alliage, de circonstance entre le fer et l’argent des chaînes liant Genevieve et Vukotich, qui se révèle être l’anathème du choke-tilège jeté par Ch’ing sur le malheureux Glinka. L’homme sage connaissant ses limites, le moine Ch’(aol)ing décide enfin d’aller voir ailleurs si Tsien-Tsin y est, et prend son congé de Zhufbar, non sans promettre à Genevieve qu’il reprendra contact sous quinzaine (de jours, d’années ou de siècles, mystère). On se rend alors compte que Blasko, qui avait tenté d’aider son pote chaotique dans la mêlée en surinant Vukotich, est tombé dans la Blackwater en armure complète, et peut donc être rayé des cadres. Plus intéressant, l’inflexible puritain Glinka se révèle être un mutant, comme l’atteste la paire de bras surnuméraires qu’il dissimulait sous sa chasuble. C’en est fini de sa croisade, et probablement de son existence, si l’Empire se révèle fidèle à sa politique en matière de diversité.

Fatigué par les événements, Vukotich pique un gros roupillon de deux jours sitôt ses menottes ôtées par le forgeron de fonction, et apprend à son réveil que sa partner in crime-solving n’a pas fait de vieux os à Zhufbar, et est repartie vivre sa non-vie dans l’anonymat qui lui convient mieux. C’est l’affable Maximilian von Konigswald, père d’Oswald (le vainqueur de Drachenfels et compagnon d’armes de Genevieve), qui met le mercenaire au courant des dernières actualités, entre deux rasades d’eau de vie. Plaqué par son crush, Vukotich se sent tout d’un coup bien chose, mais, rassurez-vous, il s’en remettra.

1 : Vous ne savez pas ce que c’est ? Moins non plus. Seul Jack Yeovil est au courant, à mon avis.
2 : Et de rêver, prémonitoirement, d’une bataille au sommet du monde mettant aux prises une faune bigarrée. Il l’ignore encore, mais il s’agit de la conclusion d’Ignorant Armies.
3 : Et où Genevieve rencontre un tout jeune Dietlef Sierck (‘Drachenfels’) déjà sensible aux choses artistiques, et son acariâtre môman.
4 : Pour Vukotich aussi, notez, car une péripétie annexe mais distrayante voit nos héros passer la nuit dans un hôtel de passe reconverti en établissement honorable à la suite des puritains de Glinka, et profiter l’un de l’autre pour réaliser un échange de fluides. Surpris au réveil par une bande de clercs de notaires patibulaires, nos tourtereaux étaient sur le point de se marier sous la contrainte au moment où arriva le cinquième élément (et ses potes avec lui).
: Ce qui dans ce contexte veut dire Mystic Martial Arts.

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AVIS:

Red Thirst (baptisé ainsi en référence au penchant de Genevieve pour le gros rouge) est une des nouvelles qui justifient que l’on s’intéresse de plus près aux origines de la GW-Fiction. Jack Yeovil fait en effet très fort avec cet épisode de ce que l’on doit bien appeler son cycle Genevieve, en parvenant à cocher toutes les cases du cahier des charges de ce type de publication. On pourrait bien sûr parler de son choix de mettre en avant un pan mystérieux du fluff de Warhammer Fantasy, et ce faisant, de le développer, par l’inclusion du personnage de Ch’ing (à ma connaissance le seul Cathayen dépeint dans une œuvre de fiction). Il faudrait alors souligner qu’en quelques lignes, Yeovil parvient à donner une véritable impression d’exotisme et de profondeur à un concept sur lequel GW s’est assis pendant plus de trente ans. Les apports de background ne se cantonnent cependant pas à l’Extrême Orient : l’Empire en bénéficie également, tant au niveau culturel que géopolitique. Et que dire de la figure de Yefimovich, qui illumine (dans tous les sens du terme) de sa présence les quelques pages dans lesquelles il apparaît.

Une autre réussite à mettre au crédit de Jack Yeovil réside dans la construction et le déroulement de son propos, qui enchaîne les péripéties avec un rythme et une facilité déconcertants. La taille du résumé (qui porte bien son nom, car il en reste de là où ça vient) ci-dessus devrait vous donner une bonne idée de la richesse narrative de Red Thirst. C’est la marque des grands conteurs que d’arriver à agencer leur récit sans temps mort ni à coups, et Yeovil fait définitivement partie de cette catégorie. Soulignons en outre la belle variété d’ambiance dont bénéficie cette nouvelle, du grimdark as usual au vaudeville (la scène dans l’hôtel de passe est savoureuse) en passant par la fugace romance entre Vukotich et Genevieve et la légende orientale (l’attaque des élémentaux). Peu nombreux sont les textes de GW-Fiction disposant d’une telle amplitude, bien que l’on puisse également citer William King (un autre grand ancien) ici.

Terminons par la remarque que Jack Yeovil a sans doute été le premier auteur de GW à raisonner en termes d’univers narratif, bien des années avant qu’Abnett ne créé son Daniverse, imité par Graham McNeill et d’autres contributeurs de la Black Library au fil des années. Les liens d’intrigues tissés par Yeovil dans ce Red Thirst sont une autre très bonne raison de lire cette nouvelle… si vous êtes familiers avec la galerie de personnages créés par l’auteur. Genevieve, bien sûr, mais également Vukotich (Ignorant Armies, qui gagne ici son surnom d’Homme de Fer), la lignée des von Konigswald (Drachenfels), un Dietlef Sierck en culottes courtes (ibid)… et sans doute d’autres figures que Yeovil a repris dans d’autres nouvelles et romans lors de sa pige pour Games Workshop. Mine de rien, savoir que l’investissement dans le corpus d’un auteur sera récompensé par des caméos, clins d’œil et autres easter eggs constitue une motivation forte pour le lecteur, et je suis plus déterminé que jamais à combler mes lacunes en Yeovilerie1. Bref, une authentique pépite de la littérature GWesque, injustement condamnée à l’oubli par la politique éditoriale de Nottingham. Si cette critique ne vous donne ne serait-ce que l’envie de vous pencher sur le cas Jack Yeovil (toujours non-traduit à l’heure actuelle, et c’est tragique), elle aura atteint son objectif.

1 : Je suis sûr que cela fera de moi un nouvel homme. 😉

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The Dark Beneath the World – W. King:

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INTRIGUE:

Après avoir recouvré leur indépendance, à la suite de la tentative avortée de la dynastie des Von Diehl de bâtir leur petite baronnie dans la prairie des Principautés Frontalières (Wolf Riders), Gotrek et Felix prennent la route de Karak aux Huit Pics, toujours bien décidés (surtout pour le Tueur) à mettre la main sur le magot dont leur a parlé le tavernier Faragrim lors de leur dernier passage à Altdorf. Sur le chemin de la forteresse, le duo vole à la rescousse d’un petit groupe de voyageurs embusqués par une tribu de peaux vertes alors qu’ils traversaient une rivière. Alors que Gotrek parvient à rendre une copie propre, en débitant quelques Orques avec le professionnalisme qu’on lui connaît, cette mauviette de Felix trouve le moyen de tomber dans l’eau (normal pour une poule mouillée, me direz-vous) lors de son duel, et manque de basculer dans l’inévitable cascade qui s’écoule à proximité du gué. Il n’en rate décidément pas une. Les ruffians mis en fuite et/ou en morceaux, il est l’heure de procéder aux présentations, pendant que blondin se change1 : seuls survivants du groupe d’aventuriers partis faire la boucle de huit pics, le templier Aldred Keppler de l’ordre du Cœur Enflammé, le mage Johann Zauberlich et le pisteur bretonnien Jules Gascoigne sont fort aise de pouvoir compter sur la compagnie de Gotrek et de son commémorateur. Le désormais trio voyage en effet lui aussi en direction du chantier de réhabilitation du Roi Belegar, guidé par la vision que Keppler pense que Sigmar lui a envoyée, qui lui intime d’aller récupérer l’épée magique Karaghul, une relique de son ordre, perdue en même temps que son porteur – le propre frère de Keppler – lors de la tentative de reconquête de la forteresse. Bien que la proximité du trésor convoité par Gotrek rende ce dernier aussi méfiant qu’antisocial, il accepte toutefois de tracer la route avec ces compagnons d’infortune, sans rien révéler de ses propres motivations.

L’arrivée de la petite troupe dans la tête de pont sécurisée à grand peine par les survivants de l’expédition de Belegar, dépeint par King comme un mélange des pires aspects de Theoden et de Denethor (un vieillard cacochyme mais empli de morgue et de malice), se passe sans difficulté notable, tout comme l’obtention par l’un et l’autre groupe de l’autorisation de pénétrer dans les niveaux inférieurs du Karak, toujours aux mains des Gobelins et/ou des Skavens. Gotrek impressionne même la prêtresse de Vallaya locale – Magda Freyadotter – à tel point qu’elle lui remet une carte (en braille – ou son équivalent nain – ) des souterrains, en lui recommandant toutefois la prudence car des fantômes ont été aperçus par les colons. Et là, surprise, on découvre que le farouche Gotrek a une peur bleue des ectoplasmes. Attendons de voir comment il se débrouillera face aux Nighthaunts des Royaumes Mortels… Il en faut toutefois plus pour faire rebrousser chemin à un Tueur auquel on a promis un Troll et un trésor aussi gros l’un que l’autre. Prenant son courage comme sa hache, c’est-à-dire à deux mains, le petit rouquin teigneux quitte la zone des PNJ et part explorer la map, ses sidekicks sur les talons.

La descente dans les entrailles de la forteresse déchue réserve à nos aventuriers son lot de découvertes, recueillement et, inévitablement, emmerdes. En témoigne ce premier accrochage contre une bande de gobelinoïdes, menés par un Ogre ayant lui aussi fait le choix du mohawk (bicolore dans son cas), à moins que ça ne soit un gladiateur Goliath de Necromunda s’étant trompé de porte en allant bosser ce matin là; et qui permet à nos héros de faire montre de leur habileté dans le maniement des armes et des boules de feu2. Sauf Felix, qui rate son test de terrain dangereux en voulant corriger un Gobelin lui ayant tiré la langue, et s’étale de tout son long dans l’escalier qu’il était censé gardé en tant qu’avant dernier défenseur (heureusement que Jules Gascoigne veillait au grain) de la troupe. Ayant mis leurs ennemis en fuite, les aventuriers croisent un fantôme de Nain timide, ce qui n’est pas loin de provoquer une crise d’apoplexie chez Gotrek. Un peu plus tard, cette andouille de Felix, après avoir manqué de se suicider en buvant de l’eau contaminée avec de la malepierre, trouve le moyen de s’illustrer à nouveau, en accusant à demi-mot Zauberlich de fricoter avec le Chaos… avant de s’écraser comme une grosse bouse lorsque Keppler, et sa grande épée, viennent à la rescousse du mage. Décidément, il n’en rate pas une.

Après avoir négocié une infestation de mites géantes – true story, lisez la nouvelle – et s’être faits remettre une quête annexe – passer le balai dans la crypte locale – par une Fantômette courte sur patte, Gotrek et Cie finissent par toucher au but. La crypte en question est en fait celle décrite par Faragrim pendant la nuit de beuverie qui a déclenché le road trip du Tueur, et comme Keppler n’a pas de meilleure idée d’où peut se trouver l’épée qu’il recherche, il décide également de passer une tête… avant de la perdre de façon sanglante et définitive. Le mausolée est en effet le QG  d’un Troll du Chaos effectivement monstrueux, dont la consommation d’eau lourde n’a pas amélioré la photogénie. On comprend alors que Faragrim, dans son avidité, a cherché à faire main basse sur le trésor des rois défunts de Karak aux Huit Pics, en fracturant la porte scellée menant à leurs tombes. L’arrivée du Troll en question, peu de temps après, a mis un énorme, vorace et odoriférant bâton dans les roues du charognard, qui s’est enfui sans avoir pu récupérer son bien mal acquis. C’est la persistance de la présence de ce squatteur disgracieux qui a contraint nos braves Nains retraités à aller demander un coup de main à leurs descendants, sans succès jusqu’à l’arrivée salutaire de Gotrek (OSEF de Felix, vraiment).

Le combat qui s’engage voit rapidement périr les deux autres accompagnants du binôme héroïque, Gascoigne se prenant une torgnole fatale et Zauberlich finissant pincé à mort avant d’avoir pu balancer son Inferno. Pendant que Gotrek se tape tout le sale boulot, Felix réussit à grand mal à se défaire de la tête tranchée de nourrisson que le Troll arborait comme fleur à la boutonnière, et sombre dans son désespoir habituel de fin de nouvelle – comme à chaque fois que la Nemesis du Tueur pointe le bout de son anatomie – avant de se ressaisir et d’enfin servir à quelque chose. Bricolant un cocktail molotov avec le contenu de sa besace, il parvient en effet à enflammer le Troll, l’affaiblissant assez pour permettre à Gotrek de lui porter le coup de grâce. La situation de nos héros ne s’améliore cependant que marginalement après la mort du monstre, une armée de peaux vertes, attirée par le son et lumière organisé de façon impromptue par les aventuriers, décidant de venir se joindre aux mondanités. Résignés à mourir dignement, ces derniers sont toutefois sauvés par l’arrivée de l’armée des morts de petite taille, les esprits ancestraux de Karak aux Huit Pics venant finir le boulot commencé par leur factotum, jugeant sans doute le problème matériel (à défaut de l’être, eux). Ceci fait, il ne reste plus à notre vieux couple qu’à reprendre le chemin de la surface, Felix ayant gagné au passage l’épée Karaghul (qui se trouvait bien dans le trésor du Troll), tandis que Gotrek décide noblement de repartir sans le moindre petit loot, mais avec la promesse, faite par la Mimi (Mathy) Geignarde locale que sa fin serait grandiose. C’est déjà ça.

1 : On apprend ainsi que Felix voyage avec des capes de rechange. Ce qui explique pourquoi sa fameuse houppelande de laine rouge du Suddenland, que King nous ressort à toutes les sauces – c’est le troisième personnage principal de la saga, devant Ulrika et Snorri – résiste si bien aux aventures de son porteur.
2 : J’ai découvert en lisant la nouvelle que cette scène avait servi d’inspiration à une illustration vintage mais assez connue – puisqu’elle a été reprise en couverture de la première édition du JDR Warhammer – de WFB. Eh oui, le Tueur à barbe blanche, c’est bien Gotrek (qui a également regagné un œil au passage). On notera que le seul personnage absent du tableau est… Felix. Quelle surprise.

AVIS:

Avec The Dark Beneath the World, William King signe le dernier volet du corpus “fondateur” de la série Gotrek & Felix. Après avoir présenté les personnages dans Geheimnisnacht, puis avoir mis en scène une aventure où Felix, et le Vieux Monde, tenaient la vedette (Wolf Riders), l’auteur choisit cette fois de se concentrer sur la quête de mort de Gotrek, et à travers lui, la déchéance de l’empire nain, avec des résultats une nouvelle fois probants. Aventure empruntant fortement aux codes du RPG (ce qui semble n’avoir échappé à personne, même pas à GW – voir remarque ci-dessus –), The Dark… mise beaucoup sur ses scènes de combat, et sur l’ambiance particulière apportée par l’exploration des ruines mal fréquentées d’une ancienne forteresse naine. Très riche en fluff, même si ce dernier est parfois daté (notamment les fantômes nains, qui auraient pu gagner la guerre souterraine à eux tout seuls s’ils l’avaient voulu), cette nouvelle constitue également un tournant dans la saga de King, qui aurait pu choisir de tuer son héros de manière « satisfaisante » en conclusion de son propos. Après tout, quelle plus belle fin pour un Tueur nain que de mourir au combat contre un Troll, entouré des tombes et de l’or de ses ancêtres? Peut-être que King s’est réellement posé la question du devenir de son personnage en cette année 1990, ou bien peut-être qu’il avait toujours eu pour projet de faire vivre à ce dernier des aventures interminables (et interminées à ce jour). Qui peut dire ? En tout cas, The Dark… demeure pour moi un jalon essentiel dans le parcours, singulier et iconique, de Gotrek (que l’on découvre de plus capable d’émotion telles que la mélancolie, le désespoir et la peur, ce qui contribue à l’humaniser quelque peu), et à ce titre, sans doute l’un des textes les plus essentiels de la série.

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The Spells Below – N. Jones:

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INTRIGUE:

Katarina Kraeber, apprentie sorcière à l’IUT (Institut Universitaire de Thaumaturgie) de Waldenhof1 retournait tranquillement chez son tuteur, père adoptif et amant (ce qui fait beaucoup, même pour la Sylvannie), en s’amusant à faire tourner les girouettes contre le sens du vent malgré les froncements de narine des braves bourgeois du cru, lorsqu’elle se retrouve mêlée à une opération de gens d’armerie de grande ampleur. La maison où elle réside avec son cher et tendre Anton Freiwald, sorcier de grand renom, est en effet entourée par une véritable armée de gardes, envoyés par le Graf Jurgen von Stolzing mettre un terme aux recherches non sanctionnées du praticien des arts occultes. Un peu trop occultes donc. Révoltée autant qu’inquiète par ce revirement de situation, Katarina tente d’en apprendre plus sur le guêpier dans lequel Anton s’est fourré, non pas en lisant dans l’esprit des gardes aux alentours (trop simple), mais en leur lançant un sort de loquacité, qui les fait déblatérer de tout et de rien. Entre deux remarques sur la météo et le résultat du match de Blood Bowl de la veille, notre héroïne apprend que le Graf a donné pour ordre à ses nervis de capturer le sorcier vivant afin de lui soutirer ses secrets. Son petit tour de passe passe (ou plutôt de bla bla) a toutefois été remarqué par un autre mage, et non des moindres, puisque c’est le rival de Freiwald et maître de la guilde des mages locale, Gerhard Lehner, qui lui met la main au collet, et l’amène jusque devant la litière du Graf, pour un interrogatoire express. La séance de questions-réponses est rapidement interrompue par le début des opérations à proprement parler, et, plutôt que d’envoyer quelques hommes ouvrir la porte avec un bélier, les autorités compétentes décident de bombarder le domicile du sorcier avec une catapulte, OKLM. Fort heureusement pour les tuiles d’Anton Freiwald, un bouclier mystique arrête le projectile en pleine trajectoire, prodige magique estomaquant l’assistance assez longtemps pour que Katarina se libère et se rue vers la porte de son domicile.

Elle aussi sauvée par le champ de force magique qui ralentit les flèches que ne manque pas de lui décocher la maréchaussée, elle arrive à bon port et est accueillie par la figure sévère-mais-juste-et-tellement-beau-gosse de Freiwald, secondé par sa garde personnelle de mercenaires Kislevites et son homonculus contrefait. Jugeant la situation grave mais pas désespérée, le sorcier recherché annonce qu’il a besoin de renforcer ses capacités arcaniques dans son laboratoire souterrain, et qu’il a besoin d’y aller seul, malgré les protestations de Katarina. Ayant sécurisé la loyauté de ses gros bras en leur lançant un petit sort de loyauté sous le manteau – c’est contre le RGPD, mais on n’est pas à ça près –, il part donc en sous sol avec son familier, laissant Katarina à la porte. Bien évidemment, cette dernière décide finalement de rejoindre son sugar daddy, motivée en cela par l’arrivée impromptue dans les locaux d’un adepte de Khaine, dûment mandaté par le Graf pour mettre fin au bazar et lui économiser de devoir payer les heures supplémentaires de tous les fonctionnaires mobilisés en cas de siège interminable. Protégé par une amulette enchantée, le tueur assermenté n’a aucun mal à déjouer les différentes protections magiques que Freiwald a placé dans l’escalier menant à son étude… ce qui n’est pas le cas de la pauvre Katarina, que son amour pousse à poursuivre l’assassin.

Une alarme sonore et un serpent en 3D plus tard, la voilà en bas de l’escalier, où elle se fait mordiller la cheville par l’homonculus domestique du sorcier, décidément moins bien élevé que le regretté Dobby. Encore une porte à poignée brûlante-mais-pas-vraiment à ouvrir, et la voilà à l’intérieur… malheureusement un chouilla trop tard. Si l’assassin est décédé, victime d’une attaque imparable de filet à provision constrictor (Anton est décidémment le spécialiste des pièges à c*ns et autres farces et attrapes), il a eu le temps de planter une dague en plein cœur de sa cible, elle aussi tout à fait morte.  Désespoir de Katarina, qui ne peut qu’empêcher l’homonculus de son défunt protecteur de boulotter le cadavre de son créateur, en lui balançant une flasque à la tronche. C’est ça aussi que de ne pas nourrir ses animaux de compagnie…

Début spoiler…Kat’ ne met cependant pas longtemps à se rendre compte qu’elle éprouve beaucoup moins de chagrin qu’elle pensait en ressentir à la mort de son cher Anton, et pour cause… Les Kislevites laissé en arrière garde pour ralentir les troupes du Graf ne sont pas les seuls à avoir été victimes de l’emprise mentale du mage défunt : Katarina réalise brutalement qu’elle était sous la coupe de Freiwald, et que l’amour qu’elle éprouvait pour lui était aussi réel que celui des candidats de Love Island. Trahison (et du coup, détournement de mineur) ! Dégoûtée par cet abus de confiance2, elle décide de se faire la malle par le souterrain prolongeant le laboratoire du sorcier, après avoir mis la main sur son grimoire, afin de pouvoir continuer ses études en toute indépendance. Localiser le fameux bouquin n’est cependant pas chose facile, même si elle finit par déduire que le précieux livre est caché derrière l’imposant portrait qu’Anton avait fait faire de lui-même – en toute modestie – et gardé par un prototype de Tisse-Mort en fin de batterie, ce qui sauve Katarina du même destin que le cultiste de Khaine. Un tableau fracassé et un coffre-fort à moitié Mimic ouvert à coups de latte (véridique) plus tard, le manuel de sorcellerie est enfin récupéré.

Ces péripéties ont toutefois assez retardé Katarina pour qu’elle assiste à la réincarnation de son tourmenteur, qui prend possession de son homonculus, laissé à dessein en back-up par le mage. Ce n’est pas la première fois que Freiwald change de corps, comme son ancienne élève le découvre en voyant le crâne du cadavre du sorcier rejoindre les cinq autres artefacts similaires qui tournoient au milieu de la pièce, et dont le mage tirait une grande partie de ses pouvoirs. Un peu groggy par cette restauration de session après un arrêt non programmé, Freiwald a la surprise de constater que son esclave sexuelle ne le regarde plus avec les yeux de Chimène, et lui renvoie même le premier sort d’entrave qu’il tente de lui lancer dans les dents. Comprenant que rien ne sera plus comme avant, la chose qui était Anton Freiwald se résout au meurtre de son ancienne complice avant de prendre la fuite pour une nouvelle ville et nouvelle vie, avec ses crânes et son grimoire… sauf que Katarina ne l’entend pas de cette oreille, et parvient à se saisir de la dague toujours plantée dans le torse de l’ancien cadavre de Freiwald, avant de trucider le disque dur externe fait homme (unculus) qui lui fait des misères. Pris au dépourvu par ce revirement de ce situation, c’en est cette fois définitivement fini de notre grand méchant, qui n’avait pas penser à faire une sauvegarde de sa sauvegarde, comme le gros noob qu’il est. Sad! Enfin débarrassée de cette masculinité toxique, Katarina est libre de prendre la poudre d’escampette, et d’aller s’installer en praticienne libérale dans la banlieue de Bogenhafen, comme son vieux père l’aurait voulu.Fin spoiler

1 : La capitale de Sylvannie (tout comme Canberra est la capitale de l’Australie… c’est tout à fait vrai mais ce n’est pas à cette ville qu’on pense immédiatement), qui bénéficie donc d’une académie de magie d’après Neil Jones. Je prendrais cette info avec des pincettes.
2 : En même temps, Anton était un disciple de l’école de magie arc-en-ciel, et organisait la marche des fiertés de Waldenhof (l’une de ces affirmations est fausse, mais laquelle). Elle aurait dû le voir venir.

AVIS:

Si on met de côté les éléments ayant très mal vieilli de The Spells Below, qui sont suffisamment nombreux pour parasiter un chouilla la lecture pour ne rien vous cacher, on se retrouve avec une histoire de rape and revenge matinée de sword and sorcery, mélange à ma connaissance inédit dans la GW-Fiction. L’intrigue que déroule Neil Jones tient assez bien la route, et réserve quelques surprises bienvenues au lecteur ; quant au personnage de Katarina, il est loin d’être celui d’une simple potiche énamourée, comme le début – et l’illustration de Kev Walker – pouvaient le laisser craindre. On se trouve même en présence d’une nouvelle que l’on pourrait qualifier de féministe, ce qui se doit d’être souligné pour un texte aussi ancien (la lutte contre le patriarcat n’était pas un sujet aussi fort qu’il l’est devenu aujourd’hui). Bref, une nouvelle comme on en écrit plus depuis longtemps, signée par un auteur dont on est sans nouvelles depuis des lustres. Dépaysement, à défaut de satisfaction (c’est quand vraiment WTF sur les bords…), garanti.

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The Light of Transfiguration – B. Craig:

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INTRIGUE:

Fidèle à son approche résolument bretonnisante du background de Warhammer Fantasy, Brian Craig nous revient avec une nouvelle histoire se déroulant sur les terres du Roy, racontée par nul autre que le ménestrel itinérant Orfeo, protagoniste de la trilogie Zaragoz, Plague Daemon et Storm Warriors. Notre propos débute avec la croisade purificatrice ordonnée par un aïeul du bon souverain Charles contre les déprédations commises par le sorcier Khemis Kezula depuis la cité fortifiée de Selindre, à proximité des Voûtes. Chargeant son plus preux paladin Super Dupont Lanval de Valancourt d’aller apprendre les bonnes manières, le port du béret et la dégustation de cuisses de skinks à cet intégriste de Kezula, le noble Roy sort de notre conte, avec la satisfaction du devoir accompli. De son côté, LdV se met à la tâche sans tarder, et parvient à enlever la citadelle ennemie, mettant un point final au règne de terreur du mage noir, qui se révéla être un cultiste chaotique. Le bon sens franchouillard de Lanval lui fit également raser le donjon de Kezula, dont il soupçonnait – à raison – le caractère profondément néfaste, et pas seulement à cause de l’infestation de punaises de lit qu’il y constata une fois la victoire obtenue. Le temps suivit son cours, et les terres de Selindre passèrent aux descendants de Lanval après le décès de ce dernier, jusqu’à ce que son arrière-petit fils, Lanfranc, arrive aux affaires. Traumatisé par une méchante chute de cheval terminée tête la première sur un pavé mal placé alors qu’il faisait le kéké sur les lieux des exploits de son aïeul, le père de Lanfranc, Jehan, avait en effet couché sur son testament sa volonté que Selindre soit léguée au culte de Shallya, afin que les bonnes sœurs viennent purifier l’endroit de leurs saines prières.

Guère enthousiasmées par cette – pourtant généreuse – donation (il n’y a qu’à voir la tête qu’elles tirent sur l’illustration), les sistas acceptèrent toutefois de tenir un couvent sur le gazon maudit de Khemis Kezula, à condition que le nouveau comte mette à leur disposition quelques maçons pour construire le lieu de culte. Un peu chafouin d’avoir perdu un bout de fief des suites de la démence paternelle, Lanfranc se montra tout de même gentilhomme, et accéda à la requête des bonnes sœurs, avant de quitter à son tour l’intrigue pour de bon. Nous faisons alors la rencontre de la véritable héroïne de notre histoire, la jeune Adalia, envoyée avec quelques collègues s’occuper de la joint venture si habilement négociée par le culte. Fille d’un artisan vitrier réputé de Quenelles, Adalia avait démontré quelques aptitudes pour la magie durant son adolescence, provoquant son intégration dans les ordres (autre temps, autres mœurs…). Malheureusement pour elle, ces signes prometteurs ne débouchèrent sur rien de concret, condamnant la novice à végéter en bas de l’échelle régulière. Affectée aux tâches ménagères par sa supérieure, la Mère Thelinda, en support des manœuvres et artisans obligeamment prêtés par Lanfranc, Adalia occupe ses journées à faire du mortier et ses soirées à consacrer1 les murs de la cellule minable qu’elle a reçu en dotation, quotidien assez morne il faut bien le reconnaître.

Tout change lorsqu’elle reçoit une nouvelle mission de la part de Thelinda : inspecter les ruines de la forteresse de Kezula à la recherche d’objets récupérables. Lorsqu’elle trouve des éclats de verre colorés jonchant le sol, elle ne met pas longtemps à comprendre qu’il s’agit des restes d’un vitrail ayant orné l’ancienne bâtisse, et décide naturellement de… le reconstituer (sans que Thelinda s’émeuve beaucoup du projet un chouilla hérétique de sa charge). La suite de la nouvelle relate les longs mois de labeur qu’Adalia consacre à sa nouvelle marotte, entre la recherche de fragments dans les décombres et la mise en place de ces derniers dans sa chambre, deux processus longs et ingrats, mais pour lesquels elle se passionne néanmoins. Alors qu’elle est sur le point de toucher au but, et que les parties reconstituées de la rosace se mettent à briller d’eux-mêmes à la nuit tombée (ce qui n’est aaaabsolument pas inquiétant), permettant à Adalia de bosser sans éveiller les soupçons qu’une consommation disproportionnée de chandelles pourrait causer; notre héroïne réalise qu’il lui manque les pièces centrales du puzzle, ce qui la plonge dans l’embarras. Fort heureusement, un Nain, probablement du Chaos3, se présente à elle peu de temps après pour lui remettre le DLC dont elle a besoin pour terminer son ouvrage, contre la modique somme de son âme (probablement).

Dès lors, plus d’échappatoire possible pour la malheureuse Adalia, dont la ferveur et la considération pour Shallya avaient de toute façon baissées de façon drastique au cours des derniers mois. Par une nuit fatidique, elle termine la reconstitution du vitrail, au centre duquel se révèle être un homme oiseau à l’aspect peu amène. Cette complétion permet de débloquer complètement le mode photophore hallucinogène de la pièce, d’où Adalia voit apparaître Birdman en chair et en plumes. Extase mirifique pour notre nonne nerd, mais malheureusement de courte durée. Son cadavre est en effet retrouvé le lendemain par le reste de sa congrégation, carbonisé et incrusté des mêmes éclats qu’elle avait passé tant de soin à récupérer. L’autopsie conclura à une mal-fonction critique d’une cabine à UV dans laquelle se serait trouvée une boule à facettes, mais nous savons tous que la vérité est ailleurs…

1 : Ce qui n’est pas facile car ce diable de Kezula a visiblement traité les pierres (noires) de son donjon, récupérées pour servir de base au couvent des Sœurs, au PFAS, rendant leur blanchiment très compliqué. Et en plus, ça donne le cancer.
2 : La Mère Thelinda tient en effet plus de Thénardier que de Teresa. Le seul moment de la nouvelle où elle fait mine d’intervenir dans le hobby peu recommandable de sa subalterne est quand cette dernière explose son forfait bougie à force de travailler sur son 10.000 pièces toute la nuit.
3 : Une légende locale raconte en effet qu’un clan de Nains des Voûtes choisit d’abandonner Grugni pour se tourner vers une divinité capable de leur apprendre les mystères et merveilles de la confection du cristal. Les érudits supputent qu’il s’agit du dieu du Chaos mineur Bhakkara.

AVIS:

Une Craig-erie très classique et sérieuse que ce The Light of Transfiguration, qui est à ranger aux côtés de A Gardener in Parravon, dans la catégorie « Tentations Chaotiques » du corpus de cet auteur. Si les talent de conteur et le style particulier de ce dernier permettent au lecteur de suivre sans peine la tragique destinée d’Adalia, cette nouvelle ne s’avère toutefois pas aussi prenante, ni divertissante, que d’autres travaux de Craig, qui n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il s’attaque aux « bons côtés » du lore de WFB (Who Mourns a Necromancer ?, The Phantom of Yremi). La GW-Fiction regorgeant de récits dépeignant la déchéance vers le Chaos, et les conséquences, au mieux simplement fatales, de ce choix de carrière pour les malheureux qui se lancent/glissent sur cette voie, les contributions de Brian Craig à ce topos des plus classiques ne sont pas celles que je mettrais le plus en avant, même si la qualité reste présente. Vous voilà prévenus.

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The Song – S. Baxter:

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INTRIGUE:

Abordé à sa table fétiche du Tablier d’Esmeralda, son QG bistronomique du quartier halfling de Marienburg, par une poignée de congénères aussi bavards que dissipés, le détective privé Sam Warble tente tant bien que mal d’envoyer paître les nouveaux venus pour finir son repas en paix, sans grand succès. Refusant catégoriquement, et à la grande surprise de ses interlocuteurs, de participer à une partie de cartes pour célébrer ces retrouvailles moyennement appréciées, Warble se justifie en commençant le récit d’une mésaventure lui étant arrivé récemment, et qui lui a passé le goût du jeu.

Quelques jours plus tôt, en effet, notre limier de poche se trouvait engagé dans une partie de three cards pegasus, toujours au Tablier, contre un marchand Haut Elfe aussi insupportablement hautain que diablement chanceux. Voire un peu plus que chanceux. En fort mauvaise posture, mais refusant obstinément de s’avouer vaincu, Warble avait commis l’erreur de faire un tapis sur la foi d’une main quasiment imbattable… mais au final battue, ce qui avait eu pour conséquence de lui faire perdre littéralement l’esprit, confisqué par son adversaire (Eladriel) en guise de dette de jeu. Voilà pourquoi il ne faut jamais jouer avec des mages. S’étant réveillé une semaine plus tard avec la sensation désagréable d’avoir perdu la moitié de ses sens, Warble reçut une convocation pour se présenter dans une maison isolée du quartier elfique, où l’attendait son vainqueur, sa garde du corps contrefaite mais très costaude (à défaut d’avoir de la conversation), ainsi qu’une petite bouteille où Eladriel avait scellé une bonne partie de la sensibilité de notre héros, et qu’il n’accepterait de lui restituer que si ce dernier lui rendait un petit service. Le marchand kleptomane était en effet féru d’art, et, en plus d’être une sommité mondiale en matière de boucles de ceinture tiléennes, s’était piqué de chant lyrique et désirait ardemment entendre un récital – ou à défaut, une seule chanson – de la jeune Lora, chanteuse exceptionnelle dont l’un de ses congénères, le nabab Periel avait fait l’acquisition sur le marché au noir municipal. The Voice Marienburg, ça ne rigole vraiment pas. Charge à Warble de trouver un moyen de ramener à Eladriel l’objet de ses désirs, s’il voulait retrouver la pleine mesure de ses capacités.

Seulement équipé d’une fiole de verre enchantée semblable à celle dans laquelle Eladriel gardait son précieux, Warble prit le chemin de l’île privée où le puissant Periel avait fait bâtir sa demeure, persuadant un pêcheur cocu et complexé par sa calvitie (ce sont de vrais détails de la nouvelle) de le faire traverser contre quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Une fois sur place, le halfling diminué avait eu la mauvaise surprise de croiser le chemin de l’Ogre domestique de Periel, qui semblait de prime abord bien décidé à le renvoyer sur l’autre rive à grands coups de massue. Pour diminué qu’il fut, sensitivement parlant, Warble demeurait toutefois assez vif d’esprit pour embrouiller le vigile, et le dépouiller de toutes ses possessions terrestres (y compris son inestimable – et inestimée – collection de fientes de chauve-souris géante) en quelques rounds de three cards pegasus. Profitant du désespoir de sa pauvre victime, l’impitoyable halfling l’avait alors assommé à l’aide de sa propre massue, confisquée en même temps que son pagne en recouvrement de dettes. Les ravages du jeu.

Cet obstacle écarté, Warble n’avait pas eu de mal à trouver le chemin des quartiers de Lora, dont le mécène s’occupait de façon attentive et loin d’être abusive. Profondément touché par la pureté du chant de la captive, Sam commença par échafauder des plans de libération audacieux, visant à ramener la belle auprès de ses parents, avant que cette dernière ne lui fasse comprendre qu’elle ne tenait pas spécialement à retourner dans la porcherie familiale, merci beaucoup. Comprenant que la partie était mal engagée, Warble eut toutefois la présence d’esprit de faire enregistrer à la cantatrice snob un single sur Snapchat, à l’aide de la bouteille remise (et heureusement d’ailleurs #CaTombeBien #FacilitéNarrative), dont l’enchantement protecteur lui permit de survivre aux vocalises ultrasoniques de Lora.

De retour chez Eladriel, Warble n’eut qu’à convaincre ce dernier de prêter une oreille attentive aux castafioreries de Lora, pour récupérer pleine possession de ses moyens lorsque la roucoulade de la prima donna vint fracasser la flasque dans laquelle le roué Elfe avait enfermé la mise perdue par son adversaire (c’était bien la peine de préciser un peu plus tôt que le carafon était indestructible…). Beau joueur, Eladriel accepta de laisser partir son prestataire sans le faire étriper par sa domestique, ayant eu comme convenu l’occasion d’écouter Lora se produire, ne fut-ce que pour une chanson (son tube en plus : Snowflake). Et voilà qui explique à la foi l’approche distanciée que Warble a développé envers les jeux de cartes, et le nouvel anneau d’or rehaussé d’éclats de cristal qu’il porte au doigt. À notre détective, et à Erik Satie, reviennent le mot de la fin : et tout cela m’est advenu par la faute de la musique.

AVIS:

Steve Baxter reprend impeccablement le flambeau de Sandy Mitchell, créateur du personnage de Sam Warble (The Tilean Rat), avec ce court récit d’enquête dans le dédale pittoresque de Marienburg, mettant en avant avec un second degré assumé la vie « normale » des habitants de la plus grande, riche et corrompue cité du Vieux Monde. Plus originale en termes d’intrigue que la soumission, totalement parodique, de Mitchell, The Song comporte cependant son lot de situations drôlatiques, à tel point que l’on se prend à rêver d’une adaptation du personnage de Warble sur le petit écran en format sitcom (il paraît que Games Workshop veut se positionner sur ce média, alors…). Sans prétention particulière au niveau de sa construction ou de ses apports de fluff, cette nouvelle constitue un petit entracte burlesque bienvenu entre deux œuvres plus caractéristiques, et donc plus sérieuses, de la GW-Fiction. Dommage que Baxter n’ait pas persévéré sur cette voie, il avait un talent certain pour l’exercice. Petit détail amusant (encore un), l’illustration réalisée par Martin McKenna pour cette nouvelle intègre une représentation de McKenna lui-même, en bas à droite du cadre.

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The Voyage South – N. Griffith:

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INTRIGUE:

Ariel et Isabel sont deux sœurs issues de la haute bourgeoisie de Quenelles, et profitant comme chaque année du domaine familial sur les hauteurs de la cité pour passer l’été en compagnie d’autres jeunes gens bien nés. Jusqu’ici, rien de bien méchant, jusqu’à ce que la partie fine slaaneshi à laquelle les frangines se sont rendues pour passer la soirée tourne au drame. Initiée par un autre convive au plaisir psychotrope du lait d’Olla, substance hallucinogène ramenée à grands frais d’Arabie par des marchands peu fréquentables (la meth du Vieux Monde, en quelque sorte), Isabel fait une overdose subite, et décède quelques jours plus tard après une agonie totalement biscor-« Nuh ». Saleté d’intolérance au lactose. Pour Ariel, qui culpabilise un petit peu de n’avoir pas su protéger sa sœur des ravages de la drooooooooogue, débute alors une quête de longue haleine afin de comprendre comment ce drame a pu avoir lieu1. Ayant fait analyser le reste du lait dont Isabel s’était enduit le visage, elle commence par découvrir que la substance a été coupée avec de la caronna, plante estalienne agissant comme un poison à haute dose. En cherchant à identifier le fournisseur du produit laitier avarié dont sa frangine à fait les frais, elle finit par s’engager sur la Rosamund, un navire marchand remontant la Brienne de Quenelles à Brionne, et profitant des étapes sur la route pour faire un peu de transport de fret, dont le fameux pâté de Cixous (ne rigolez pas, Griffith y revient souvent au cours de l’histoire). Cette décision, qui s’apparente plus à une crise d’adolescence un peu tardive qu’à un véritable choix réfléchi, lui permet de côtoyer quelques matelots forts en gueule, hauts en couleurs et avec un cœur gros comme ça, comme l’alcoolique mais secourable Marya (au physique de Capitaine Marlot, ou plutôt Merlot, du fait de son penchant prononcé pour la dîve bouteille), le bourru mais généreux Capitaine Holseher, ou encore son second Jean-Luc, qui ne sert pas à grand-chose dans l’histoire mais qui méritait qu’on le cite rien que pour son nom2.

La croisière fluviale n’est pas de tout repos, à la rudesse de la vie de matelot venant s’ajouter les signes inquiétants d’une traque dont Ariel est la cible de la part d’individus louches, dont un type très grand et très mince, qui trouve le moyen de s’introduire dans la cale où notre héroïne se retrouve confinée pour se dérober aux regards, et lui conseille fortement de stopper son enquête avant qu’il soit trop tard. Guère convaincue par l’argumentaire du slender man, Ariel lui saute dessus le couteau à la main… et se fait bolosser en deux secondes par son interlocuteur, qui se révèle porter d’étranges rembourrages sous ses vêtements. Spoiler, c’est un Elfe dont il s’agit, et qui cherche ainsi à estomper son manque de carrure par rapport à un être humain normalement constitué. Hit the gym, bro ! Résolument non violent, le visiteur se retire sans abuser de sa position de force, laissant Ariel nager en plein marasme sur les forces en présence dans ce trafic de yaourt. Un peu plus tard, la Rosamund tombe dans une embuscade alors que le navire venait de sortir d’une zone de rapides, forçant son équipage à se défendre bellement contre les ruffians qui montent à l’abordage, bien aidé il faut dire par le mystérieux skipper du pédalo qui suivait la barge de près depuis son départ de Cixous, et canarde les affreux avec un arc indubitablement elfique. Tiens tiens. En tout cas, sans son intervention salutaire, cela aurait senti le pâté pour Ariel et ses comparses, et pas seulement à cause de la cargaison embarquée.

Finalement arrivée à Brionne, où elle se rend compte que le dealer qu’elle poursuivait depuis Quenelles, et dont elle a appris qu’il travaillait pour l’amiral Escribano de Magritta, venait de quitter la ville pour l’Estalie, Ariel décide de lui emboîter le pas, et quitte la Rosamund pour s’engager sur un navire faisant la traversée jusqu’à Bilbali. Débarquant seule au terme de cette transat, elle est fort mal accueillie par la populace locale, qui prend ombrage de son teint pâle et de ses cheveux blonds et se met donc à la poursuivre dans les rues en la bombardant de salades. Les monstres. Tout cela aurait pu mal finir sans l’intervention opportune de Mr Corps de Lâche, qui entraîne la malheureuse dans sa maison en plein quartier elfique… Parce que oui, c’est un Elfe. En même temps, je vous avais prévenu. Par un mystérieux hasard, il s’avère que le sauveur d’Ariel, qui s’appelle Senduiuiel Cortengren, mais que ses amis tout le monde appelle Send (alors que Oui Oui aurait tout aussi bien fait l’affaire), a également une dent contre Escribano, qui rackette allègrement tous les navires croisant au large de Magritta, y compris les pacifiques voiliers elfiques. Après un entretien d’embauche rapidement expédié, Send accepte qu’Ariel lui file un coup de main dans son grand projet géo-politique. Cette confiance est rapidement récompensée lorsque la Bretonnienne en vadrouille sauve le Phil de fer de la capture des mains de la milice locale, alors qu’il faisait des signaux de lanterne au Uber naval qu’il avait commandé pour quitter Magritta incognito, après un repérage discret pendant lequel Ariel s’était surtout intéressée à la confection des pasteis de nata du Vieux Monde, et du dosage précis de farine de caronna que ces pâtisseries réputées nécessitent.

S’étant jetés à l’eau pour la bonne cause, nos deux espions sont repêchés par un sultan arabien qui chillait tranquillement sur son yacht de plaisance, en compagnie de sa famille et ses domestiques. Il s’avère rapidement que leur sauveur providentiel est de mèche avec Send pour calmer les velléités impérialistes d’Escribano, et que l’Elfe a conclu un accord avec le divin Hamqa – c’est son nom – pour que leurs flottes combinées aillent couler l’armada magrittane. Après un peu de stratégie et beaucoup de croquettes de poisson, nous passons enfin à la bataille finale, qui voit s’affronter la puissante alliance des Azur et des Arabiens et… la flotte mal réveillée d’Escribano, complètement prise au dépourvue, et qui n’a donc pas le temps de se mettre en position que déjà les assaillants ont envoyé leurs navires brûlots foutre le souk dans leur marina. Et bien que l’amiral estalien soit réputé avoir conclu un pacte avec le Dieu du Sang, ce partenariat impie ne donne rien de bien concluant pour les défenseurs, car Send, qui est un mage en plus d’un archer, invoque un Gardien des Secrets aquatique pour aller souffler dans les branchies du colérique Rhug’guari’ihlulan, démon majeur de Khorne de son état. Ce dernier ne trouve rien de plus malin à faire que de fracasser les navires de son propre camp, avant de chercher à faire boire la tasse – après tout, c’est un buveur –  à son rival parfumé, sans doute jaloux de son maillot deux pièces fuschia. Quoi qu’il en soit, la victoire est totale et sans appel pour nos héros, qui se séparent peu de temps après en léger froid (c’est souvent le cas lorsque votre collègue se révèle être un mage chaotique). Peu emballée par l’idée de revenir à Quenelles, Ariel résout de tenter sa chance dans le shipping longue distance, en partenariat avec l’une des filles du sultan Hamqa, elle aussi en quête d’indépendance. Le women empowerment, il n’y a que ça de vrai.

1 : On notera au passage que sa mère (et donc celle d’Isabel) se montre plus intéressée par la sauvegarde de la réputation familiale que par l’identification d’un éventuel coupable du décès de sa fille, qu’elle considère – à raison tout de même – comme une hédoniste délurée n’ayant pas volé ce qui lui est arrivé. Il faut croire qu’au début des années 90, on pouvait flirter avec le Chaos sans passer dans le camp des méchants.
2 : Avouez que c’est le premier Jean-Luc que vous croisez à Warhammer Battle. Le dernier aussi, sans doute.

AVIS:

Nicola Griffith s’offre un dernier tour de piste (à ce jour en tout cas) d’anthologie avec The Voyage South, OVNI de la GW-Fiction à bien des égards, et donc d’une lecture conseillée à tous les amateurs d’exotisme littéraire. Exit le grimdark pluvieux et désespéré caractéristique d’un Empire assailli/gangréné par des hordes d’ennemis, et bonjour au boat trip entre Quenelles et l’Arabie, en passant par les contrées ensoleillées d’Estalie. S’il est vrai que la région compte de nombreux périls, il flotte malgré tout un goût de soleil et de farniente sur cette longue nouvelle, dont l’héroïne bien née réalise un voyage initiatique dans des conditions un peu rudes mais loin d’être horribles, et qui pourraient être qualifiées de croisière touristique si on se réfère aux standards habituels de Warhammer Fantasy. Ajoutez à cela le manque de crédibilité induit (en tout cas pour un lectorat francophone) par l’intégration d’un personnage nommé Jean-Luc et la fixette que fait Griffith sur le pâté, et la prise au premier degré des tribulations d’Ariel se complique encore davantage. L’auteur a beau mettre en scène une intrigue finalement assez intéressante de trafic de drogue frelatée comme instrument de déstabilisation politique, mis en œuvre par des Estaliens qu’on ne savait pas si entreprenants, la petite histoire ne cesse de prendre le pas sur la grande, bien aidée en cela par le finalement tout petit rôle joué par le grand méchant Escribano et son âme damnée Jorge, qui n’apparaîtront jamais directement dans la nouvelle, même pas lors de la bataille finale, dont le déroulement à sens unique vient conclure ces cinquante pages de façon un peu terne. À titre personnel, j’aurais apprécié que Griffith développe un peu plus le personnage de Send, dont le positionnement ambigu (pour le dire poliment) renforce considérablement l’intérêt. Pour l’anecdote, on notera que Nicola Griffith avait indiqué dans il y a quelques temps considérer la possibilité de donner une suite aux aventures d’Ariel et Cie, en rebaptisant les personnages et enlevant toutes les références à l’univers de WFB de son propos afin de ne pas avoir de problème avec Games Workshop. Ce vœu pieux n’a pas encore réalisé à ce jour, mais tout vient à point à qui sait attendre…

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Et voilà qui termine (pour un temps en tout cas) cette plongée dans les profondeurs doublement vintage de la GW-Fiction à la sauce médiévale-fantastique. Si Red Thirst s’avère à bien des égards être la continuation de la ligne éditoriale déjà affirmée dans Ignorant Armies et Wolf Riders, le parti pris de David Pringle de se concentrer sur des nouvelles plus longues qu’à l’accoutumée se révèle avoir un vrai impact sur l’expérience de lecture. On a en effet l’impression d’une immersion plus poussée et profonde dans le Vieux Monde, sensation renforcée par le choix des auteurs d’intégrer des éléments assez exotiques dans leur récit : Cathay, Kislev, l’Estalie, l’Arabie, Karak aux Huits Pics, Marienburg… Il n’y a finalement que Neil Jones pour s’être cantonné à l’Empire. Si vous avez envie d’un peu plus de variété qu’à l’accoutumée dans vos lectures d’ouvrages GW, Red Thirst pourrait donc vous convenir, davantage en tout cas que les deux volumes précédents.

D’un point vue qualitatif, cet ouvrage s’avère également être assez solide, ne serait-ce que parce qu’il renferme une pépite de Jack Yeovil et probablement LA meilleure nouvelle de Gotrek et Felix jamais écrite par Bill King. The Voyage South, bien qu’un peu particulier dans son approche, mérite également le détour, tandis que les trois (plus) courts formats qui complètent le sommaire s’avèrent tout ce qu’il y a de plus lisibles, même si aucun d’entre eux ne peut prétendre à une distinction spéciale dans le corpus de la GW-Fiction. Finalement, on peut aussi remarquer que, bien des années avant que le sujet d’une meilleure représentation des genres ne soit vraiment considéré en haut lieu, Red Thirst était un recueil finalement assez féministe, puisque quatre de ses six nouvelles ont mises en avant une héroïne plutôt qu’un héros (même si cela ne s’est pas toujours bien fini pour cette dernière, comme Adalia peut en témoigner). Finalement, 1990 était une année très moderne…

 

L’Âge des Mythes: la ‘GW-Fiction’ au temps de GW Books et Boxtree

Bonjour à tous! En préparant la critique du recueil Ignorant Armies, je suis tombé sur un article tout à fait intéressant, et rigoureusement indispensable à la bonne compréhension de notre propos, écrit par l’un des acteurs de cette époque héroïque, l’auteur Stephen (Steve) Baxter. Initialement publiée dans le magazine Vector en 2003, cette chronique passionnante des débuts de la GW-Fiction a été exhumée par le blog Pariedolia en 2016. Vous en trouverez ci-dessous une version traduite par votre serviteur (VO ici).

Beasts in Velvet

‘« Maudits soient tous les cochers humains et toutes leurs passagères », grommela Gotrek Gurnisson, ajoutant une malédiction en Khazalide…’

Il s’agit de l’incipit de ‘Geheimnisnacht‘ par William King, la première nouvelle du premier livre de fiction de Warhammer, l’anthologie Ignorant Armies, publié en 1989. D’innombrables livres, magazines et bandes dessinées prenant place dans les univers des très populaires wargames et jeux de rôle commercialisés par Games Workshop (GW) ont depuis suivi.

Il est fort probable que l’implication de David Pringle, alors rédacteur en chef d’Interzone, en tant que premier éditeur de GW de 1988 à 1991, ait joué un rôle dans la participation d’un certain nombre d’éminents écrivains de SF et Fantasy britanniques – contingent connu sous le nom de Génération Interzone – aux débuts de la « GW-Fiction ». Si mon propre apport fut modeste, deux nouvelles publiées en 1989 et en 1990; David Garnett (rq : David Ferring), Kim Newman (rq : Jack Yeovil), Brian Stableford (rq : Brian Craig), Ian Watson et d’autres ont contribué de façon bien plus significative. Aujourd’hui, GW publie et republie – en vastes quantités – des œuvres de fiction sous l’égide de sa filiale Black Library. Entre ces débuts modestes et l’époque contemporaine, la GW-Fiction a connu des hauts et des bas dignes d’une saga épique, convoquant tour à tour hobbyistes idéalistes et financiers pragmatiques, stakhanovistes diligents et rebelles effrontés, et faite à égales parts d’orthodoxies dogmatiques et d’hérésies plus ou moins tolérées, d’effondrements temporaires et de renaissances laborieuses, d’intrigantes options laissées inexplorées et de conflits sans cesse renouvelés entre licence artistique et respect de la propriété intellectuelle.

Comeback Tour

Cela fait un certain temps que je soutiens que quelqu’un devrait se pencher sérieusement sur cette saga. Et puisque personne plus qualifié que moi n’a relevé ce défi à ce jour, et que comme dit l’adage, on n’est jamais mieux servi… L’objectif de cette chronique sera de présenter une histoire informelle de la littérature GWesque, en particulier celle de la « période Pringle », sur la base des souvenirs personnels des personnes concernées, et, autant que possible en utilisant leurs propres mots. J’adorerais qu’une véritable étude universitaire soit menée sur la base de ce corpus, un jour.

Mon premier contact avec le projet GW-Fiction eut lieu à l’automne 1988, et prit la forme d’un appel de David Pringle.

Games Workshop a été créé dans le sud-ouest de Londres en 1975 par un groupe d’enthousiastes, parmi lesquels Steve Jackson et Ian Livingstone, qui s’étaient initiés au wargame pendant leurs études. S’ennuyant dans leur travail, ils conçurent le projet et lancèrent une nouvelle société, Games Workshop, spécialisée dans le développement et la vente de jeux innovants. Bien que leur premier catalogue fut marqué du sceau du classicisme, avec des jeux aussi originaux que le backgammon et le go, leur prédilection commune allait vers les jeux de Fantasy comme Lensman (1971), basé sur les romans de EE Smith, et s’inspirant de jeux basés sur des confits réels – tels que Diplomacy et Warlock.

Pour faire connaître GW, les amis créèrent un fanzine intitulé Owl and Weasel, dont un numéro trouva le chemin du développeur de jeux américain Gary Gygax. Ce dernier envoya à la jeune entreprise, pour revue critique, un exemplaire d’un nouveau jeu appelé Donjons & Dragons (D&D).

Publié par TSR Hobbies, D&D, en tant que premier RPG à disposer d’une véritable diffusion commerciale, révolutionna le jeu de rôle sur table. Un RPG comme D&D a un «univers» – le cadre fictif dans lequel se déroule le jeu – défini dans un ensemble de manuels. Les joueurs créent et contrôlent leurs personnages, avec lesquels ils s’identifient souvent étroitement. Il est possible d’utiliser des figurines en plomb pour représenter physiquement le personnage sur la table, mais dans les premiers jeux de rôle, l’intérêt des joueurs se portait en d’abord sur la qualité et la flexibilité des scénarios et des règles, plutôt que sur les produits dérivés.

Chaos ChildImmédiatement enthousiastes à propos de D&D et des jeux de rôle en général, Jackson et Livingstone signèrent rapidement un accord de distribution exclusif avec TSR sur le marché européen, pour une durée de trois ans – ils apprendraient plus tard que TSR était une toute jeune compagnie, dont les tentatives de faire distribuer D&D par les majors du secteur avaient jusqu’alors rencontré une ferme fin de non-recevoir –. Comme le souligne Cheryl Morgan, une ancienne camarade d’école de Kim Newman et Eugene Byrne ayant connu les prémices du jeu de rôle en Grande-Bretagne, GW a dès l’origine nourri de sérieuses ambitions commerciales.  ‘Même si Steve [Jackson] et Ian [Livingstone] étaient tous deux des passionnés, ils… voulaient également gagner beaucoup d’argent…’ Le pari fait par les deux amis à propos de D&D se révéla payant et les commandes se multiplièrent.

Jusqu’en mai 1976, GW fut géré depuis un appartement de Shepherd’s Bush (rq : un quartier de l’ouest de Londres). L’entreprise grandissant, Jackson et Livingstone louèrent un bureau à l’arrière d’une agence immobilière du sud de Londres, puis investirent un fonds de commerce à Hammersmith en 1977. À partir de 1978, GW commercialisa tous les RPG majeurs (TravelerRuneQuestMiddle Earth Roleplay…). Marc Gascoigne – qui rejoindra GW en tant qu’éditeur en 1984,  et deviendra plus tard éditeur au sein de la Black Library – souligne qu’à l’époque, tout jeu de rôle digne de ce nom était distribué par GW sur le territoire britannique.

Parallèlement à ces développements, GW commença à publier White Dwarf, un magazine spécialisé au format A4. Alors que Owl & Weasel était un fanzine dupliqué à la photocopieuse, White Dwarf fut conçu dès l’origine pour une diffusion beaucoup plus large, et était en conséquence d’une qualité de tirage bien supérieure, similaire à celle d’Interzone. Preuve du succès rencontré par cette nouvelle itération, au bout de dix-huit mois cette dernière était vendue dans les kiosques à journaux. Le ‘Dwarf présentait les produits de GW et d’autres fabricants, et gagna rapidement en popularité auprès de la communauté des joueurs. Un tout jeune Charles Stross y fit ses débuts d’auteurs, avec : ‘des profils de monstres pour D&D, à mon grand embarras, alors que j’avais 13-15 ans… J’ai découvert avec stupeur il y a quelques années que ces travaux de jeunesse avaient engendré leur propre jeu, qui dispose d’une réputation assez outrancière parmi la communauté des joueurs.’

Le succès ne se démentant pas, les activités commerciales de GW, initialement à destination des professionnels, s’ouvrirent au grand public, avec l’ouverture du premier magasin Games Workshop à Hammersmith (rq : un quartier de l’ouest de Londres). Dès le début, sa gestion fut confiée à une équipe de passionnés, dans le but de créer et cultiver un sentiment de communauté. Grâce à la publicité des White Dwarfs, le succès fut immédiat et d’autres magasins furent rapidement ouverts à Manchester, Birmingham, Sheffield, Nottingham et ailleurs.

Genevieve UndeadEn 1980, GW lança ses propres jeux de plateau – basés respectivement sur les franchises du Doctor Who et de Judge Dredd – sous le slogan « L’Empire Britannique Contre-Attaque! » (récupération publicitaire peu appréciée par George Lucas, qui obtint une modification de cette campagne marketing – le premier mais pas le dernier des démêlés juridiques de notre histoire –). S’en suivit la sortie du premier RPG siglé GW (Judge Dredd – The Roleplaying Game, co-écrit par Marc Gascoigne) en 1985, bientôt suivi du super-héroïque Golden Heroes.

Il devint bientôt évident que la vente de figurines, dont les jeunes joueurs (10 à 14 ans) raffolaient particulièrement, générait une marge bénéficiaire importante. Désireux de pénétrer ce marché porteur, GW créa une filiale à Nottingham, Citadel Miniatures, dont la croissance fut portée par les canaux de distribution (vente par correspondance et chaîne de magasins) et de publicité mis en place par la société mère. Le premier dirigeant de Citadel fut Bryan Ansell. Ansell, qui « avait commencé sa carrière en tant que fabricant de petits soldats », selon David Pringle, avait précédemment développé la populaire gamme de produits Asgard. Comme beaucoup d’autres figures du monde du jeu de l’époque, ses véritables débuts se firent cependant en tant que rédacteur en chef d’un fanzine, dans son cas le poétiquement nommé Trollcrusher.

En 1983, Citadel a lança la première itération de ce qui deviendrait sa franchise phare : Warhammer. Le jeu prenait place dans un univers d’heroic fantasy tolkienisant, et était  co-écrit par Ansell.

À la croisée des années 1980, le marché vécut une profonde évolution. Alors que les ventes de RPG ralentissaient, celles des figurines Warhammer progressaient fortement. En dépit d’investissements initiaux élevés, les marges réalisées sur des figurines en plomb se révélèrent être beaucoup plus élevées que celles des livres de jeux de rôle et les jeux de plateau, particulièrement grâce au réseau de distribution bien développé de GW.

Cette logique poussa l’équipe dirigeante de Citadel, menée par Ansell, à racheter la société mère à ses fondateurs au début de l’année 1986. S’en suivit une transformation du business model afin de se concentrer sur la vente de figurines et d’accessoires de jeux. Cheryl se souvient que Livingstone et Jackson avaient de toute façon connu le succès avec un autre de leur projet, la série de « Livres dont vous êtes le héros » de Fighting Fantasy. ‘Après avoir fait fortune, ils ont revendu [GW] à Bryan Ansell … Bryan était encore plus concentré sur l’argent que Steve et Ian, et il a fixé à GW des objectifs très spécifiques, avec un succès notable il faut le reconnaître (bien que cette réussite puisse également être mise au crédit de Tom Kirby [le bras droit d’Ansell])… Toute [sa] politique reposait sur la vente de figurines grâce aux jeux. ‘

Ces changements provoquèrent une controverse parmi la communauté de clients et fans historiques de GW, qui regrettèrent la perte manifeste de la philosophie hippie et estudiantine de la société, et son ralliement aux sirènes du corporatisme, tandis que le White Dwarf se muait visiblement en une rutilante machine marketing. Même au sein de l’entreprise, ce changement de management ne fit pas l’unanimité : dans le dernier numéro de White Dwarf publié par l’équipe d’origine, l’initiale de chaque partie du sommaire épelait ‘Sod Off Bryan Ansell’ ! (rq : Va ch*er Bryan Ansell !) Mais, comme le souligne Marc [Gascoigne], le rachat et la relocalisation d’une entreprise basée à Londres par un fabricant de Nottingham n’aurait de toute façon pas pu faire que des heureux. Certains membres du personnel londonien, y compris Marc (bien qu’il parte travailler pour Fighting Fantasy un an après l’avènement de l’ère Ansell) se plièrent cependant de bonne grâce à ces changements.

Deathwing

La nouvelle direction mit l’accent sur le développement de jeux riches en personnages, conçus pour servir de plate-forme à la vente de figurines et d’accessoires. 1986 vit la publication du jeu de rôle Warhammer Fantasy Roleplay ; à cette époque, le jeu de figurines du même nom en était à sa troisième édition. Ce RPG Warhammer fut un succès – la meilleure vente de RPG de 1987 au Royaume-Uni et la meilleure vente d’un RPG anglais à l’international plusieurs années durant selon Marc Gascoigne.

Au début de 1988, GW avait largement abandonné la vente des jeux d’autres fabricants pour se concentrer sur ses propres gammes. Les jeux majeurs de l’entreprise étaient Warhammer (décliné en wargame et RPG), Warhammer 40.000 (40K), un jeu de figurines se déroulant dans un univers de space opera grimdark, et Dark Future, un jeu de société et de figurines se déroulant dans un monde alternatif teinté de cyberpunk post-apocalyptique, et faisant la part belle aux poursuites en voiture. Dark Future, co-écrit par Marc Gascoigne, était une des démonstrations les plus manifestes du repositionnement de la société sur les jeux de figurines.

De nouvelles opportunités commerciales se firent jour. Certains créateurs de jeux de rôle avaient commencé à produire des œuvres de fiction associées aux univers dans lesquels se déroulaient leurs jeux, parfois avec des succès notables comme dans le cas de TSR (séries Weiss et Hickman Dragonlance). En janvier 1987, et à la suite du lancement réussi de Warhammer RPG, GW décida de tenter sa chance et de publier des recueils de nouvelles, peut-être même des romans, prenant place dans cet univers.

La saga de la « GW-Fiction » pouvait commencer.Demon Download

GW se tourna d’abord vers le (regretté) Richard Evans, qui officiait à l’époque comme éditeur chez Macdonald (rq : une maison d’édition britannique, pas la chaîne de fast-food), et lui demanda de recommander un « bon auteur fantastique » pour développer un livre basé sur l’univers de Warhammer. Richard soumit le nom de Mike Scott Rohan, qui se souvient: ‘comme à l’époque, j’étais le meilleur vendeur de Macdonald (fierté !), [Richard] m’a sollicité en ce sens. J’ai dit que je jetterai un œil sur leur proposition, mais comme je ne voulais pas que cela empiète sur mes travaux en cours, j’ai demandé la permission d’inclure mon collaborateur occasionnel et expert ès Vikings Allan Scott à la discussion. Ils ont accepté, et nous sommes rendus à leur siège pour une série de réunions de plus en plus étranges…’. Scott Rohan et Scott s’entendirent bien avec leur interlocuteur chez GW, dont l’expertise sur l’Allemagne du XVIème siècle, en plus d’impressionner Mike, avait influencé le développement de l’univers de Warhammer.

Mike poursuit: ‘Al et moi… reçûmes des propositions plutôt intéressantes d’un point de vue pécuniaire, et acceptâmes la proposition. Nous ne nourrissions aucune réserve sur ce projet, car nous avions le sentiment que nous pouvions être créatifs. Nous pensions pouvoir développer une intrigue se déroulant à la périphérie de l’univers de Warhammer, et qui éviterait autant que possible d’utiliser les personnages de leur jeu – et, si possible, les pasticher sans pitié…’ Malheureusement, la combinaison d’un manque de stabilité des interlocuteurs chez GW, et le criant manque d’expérience et d’intérêt de la part de certains membres de la hiérarchie de GW sur la manière de gérer des auteurs et le monde de l’édition en général, vint ralentir les progrès. Un directeur, rapporte Mike : ‘indiqua de façon très claire qu’il n’était pas intéressé par la qualité littéraire, et pour tout dire ne croyait pas qu’il soit possible d’obtenir un résultat qualitatif pour de la fiction fantastique. De son point de vue, les auteurs et les créatifs en général n’étaient qu’une bande de hippies chevelus que vous pouviez payer au lance-pierre… Nous avons donc naturellement décidé que [le livre] ne pourrait être écrit qu’au second degré, dans une optique picaresque assumée, et ne nous sommes pas gênés pour inclure des caricatures outrancières de nous-mêmes parmi les personnages principaux, et de certains des sales types de GW parmi les méchants…’

GW valida néanmoins le synopsis de Mike et Allan, mais des différends se firent jour à propos d’éléments susceptibles de porter atteinte au droit d’auteur de Tolkien. Finalement, les éditeurs abandonnèrent le contrat de GW. Mike et Allan réécrirent le livre en supprimant  toutes références à Warhammer et le faisant se dérouler dans un monde de leur création. Mike précise: ‘Rebaptisé A Spell of Empire, il a été publié par Orbit – qui appartient maintenant à Little, Brown – en 1992. Il a reçu un accueil plutôt favorable et a bénéficié de quatre éditions étrangères. Cela reste l’un des livres pour lesquels on me demande le plus souvent si une suite est prévue.’

Drachenfels

Cette débâcle ne découragea pas GW de retenter sa chance. La société se tourna cette fois-ci vers Penguin (rq : une maison d’édition britannique, qui a notamment publié une très belle, complète et commentée anthologie en trois volumes de l’œuvre de Lovecraft), et recruta David Langford pour démarcher des auteurs professionnels potentiellement intéressés par le projet.

David officiait comme critique littéraire pour White Dwarf, et était déjà à l’époque le robuste moyeu de la roue un peu voilée qu’est la SF britannique, ce qui faisait de lui un candidat parfait pour ce poste. En Janvier 1987, il adressa une proposition de collaboration à douze auteurs établis de ce microcosme – la collaboration de figures reconnues au projet étant nécessaire pour finaliser le contrat avec Penguin. La lettre était empreinte de l’humour particulier de Dave, et détaillait de façon honnête cette « proposition louche », en plus de donner des détails sur la nature du projet : ‘Comme vous pouvez l’imaginer, un dieu de la mort appelé Morr nécessitera quelques notions basiques d’étymologie, et le dieu de la maladie appelé Nurgle n’est pas lié au Goon Show (rq : une émission de radio humoristique diffusée sur la BBC dans les années 50, qui a influencé les Monty Pyton) pour autant que nous le sachions…’ ‘En termes de paiement,’ précise David, citant les managers de GW, ‘nous proposons les taux usuels, éventuellement complétés d’un léger intéressement sur les ventes, ces dernières ayant une chance d’être plus élevées que d’habitude…’ En Février, David fit un retour assez mitigé à GW. ‘En résumé: trois OUI, sept ALLEZ VOUS FAIRE VOIR, et deux réponses toujours attendues.’

Parmi les auteurs ayant décliné la proposition, on comptait John Brunner (rq : qui collaborera bien plus tard à la Black Library, avec ‘A Place of Quiet Assembly’), qui ‘désapprouvait fortement [l’initiative]’, Chris Evans, pour qui l’univers de Warhammer était ‘un embrouillamini de références diverses sans originalité… laissant très peu de place à un processus créatif’, et Chris Priest, auquel David se souvient d’avoir ‘proposé le projet de vive voix, et s’estimer heureux de s’en être tiré vivant’. Les autres fins de non-recevoir furent envoyées par Rob Holdstock, Tanith Lee, Lisa Tuttle et Ian Watson (rq : qui se fit finalement convaincre, comme nous le verrons plus tard). Les retours tardifs de Bob Shaw et Ramsey Campbell se révélèrent être également négatifs. David lui-même botta en touche: ‘Je doutais sérieusement de ma capacité à écrire ce type de fantasy avec un honnête premier degré.’

Deux des retours positifs vinrent de Garry Kilworth et de Brian Stableford, qui furent extrêmement honnêtes quant à leurs motivations: ‘Votre lettre est arrivée le même jour que mon relevé bancaire’, déclara ainsi Garry. Le troisième et dernier ‘oui’ fut envoyé par Terry Pratchett (!), qui écrivit : ‘Quel délicieux univers que le vôtre, et original sur bien des aspects. Pour citer Robert Robinson, il semble que vous ayez appris la langue des indigènes pour leur vendre vos verroteries. Mais, à la condition que personne ne s’offusque que je considère cette offre un tout petit moins sérieusement qu’elle semble se prendre elle-même, je serais a minima intéressé de savoir quels sont les « taux habituels » auxquels il est fait référence.’ Dans une note ultérieure, Terry écrivit: ‘Je me sens un peu comme le roi Hérode auquel on aurait demandé de contribuer à la gazette de l’Association des Jeunes Parents de Bethléem (rq : référence au Massacre des Innocents, ou le meurtre de tous les enfants de moins de deux ans de la région de Bethléem sur l’ordre de Hérode, qui voulait empêcher la venue du Messie).’

En fin de compte, l’entreprise échoua lorsque le contrat proposé par GW s’avéra inacceptable pour les auteurs intéressés. De toute évidence, l’entreprise n’avait toujours pas pris la mesure du marché qu’elle tentait de pénétrer – et Terry Pratchett n’a jamais écrit pour Games Workshop.

En 1988, GW fit une nouvelle tentative en vue de lancer une gamme de fictions liées à ses franchises. Cette fois, il fut décidé que l’éditeur serait GW lui-même, via une nouvelle filiale nommée GW Books. GW recruta David Pringle en tant qu’éditeur en chef et Ian Miller en tant que conseiller artistique.

 Ghost DancersDavid Pringle se souvient: ‘Ian Miller… était la personne qui m’a obtenu ce job chez GW… Il a mis sur pied le bureau de Brighton et était employé à plein temps comme conseiller artistique, avec un salaire plus élevé que le mien.’ Miller avait été le professeur d’arts plastiques d’un certain John Blanche, directeur artistique de GW: ce que Marc Gascoigne décrit comme du « Bosch-isme dément » était déjà au cœur de l’identité visuelle de Warhammer.

En 1988, Interzone existait depuis six ans et David Pringle était un nom très respectable dans le milieu de la science-fiction britannique. Sa capacité à mettre à contribution l’«écurie» des actuels et futurs auteurs d’Interzone ne faisait pas de doute. David résuma ses objectifs de la façon suivante: ‘Obtenir autant d’argent et d’opportunités de publication que possible pour les auteurs. Et bien sûr, c’était un gagne-pain pour moi également. Je pense que j’ai commencé avec un salaire de 13.000 £ (rq : environ 18.800 €) par an en Octobre 1988, et que je touchais 14.000 £ à mon départ en Octobre 1991′.

Des motivations moins terre à terre peuvent également être considérées. Ian Watson se souvient que ‘Bryan Ansell souhaitait ardemment lire de vrais romans écrits par de vrais auteurs traitant de ses univers bien-aimés. David Pringle a réussi à convaincre Bryan que cela était possible, en mettant à profit le vivier des contributeurs d’Interzone, à la condition que ces derniers puissent se partager dix mille livres sterling de royalties garanties par volume.’

Apprenant de ses déboires passés, GW commença par charger David Pringle d’établir un modèle de contrat robuste à destination de ses auteurs. Brian Stableford l’assista dans cette tâche.

À mesure que la perspective d’une GW-Fiction se solidifiait, certains observateurs eurent le sentiment que l’approche mercantile de GW se renforçait. David Langford raconte qu’en Octobre 1988 : ‘j’avais transféré mes revues littéraires de White Dwarf à GamesMaster… Ils avaient déjà laissé tomber toutes les critiques de jeux indépendants en faveur d’un matraquage sur les produits GW, et il semblait probable que les critiques de livres indépendants suivraient rapidement le même chemin – ce qui a bien été le cas au final… David Pringle a repris la colonne dans le Dwarf après mon départ, bien que je pense le vol de ma formule «Critical Mass» (rq : un jeu de mot anglais entre « masse critique » et « messe de la critique ») lui a été imposé par GW et n’était pas de son fait! Ses revues ont été publiées dans les numéros 107 à 109, et 111. David V. Barrett a ensuite repris le flambeau – en utilisant toujours mon titre – du numéro 112 au numéro 115. L’emprunt s’arrête au numéro 116, qui n’a pas de rubrique critique. DVB m’a dit (même si je ne me souviens pas exactement quand) qu’il avait démissionné après avoir subi des pressions de sa direction pour mettre de l’eau dans son vin’.

David Pringle, de son côté, commença à contacter de potentiels contributeurs.

InquisitorJ’étais encore nouveau dans le métier lorsque David Pringle m’a appelé. J’avais publié de nombreuses nouvelles dans Interzone et ailleurs, mais mon premier roman (Raft) ne sortirait pas avant 1990, je n’avais jamais écrit de la Fantasy et je ne pratiquais même pas de RPG! Mais relever de nouveaux défis ne me faisait pas peur, et la compensation financière proposée était des plus sympathiques: pas moins qu’un très respectable 1.000 £ (en royalties garanties) pour un texte de sept mille mots, bien au-delà des tarifs proposés par Interzone et de la plupart des commissionnaires à l’international. Il s’agissait cependant d’une pure « vacation littéraire » : les droits d’auteur de la fiction appartiendraient à GW, les auteurs s’engageant à renoncer à leur propriété intellectuelle en échange de royalties. Je serais bien payé, mais tout ce que je créerais appartiendrait à GW.

David m’a envoyé une pile de manuels de jeu GW, dans lesquels je me suis consciencieusement plongé. Les premières nouvelles devraient prendre place dans le monde fantastique de Warhammer, qui ressemblait plus ou moins à une Terre du XIVème siècle peuplée de sorciers, Elfes, Nains et autres figures classiques de la Fantasy. Le ‘Chaos’, le concept fondamental de cet univers, jouait le rôle d’élément perturbateur. Ce background m’est apparu comme un assemblage d’éléments provenant de sources familières, Tolkien parmi elles – Cheryl souligne que Warhammer était «désespérément peu original». David Langford parle ‘d’emprunts divers et variés’, fragments lovecraftiens inclus.

La question des origines évacuée, il fallait reconnaître qu’il s’agissait d’un monde complexe, laissant beaucoup de place pour la création d’histoires. Quelques idées me vinrent. La première, qui donna au final la nouvelle intitulée ‘The Star Boat’, était basée sur une trace de science-fiction que j’avais identifiée au cours de mes lectures : une race convenablement mystérieuse et quasiment éteinte ayant bénéficié d’une technologie de pointe (rq : les fameux primo-Slanns). L’histoire convoquerait un ‘Norse’ – Erik le Changepeau, ayant hérité de la malédiction du loup-garou de ses ancêtres – à la recherche de l’ancien vaisseau spatial susnommé. La deuxième nouvelle, ‘The Song’, serait un pastiche fantastique incluant un «détective» Elfe. David apprécia ces idées et les transmit à Andy Jones, son contact pour l’écriture de scénarios chez GW, qui demanda des changements mineurs par rapport à mes pitchs initiaux. Je me suis mis au travail – sur la foi de la parole donnée par David, car je n’avais encore signé aucun contrat. J’ai livré ‘Star Boat’ à la Noël de 1988 et ‘The Song’ fin Janvier 1989.

En Janvier 1989, David fournit, à nous autres auteurs, ‘quelques principes directeurs’. Nous apprîmes que notre lecteur cible était un ‘ado intelligent de 18 ans’, qu’il fallait éviter le sadisme et le sexe explicite, et que notre ‘ligne directrice devait être l’aventure fantastique’. Comme je pense que nous avions été nombreux à buter sur la nature de ce fameux ‘Chaos’, David précisa : ‘Il est important de garder à l’esprit que « chaos » et « mal » ne sont pas synonymes. Il peut y avoir de bons dieux du Chaos (de fait, les dieux de la loi eux-mêmes sont nés du Royaume du Chaos… )‘

Marc Gascoigne indique que le concept de ‘Chaos’ a été inspiré par la série Eternal Champion de Michael Moorcock, qui avait également influencé Dungeons and Dragons. Les concepteurs de GW avaient toutefois à cœur de rendre justice à cette notion, que D&D avait galvaudée à leur goût. Marc révèle que les gens de GW étaient également au courant de l’influence qu’avait eu le Three Hearts & Three Lions de Poul Anderson sur l’univers de Moorcock. Selon lui, les Elfes de Warhammer tiennent autant de The Broken Sword d’Anderson que de Tolkien.

 KonradPour nous les auteurs, ce genre de subtilités s’avérait parfois déroutant, et leur non-inclusion dans les manuels de jeu ne facilitait pas notre appropriation du ‘dogme’. Nous ne tardâmes pas à apprendre que rien n’était laissé au hasard, et que le clergé de Nottingham, dirigé par Bryan Ansell en personne, était un gardien vigilant du sacro-saint lore. J’avais déjà reçu des commentaires éditoriaux sur mes manuscrits de la part de David, et d’autres suivirent de la part d’Andy Jones, et même d’Ansell. Certaines de ces remarques portaient sur d’obscurs détails de background, mais d’autres touchaient à la structure du récit, que l’on aurait pensé être la seule prérogative de David. Plus tard, ce fut au tour de William King d’entrer dans la danse. Bill était un contributeur d’Interzone doublé d’un joueur de Warhammer doté d’une solide connaissance du fluff, et fut recruté directement par GW peu de temps après. Alex Stewart (Sandy Mitchell) se souvient de ces expériences avec contrariété: « [Bryan Ansell] imposait des dictats absurdes tels que « les histoires ne doivent jamais être écrites à la première personne » quelques jours après la rendue d’un draft tout à fait satisfaisant, par exemple. »

Avec le recul, je réalise que cela n’était pas propre à GW; la propriété intellectuelle d’autres franchises telles que Star Trek est tout aussi étroitement contrôlée. À l’époque, j’éprouvais des difficultés à rendre des copies qui satisfassent mes innombrables relecteurs. Mais cela faisait partie du métier, du moins le pensais-je, et me servirait sans doute dans la suite de ma carrière. Au final, le changement le plus difficile à réaliser fut de transformer en ‘halfling’ le protagoniste elfique de ‘The Song’, afin de faire le lien avec un personnage créé par Alex dans une autre nouvelle ! (rq : le « fameux » Sam Warble)

La tâche de David Pringle n’était pas plus aisée. Les détails des jeux ‘ne cessaient de changer, au gré des humeurs des démiurges de Nottingham, donc c’était difficile. J’avais un bureau à Brighton et […] je montais [sur Nottingham] environ une fois par mois, la première année tout du moins, mais j’étais très éloigné du cœur du réacteur et des changements quasi-quotidiens apportés au background. Cela dit, c’était mon choix – je serais devenu fou si j’avais dû travailler à Nottingham, dans l’atmosphère assez étrange du siège de GW.’

En 1989, après cette interminable gestation, les premières publications de GW, prenant place dans le monde de Warhammer Fantasy Battle, firent enfin leur apparition en librairie.

 Krokodil TearsMon ‘Star Boat’ apparut dans la première anthologie publiée par GW Books, intitulée Ignorant Armies, avec des nouvelles de William King, Charles Stross (Charles Davidson), Nicola Griffith, Brian Stableford (Brian Craig), Kim Newman (Jack Yeovil) et Paul McAuley (sous le pseudonyme de Sean Flynn, le nom du fils du fils disparu d’Errol Flynn!). Les autres anthologies publiées peu de temps après mirent à contribution Storm Constantine, Eugene Byrne, Charles Platt et Alex Stewart. C’était un casting des plus respectables.

Le livre en lui-même était un poche joliment produit, avec une couverture en couleurs et des illustrations intérieures, dont certaines de Jim Burns (rq : un des grands noms de l’illustration de genre) – bien que certains pensent que ‘le caractère idiosyncratique (rq : plutôt particulier) de la couverture a pu affecter la visibilité globale [du livre]’ (Peter Garratt dans Interzone #70, Mars 1991). Marc Gascoigne ajoute que les premiers tirages furent réalisés au format B, plus large que le poche traditionnel, avant que ce dernier ne devienne courant dans les librairies, ce qui put également engendrer des difficultés marketing opérationnel.

Tout le monde n’utilisait pas de pseudonymes. J’eu recours au subtil alias de ‘Steve Baxter’, dans la veine du ‘Iain M. Banks’ (rq : l’identité ‘secrète’ de l’auteur Ian Banks), afin de marquer la différence avec mes autres travaux. Je ne voyais pas l’intérêt de dissimuler mon identité aux lecteurs qui auraient pu être attirés par mes autres écrits, et je n’avais de toute façon pas honte du travail réalisé pour le compte de GW. Nicola Griffith abonde: ‘Lorsque j’ai choisi de ne pas utiliser un pseudonyme pour cette commission, presque tout le monde a pensé que j’étais folle… Pour moi, il s’agissait d’une conséquence logique de ma conviction profonde de ne jamais publier quoi que ce soit dont je ne sois pas fière, et prête à y attacher mon nom et ma réputation.’

Pour Nicola comme pour certains des auteurs les plus inexpérimentés (moi inclus), la collaboration avec GW fut une source d’apprentissage. ‘Travailler sur du Warhammer ne m’a apporté que du positif… De façon cruciale, [j’ai] appris à mettre en scène une histoire de façon consciente et structurée. Par histoire, j’englobe l’évolution du personnage et la progression de l’intrigue. Avant cette collaboration, j’avais tendance à utiliser la méthode dite du ‘j-attends-d-être-frappée-par-l-inspiration’ (qui nécessite d’atteindre une sorte de ’masse critique psychologique’, processus incertain et mal compris, sur lequel il est difficile d’influer). En d’autres termes, j’avais l’habitude de ressentir mes histoires de manière assez incohérente, puis d’essayer de les coucher sur le papier. Évidemment, ce processus créatif n’est pas vraiment compatible avec l’écriture de travaux commissionnés. Quand l’argent, les délais et d’autres contraintes sont entrés en ligne de mire, j’ai appris à atteler ma muse (généreuse pourvoyeuse en thèmes, métaphores, émois intérieurs et autres mignardises littéraires en tous genres) à la parfois terne, mais toujours robuste, voiture ‘intrigue’. L’astuce était d’imaginer un petit David Pringle flottant au-dessus de mon clavier, répétant à intervalles réguliers ‘Oui, oui, c’est très bien, mais quand est-ce qu’il se passe quelque chose ?’.

Nous fûmes invités à une soirée de lancement pour Ignorant Armies. Nicola se souvient: ‘Ça a été ma toute première séance de dédicace – Je m’en souviens encore très bien : moi, toi, Bill King, Alex [Stewart], Kim Newman et d’autres, signant à la chaîne dans un hôtel miteux de Birmingham et buvant de la bière (gracieusement offerte). Je pense que la bière gratuite est la raison pour laquelle je me souviens de cette soirée. Je n’avais jamais associé les termes ‘bière’ et gratuit’ auparavant. Je n’avais jamais fait de dédicace non plus, et ça m’a semblé plutôt cool.’

L’anthologie fut généreusement, bien que de façon légèrement incestueuse, critiquée dans Interzone (#33, Janvier 1990), par Neil McIntosh et Neil Jones. Ce dernier finirait par aller travailler pour GW, et le premier deviendrait un des auteurs de la Black Library (rq : série Stefan Kumansky, entre autres). Ils signèrent: ‘Verdict : c’est un succès… Une expérience équilibrée et très divertissante, à la fois pour le joueur de Warhammer (auquel le livre est principalement destiné) et pour l’amateur de littérature Sword & Sorcery.’

Les premiers romans, également publiés en 1989, incluaient le premier tome de la trilogie ‘Orfeo’ de Brian Stableford (‘Zaragoz’), et le ‘Drachenfels’ de Kim [Newman a.k.a. Jack Yeovil], le début de sa série vampirique ‘Genevieve’. Brian Stableford apprécia le projet: ‘Warhammer m’a fourni une occasion en or de m’essayer à un type de production qui m’intéressait de longue date, et certaines des nouvelles que j’ai réalisées dans ce cadre font partie de mes œuvres préférées.’

Le Drachenfels de Kim fut critiqué par John Clute (rq : un des critiques de science-fiction et fantasy les plus reconnus et respectés) en personne dans Interzone (#35, Mai 1990). Clute ne manqua pas de remarquer qu’il s’agissait d’une œuvre commissionnée, mais nota également une récurrence de la figure de l’acteur dans l’intrigue de Kim, ainsi que des références appuyées à divers films. Comme si ‘l’intrigue… intégrait de façon consciente son existence à l’intérieur d’une franchise, gagnant du même coup une paradoxale et ultime liberté par rapport à cette dernière’ (rq : une mise en abyme quoi). Kim déclara que l’intrigue lui avait été inspirée par Busby Berkeley (rq : un réalisateur et chorégraphe américain du début du XXème siècle).

Plague DaemonWarhammer inspira Kim. Il signa, avec une facilité apparente – et décourageante –, sept romans pour GW Books au cours de ces premières années, en plus de contribuer aux recueils de nouvelles. Kim réussit manifestement à composer avec (toujours) et se jouer (parfois) des instructions de Nottingham que d’aucuns trouvaient contraignantes. ‘J’étais convaincu que cela [le second degré] était inhérent à cet univers, qui faisait un usage régulier de références clairement identifiables – la ville de Bilbali dans ‘l’Espagne’ de Warhammer, l’Impératrice Magritta qui prit le pouvoir en 1979 et opprima son peuple (rq : clin d’œil à Margaret Thatcher)… Pour 40K,  certains arguaient que le divin et immortel Empereur de l’Humanité était en fait Cliff Richards’ (rq : un pionnier du rock anglais, et le 3ème artiste ayant vendu le plus de disques au Royaume-Uni, derrière les Beatles et Elvis Presley. Le Johnny Hallyday anglais). Marc met en opposition l’aspect sarcastique et pince-sans-rire typiquement britannique de Warhammer et le premier degré absolu de D&D. Kim acquiesce: ‘Je n’ai guère eu à me forcer pour intégrer quelques éléments satiriques ou absurdes dans mes écrits – j’avais retiré de mon expérience (assez limitée) de rôliste que la plupart des groupes incluent un bouffon assumé, je suppose que je faisais la même chose à mon niveau. J’ai également abordé des sujets sérieux, comme des problèmes sociaux, la corruption politique… ce qui a peut-être équilibré le tout. » Marc se rappelle en souriant d’un chapitre de ‘Genevieve Undead’ intitulé ‘The Cold Stark House‘, une parodie de Cold Comfort Farm (rq : un roman de Stella Gibbons parodiant les romans champêtres du début du XXème siècle) avec des vampires. Beaucoup de lecteurs ne relevèrent pas la référence, cependant.

L’entreprise ne s’attira pas que des retours positifs cependant. Dans une chronique dans ‘The Face’ (Mars 1990) sur l’état de la science-fiction britannique, Colin Greenland l’assimila à un retour de la pulp fiction. ‘GW s’appuie sur des novices enthousiastes usant de pseudonymes, contribuant à faire de la Fantasy insipide la norme, exactement comme lorsque Michael Moorcock s’est lancé il y a 30 ans’. Et dans sa critique, plutôt favorable de ‘Drachenfels’, publiée dans le GamesMaster du mois d’Août 1990, David Langford abonde : ‘Je dois avouer que je nourrissais quelques craintes à me plonger dans les livres de Games Workshop se déroulant dans, et donc potentiellement contaminés par, le monde de Warhammer, ce qui m’a poussé à en retarder la lecture. GW m’avait sollicité pour que je participe à ce projet il y a quelques temps, mais après avoir lu les manuels de jeu, j’ai conclu que ce n’était pas pour moi. Le jeu est peut-être excellent, mais l’univers dans lequel il se déroule relève de la Fantasy bas de gamme et désespérément resucée’. Un contributeur initial, sous couvert d’anonymat, enfonce le clou : ‘Je me suis dit : ‘Qu’ils aillent se faire voir’. Je me suis contenté d’écrire un roman d’aventures classique, saupoudré de quelques références à Warhammer pour qu’ils me fichent la paix’.

Même les critiques publiées pour ces ouvrages générèrent leur lot de controverses.  Dans un article de l’Interzone #70, Peter Garrat réfuta l’idée cynique que David Pringle avait comme plan de remplir Interzone de revues dithyrambiques des livres de GW, et souligna qu’au contraire, ces derniers avaient reçu ‘étonnamment peu d’attention pour des ouvrages intelligents et bien conçus’. En tout état de cause, la bonne et large réception de ces livres avait enchanté David Pringle. ‘Les excellentes critiques que certains des premiers livres, dont le ‘Drachenfels’ de Kim, reçurent dans Locus (rq: un des magazines de référence de la science-fiction et de la fantasy) nous satisfirent  tout particulièrement. On ne pouvait soupçonner les contributeurs de Locus de conflit d’intérêt, et l’avis positif qu’ils émirent sur nos ouvrages n’en eut donc que plus de poids.  Si Locus les estimait dignes d’être portés à l’attention du grand public SF/Fantasy, il n’y avait aucune raison qu’ils ne soient pas également abordés dans Interzone.’ Une critique acerbe de Gwyneth Jones de deux publications 40K dans l’Interzone #46 (Avril 1991) vint renforcer la thèse d’un traitement (relativement) impartial de la gamme.

Pour ma part, je visitai le siège de Games Workshop en compagnie de David en Février 1989. Nous eûmes droit à un tour complet de la petite usine où les figurines étaient peintes à la main, et rencontrâmes Bryan Ansell et d’autres cadres de l’entreprise, comme si nous avions été des chefs d’Etat en visite. Je pus me rendre compte à quel point ils étaient fiers et protecteurs de la propriété intellectuelle de leurs univers franchisés; c’était comme une visite au Vatican.

 Red THirstJ’ai soumis de nouvelles idées. Après avoir retravaillé le manuscrit de ‘Star Boat’, j’ai proposé d’écrire une suite, intitulée ‘Wood and Iron’, centrée sur l’invasion du monde médiéval-fantastique d’Erik par des pillards de 40K, à la technologie beaucoup plus avancée. Un troisième volet, ‘Titan vs. T Rex’, aurait mis en scène une bataille sans merci entre un des ‘robots ambulants’ de 40K et un lézard géant.  En Mars 1989, j’ai en outre soumis un pitch de roman pour 40K, appelé ‘Assassin’. David accusa réception de mes idées et me demanda d’avancer sur ‘Wood and Iron’, là encore avant qu’un contrat en bonne et due forme eut été signé.

En coulisses, cependant, les lignes étaient déjà en train de bouger.  David Pringle se souvient: «[Ian Miller] n’a tenu qu’un an environ. Ses relations avec Bryan Ansell et Tom Kirby n’avaient jamais été cordiales… Mais je n’ai pas tous les détails de cette affaire, à moins que j’aie réussi à les oublier (rq : Ambiance, ambiance…). J’ai fait profil bas et j’ai continué à éditer mes livres. Quand Ian est parti en claquant la porte, le type qu’il avait recruté pour nous servir d’assistant à tous les deux l’a suivi. Au final, à la fin de 1989 ou au début de 1990, je me suis retrouvé tout seul pour gérer le bureau de Brighton. Après que les choses se soient tassées, j’ai glissé le nom de Neil Jones au commandement suprême et ai été autorisé à le faire venir comme adjoint.’

En 1990, le rythme des publications s’accéléra. David Garnett, sous le pseudonyme de ‘David Ferring’, était un vieux briscard de la fiction commissionnée, et avait une manière bien à lui de gérer l’imposant corpus soumis par GW pour références : il pitcha une trilogie sur un héros nommé Konrad, et commença à l’écrire. ‘Konrad débute son aventure à un âge similaire à celui de la majorité de la clientèle de Warhammer, soit 11-14 ans. Il a grandi dans un petit village et ne connaît rien du monde extérieur. Le premier livre permet à tout le monde (lui, les lecteurs, et moi-même, au fur et à mesure de mes lectures des manuels de jeu) d’en apprendre plus sur le monde de Warhammer’.

Comme Kim, David n’hésita pas à inclure du second degré à ses travaux. ‘Lorsque je devais baptiser un de mes personnages, et compte tenu de l’influence germanique de l’Empire de Warhammer, j’inventais souvent un patronyme en prenant la première syllabe d’un nom de famille et en y ajoutant la ou les dernières syllabes d’un nom différent. Je dois reconnaître avoir utilisé la liste des joueurs (Ouest) allemands de la Coupe du Monde de 1990 pour ce faire. J’ai également mis à contribution quelques amis Allemands lors de leur séjour en Angleterre pour obtenir des noms qui sonnent convenablement germanique – comme le sorcier renégat ‘Litzenreich’ dans ma trilogie ‘Konrad’. En reconnaissance des services rendus, j’ai baptisé deux personnages secondaires de ‘Shadowbreed’ (le 2ème livre de la trilogie) du nom de ces amis, Gertraut et Rita. Mais quand le livre est sorti en Allemagne, sous le nom de ‘Schattenbrut’, ‘Gertraut’ fut « dé-germanisé » en ‘Gertraud’ (Rita, prénom non-Teutonique, fut cependant maintenu).

Le premier livre, ‘Konrad’, parut en 1990. La stratégie de David Garnett s’avéra payante; comme le fit remarquer la critique d’Interzone (#74, Août 1993), le lecteur adopte ‘le point de vue du personnage principal, qui passe une bonne partie du livre sans avoir la moindre idée de ce qui se passe autour de lui’, ce qui n’empêche pas le résultat final de dégager ’une impression d’un monde complexe et fantastique’. Bien que la série des ‘Konrad’ ait été moins favorablement reçue par la critique, elle semble faire partie des publications les plus populaires pour le public ciblé.

 Route 6661990 fut également l’année de sortie des premiers livres se déroulant dans l’univers du jeu Dark Future. Le roman ‘Demon Download’ de Kim Newman était le premier tome d’une future série, et fut accompagné d’une anthologie de courts formats baptisée d’après sa novella ‘Route 666’.

Dark Future inspira quelques-uns des ouvrages les plus intéressants et singuliers de GW Books. Cheryl Morgan se souvient que Dark Future ‘était conçu à l’origine comme un RPG cyberpunk, inspiré par des livres tels que ‘Neuromancien’ (‘Neuromancer’ – William Gibson), ‘Tous à Zanzibar’ (‘Stand on Zanzibar’ – John Brunner), ‘Soleil Vert’ (‘Make Room ! Make Room !’ – Harry Harrison), ‘Jack Barron et l’Eternité’ (‘Bug Jack Barron’ – Norman Spinrad), ‘Le Troupeau Aveugle’ (‘The Sheep Look Up’ – John Brunner), ‘Planète à gogos’ (‘The Space Merchants’ – Frederik Pohl & Cyril M. Kornbluth), etc…’ Ça avait été le projet personnel de Marc Gascoigne lors de son année à Nottingham, et aurait pu être le tout premier jeu de rôle cyberpunk au moment de sa sortie, qui coïncida avec la publication du ‘Comte Zéro’ (‘Count Zero’) de William Gibson. Mais’, ajoute Cheryl, ‘les pontes de GW décrétèrent qu’ils voulaient plutôt un jeu de combat avec des voitures, à la Mad Max. Avec le recul, c’était en effet bien mieux aligné avec les goûts de leur public cible, les adolescents ne s’intéressant pas encore aux filles et aux mobylettes. Et bien sûr, cela fit vendre beaucoup plus de figurines’. Néanmoins, Marc réussit à injecter une grande partie du background du RPG mort-né dans le livre de règles du jeu de voitures, dont il supervisa la réalisation. Ce changement de dernière minute reste perceptible à la lecture des premiers romans, en particulier ceux de Kim.

Kim développe: ‘Le matériel de départ était si mince que nous avions toute latitude pour développer l’univers. David Pringle, Alex Stewart, Eugene Byrne, Brian Stableford et moi avons pu nous faire plaisir à ce point de vue. Là où l’histoire devient complexe, c’est lorsqu’on sait qu’Alex et Eugene ont écrit des livres qui ne sont finalement pas sortis sous l’appellation Dark Future. Mon dessein initial était de réaliser deux trilogies, mais en cinq livres seulement ! Deux livres sur Sister Chantal (mon ‘Demon Download’ et le ‘Violent Tendency’ – terminé mais non publié –  d’Eugene, dont nous avons réalisé l’intrigue ensemble), deux livres sur Krokodil (‘Krokodil Tears’ et ‘Comeback Tour’), et un dernier volume collaboratif (‘United States Cavalry’) dans lequel les personnages se rencontrent et qui vient clore tous les arcs narratifs. Ce dernier ouvrage (qui aurait pu être décliné en plusieurs tomes, car il y avait beaucoup d’éléments à couvrir) aurait dû être une collaboration entre Eugene et moi,  et nous avions commencé à plancher sur son intrigue’. La charge de travail des deux compères empêcha toutefois le projet de se concrétiser. ‘Je me suis récemment (rq : l’article initial a été publié en Mai 2003) replongé dans nos notes [pour la série], et ai réalisé que nous avions probablement laissé passer notre chance. L’action se passe en 2000 et contient beaucoup d’éléments qui ont très mal vieilli.’

Assassin’ étant mon premier roman, j’avais demandé un an pour le terminer. De son côté, Kim pouvait rendre un manuscrit de 70.000 mots en seulement quatre semaines: ‘Pour la plupart de mes livres GW, je me suis astreint à la cadence suivante : 7.000 mots par jour, cinq jours par semaine, pendant une quinzaine, puis une semaine de congé, puis une semaine de révisions. […] Ce rythme soutenu m’a souvent permis de me concentrer sur un livre à la fois, au lieu de de devoir jongler entre plusieurs projets. Je pense que ma vitesse d’exécution a excusé le caractère parfois un peu « brut de décoffrage » de ma prose.’ Kim ajoute au sujet de son ‘Comeback Tour’ (Dark Future) qu’il n’avait de toutes façons pas prévu de consacrer plus de trois semaines à explorer le concept d’un Elvis mercenaire ! La stratégie de Kim s’avéra efficace, comme le nota Peter Garratt dans Interzone #70 (Mars 1991): ‘Bien qu’il soit de notoriété publique que Mr Yeovil est plus expéditif à la table d’écriture que Dr. Newman, comme le veut la tradition de la pulp fiction, les textes du premier sont en général plus réussis que ceux du second’.

 Ce fut à cette époque que furent publiés les premiers livres traitant de 40K.

ShadowbreedEut égard à mon passif d’auteur de hard-SF, David me demanda de lui soumettre des idées de romans pour cet univers de space-opera. 40K s’avéra cependant être un terrain de jeu difficile à exploiter de mon point de vue.  Confrontée à des menaces indicibles, l’humanité s’en est remise aux pouvoirs télépathiques d’un Empereur morbide et grotesque, et a sacrifié sa liberté sur l’autel de la survie. Le pitch de mon roman, ‘Assassin’, mettait en scène un Garde Impérial renégat élaborant un complot pour assassiner ce fameux Empereur. Mais les gardiens du dogme de GW déclarèrent que le projet de mon malheureux héros lui vaudrait une exécution quasi immédiate des mains de ses camarades, sans doute motivés par la perspective d’une mort tout aussi certaine s’ils avaient la mauvaise idée de le laisser faire. Pour ma part, je ne voyais pas comment développer des intrigues dignes de ce nom dans un environnement où le conflit est impossible (rq : mais la guerre est éternelle, ironiquement) et toute velléité de changement écrasée dans l’œuf : c’était comme écrire des histoires se déroulant dans une fourmilière.

Je n’étais clairement pas le seul à éprouve ce genre de difficultés. Barrington J. Bayley proposa quelques nouvelles de manière spontanée, et se rendit à Nottingham pour rencontrer Bryan Ansell et quelques autres. Visiblement peu inspiré par la perspective impériale, Barry se tourna vers les factions non-humaines de 40K: les Tyranides, des insectes sociaux intelligents (rq : c’est… une manière de les voir, en effet), et les Eldars, des Elfes à la technologie très avancée. Ces propositions intéressantes n’aboutirent cependant pas, malgré le soutien de David Pringle, qui se souvient: ‘Nous avons eu énormément de difficulté à faire accepter les idées de Barry à GW. Je ne pense pas que Bryan Ansell était fan. Heureusement, ils ont accepté de le prendre quand ils ont lancé Black Library, quelques années après, ce qui lui a permis de mettre à profit ses travaux préparatoires’.

Charles Stross complète: ‘Je me souviens d’avoir été invité et expédié par car à un séminaire d’une journée à Nottingham, afin d’entendre [Bryan Ansell] et ses séides prêcher l’Evangile du Bolter (qui pourrait se résumer à Violence! Totale! Maximale! Immédiate!), et nous interdire formellement de prendre la moindre liberté avec leur prrrrrrréééééciiiiiieuse (*gollum*) propriété intellectuelle.’

Mes réserves initiales ne m’empêchèrent toutefois pas de réaliser que cet univers disposait d’une certaine profondeur intellectuelle. Lors d’une visite à Nottingham, j’ai débattu de 40K et de son manque d’humanité avec Bryan Ansell. Il m’a donné l’exemple des adolescents Irakiens fonçant en scooter à travers des champs de mines (rq : Guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988) en avance du gros des troupes, persuadés de gagner ainsi leur place au paradis. Son point était que même notre monde prétendument moderne regorgeait de systèmes de croyances archaïques du point de vue de l’école de science-fiction « occidentale ». On ne pouvait pas reprocher à Ansell de ne pas avoir une vision claire de ce qu’il voulait. Certains estimèrent que les tenants de 40K, et dans une certaine mesure, ceux de Warhammer Fantasy Battle également, avaient été influencés par ses convictions politiques personnelles.  Cheryl se souvient: ‘Je n’ai rencontré [Ansell] que quelques fois, et ce qui m’a le plus marqué chez lui était son désir de vivre dans une gated community, avec des miradors et des mitrailleuses pour empêcher les fauteurs de trouble d’entrer. Il avait une philosophie de la vie très Texane’. Marc se rappelle qu’Ansell pouvait être un patron difficile pour ses employés, travailleur mais parfois capricieux et impulsif. Un des rôles de Tom Kirby semble d’avoir été de tempérer les coups de sang de son boss.

À titre personnel, Ansell s’est révélé être un client compliqué. Il défendait de façon véhémente sa propriété intellectuelle et vous ne vouliez certainement pas le mettre en rogne. Je reste convaincu qu’il aurait pu tirer davantage des talentueux auteurs que David Pringle avait attirés sur le projet, et dont il s’était attaché les services pour des sommes coquettes, s’il leur avait laissé une plus grande liberté créative.

D’autres ont cependant réussi à composer avec Ansell. Kim raconte que ‘Bryan Ansell… a vraiment aimé ‘Drachenfels’, au point d’arbitrer en mon sens quelques conflits de canon avec les livre de règles, qui changeaient tout le temps de toute façon. Je me souviens d’une de mes rares réunions à Nottingham, où il avait été question des grandes lignes de ‘Drachenfels’. Quelqu’un a dit que les règles ne permettaient pas que l’héroïne soit une vampire, et il a été proposé que Genevieve devienne une Elfe. Bryan a préféré changer les règles en question. J’ai utilisé cette anecdote dans le passage où la méchante actrice demande si son personnage ‘ne peut pas être une Elfe’ à la place d’un vampire’.

 Storm WarriorsDe son côté, Ian Watson commençait à trouver ses marques dans la jungle de 40K, après avoir décliné la première offre de David Langford en Janvier 1987. Il justifie sa décision : ‘Contribuer à un projet baptisé ‘Warhammer’ m’aurait causé un profond problème éthico-politique. J’aurais largement préféré ‘Peacefeather’ ! Mais’, ajoute-t-il, ‘c’était avant que je réalise que j’avais urgemment besoin de quelques milliers de dollars (et avant que Stanley Kubrick n’entre dans ma vie – rq : Watson a collaboré avec Kubrick, qui avait racheté les droits de la nouvelle ‘Supertoys Last All Summer Long’ de Brian Aldiss, sur l’adaptation d’‘Artificial Intelligence’, et son travail a été repris dans le film de Spielberg)…’

‘David [Pringle] m’avait initialement dirigé vers 40K parce que je suis un auteur de SF, et pas de Fantasy… J’ai donc potassé l’Encyclopaedia Psychotica Galactica’ et j’ai soumis une nouvelle d’essai, assez caricaturale je dois dire, pour 40K. Sous le patronage bienveillant de David, je me suis ensuite plongé dans les profondeurs hallucinées du 41ème millénaire, et je me suis fait plaisir en jouant la carte du grimest & darkest grimdark à fond. La sauce a pris et le résultat est la trilogie ‘Inquisition War’.

Inquisitor’, le premier tome de la trilogie imaginée par Ian, fut publié en 1990. L’approche suivie par Ian était habile. Toutes les histoires ont besoin de conflit, et dans le cas du héros de Ian, Jaq Draco, ce conflit ne vient pas des fissures théologiques apparentes de l’univers de GW, mais de la perte de son humanité afin de devenir un outil de l’Empereur. Peter Garratt jugea dans Interzone #70 que Ian avait livré ‘le portrait convaincant d’une société désespérément dysfonctionnelle, qui reste cependant préférable à toutes les autres alternatives’. Garratt voyait en Ian ‘le Jack Yeovil du lointain futur’. Satisfait de son travail, Ian fit partie des auteurs qui ne recoururent pas un pseudonyme pour ses collaborations avec GW.

Ian Watson se rendit à Nottingham à quelques reprises, ‘dont une fois pour une réunion généreusement fournie en vin et canapés, dont l’objet était de faire collaborer plusieurs auteurs sur un projet de roman sur les Space Marines. L’un d’entre nous (moi, en l’occurrence) fut chargé de créer les personnages et l’intrigue, et les autres étaient censés prendre la suite. Comme personne n’est revenu vers moi à ce sujet, j’ai fini par écrire le roman entier (rq : le fameux ‘Space Marine’) et je me suis encore une fois beaucoup amusé. Comme cela s’est fait entre l’écriture d’Inquisitor’ et celle de ‘Harlequin’ [le 2ème livre de la trilogie ‘Inquisitor War’], j’ai recruté l’un de mes Space Marines comme personnage principal de ce dernier. On peut donc vraiment considérer ‘Space Marine’ comme le quatrième livre de la trilogie’.

Quant à moi, j’ai continué à guetter un retour sur ma novella ‘Wood and Iron’ et sur les autres idées que j’avais soumises. Malheureusement, je finis par me brouiller avec GW à propos d’un retard de paiement en 1990. GW annula promptement nos pistes de collaboration, y compris, et à mon grand chagrin, car j’en avais terminé le manuscrit avant qu’un contrat ne soit signé, ‘Wood and Iron’. GW finit cependant par me payer ce qui m’était dû.

GW pouvait être assez brutal dans ses relations avec ses auteurs, son manque d’expérience dans le domaine n’aidant évidemment pas, et je ne fus pas le seul à faire les frais de péripéties similaires.  David Pringle évoque le cas de ‘Angus Wells… qui écrivit un roman entier en l’espace de quelques semaines, alors que je lui avais conseillé d’attendre la signature d’un contrat. Finalement, le manuscrit d’Angus fut rejeté sans cérémonie par Ansell & Cie. Vous pouvez imaginer sa colère…’

Ayant globalement apprécié mon expérience avec GW – et je considère d’ailleurs les travaux réalisés à ce titre comme toujours pertinents – j’ai regretté que cela se termine de cette façon. Après avoir retravaillé ‘Wood and Iron‘, je pus trouver un autre acquéreur pour cette nouvelle. ‘Titan vs. T Rex’ n’a hélas jamais vu le jour, mais je reste persuadé que l’idée avait du potentiel! Au bout du compte, j’ai tout de même appris quelques ficelles du métier, et sur la manière de l’exercer en tant que professionnel, qui m’ont été utiles pour la suite de ma carrière.

Nous ne le savions pas, mais l’ère Interzone de GW était sur le point de prendre fin.

Wolf Riders

En dépit d’une réception critique raisonnable, les premiers titres s’écoulèrent dans des quantités décevantes. Peut-être était-ce dû à une mauvaise identification du public cible. David Pringle se souvient: ‘J’explique cela par un marketing déficient, des prix prohibitifs et des choix de design de couvertures pas vraiment commerciaux. Si on remonte à la source du problème, cependant, on se rend compte que GW ne savait tout simplement pas comment vendre des livres’. Le choix de travailler avec une équipe de commerciaux externes (ABS) sur ce chantier n’a certainement pas facilité les choses. Marc note que les indépendants comme ABS ont souvent des difficultés à faire distribuer leurs produits par les grandes chaînes. ‘De plus’, ajoute David Pringle, ‘alors que Bryan Ansell était un grand support du projet, Tom Kirby était plutôt dubitatif à ce sujet (il m’avait déclaré qu’il détestait la Fantasy et que son auteur préféré était Jane Austen – rq : une auteur réaliste britannique du début du XIXème siècle)’.

D’autres changements prirent place chez GW, Tom Kirby menant à son terme un nouveau rachat de l’entreprise. Bryan Ansell, qui souhaitait tirer récolter les fruits de son investissement initial, vendit ses part et s’installa à Jersey, où il lança une petite entreprise de modélisme appelée Wargames Foundry (rq : qui commercialise des vieux modèles Citadel, notamment ceux des frères Perry). Bien que doté de qualités indéniables, Ansell avait été un patron et un client difficile, et son départ fit des heureux.

Ansell parti, le support dont avait bénéficié les activités littéraires de GW, et avec elles, les nouveaux projets d’écriture, se réduisirent comme peau de chagrin. Charles Stross commente: ‘J’avais écrit deux nouvelles, sans convaincre Dave [Pringle] de me commander un roman (un mal pour un bien, avec le recul), et les propositions de contribution aux recueils se sont espacées… J’étais sur le point de mettre en chantier une deuxième nouvelle 40K lorsque l’annonce est tombée: désolé, mais nous n’allons garder que quelques Stakhanovistes, et vous ne faîtes pas partie des heureux élus’.

Paul McAuley fut de nouveau approché après la publication de sa nouvelle ‘Apprentice Luck‘. ‘Nous eûmes une discussion à propos d’une série de space-opera, pour capitaliser sur le succès rencontré par les livres de Ian Watson. Cela ne déboucha que sur une visite, plutôt agréable je le reconnais, de leurs bureaux et du domicile du très serviable Bryan, où j’ai pu admirer sa collection de voitures et ses bootlegs de Van Morrison.’ Cette reprise de contact ne donna rien de concret, et Paul ne travailla plus pour GW.

Sans nouvelles de la part de GW, les auteurs ayant soumis des manuscrits validés mais encore non publiés commencèrent à s’inquiéter. David Garnett et Ian Watson avaient tous deux une trilogie en cours. Les livres d’Eugene Byrne et Alex Stewart – qui craignait de toute façon s’être brouillé avec Bryan Ansell pour ‘ne pas avoir traité sa précieuse propriété intellectuelle avec le respect dû’ –  pour Dark Future passèrent en pertes et profits lorsqu’il fut décidé d’arrêter le jeu. Alex avait convoqué la sagesse de Colin Greenland (rq : un auteur de SF britannique, ayant notamment écrit ‘Le Pays de Cocagne’). ‘Ils voulaient moins de développement des personnages et plus de violence. Je ne voyais pas l’intérêt de me plier à un cahier des charges qui allait à l’encontre de ce qui m‘intéressait dans l’écriture. Je pense que mon roman Dark Future en a fait les frais, et s’est trouvé rayé des tablettes. En fonction de l’interlocuteur, l’excuse officielle était soit qu’ils s’apprêtaient à sabrer le jeu, soit que les changements apportés par Kim au background initial étaient tellement importants que mon manuscrit s’en trouvait hors-sujet. La raison officieuse était qu’Ansell avait mis son veto’. Alex réussit à négocier une prime de dédommagement, mais il n’y a rien de pire pour un auteur qu’une œuvre terminée mais non publiée.

En définitive, GW stoppa tout bonnement de commander de nouveaux livres. Au début de 1991, Neil Jones avait repris le chemin des salles de classe après la fin de son année de contrat, et David Pringle se retrouva tout seul à Brighton. Il se souvient: ‘Ma troisième année [chez GW] se révéla être une sinécure payée, car ils ne m’ont pas autorisé à sortir le moindre livre ! Je venais au bureau et je travaillais sur mes projets Interzone’. Les ultimes publications de GW Books sortirent en Mai 1991 : le ‘Ghost Dancers’ (Dark Future) de Brian Stableford et le ‘Beasts in Velvet’ de Kim Newman.

David Pringle fut licencié en Octobre 1991. En Novembre, des rumeurs firent état d’une liquidation prochaine de GW Books. GW annonça qu’il ne s’agissait que d’un arrêt temporaire, mais GW Books ne devait plus sortir aucun livre.

L’histoire de la GW-Fiction était cependant loin d’être terminée.

ZaragozIl s’écoula presque un an avant qu’il soit question de conclure un partenariat avec un nouvel éditeur pour poursuivre la diffusion des titres de feu GW Books. Ce dernier était Boxtree, ‘le spécialiste incontesté des spins-off de séries télévisées et des livres sur la pêche’, persifla un chroniqueur d’Ansible (rq : un fanzine de SF dirigé par David Langford). Ce portrait peu flatteur n’était pas tout à fait exact. Boxtree avait commencé à publier des ouvrages franchisés en 1991 (et continuerait jusqu’en 1998), et GW aurait certainement pu plus mal tomber en termes de partenaire commercial.

On consulta David Pringle. ‘Je me suis rendu à Londres pour une réunion, où ils me proposèrent un poste de rédacteur consultant sur cette nouvelle gamme. Je n’aurais pas été salarié, ni bénéficié du versement d’un acompte, mais il a été vaguement question de quelques centaines de livres de commission pour chaque roman publié. Dans ces conditions, j’ai refusé.’

Des plans ambitieux furent échafaudés en vue d’une publication de la saga ‘Konrad‘ de Garnett et des livres 40K de Watson en Janvier 1993, puis des titres Dark Future en Août. Une péripétie inattendue vint perturber ce planning de sortie. En Novembre 1992, une bataille juridique débuta entre GW + Boxtree et la maison d’édition Bantam/Transworld. Cette dernière avait lancé une série de romans pour jeunes adultes, signée par l’auteur Laurence James, et intitulée… Dark Future. Ce fut Kim Newman qui vint porter cette coïncidence à la connaissance de GW. Bien que le jeu ne soit plus distribué, GW intenta une action en justice et la remporta. Au début du mois de Décembre 1992, Transworld fut condamné à retirer ses livres des rayons sous une semaine, et à couvrir les frais juridiques engagés par GW, à hauteur de 60.000 £. Par le truchement des appels, l’affaire devait traîner jusqu’en 1993.

Les textes de loi relatifs aux marques déposées et aux droits d’auteur ne sont pas faciles à interpréter même dans des situations relativement simples, ce qui n’était pas le cas ici. Laurence James alla jusqu’à comparer l’affaire à la question du Schleswig-Holstein (rq : un différend diplomatique très compliqué ayant impliqué les duchés en question, la couronne du Danemark et la confédération germanique). Ce jugement, et le choix de GW de ne faire aucun compromis sur la défense de sa propriété intellectuelle, suscita quelques controverses (voir les numéros 66 et 67 d’Ansible pour plus de détails). De l’avis de Kim : ‘Cette histoire était assez stupide, notamment car Dark Future avait déjà été enterré par GW à l’époque et qu’ils n’avaient pas prévu d’en faire grand-chose. Le nom n’était pas vraiment marquant, ni même pertinent quand on y réfléchit (le jeu et les livres prenaient place dans un univers alternatif plutôt que dans le futur), et il aurait été possible de le remplacer par quelque chose de mieux – j’avais un faible pour Route 666, que l’on a depuis retrouvé dans des livres, des films et sur des t-shirts’.

Cette controverse repoussa le lancement des premiers titres de Boxtree à Février 1993. La trilogie ‘Konrad’, incluant son dernier tome, jusque-là inédit ‘Warblade’, les romans ‘Inquisitor’ et ‘Space Marine’ d’Ian Watson, et un livre de Jack Yeovil, reçurent les honneurs de la première publication. Une soirée de lancement fort sympathique, à laquelle je participai comme reporter pour Ansible (#78), fut organisée dans une librairie d’Oxford. Les principaux auteurs firent une brève intervention et répondirent aux questions d’un public amical. David Ferring raconta qu’on l’avait forcé à retirer toutes ses blagues de la série ‘Konrad’, Jack Yeovil révéla que l’intrigue de ‘Drachenfels’ venait d’un film d’Orson Welles, et Ian Watson donna un cours sur l’origine du wargaming (qu’il fit remonter à HG Wells, en 1913), et démontra à un auditoire un peu surpris que la GW-Fiction – tout comme les jeux de figurines dont elle s’inspirait – avait une certaine noblesse car la plupart des événements de l’histoire humaine, dit-il, dérivent de psychoses de masse générées par des fantasmes. Un peu d’optimisme ne fait jamais de mal.

Ces remarques trouvèrent un écho certain dans les observations faites par Barrington J. Bayley dans une interview récente (Interzone #184, Novembre-Décembre 2002). L’univers fouillé de 40K ‘entraînait beaucoup de travail… avant même de commencer l’écriture à proprement parler, mais je l’appréciais [l’univers de 40K] pour son côté impitoyable totalement assumé. C’est un condensé des pires facettes du XXème siècle – l’autoritarisme sanglant, le racisme impitoyable… -, mais ces dernières sont des maux nécessaires. L’humanité ne pourrait survivre sans elles’.

Au cours des deux années qui suivirent, Boxtree sortit des nouvelles éditions de la trilogie ‘Orfeo’ de Brian Stableford, et des recueils de nouvelles de David Pringle. Les tomes deux (‘Harlequin’) et trois (‘Chaos Child’) de la trilogie inquisitoriale de Ian Watson furent également publiés pour la première fois.

En matière de nouvelles commissions, David Pringle avait recommandé Neil Jones à Boxtree en tant qu’éditeur consultant. ‘Cependant’, suppute David, ‘il est probable que Neil ait trouvé l’expérience très frustrante, en plus d’avoir travaillé à l’œil pour Boxtree. Je sais qu’il a collaboré avec Bill King, et a été impliqué dans la réalisation des premiers livres ‘Gotrek & Felix’. Son ami Neil McIntosh (dont le premier roman fut publié quelques années plus tard par la Black Library) fut également de la partie. Je me souviens que Neil et moi avons essayé de faire recruter John Meaney (rq : un auteur de SF britannique et contributeur d’Interzone) par Boxtree pour écrire du 40K. Je reste convaincu que John, avec son attrait pour le mysticisme, les arts martiaux, la science dure et les idées loufoques, aurait parfaitement fait l’affaire. Je pense que j’ai réussi, au moins pour un moment, à l’intéresser au projet, et à lui faire lire les romans de Ian Watson… Mais ça n’a rien donné’. Encore une autre conjoncture intrigante !

Boxtree commanda à Kim son quatrième et dernier livre pour Dark Future, ‘Route 666’, en Octobre 1993. Kim se souvient : ‘Route 666’ était la suite de la novella qui avait initié la série… Comme beaucoup de lecteurs avaient fait l’impasse [sur la novella], commencé avec les romans et s’étaient perdus dans l’intrigue, quand Boxtree a lancé une nouvelle édition, j’ai transformé la novella en un roman. Au fina, la saga a un début, et plutôt deux fois qu’une, mais pas vraiment de fin… Je pense que Boxtree avait un faible pour Dark Future, car contrairement aux autres franchises de GW, l’univers était plus compréhensible pour quelqu’un qui n’était pas familier des jeux de figurines – ce qui était le cas de Boxtree. J’ai bien aimé travailler avec eux et nous avons discuté d’autres projets, qui n’ont jamais rien donné’.

HarlequinDes tensions persistantes virent toutefois ternir les relations entre GW et son éditeur. En Octobre 1994, Ian Watson se rendit à un événement ludique à Birmingham pour marquer la sortie de ‘Harlequin’, et Boxtree fit le pari d’expédier trois cents exemplaires d’une coûteuse édition collector à couverture rigide sur place, sans savoir s’ils arriveraient à écouler leurs stocks. Finalement, tous les livres se vendirent avant même le début de la séance de dédicace. GW arrêta de distribuer ces hardback dans ses magasins, prétextant que leur taille n’était pas adaptée aux étagères (Ian fit cependant remarquer que le prix de vente élevé des livres les faisait peut-être entrer en concurrence avec les jeux de GW, dont les taux de marge étaient bien supérieurs). Ian eut également le sentiment que les gardiens du temple de GW voyaient d’un mauvais œil la déviance manifeste de ses ouvrages ; ‘40K était en pleine évolution (ou en pleine régression, si j’en crois certains des joueurs historiques, qui déplorèrent le tournant ‘jeuniste’ de l’univers) et mes livres étaient (a) trop particuliers, (b) trop cosmopolites, la tendance étant plutôt à concentrer l’action sur des petits périmètres, et (c) trop déconnectés des jeux, et aider à vendre ces derniers était le nerf de la guerre’.

Peut-être que la relation entre GW et Boxtree n’était pas faite pour durer, les objectifs poursuivis par les deux entreprises étant trop différents. Finalement, la licence accordée par GW à Boxtree expira, le second se fit racheter par Pan, et ce fut la fin de l’histoire. Le ‘Chaos Child’ de Ian Watson fut la dernière publication originale du couple GW/Boxtree, en Juin 1995.

Pour autant que l’on puisse en juger, Boxtree accomplit sa part du contrat de façon honnête et diligente, même si (comme cela fut souligné dans Ansible en Décembre 1993) un commercial n’ayant pas potassé ses dossiers avait un jour déclaré : ‘Nous travaillons avec la crème des auteurs – des écrivains comme Ian Newman et Kim Watson’.

Ce n’était pas encore l’épilogue de la GW-Fiction, cependant.

En 1997, GW, sur une inspiration de Tom Kirby, initia un nouveau projet de publication de fictions, appelé ‘Black Library’. La Black Library, vitrine de Black Library Publishing, fut pensée comme une maison d’édition qui appartiendrait au Groupe GW. Marc Gascoigne retourna chez GW en 1997 en tant qu’éditeur pour cette nouvelle entité, dont la direction fut confiée au vétéran Andy Jones. En Juillet 1997, GW lança un magazine de fictions inédites se déroulant dans les univers de Warhammer Fantasy Battle et 40.000, baptisé Inferno!. La première nouvelle publiée sous ce nouveau format, comme cela avait été le cas pour ‘Ignorant Armies’, était signée Bill King et mettait en scène Grotek (sic) le Tueur de Trolls et son compagnon Felix (rq : Il s’agit de la nouvelle ‘The Mutant Master’, effectivement au sommaire de l’Inferno! #1. Cependant, on peut arguer que la toute première nouvelle Inferno! est à mettre au crédit de Jonathan Green, dont le ‘The Hounds of Winter’ figura dans le pilote du magazine, inclus dans le White Dwarf de Juin 1997). En Août 1999, GW commença à publier de nouveaux romans de GW-Fiction siglés Black Library, et des rééditions d’anciens titres ne tardèrent pas à suivre.

Entre la fin du partenariat avec Boxtree et le lancement de la Black Library, les activités de GW avaient connu un développement spectaculaire. L’entreprise était devenue une multinationale cotée en bourse, pouvant se flatter d’un chiffre d’affaires annuel dépassant les 100 millions de livres sterling –  à 100 lieues de ses origines estudiantines. Après avoir tant fait pour protéger et promouvoir sa propriété intellectuelle, on peut ironiser sur le fait que GW commercialise maintenant des jeux Seigneur des Anneaux, une des inspirations principales de son univers Fantasy, comme de tant autres d’ailleurs. Aujourd’hui, Black Library Publishing se compose de Black Library, Warhammer Historical Wargames et GW Partworks. La Black Library est elle-même divisée en trois segments : les romans et recueils de GW-Fiction, les magazines et les projets spéciaux. À l’avenir, la maison d’édition prévoit de publier des ouvrages n’appartenant pas à la GW-Fiction, se déroulant dans d’autres univers franchisés (rq : on attend encore, ou alors j’ai mal regardé).

Le marketing de la Black Library est une affaire bien mieux rodée que celui de ses prédécesseurs, et son rythme de parution sans commune mesure. La Black Library publie deux ouvrages par mois, un pour Warhammer Fantasy Battle et un autre pour 40K. Les livres sont distribués aux États-Unis et en Australie par Simon & Schuster et bénéficient de licences d’exploitation pour huit autres langues (allemand, espagnol, italien, polonais, russe, finnois, tchèque et hongrois). Rien qu’en 2002, se sont rajoutés à ces sorties « classiques » cinq romans graphiques, treize comics, six numéros d’Inferno! et quatre livres de background ou d’illustrations. Le White Dwarf n’est pas édité par la Black Library, mais continue son rôle de support marketing des jeux GW. Il s’en vend plus de 70.000 exemplaires au Royaume-Uni chaque mois, et près de 250.000 dans le monde entier. On compte même des comics Warhammer. Les publications littéraires ont clairement été intégrées au business model de GW. David Garnett abonde: ‘Un des gérants de boutiques GW m’a récemment informé que les volumineux manuels [que nous avions utilisés comme référence] ne faisaient plus partie de la gamme, et que le meilleur moyen pour les joueurs de s’initier au background était de lire les romans.’

Space MarineAutre changement notable, les ouvrages de la Black Library sont désormais critiqués dans SFX plutôt que dans Interzone – ce que je vois comme une preuve de maturité de la part de GW – bien que GW continue à envoyer des exemplaires de tous ses romans à David [Pringle] avant leur sortie commerciale. Les critiques de SFX ne sont pas toujours dépourvues d’intérêt (rq : on sent une certaine rivalité entre Interzone et SFX…): ‘Bien que tous les auteurs de la Black Library travaillent dans les mêmes univers, il est intéressant de voir comment chacun d’eux parvient à trouver un angle d’attaque personnel et à l’explorer dans ses publications …’ (Eddie Robson, SFX Décembre 2002). Et certaines peuvent être mordantes: ‘Ecrire en devant puiser dans un catalogue préétabli de monstres, d’armes, de sortilèges et de clichés éculés, j’appelle ça du « karaoké littéraire »’ (Sam Croft, Janvier 2003).

Pendant les années 2001 et 2002, beaucoup d’anciens titres de GW Books furent réédités – y compris ma nouvelle ‘The Song’, dans un recueil intitulé ‘The Laughter of Dark Gods’ – dont des ouvrages de Kim Newman, Brian Stableford, Ian Watson et la série ‘Konrad’ de David Garnett. Kim se fendit en outre d’une anthologie de nouvelles: ‘J’ai soumis l’idée de regrouper tous mes courts formats – dont une novella inédite (‘Warhawk’) – complétés d’un nouveau texte (‘The Ibby the Fish Factor’) que j’ai écrit pour que le tout atteigne une longueur acceptable, et pour clore de façon satisfaisante quelques-uns des arcs narratifs que j’avais développés au fil des ans. Cela m’a donné l’occasion de mettre au goût du jour certains aspects de mes précédents travaux, qui commençaient à accuser leur âge… Les gens de la Black Library ont accueilli l’idée avec un enthousiasme et un intérêt que je n’avais plus connu après le départ de David Pringle et Neil Jones.’ Conséquence de l’arrêt définitif de Dark Future, les meilleurs (à mes yeux) livres de Kim sous le nom de Jack Yeovil n’ont pas bénéficié de cette réédition; mais Marc Gascoigne affirme qu’un reboot de Dark Future reste possible (rq : ça aussi, on l’attend toujours…).

Pour certains des plus anciennes publications de GW-Fiction, le respect du background des univers Warhammer se poursuit post mortem, si l’on peut dire. Cela explique pourquoi la Black Library a longtemps ignoré la trilogie ‘Inquisition War’ de Ian Watson. ‘Il semblait établi que mes livres ne seraient jamais réédités, malgré les innombrables mails en provenance d’Amérique, d’Australie, d’Allemagne et d’ailleurs faisant état de recherches frénétiques autant qu’infructueuses de la part de potentiels lecteurs. Après des années de transfert diligent de ces mails à la Black Library, GW a finalement accepté de republier mes ‘classiques’, agrémentés de préfaces romancées dénonçant ces derniers comme un tissu de mensonges hérétiques. La solution idéale, en quelque sorte…’

‘Avant cela, une dispute avait éclaté entre la Black Library et les concepteurs de jeux. À la faveur d’une réédition de ma nouvelle ‘Warped Stars’, mon adorable Grimm le Squat à la barbe pouilleuse, le sidekick comique par excellence, avait été changé en l’insipide Grill le Technoprêtre, sans que je sois consulté. Les concepteurs de jeux avaient insisté sur ce point car les Squats avaient entre-temps disparu de l’univers de 40K et n’étaient plus utilisés dans les jeux. Si ‘Inquisition War’ avait subi le même sort, la qualité des ouvrages en aurait été grandement affectée, car Grimm y joue un rôle central. Heureusement, la Black Library a réussi à sauver sa barbe…’ Les livres furent bien republiés au final, bien qu’Inquisitor’ soit renommé ‘Draco’ pour éviter toute confusion avec un produit portant le même nom (rq : le jeu Inquisitor, bien sûr).

Ian annonce: ‘Je serais partant pour écrire un quatrième livre pour cette… ‘trilogie’ car c’était mon plan initial (Boxtree avait exprimé son intérêt pour le projet en des termes non incertains). Mes personnages finissent le troisième tome dans une situation un peu délicate, l’un complètement fou, l’autre définitivement mort, et comme ils me sont assez sympathiques, je me devais de faire quelque chose. Bien sûr, ce dernier livre devrait être écrit dans le même esprit que les trois précédents, sinon à quoi bon ? Une autre préface expiatrice serait donc nécessaire…’ Marc confirme que des discussions sont actuellement en cours pour donner une conclusion à la ‘trilogie’. ‘Space Marine’, à l’inverse, ne reviendra probablement pas du fait du gouffre infranchissable séparant le roman des canons du background actuel de 40K, mais la Black Library envisage malgré tout de l’e-publier (rq : ce qui a bien été le cas).

En outre, l’approche littéraire de Ian ne correspond guère à la philosophie de la BL, qui mise davantage sur la production de récits basiques mais efficaces. ‘L’écriture de Watson, quoique de qualité, se dénote par un maniérisme caractéristique, qui peut parfois distraire le lecteur,’ souligne Eddie Robson dans sa critique de la réédition de ‘Harlequin’ (SFX Décembre 2002).

Brian Stableford signa, malgré la persistance des restrictions créatives imposées par le background de GW, deux nouveaux livres, dont un roman pour 40K intitulé ‘Pawns of Chaos’. Ce dernier fut considéré comme ‘plutôt inabouti de l’avis général (y compris du mien), mais [je] ne fus pas capable de rendre une meilleure copie, mon processus créatif se trouvant étouffé par leurs directives draconiennes’.

Alex Stewart rempila également. ‘[Après que GW] eut republié ma vieille nouvelle (rq : ‘The Tilean Rat’) pour Warhammer dans ‘The Laughter of Dark Gods’… ils finirent par me proposer de contribuer à Inferno!… Ils apprécièrent tellement ma première soumission (rq : ‘Fight or Flight’, les premières armes du désormais fameux Commissaire Ciaphas Cain) que je travaille désormais sur une série de nouvelles centrée sur ce personnage pour Inferno!, qui débouchera sur un roman en bonne due forme (rq : ‘For the Emperor!’). Je dois reconnaître que la nouvelle équipe est bien plus professionnelle et amène que la précédente. La Tchéka stalinienne de l’ère Ansell a fait son temps. Les retours sont rapides et positifs, les demandes de réécriture se limitent aux problèmes de continuité ou à l’amélioration d’un passage, et le background a été descendu de son piédestal : sa subversion est tolérée, voire encouragée dans certains cas.’

D’autres noms familiers collaborent de temps à autres avec la Black Library. Recalé à l’époque de GW Books, Barrington J. Bayley est devenu un contributeur d’Inferno !, et a publié le roman ‘Eye of Terror’ pour 40K. La suite qu’il avait prévue de donner à cet ouvrage n’a finalement pas été commandée par GW (rq : et Bayley est malheureusement mort avant que le projet ait pu être mené à bien. Il est possible de consulter le synopsis de ce roman mort-né – ‘An Age of Adventure’ – sur un fan site). D’un point de vue personnel, la publication en 1999 d’une nouvelle de Bayley mettant en scène une bataille entre des Titans et des dinosaures géants (‘Battle of the Archaeosaurs’) est venu raviver quelques souvenirs…

WarbladeCas à part parmi les représentants de la génération Interzone, William King n’a jamais pris ses distances avec la GW-Fiction. Ayant atteint la quarantaine, Bill continue d’écrire des nouvelles et des romans pour les univers de 40K et de Warhammer Fantasy Battle. Depuis ses modestes débuts dans Ignorant Armies, la paire Gotrek et Felix a survécu à sept romans à ce jour (dont certains constitués des premières nouvelles écrites par King), à commencer par le judicieusement nommé ‘Trollslayer’. Bill travaille également sur une série 40K consacrée à Ragnar, un guerrier ‘dont les instincts primordiaux sont libérés par l’implantation du Canis Helix sacré’ (ce Ragnar ressemble un peu à mon Erik the Were!). Bill parvient à travailler sur des fictions originales, mais il était un gamer avant d’être un écrivain professionnel. Je suis content pour lui, mais pour ma part j’avoue être heureux d’avoir tourné la page d’Erik the Were (rq : c’est très petit ça, Stephen)!

De nombreux nouveaux auteurs ont rejoint l’aventure de la GW-Fiction. Parmi les contributeurs phares de la maison, Marc cite Bill King (Gotrek et Felix, Space Wolf, et la trilogie Eldar), Dan Abnett (Les Fantômes de Gaunt, la série Eisenhorn), Graham McNeill (Ultramarines), Gav Thorpe (The Last Chancers, Slaves of Darkness), en plus d’une douzaine d’autres auteurs ayant deux ou trois ouvrages à leur actif. Dan Abnett, qui s’est fait un nom en travaillant sur diverses franchises allant de Scooby Doo à Thunderbirds et 2000AD, a signé (au moment où cet article est écrit) neuf romans pour Warhammer 40.000 et deux autres pour Warhammer Fantasy Battle pour le compte de la BL, et contribué à divers romans graphiques. Marc souligne qu’Abnett est le meilleur vendeur de la Black Library : son premier roman Les Fantômes de Gaunt, ‘First & Only’, s’est écoulé à plus de 50.000 exemplaires, et les ventes cumulées pour cette série approchent rapidement les 325.000 copies. Bill King peut se vanter de chiffres comparables.

Honor Guard’ du même Abnett, publié en 2001, est un exemple typique de la ligne éditoriale de l’époque moderne de la GW-Fiction. Le concept est assez intriguant (rq : si tu le dis, Steve), la saga étant centrée autour d’un commandant franc-tireur, Ibram Gaunt, menant ses fidèles «Fantômes» de soldats dans une mission à hauts risques pour mettre en sûreté les reliques d’une sainte ayant mené l’Humanité vers les étoiles dans un passé lointain (rq : pas tout à fait, non.). Il est certain que le livre mise beaucoup sur l’attrait sombre et intemporel qu’évoque la figure du soldat. Marc assure que le pitch original d’Abnett était ‘Sharpe (rq : une série télévisée britannique mettant en scène le Sergent Richard Sharpe – Sean Bean – en tant que soldat des guerres napoléoniennes) dans l’espace’, mais Gaunt a viré au Band of Brothers (rq : un livre de Stephen Ambrose retraçant le parcours de la 101ème Division Aéroportée de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale, adapté en 2001 en mini-série par Steven Spielberg) à la sauce space-opera. À la faveur de combats incessants, les Fantômes forgent de très forts liens de loyauté entre eux et leur officier. L’autoritarisme latent de l’univers de 40K n’empêche pas les soldats de tenir tête aux décisions stupides des clowns du Haut Commandement et de contrevenir aux ordres pour aller sauver leurs camarades. Les personnages ont une véritable profondeur : un des Fantômes développe un syndrome post-traumatique à la suite d’un bombardement, et Gaunt se met parfois des mines carabinées.

Mais nous ne sommes pas en présence de romans de guerre classique ; évoluant dans le cauchemardesque 41ème millénaire, les Fantômes sont avant tout les soldats de l’Empereur-Dieu de l’Humanité. La guerre éternelle est devenue le lot de la condition humaine : ‘L’Imperium est immense et recèle de merveilles, mais qu’en resterait-il si l’on ne se battait pas pour le défendre ? …Rien… L’humanité ne survivra pas à la guerre, c’est la guerre qui survivra à l’humanité’ (p. 210). Les civils sont envieux des soldats et la vie ‘normale’ – les marchés, les églises, les maisons – ne sert que de toile de fond aux pérégrinations des Fantômes.

L’univers de 40K – comme les drames antiques avant lui – est parcouru par des saints et des démons qui se mêlent des affaires des mortels. La cosmogonie de 40K peut également convoquer des envahisseurs extraterrestres et des technologies antiques – ‘Nous avons détecté une flotte ennemie traversant l’Immaterium dans notre direction’ (p. 92) – mais 40K s’écarte franchement de l’approche rationnelle de la hard SF. A la place, pour déformer Arthur C. Clarke, la technologie est indissociable du miracle. Gaunt et ses hommes sont profondément religieux: ils croient vraiment en ‘la nature divine de l’Empereur’ et sont prêts à donner leur vie à son service, en temps de paix comme de guerre. Cette conviction les libère de tout dilemme moral quant à leurs actions. On peut facilement les comparer au plus zélés de nos Croisés historiques.

On doit reconnaître à Abnett sa capacité à créer du conflit, essentiel à toute intrigue, sans enfreindre les règles de l’univers de 40K : Gaunt, par exemple, désobéira à ses ordres s’ils se révèlent en opposition avec sa foi, qui est au centre de son système de valeurs. Abnett réussit également à donner au lecteur une bonne impression de ce que c’est que de vivre au 41ème millénaire. Dans la description sérieuse de Gaunt et de ses Fantômes, j’ai ressenti des échos de notre monde moderne, dans lequel les GI de l’ère Bush, armés d’un équipement ultra-moderne, d’une foi chrétienne chevillée au corps et d’une inébranlable philosophie conservatrice, sont envoyés pacifier la Bosnie et le Golfe. Peut-être que Barry Bayley et Ian Watson avaient raison au final, et que le futur cauchemardesque promis par 40K est plus proche de notre monde moderne que je ne le pensais.

Loin de moi l’idée de dénigrer les accomplissements de la GW-Fiction. Marc avoue sans fard que la ligne directrice de la Black Library consiste à produire ‘de la pulp fiction robuste et divertissante, dans la droite ligne des ouvrages qui nous firent basculer dans la science-fiction et les wargames (Moorcock, Leiber, Anderson…) – sans pour autant sacrifier la qualité littéraire des ouvrages. Nous voulons être fiers de nos livres, et nous le sommes. Comme nous sommes fiers qu’ils soient distribués en librairies, et s’adressent à tous les fans de SF/Fantasy. En 2000, la National Library Association a décerné un prix à GW en récompense des services rendus en faveur de l’alphabétisation – nous sommes plutôt fiers d’avoir contribué à faire retourner des ados de 14 ans en bibliothèque. Oh, et je confirme que certains de nos romans ont bien été écrits à la première personne du singulier, et nous ont donné toute satisfaction.’

La GW-Fiction reposant sur des travaux de commission dans l’acceptation la plus classique du terme, on peut comprendre que peu d’auteurs soient capables de se sublimer tout en respectant les consignes strictes qui caractérisent ce type de productions. Il faut toutefois reconnaître que David Pringle, au temps héroïque de GW Books, fit tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir des résultats qualitatifs, tout en cherchant à promouvoir la carrière de ses charges. En imposant à ses contributeurs une base et des contraintes communes, les franchises de GW ont permis à chacun des auteurs concernés de s’affirmer, et la grande variété stylistique et narrative de nos travaux n’en ressort que davantage. Ainsi, les premières années de la GW-Fiction ont agi comme catalyseur et creuset pour la ‘génération Interzone’ – les sommaires des recueils de nouvelles de cette période apparaissent avec le recul comme autant d’instantanés de l’époque.

Beaucoup des auteurs ayant participé à l’aventure de la GW-Fiction gardent un souvenir assez positif de cette dernière. Brian Stableford opine : ‘Je suis très reconnaissant envers Games Workshop, qui a très significativement contribué à mon passage au statut d’auteur à plein temps (même si de façon temporaire, malheureusement) dès 1989. Tous les problèmes, finalement assez mineurs, qui se sont posés au fil des ans – certains d’eux causés par leur manque d’expérience en matière de publication lorsqu’ils se sont lancés, d’autres par les changements qui touchèrent l’industrie du jeu à cette époque, et les impacts de ces derniers sur leur ligne éditoriale – n’éclipseront jamais les conséquences extrêmement bénéfiques que GW eut, à intervalles réguliers, sur l’état – toujours fragile –  de mes finances… De mon point de vue, les univers de Warhammer se sont calcifiés, et avec eux les opportunités de création, depuis quelques années, mais cela ne m’a pas empêché de poursuivre des relations fructueuses et productives avec eux jusqu’à tout récemment. Je suis très heureux d’avoir pu bénéficier des opportunités que GW m’a procurées et espère que leurs activités de publication (et leurs activités de manière générale) continueront à se développer.’

Nicola Griffith envisage de replonger dans l’univers de Warhammer Fantasy Battle, mais selon ses propres règles. ‘Je réfléchis à me lancer dans une bonne vieille épopée de sword & sorcery, autour des personnages créés pour ‘The Other’ (‘Ignorant Armies’) et ‘The Voyage South’ (‘Red Thirst’). Lorsque j’en ai discuté avec Games Workshop il y a quelques années, ils ont eu la gentillesse de m’autoriser à les utiliser du moment que je changeais leurs noms (rq : du coup, c’est assez restrictif au final) et expurgeais mes travaux de toute référence à Warhammer… La jeune héroïne de ‘The Other’ m’intéresse de plus en plus : qui est-elle, d’où vient-elle, comment a-t-elle vécu sa transformation et sa guérison (rq : ‘The Other’ raconte l’histoire d’une ménestrel dont la jambe commence à muter après qu’elle ait reçu un éclat de malepierre dans la cuisse), comment est-elle parvenue à faire front et donner le change pendant cette épreuve, etc… Ce ne serait au final pas si éloigné de mes travaux postérieurs, qui tournent également autour du concept du changement (rq : Nicola Griffith, séide de Tzeentch ?).

En règle général, tous les auteurs chérissent leurs écrits, qu’il s’agisse de créations originales ou de travaux de commande. Kim Newman acquiesce: ‘Je les [mes vieux livres pour GW] aime bien. Sans doute parce que je les ai écrits très rapidement, il m’arrive d’être surpris par leur contenu. Le fait que les lecteurs et la critique aient reconnu que je ne me suis pas contenté de mettre le pilote automatique au moment de leur écriture – ce qui était la manière dont je pensais que ce genre d’ouvrage était produit, avant que cela me concerne –, doit également jouer dans cette appréciation positive. Dommage qu’ils soient restés confinés à la minorité de lecteurs-hobbyistes de Games Workshop, et n’aient pas trouvé un plus large public (mon ambition a toujours été d’écrire des romans qui pourraient intéresser autant les filles que les garçons), mais la messe n’est jamais totalement dite, je suppose…’ Le rêve de Kim semble toutefois se réaliser aux Etats-Unis, où, d’après Marc, 50 à 60% des ventes de livres de la Black Library se font à destination de personnes ne connaissant pas les jeux de Games Workshop.

Laissons le mot de la fin à Ian Watson : ‘Les livres que j’ai écrit pour 40K, qui ne ressemblent pas vraiment au reste de ma bibliographie, comptent encore aujourd’hui parmi mes ouvrages les plus populaires, tant en termes de ventes que de retours de fans… Je n’ai donc aucun problème avec le fait d’avoir contribué à la GW-Fiction, et sous mon propre nom qui plus est…  Cela m’a permis de découvrir, et d’être découvert par, une communauté très différente de celle des lecteurs de SF « classique », et nos interactions ont été, et restent, plutôt enrichissantes. J’ai même reçu des lettres de fans de mes romans de GW-Fiction dont j’aurais « changé la vie » (rq : pour le meilleur, j’espère). C’est pour moi la raison d’être d’un écrivain.’

Remerciements: Merci aux personnes suivantes d’avoir si généreusement accepté de partager leurs souvenirs avec moi (par ordre alphabétique) : David Garnett, Marc Gascoigne, Colin Greenland, Nicola Griffith, David Langford, Paul McAuley, Cheryl Morgan, Kim Newman, David Pringle, Mike Scott Rohan, Allan Scott, Brian Stableford, Alex Stewart, Charles Stross et Ian Watson. L’aide de Charles, Alex et Marc a été particulièrement utile pour la chronique des prémisses du wargame et la préhistoire de GW. Charles m’a dirigé vers http://www.fightingfantasy.com/fftale.htm, un compte rendu à la première personne sur la fondation de GW par Steve Jackson, et Marc m’a indiqué où trouver des éléments biographiques sur Ian Livingstone. L’Encyclopédie de la Science-Fiction (Clute/Nicholls – Orbit, 1993), et Ansible contiennent également des informations et références qui ont été utiles à la rédaction de cet article. Merci encore à Dave Langford, qui m’a mis à disposition sa correspondance de 1987 avec GW. Les critiques de David citées ci-dessus peuvent être consultées dans The Complete Critical Assembly (Cosmos 2001). Toute erreur ou omission relève de ma seule responsabilité (rq : ou de la mienne).