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IGNORANT ARMIES [WFB]

Au commencement était le Verbe (selon certains), et le Chaos (selon d’autres). Même si l’amateur de Warhammer Fantasy Battle aurait tendance à se rapprocher de la genèse grecque antique plutôt que  de celle de l’évangile, la bonne réponse dans le cas qui nous intéresse est tout autre. Au commencement du background romancé de WFB était le recueil de nouvelles Ignorant Armies, publié en Octobre 1989 par GW Books. Le début d’une aventure qui se poursuit encore aujourd’hui, bien que ni la maison d’édition, ni les auteurs, ni même la franchise dans laquelle se déroulent les récits de cette première anthologie, ne soient encore des nôtres à ce jour1. Trente ans plus tard, il était sans doute temps de procéder à un petit inventaire, en forme d’hommage, de cet ouvrage fondateur, histoire de ne pas finir aussi ignorants que les osts décrits par Jack Yeovil dans la nouvelle qui a donné son titre à l’opus.

Sommaire Ignorant Armies (WFB)

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Collection de huit nouvelles illustrées (on savait vivre à l’époque) rassemblées par David Pringle en sa qualité de primo-éditeur de Games Workshop, Ignorant Armies explore le Vieux Monde dans sa sombre, et, il faut bien le remarquer, floue, singularité, alternant entre les forêts profondes du cœur de l’Empire et les jardins proprets de Bretonnie, en passant par les classiques donjons en ruines et désolations chaotiques du grand Nord. En ces temps héroïques où le « fameux » (en tout cas, de mon point de vue) BL style était encore à inventer, Pringle dut composer avec un aréopage d’auteurs ayant chacun leur propre style, résultant en un ouvrage protéiforme et hétérogène, à mille lieues des recueils soigneusement formatés – d’un point de vue stylistique, s’entend – qui sont aujourd’hui la norme pour les publications de la Black Library. Telle la bouteille de gnôle du grand-père, oubliée pendant des lustres dans l’obscurité fraîche de la cave familiale, et qui se retrouverait, sans que l’on sache trop comment, parmi les bouteilles de Beaujolais Nouveau au hasard d’une réunion de famille, il y a des chances que la dégustation de ce cru vintage fasse tousser plus d’un lecteur. Comme disent nos amis anglais, spécialistes devant l’éternel des consommations clivantes2, « it’s an acquired taste ». Cela ne doit cependant pas nous détourner de notre devoir de mémoire, et sous réserve que vous ne vous éloigniez pas trop du guide, je vous garantis que l’expérience que vous vous apprêtez à vivre sera, à défaut de plaisante (la maison ne prends pas ce genre d’engagements), au moins sans danger. Au commencement, donc, était le Verbe, le Verbe coloré et fleuri d’un Tueur de Trolls encore glabre et pas encore borgne, et très remonté contre les conducteurs de diligences…

1 : Pour les auteurs, je précise que cela signifie que les sept contributeurs d’Ignorant Armies ne travaillent plus pour la Black Library à ce jour et à ma connaissance (dur à dire avec tous ces noms de plume), et non qu’ils sont tous passés ad patres.

2 : Comment qualifier sinon un peuple qui soutient que la jelly est un dessert ? La jelly quoi. Les monstres.

Ignorant Armies

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Geheimnisnacht – W. King :

Geheimnisnacht

Art: John Sibbick

INTRIGUE:

C’est sur la route, non pas de Memphis, mais de Bogenhafen, que nous faisons la connaissance de nos héros, alors qu’ils viennent de se faire lourder sans ménagement de la diligence qu’ils partageaient avec une dame de bonne société, sans doute du fait d’une remarque peu amène1 de la partie courtaude, rougeaude et édentée de la paire. Au grand désespoir de son longiligne, blond et geignard camarade, très peu emballé par l’idée de faire du stop en pleine forêt à la tombée de la Geheimnisnacht, ou nuit des secrets. Et on le comprend. Ces héros en question, puisqu’il faut bien les présenter, ne sont autres que, vous l’aurez deviné, Gotrek Gurnisson et Felix Jaeger, duo mythique de Warhammer Fantasy Battle s’il en est, qui vécut dans ce Geheimnisnacht sa toute première aventure, sous la plume de William King. C’est donc à la naissance d’une légende que nous assistons ici. Émotion et recueillement.

Très énervé par cette déconvenue, Gotrek pique sa crise et se met à montrer sa hache et brandir ses fesses, ou l’inverse, en direction des sous-bois tous proches, espérant sans doute qu’une harde d’Hommes Bêtes secourables lui envoie un petit champion pour se passer les nerfs. Las, et au grand soulagement de Felix, aucun antropovin ne surgit des fougères, mais le danger peut prendre bien des formes dans ces zones désolées de l’Empire, et c’est un carrosse noir qui déboule bientôt à toute berzingue, et manque de percuter l’irascible Dawi, peu enclin à se laisser doubler. Indemne, mais maculé de boue (ce qui est bon pour la peau mais moins pour l’odeur), Gogo ajoute une nouvelle rancune sur son carnet personnel, et se lance à la poursuite des chauffards invétérés, son commémorateur sur les talons.

Débouchant sur une auberge au détour du chemin, les deux compères résolvent d’y passer la nuit, mais trouvent (assez logiquement) porte close. Après quelques négociations menées de main et hache de maître, les tenanciers acceptent d’ouvrir pour éviter de devoir se payer une nouvelle porte, et laissent entrer nos héros. À l’intérieur, entre deux pintes de bière et commentaires désobligeants, Fotrek et Gelix apprennent de leurs hôtes et compagnons de veillée que la région est la proie d’une funeste malédiction, qui voit les enfants disparaître dans la forêt pendant la Geheimnisnacht et ne jamais reparaître. Et justement, le fils des aubergistes, un dénommé Gunter n’est pas rentré de sa corvée de bois ce soir là, ce qui désole sa vieille maman et chagrine son pingre papa. Au fil de la conversation, l’intérêt du Tueur se retrouve piqué par les rumeurs de cultistes et de démons que les locaux tiennent responsables de ces disparitions, et il décide promptement d’aller trekker jusqu’au Darkstone Ring pour s’enquérir de la véracité de ces racontars. Ayant juré de réaliser un compte-rendu digne de ce nom de la quête de mort de son acolyte, Felix n’a d’autre choix que d’emboîter le pas du berserk, acceptant au passage un talisman en forme de marteau que lui remet la Thénardière, et dont le petit Gunter est censé porter le jumeau.

L’excursion jusqu’au Stonehenge local se passe dans des conditions presque parfaites, seule une mauvaise rencontre sur le chemin avec un mutant un peu trop tactile venant retarder les compagnons. Malheureusement pour le collant quidam, Gotrek est plus full contact que peau à peau, et le faquin finit en deux morceaux dans un buisson quelconque (il aura tout de même l’honneur d’être la première victime homologuée de notre Tueur, ce qui n’est pas rien). Une fois arrivée sur place, la paire rampe dans les hautes herbes jusqu’au fameux cercle de pierres noires, où, effectivement, un rituel artistico-naturo-sado-masochiste2 est en train de se dérouler. Aussi captivés par cette création inédite de la SLAANESH3 que la foule bigarrée et biodiverse qui sert de public à cette représentation très caliente, nos héros voient surgir du fameux carrosse noir un individu portant les cape, masque, poignard et frêle enfançon drogué de rigueur pour le maître de cérémonie qu’il se révèle être.

Se rappelant qu’ils sont dans le camp du Bee-1, Gotrek et Felix se secouent enfin les puces et fondent sur les Slaaneshi comme la vérole sur… les Slaaneshi aussi (y a pas de raison), et font un sanglant massacre dans la partouze libertine. Ça vous apprendra, bande de sales petits frotteurs de pierre. Profitant que tous les yeux, mains, tentacules, et autres corps caverneux soient posés sur le robuste nabot, Felix profite du temps de lag du maître de culte pour lui balancer sa dague en travers du gosier, ce qui suffit pour faire retomber l’ambiance comme le membre d’un milliardaire chinois privé de poudre de corne de rhinocéros. Tandis que Gotrek se relève péniblement du gang-bang brutal dont il a été l’objet (ce qu’il prend à la rigolade, because boys Dwarves don’t cry), Felix s’en va récupérer le poupon droppé par le boss de niveau, qui, coup de chance, a survécu à la chute. Ce qui est moins heureux par contre, est la découverte d’un pendentif en forme de marteau autour du cou de l’un des derviches fouetteurs, ce qui permet de solutionner le mystère de la disparition de Gunter. Les ravages d’une éducation trop stricte, sans aucun doute. Cependant, nos héros n’ont guère le temps de s’attarder sur les lieux, la quête de mort de Gotrek entraînant ce dernier vers de nouvelles aventures, qui se poursuivent encore, trente ans plus tard…

AVIS:

La toute première apparition de Gotrek & Felix, on ne peut guère faire plus iconique que ça. Avec le recul que trois décennies nous apportent, on peut reconnaître que ce Geheimnisnacht, pour simple qu’il soit en matière de construction narrative, est véritablement une oeuvre séminale (et pas seulement parce qu’il met en scène une cérémonie en l’honneur de Slaanesh) pour le background de Warhammer Fantasy Battle, et a sans doute contribué à donner le ton, sombre, caustique et souvent cruel, qui a caractérisé la franchise d’un bout à l’autre de son existence. Si certains éléments de l’histoire peuvent sembler étranges, ou entrer en contradiction, avec les dernières versions du fluff canon de WFB, cette dernière, prise dans son ensemble, reste encore aujourd’hui un jalon littéraire pour l’univers en question, et est sans doute l’oeuvre d’Ignorant Armies qui a la « mieux vieilli ». En une vingtaine de pages, King parvient à planter le décor d’un monde med-fan dangereux et désespéré, où les actions de héros pas vraiment exemplaires (Gotrek est un maniaque suicidaire et ultra-violent, Felix un poète ivrogne piégé par le serment alcoolisé qu’il a prêté) parviennent parfois à contrer les manigances des forces des ténèbres, sans qu’aucune victoire ne soit vraiment éclatante (Gunter, la victime présumée, se révèle être un cultiste). Que se serait-il passé si Bill King n’avait pas eu l’idée en 1989 de donner vie à un Tueur de Troll accompagné de son commémorateur ? Comme la face de notre monde si le nez de Cléopâtre avait été plus court, celle de Warhammer aurait été changée. Si la genèse de cet univers vous intéresse (ce qui est sans doute un peu le cas si vous lisez ces lignes), je vous garantis que la lecture de Geheimnisnacht vaut le détour, a minima pour pouvoir dire « je l’ai fait ». Et en plus, cette nouvelle a été traduite en français4. Aucune excuse, donc

: Il est à noter que la toute première phrase de la toute première nouvelle du tout premier recueil de textes de background romancé publié par Games Workshop (en l’état, via GW Books, l’ancêtre de la Black Library), consiste en Gotrek jurant comme un charretier. Et contre les charretiers. Et les femmes humaines. C’est ce qu’on appelle réussir ses débuts.

: En bref, on a des danseurs presque à poil qui jouent des sagattes en se flagellant à coups de branches de bouleau. De l’art contemporain comme on l’aime.

3 : Société Libertine des Amateurs d’Abjections Nudistes Et Supplices Hédonistes.

4 : Incluse dans l’ouvrage Tueur de Troll, le premier « roman » – en fait un agrégat de nouvelles – de la saga de Gotrek.

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The Reavers & the Dead – C. Davidson :

The Reavers & the Dead

Art: Steven Tappin

INTRIGUE:

Adolescent solitaire et secret, Helmut Kerzer, qui s’amusait innocemment à réanimer des cadavres de campagnols dans une crique isolée de la côte de la mer des Griffes (chacun ses passe-temps), a l’effroi de voir approcher un navire pirate de son village natal. Bien que sachant qu’il est de son devoir de donner l’alerte afin de permettre à ses concitoyens d’évacuer les lieux avant l’arrivée des pillards, notre héros est retenu dans son élan par la peur d’être identifié comme un nécromant par la communauté. Parce qu’apparemment, l’endroit où il pratique son macabre hobby est connu comme « la crique de la nécromancie », ou quelque chose comme ça, et que le simple fait de s’y rendre fait de vous un suppôt (ce qui est toujours mieux qu’un suppo) de Nagash. Soit. Ne pouvant cependant pas décemment laisser le futur crime des flibustiers du terrible Ragnar One-Eye impuni, Helmut se hâte en direction du cimetière local, où il sait que l’attend une entrée vers une ancienne crypte…

À quelques encablures de là, nous faisons la connaissance du borgne et de son équipage, et apprenons que ces derniers sont des militants de Sea Shepherd. C’est en effet suite à la remontée de poissons pourris – sans doute victimes d’une marée noire – dans leurs filets que cette bande de Norses a pris la mer pour aller se venger sur les pêcheurs d’en face, reconnus coupables de ce coup en traître par les chamans chiromanciens de la tribu. On pourrait sérieusement arguer que les augures ont perdu la main (mouahaha), mais les voies divines sont impénétrables, et il n’est pas dit que les pêcheurs ne soient pas des pécheurs. Après tout, il suffit d’accentuer le trait. Bref, nos braves vandales écoutent religieusement la harangue de leur chef, et se mettent en rang pour boire la potion magique que leur a concocté leur druide prêtre en prévision du combat. Ici, pas question de force surhumaine (contre une bande de pisciculteurs, pas besoin), mais plutôt d’une exaltation guerrière exacerbée1.

Pendant que les villageois réalisent enfin que le danger les guette, et sonnent le tocsin – avec des effets mitigés il faut dire2 – Helmut se décide à passer une porte dont le heurtoir est fait d’os, flanquée de colonnes représentant des momies hurlantes, et surmontée de niches où sont recroquevillés des squelettes. Qui l’attend derrière cette macabre façade, me demanderez-vous ? Jarvis Johnson. En fait non, bien plus prosaïquement, c’est une Liche morte de vieillesse – ce qui est à la limite de la faute professionnelle pour un nécromant, tout de même –, ce que notre héros savait déjà car… c’est de notoriété publique dans la région ? Quoi qu’il en soit, sa Splendeur Anonyme (le nom que lui donne l’auteur) accueille chaleureusement celui qui sera son apprenti et héritier, et, après un entretien d’embauche rapidement expédié, commence à transférer ses données dans l’inconscient de Helmut, et lui donne les clés de son logement de fonction. Notre héros, après avoir choisi une robe convenablement ésotérique (+3 en Intelligence parce qu’il y a encore la griffe de composition qui indique bien qu’il faut laver à 30°C avec des couleurs identiques et repasser sur l’envers ; -5 en Endurance car elle est pleine de poussière et que Helmut est allergique) commence à binge mémoriser les incantations du premier grimoire qui lui tombe sous la main, et, la tête bien pleine à défaut d’être bien faite, sort de son antre à la nuit tombée pour se venger des loubards de Ragnar, qui ont entre temps convenablement massacrés la population locale, famille de Helmut comprise.

Arrivé sur les lieux de l’holocauste, notre apprenti liche (apprentiche ?) a tôt fait de réanimer ses anciens voisins et camarades3, et de les faire fondre sur le camp des pillards, qui, malgré la sentinelle et les feux allumés sur la plage, se font surprendre dans les grandes largeurs par les Zombies ninjas de Helmut. S’en suit un massacre à sens unique, duquel on se doute que Ragnar ne réchappe pas (en fait, on n’en a aucune idée, l’auteur n’ayant pas jugé bon de nous tenir au courant du destin de l’antagoniste principal), qui laisse notre héros retourner à ses chères et chair études avec le sentiment du devoir accompli. Encore quelques années, et il aura rétabli la splendeur et le faste de la cour nécromantique que son tuteur squelettique avait établi sur la côte de la Mer des Griffes. C’est tout le mal qu’on lui souhaite, en tout cas.

AVIS:

Le récit que nous livre Charles Davidson, s’il s’avère être factuellement exact (ou, en tout cas, ne pas entrer en conflit frontal avec le fluff établi par ailleurs), diffère fortement des canons habituels de la Black Library, tant par le style que par l’atmosphère instillée par l’auteur à son histoire. Si la singularité du premier n’est somme toute que la marque d’une maturité en termes d’écriture, la seconde aurait gagné à se conformer davantage à l’approche majoritairement grimdark qui caractérise le background romancé de Warhammer Fantasy Battle. Ici, les éléments plus légers, comme un nécromancien de treize ans qui pratique les arts sombres en autodidacte et comme d’autres peuvent se découvrir une passion pour le crochet ou le rempaillage, une Liche paternaliste, ou un chef Maraudeur qui se soulage sur une ruine fumante après un carnage rondement mené, alternent avec les passages plus sombres, comme la tuerie de femmes et d’enfants par nos fripons de pirates. Rien de vraiment rédhibitoire au final, mais une sensation d’étrangeté qui peut intéresser ou rebuter le lecteur, selon ses goûts et attentes.

On pourra cependant s’accorder sur le fait que l’intrigue de ce The Reavers & the Dead est loin d’être claire, Davidson insinuant que la Liche serait responsable de la pollution des eaux Norses, ce qui aurait déclenché la colère de ces derniers et le sac du village de Helmut… et précipité sa venue dans le F3 de sa Splendeur Anonyme ? Hmmmm, un peu capillotracté ce raisonnement, Mr Davidson. De même, la conclusion très anti-climatique du récit (les pirates se font massacrer par les zombies en trois lignes), si elle peut être mise sur le compte d’une approche du med fan moins hack & slash qu’il est de coutume pour WFB, peut laisser le lecteur sur sa faim. Bref, comme dirait le sage : ce n’est pas mauvais, c’est différent. Peut-être un peu trop, justement.

1 : On ne donne pas la recette exacte du breuvage, mais peut-être qu’un mélange un tiers harissa, un tiers tabasco, un tiers Red Bull ferait l’affaire.

2 : J’en veux pour preuve que les pirates réussissent à surprendre un pêcheur en train de repriser ses filets sur la jetée. Il devait être sourd et aveugle – ou alors très, mais très concentré – en plus d’être chauve, c’est pas possible autrement. Ah, ils arrivent aussi à massacrer les femmes et les enfants qui n’avaient pourtant rien d’autre à faire qu’à s’enfuir dans les bois le temps que l’orage passe.

3 : Dont un Julius Fleischer, qui est peut-être le père, le frère, l’oncle ou le cousin par alliance d’Angelika Fleischer ?

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The Other – N. Griffith :

INTRIGUE:

The Other

Art: Jim Burns

Accompagnant son père, le renommé et influent Doktor Franz Hochen jusqu’à Middenheim où il a affaire, Stefan Hochen, notre héros, fait la connaissance d’une mystérieuse baladine alors qu’il patiente1 sur l’un des viaducs d’accès de la cité du Loup Blanc, momentanément embouteillé par le renversement d’une carriole de vin (ce qui est un comble, si on y réfléchit). Cette dernière (la troubadour, pas la barrique de vinasse), ayant appris la médecine en autodidacte, se montre assez peu impressionnée par la manière cavalière dont l’honorable Doktor prend en charge l’accidenté, envoyé jusqu’à l’hospice de Shallya le plus proche par brouette pour cause de non-solvabilité manifeste2. Cette première rencontre, pour brève qu’elle fut, ayant un chouilla chamboulée notre Stefan, qui a embrassé la carrière paternelle par facilité et convénience plutôt que par réel intérêt, il est tout content de retomber sur l’inconnue du périf à l’occasion de sa soirée d’enterrement de vie d’interne en médecine, qu’il passe en compagnie de quelques amis dans la chaude ambiance de la taverne de la Lune Rouge.

La street medic, de son nom Katya Raine et de sa profession joueuse de tam tam (eh, il en faut), régale l’assistance d’une composition de son cru, narrant le destin tragique d’une jeune femme ayant eu le malheur de confondre une pierre de sang, aux propriétés curatives supposées, avec un éclat de malepierre. La caillasse, plongée dans les flammes en préparation d’une concoction miraculeuse, lui péta ainsi à la figure, fichant un fragment de roche chaotique dans le gras du bras de l’apprentie alchimiste. Le corps étranger n’ayant pu être retiré, la pauvresse, d’abord tourmentée par des cauchemars, puis des crises de somnambulisme extrêmes, finit par hériter d’un membre écailleux et griffu, avec lequel elle égorgea toute sa famille lors d’une nuit enfiévrée. Fin. C’est autre chose que Despacito, c’est sûr. Bien que la complainte du racaillou soit accueillie par des tonnerres d’applaudissements par l’assistance, Stefan se fait la réflexion, que, oh comme c’est bizarre, Katya a une écharpe nouée autour du bras, comme son héroïne lorsqu’elle cherchait à cacher son affliction à ses proches. Méfiance, méfiance. Mais béguin tout de même.

De plus en plus épris, Herr Hochen résout de jouer de ses relations (son père est l’autorité qui délivre les permis d’exercer aux médecins impériaux) pour gagner les faveurs de son crush, qu’il stalke avec insistance mais balourdise au cours des jours qui suivent. Furieux et jaloux de constater qu’elle s’est rendue dans la demeure de l’adjointe du Sorcier Suprême de Middenheim (Janna Eberhauer) – l’homophobie est toujours un fléau en 2425 –, il se fait carrément krav maga-er la face par sa chère et (pas si) tendre (que ça) lorsqu’elle se rend compte qu’il l’a prise en filature le lendemain. Cherchant à se faire bien voir, il accepte de l’accompagner alors qu’elle réalise sa tournée de bienfaisance parmi les déshérités de Middenheim, mais la simple vue d’Oliphant Man suffit à lui faire tourner les talons. Stefan Hochen, médecin mais surtout esthète.

Soupçonnant fortement que Katya se soit inspirée de son expérience personnelle pour écrire son tube inter-tavernial, Hochen insiste lourdement pour que la belle lui dévoile le bras qu’elle tient écharpe, en échange d’ingrédients médicinaux qu’elle ne pourra pas obtenir sans son aide, faute de licence. Le chantage à l’aspirine, c’est moche tout de même. Mais en tout cas ça marche. Déception ou soulagement pour le voyeur brachiophile, le biceps de Frau Raine est tout ce qu’il y a de plus banal. S’étant engagé à faire les courses pour sa comparse, notre héros réalise sur le chemin du retour, à la faveur d’un tour de passe passe commenté par une brave commère, qu’il s’est probablement fait rouler dans la farine par Katya. Si elle a placé l’écharpe autour de son bras, c’est pour attirer l’attention sur ce dernier et la détourner d’une autre partie de son anatomie… comme sa jambe, qui semble boiteuse depuis quelques temps. Mind blown.

Déterminé à faire quelque chose, et en tout cas, à vider son sac à une autorité compétente en matière de mutant, Stefan s’en va cafarder auprès de Janna Eberhauer, sans savoir que Katya est également présente (il y avait vraiment une romance à l’oeuvre entre les deux femmes), et qu’elle a demandé à la sorcière de l’aider à retirer l’éclat de malepierre qu’elle a reçu dans la cuisse avant que ce dernier ne lui fasse perdre pied (à tout point de vue). D’abord réticent à l’idée de donner un coup de main – c’est toujours dur d’apprendre qu’on est relégué à la friend zone – Stefan finit par se laisser convaincre, et, aidé par les incantions anesthésiques et purificatrices de Janna, parvient à extraire le grain fâcheux de sa patiente. Réalisant qu’il n’a aucune chance de conclure, mais tout de même beau joueur, il quitte son chevet en laissant la licence qu’il a fait signer par son père ainsi que ses sentiments les plus distingués et sa carte de visite, dans l’attente que Miss Raine, qui a prévu une petite virée au Kislev pour fêter sa rémission, revienne du côté du Middenheim. La persistance, c’est la clé.

AVIS:

On peut mettre au crédit de Nicola Griffith l’écriture de la première nouvelle intégrant une histoire d’amour homosexuelle de l’histoire de la fiction GW, et à celui des éditeurs et valideurs de l’époque (David Pringle et Bryan Ansell, probablement) l’inclusion d’un texte assez subversif à sa manière dans le premier ouvrage publié par GW Books. Ce qui peut sembler franchement banal aujourd’hui – et encore, on peine à voir les sujets de genre émerger dans les publications de la Black Library – l’était beaucoup moins en 1989, même s’il faut à mon avis voir dans cette nouvelle la tolérance d’une équipe éditoriale ne disposant pas d’un réservoir infini de contributeurs de bon niveau à solliciter, plutôt qu’un manifeste assumé pour la tolérance et l’inclusion. Parenthèse close.

Au delà de ces considérations méta-littéraires, The Other se révèle être une nouvelle assez sympathique à lire, présentant le double avantage de faire l’effort de s’intégrer dans l’univers de Warhammer de façon plausible (plus que d’autres soumissions de Ignorant Armies, flirtant parfois avec la parodie de façon un peu trop visible, ou présentant des signes évidents de « saupoudrage de background » afin de lier de façon artificielle le récit à la franchise à laquelle il est sensé appartenir), tout en conservant une originalité forte par rapport au courant hack & slash grimdark (si une telle juxtaposition est tolérée) aujourd’hui omniprésent dans les publications de la Black Library. En choisissant de mettre au même niveau d’importance le triangle amoureux reliant les protagonistes et le sombre secret de son héroïne, Griffith humanise fortement sa nouvelle, et donne la vision d’un Vieux Monde un soupçon moins cruel, méchant et violent qu’on en avait l’habitude. De la à soutenir que le pouvoir de l’amour peut faire obstacle à l’influence corruptrice et mutagène du Chaos, il y a un peu plus qu’un pas à franchir, mais à titre personnel, je dois dire que cette approche moins « tranchante » que d’accoutumée du sujet de la mutation n’a pas été pour me déplaire. En définitive, si vous appréciez l’approche « Craigesque » de Warhammer, je ne peux que vous conseiller de donner sa chance à The Other, qui présente une certaine similitude avec les travaux du grand Brian.

1 : Pour tuer le temps, il se représente les résultats d’infections cutanées particulièrement virulentes et purulentes chez tous les péquenauds qu’il croise. À chacun ses hobbies.

2 : À croire que dans l’Empire, le serment d’Hippocrate commence par « d’abord, ne pas faire crédit ».

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Apprentice Luck – S. Flynn :

Apprentice Luck

Art: Martin McKenna

INTRIGUE:

Assistant du peu commode, ni sobre d’ailleurs, libraire Otto von Stumpf à Middenheim, le jeune Karl Spielbrunner, laissé orphelin et sans ressources par la mort de son père, s’ennuie à mourir dans l’échoppe miteuse dans laquelle il passe ses journées. Rêvant d’une vie plus trépidante, il est exaucé sans le savoir lorsque qu’une commère vient lui vendre un livre de sorts qu’elle a récupéré sur un cadavre au pied de la Falaise des Soupirs (parce que le recyclage de macchabées est une activité tout à fait honorable à Middenheim). Songeant d’abord qu’il a moyen de tirer un petit bénéfice de la revente de l’opuscule à un des antiquaires de la cité, Karl a à peine le temps de parcourir quelques formules magiques de bas niveau1 de son acquisition – découvrant au passage une sorte de carte au trésor dissimulé dans la reliure de l’ouvrage –  que le sorcier qui a pris un Air B&B en face de la boutique débarque et déclare qu’il est à la recherche d’un livre que Von Stumpf & Son a récemment reçu, ou recevra bientôt (la magie, ce n’est pas toujours précis). Sentant qu’il a la possibilité de tirer une somme plus coquette que prévue de l’aventure s’il joue ses cartes dans l’ordre, Karl nie crânement avoir le bouquin en question, ce qui convainc le mage de quitter les lieux en jurant de revenir, mais non sans avoir jeté un regard lourd de sens à notre fripon de héros, en lui intimant de « se souvenir de ceci ». Vivement l’invention du post-it.

Un peu plus tard dans la soirée, ayant aidé son patron bien imbibé à retrouver le chemin de sa paillasse avant de continuer l’étude du mystérieux manuel convoité par Aldore Dumblebus, Karl surprend ce dernier en flagrant délit d’intrusion dans le local commercial en dehors des heures d’ouverture, et, ne donnant pas lourd de ses chances en face d’un authentique sorcier à grand nez (l’espèce la plus dangereuse), décide sagement de s’éclipser par derrière. Là, il tombe sur un mystérieux jeune homme habillé comme le valet de pique (c’est à dire de façon assez classe, mais totalement vieillotte), qui l’enjoint de le suivre pour éviter se prendre un Avada Kedavra dans le buffet. Acceptant la proposition sans trop réfléchir, Karl remarque quelques détails curieux chez son nouveau meilleur ami, comme le fait qu’il semble courir sans toucher le sol, qu’il ne respire pas vraiment, et qu’il utilise systématiquement le nous de majesté. Tout cela n’est définitivement pas très ulricain. Lui aussi très intéressé par l’incunable de Karl, et précisément par la carte qui s’y trouvait, il se fait convaincre par notre roublard de héros de se délester d’une bourse de pièces d’or, et de lui laisser 10% du trésor qui attend d’être collecté au bout du labyrinthe dessiné sur la fameuse carte, s’il accepte de le mener jusqu’à bon port. Ayant appris tous les détails du plan par cœur grâce à sa mémoire eidétique de Space Marine, Karl se fait fort de servir de guide urbain au généreux touriste, qui révèle s’appeller Argo.

Première étape pour nos larrons : accéder aux souterrains de Middenheim, là où se trouve le dédale en question. Ne souhaitant pas emprunter l’entrée officielle et se confronter à la Garde de la Cité, Karl emmène son pote jusque dans les bas-fonds de l’Ostwald, où il sait qu’une taverne possède une cave donnant sur les souterrains en question. Mettant à profit le chill absolu et le talent à l’épée d’Argo, et la brusque poussée de compétences magiques de Karl, qui se révèle tout à fait capable de lancer le sort de confusion survolé dans le grimoire lorsqu’un ruffian tente de lui mettre la main dessus (bien que l’effort se solde par une épistaxis carabinée), les compères descendent dans l’underground middenheimer, où, après avoir repoussé les assauts désorganisés d’une tribu de gobelins nains (des nobelins quoi), avec la même recette imparable que quelques niveaux plus haut (et les mêmes conséquences sanguines pour Coral), ils arrivent à l’entrée du labyrinthe.

Karl n’ayant pas sur-vendu ses capacités mnémoniques, et malgré une saute d’attention qui manque de lui retomber – littéralement – dessus, les aventuriers arrivent dans la salle du trésor, où, bien évidemment, Argo tombe le masque et se révèle être… une créature du chaos nécromantique. Un méchant en tout cas. Entendons-nous sur ceci et continuons. Ayant convoqué le trio de squelettes de fonction que tout boss de fin qui se respecte peut réclamer de la part des RH, le perfide antagoniste menace le pauvre Karl de mille maux s’il ne lui donne pas le mot de passe qui lui permettra d’accéder au butin. Fort heureusement pour Herr Spielbrunner, c’est le moment que choisit le sorcier du début de la nouvelle pour surgir – utilisant le trait de classe ‘un magicien n’est jamais en retard, et fuck la logique’ – et régler la situation d’un cantrip bien senti. S’en suit une nécessaire contextualisation, qui nous apprend que Big Nose est en fait le gentil, et que son apprenti a dérobé la carte à Argo et l’a dissimulé dans son livre de sorts pour empêcher le trésor de tomber entre de mauvaises mains. Malheureusement pour le brave stagiaire thaumaturge, il se fit coincer par le méchant et sa bande avant d’avoir pu regagner Poudlard, et préféra sauter de la Falaise des Soupirs plutôt que de remettre le plan. Voilà qui est corporate. La suite est facile à déduire, et il est révélé au passage que les pouvoirs inexpliqués et sanglants de Karl sont une sorte d’échantillon gratuit insufflé par Marlin le Chanteur à son jeune ami lors de leur première rencontre.

Les explications sont toutefois interrompues par le réveil d’Argo, qui ne pouvait pas décemment finir banni comme le premier goon venu. Le combat qui s’ensuit permet de percer le secret des origines de notre blanc méchant, qui s’avère être un cadavre animé par des milliers de scarabées, comme Karl en fait la découverte lorsqu’un coup d’épée bien placé déclenche une hémorragie de chitine chez sa majesté des élytres. Un sort de strip tease, et un autre de fumigation plus tard, et c’en est fait, cette fois pour de bon, de notre méchant bio-diversifié. La fin de la nouvelle n’est plus qu’une formalité pour la team Poulpesouffre : Karl prononce le mot de passe2, et le mage et son futur apprenti accèdent à la légendaire bibliothèque de Fistoria Spratz, un puissant mage… nain. Fail. Better (Apprentice) luck next time, Sean !

AVIS:

Difficile de déterminer s’il faut blâmer un background pas encore bien en place au moment de l’écriture de cette nouvelle ou un franc dédain de Sean Flynn pour ce dernier (les deux explications sont possibles d’après les témoignages de l’époque), mais force est de reconnaître que cet Apprentice Luck n’est guère fringant d’un point de vue fluffique, comme la lecture du résumé ci-dessus le fait apparaître de façon assez flagrante. Si le lecteur veut se donner la peine et la bonté de passer outre ce détail (qui ajoute au charme un peu suranné de la nouvelle de mon point de vue), il se retrouvera avec un récit d’aventures fantastique d’un classicisme consommé, soit très véridiquement, du sword & sorcery à la sauce Donjons & Dragons sans grande originalité ni valeur ajoutée. Si les critiques de forme peuvent être épargnées à Sean Flynn eut égard aux conditions dans lesquelles fut écrit Ignorant Armies, le fond n’est pas irréprochable non plus, ce qui est bien dommage. Résolvant tous les « points durs » de son intrigue par les tous premiers TGCM de l’histoire de la GW-Fiction, et livrant une intrigue d’une linéarité d’autoroute, Flynn/MacAuley donne l’impression d’un mercenaire littéraire plus intéressé par son chèque que par le respect du matériel original et le souci d’offrir à son lectorat une expérience satisfaisante. Ce qui a été sans doute le cas. Dommage.

1 : Dont un sort de confusion mineur, le fameux ‘Tooween zeyesnid zeuno tooween euguainst zeuno’.

2 : Que l’auteur ne nous révèle pas, ce qui est vraiment petit bras de sa part. Je soupçonne qu’il a simplement oublié d’insérer un set-up digne de ce nom dans son intrigue…

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A Gardener in Parravon – B. Craig :

A Gardener in Parravon

Art: IanMcCaig

INTRIGUE:

Dans la ville de Parravon, réputée dans le Vieux Monde pour ses jardins et ses oiseaux (eh oui), le jeune Armand Carriere, fils de marchands mais peu intéressé par en devenir un lui-même, se passionne pour le mystérieux jardin d’un voisin, qui semble attirer des nombreux oiseaux des environs. La propriété mitoyenne étant ceinturée d’un hallier aussi haut que fourni, notre héros ne peut qu’imaginer ce qui attire la faune ailée de Parravon dans le verger du sieur Gaspard Gruiller – le nom du voisin en question. Ayant remarqué que plus d’oiseaux semblaient s’approcher de l’endroit qu’en repartir, Armand suppute que le jardin abrite quelque espèce de plantes carnivores, comme celles qu’il a découvertes par le biais de ses lectures. Prêt à tout pour lever le mystère, il convainc un jour son ami Philippe Lebel de lui prête main forte afin de grimper sur le toit de la maison familiale, et ainsi bénéficier d’une meilleure vue sur les plates bandes de Monsieur Gruiller. Surpris par ce dernier, il a la surprise d’être convié par le voisin en question à visiter son jardin quelques jours plus tard, et de constater ainsi que ses suppositions étaient fondées. Gruiller entretient bien une espèce très particulière de fleurs, dont les tiges et les lianes capturent les oiseaux qui passent à portée pour s’en nourrir, et dont les fleurs, de fort belle taille, produisent un nectar particulièrement savoureux.

La nuit qui suit cette visite est agitée pour Armand, qui rêve qu’un démon mi-aigle, mi-poulet rôti, vient frapper à sa fenêtre pour l’emmener jusqu’au jardin voisin, afin qu’il puisse se nourrir, en compagnie de la volée chaotique qui butine gaiement dans les bosquets, du substantifique suc des orchidémoniques de ce bon Gruiller, le tout sous le regard attendri d’un démon majeur (mi-autruche mi-dinde rôtie) perché sur un champignon. Les légumes du dîner ne devaient pas être de première fraîcheur, c’est moi qui vous le dit. S’étant ouvert de son rêve à son pote Philippe Le Bel (pas encore Roy de France), Armand se fait convaincre par ce dernier que sa vision n’était justement qu’une vision, sans fondement sérieux. L’argumentation de Philou ne se montre toutefois pas aussi irréfutable que ce dernier le pensait, puisque l’on retrouve le lendemain le corps d’Armand suspendu dans la haie de Gruiller, comme s’il s’était jeté de sa fenêtre en contrebas. Le cadavre présente également de nombreuses lacérations, qui auraient pu être causées par des griffes ou par les épines du hallier, allez savoir. C’en est en tout cas fini de l’histoire d’Armand Carriere, le botaniste bohème, et de celle de Brian Craig, qui aura démontré une fois pour toute que le flower power n’est pas toujours aussi bénin qu’on le croit.

AVIS:

Les débuts de Brian Stableford, ici Brian Craig, dans la GW-Fiction présentent déjà les caractéristiques que l’on retrouvera dans ses contributions suivantes pour GW Books, Boxtree et même la Black Library. Un rythme posé, voire contemplatif (pour ne pas dire lent), une prose à la fois poétique et réfléchie, et la volonté de faire réfléchir ses lecteurs sur les grands principes et concepts sous-tendant l’univers dans lequel il fait évoluer ses personnages. C’est bien simple, le Vieux Monde n’apparaît jamais plus civilisé et raisonnable que sous la plume de Mr Craig, l’homme qui arriverait presque à banaliser les apparitions démoniaques (A Gardener in Parravon, The Winter Wind), et à respectabiliser la profession de Nécromancien (Who Mourns A Necromancer ?). Si cette nouvelle ne s’avère pas la plus réussie de ses soumissions à mes yeux – la faute à une absence de chute1 digne de ce nom – sa lecture s’avère tout aussi agréable que celle des travaux ultérieurs de notre homme. Une mise en bouche des plus satisfaisantes donc2.

1 : À moins que celle, littérale et fatale, d’Armand Carriere soit celle que nous attendions.

: Sache, fidèle lecteur, que je me suis retenu très fort de partir dans l’analyse psychanalytique de cette nouvelle, après m’être rendu compte que le rêve du héros peut être interprété de diverses façons lorsqu’on note que le pistil des fleurs de Gruiller arbore une forme phallique sans aucune équivoque (décrit dans le texte et repris dans l’illustration de la nouvelle). Je n’en dirai pas plus…

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The Star Boat – S. Baxter :

1

Art: Adrian Smith

INTRIGUE:

Alors qu’il buvait1 tranquillement dans une taverne de Norsca au retour d’une campagne victorieuse en Arabie, le farouche Erik the Were – à ne pas confondre avec le fantoche Eric the Woerth, un fameux alpiniste bretonnien – est abordé par un mystérieux étranger, qui souhaite s’attacher les services du lupin, à défaut d’être turlupin, mercenaire. Notre héros est en effet frappé d’une sorte de lycanthropie passive, se manifestant par une pilosité épaisse (ce qui lui a posé quelques problèmes dans son enfance) et la capacité, jamais utilisée à fond par le prudent Erik, de décupler ses forces en laissant libre cours à sa nature animale. Bien qu’ayant initialement refusé l’offre de cet intriguant et coassant mécène, Erik se rend le lendemain dans l’auberge où ce dernier réside, et apprend que Cotza – son nom – le Slann – son espèce – s’est lancé dans la quête d’un légendaire artefact remontant à la chute des portails polaires : un navire céleste (star boat) s’étant écrasé quelque part dans les Désolations du Chaos, à l’époque où elles étaient beaucoup moins désolées. Un peu réticent à l’idée de se mettre au service de Kermit, Erik finit toutefois par succomber aux trésors de persuasion de Cotza, qui l’envoie tout d’abord récupérer la carte indiquant l’emplacement exact de l’épave.

Le temps pour notre taciturne berserker de faire un aller-retour à Erengrad, où le parchemin en question est conservé dans le palais du gouverneur comme souvenir de la Grande Guerre contre le Chaos2, et les véritables préparatifs de l’expédition arctique peuvent commencer. Ayant recruté une petite armée de Nordiques pour l’emmener jusqu’aux côtes des Désolations, Cotza supervise la réalisation d’une sorte de roulotte isolée au mithril/gromril (métal magique réputé pour ses propriétés anti-chaotiques), et dotée de toutes les dernières options technologiques (GPS, climatisation, moteur 12 chevaux – de guerre – …), ce qui permettra à notre intrépide duo de se rendre sans trop de danger jusqu’au vaisseau en question. Le voyage aller se passe en effet sans trop de problème, les assauts d’une bande de Démonettes en maraude ricochant3 sur le blindage renforcé de la Kangoo de Cotza, et l’intrusion d’un Elémental d’air glacial et brutal dans l’habitacle du véhicule, permise par la trop grande porosité du système de ventilation, étant chaudement repoussée par les capacités de chauffagiste d’Erik.

Enfin, le mobil home s’arrête pile au dessus de l’épave, et le Slann et le Norse pénètrent dans le mythique vaisseau céleste. Leur exploration tourne toutefois rapidement court, lorsque Cotza décide de toucher au tableau de bord de ce qui semble être la salle des machines, et provoque des contre-mesures extrêmes de la part du Star Boat. Bilan : un bras arraché pour la grenouille impatiente, et un trou dans le toit de la roulotte tout terrain des aventuriers du pédalo perdu4. Heureusement qu’Erik est là pour ramasser et recoller les morceaux, son enchaînement garrottage + cautérisation du moignon cotzique sauvant la vie de l’amphibien, et son marouflage express de la toiture permettant à la paire d’échapper à une exposition prolongée à l’atmosphère délétère du Grand Nord. Il faut toutefois se résoudre à faire demi-tour sur ce constat d’échec, qui se retrouve agravé par la révélation que Cotza n’est finalement pas un vrai Slann (comme son incapacité à désactiver la protection du vaisseau céleste l’a fait supposer à Erik). La fourbe et veule grenouille s’avère être – tenez-vous bien – un paysan bretonnien, recruté contre son gré dans les armées du Roy Charles et ayant obtenu du mage de bataille servant dans l’ost royal une transmutation en Slann en échange de la remise d’un parchemin arcanique qu’il avait trouvé par hasard pendant un bivouac. Je ne parie que vous ne vous attendiez pas à cela. Moi non, en tout cas.

Le chemin vers la civilisation Norsca n’est pas une partie de plaisir pour Erik, malgré le retour des maraudeuses Slaaneshi, qui ont cette fois pensé à amener un minotaure avec elles, qui vient rapidement à bout du camping-car de Cotza, avant de s’en aller en rigolant bruyamment. L’homme triton ayant sombré dans l’apathie la plus profonde depuis sa mutilation – guère aidé dans sa convalescence par l’apparition d’une tête grotesque à l’extrémité de son moignon – Erik ne perd pas de temps à s’enquérir du bien-être de son commanditaire, et taille la route vers le Sud après s’être bibendum-mé de plaques de mithril. Hanté par des rêves et des visions interdits au moins de 18 ans, notre héros a également la malchance de se faire attaquer par une chimère constituée des chevaux utilisés pour tracter la Kangoo de fonction de Cotza, et de ce dernier (décidément toujours dans les bons coups). Poussé dans ses derniers retranchements par cette monstruosité mutante, Erik décide de laisser l’animal en lui prendre le dessus, ce qui lui permet de sortir victorieux de l’affrontement. Magie des latitudes nordiques, cet ultimate résulte de plus en la séparation de la partie humaine et de la partie lupine du mercenaire, qui revient donc au camp de base guéri de sa malédiction. Qui a dit qu’il ne se passait que des mauvaises choses dans les Désolations du Chaos ?

AVIS:

Récit d’aventures ambitieux par sa longueur (45 pages) et son approche du background de Warhammer Fantasy Battle, The Star Boat est une nouvelle qui mérite vraiment la lecture, même 30 ans après sa publication initiale. Bien que certains passages et détails n’aient pas résisté aux ravages du temps et des retcons du fluff, le choix de Baxter de traiter d’un artefact Slann perdu au milieu des Désolations Nordiques a contribué à « préserver » la pertinence de son propos. Si l’historique de WFB a beaucoup évolué au cours de ses décennies d’existence, la persistance des mythes entourant les Slanns/Anciens et la nature éminemment permissive des terres chaotiques, ou le hors-sujet est un concept inconnu, font de la lecture de The Star Boat une expérience moins étrange que celle d’autres antiques nouvelles, elles totalement et absolument démodées. Après tout, Bill King reprendra l’idée de l’aventure en rover dans le Grand Nord pollué du Vieux Monde dans sa série Gotrek & Felix : l’idée n’était donc pas si farfelue qu’elle peut paraître de prime abord.

Autre aspect de la nouvelle à mettre au crédit de l’auteur, son inventivité en termes d’intrigue. C’est bien simple, on ne sait jamais à quoi s’attendre dans ce périple nordique, ce qui est toujours appréciable pour le lecteur. Alors que d’autres soumissions du recueil Ignorant Armies sont bien plus linéaires et prévisibles dans leur déroulé, soit qu’il s’agisse de respecter un cahier des charges précis (Geheimnisnacht, la « mère » de toutes les nouvelles Gotrek & Felix), soit que l’auteur n’ait pas été très inspiré au moment de prendre la plume (Apprentice Luck, et dans une moindre mesure, The Reavers & the Dead et The Other), The Star Boat est très difficile à prédire, ce qui est une bonne chose !

On notera également que Baxter a bien pris la mesure du monde dans lequel il place son propos, convoquant aussi bien la Norsca que le Kislev, la Lustrie, l’Arabie, la Bretonnie et les Désolations du Chaos, ce qui sous-entend un sérieux effort de documentation de la part de notre homme, et est tout à son honneur.  De la même manière, et de façon plus métaphysique que géographique, le concept du Chaos est bien intégré et illustré dans la nouvelle, comme la fin peu ragoûtante de Cotza, premier (et probablement seul) personnage trans-racial de WFB, le démontre amplement. Cela peut sembler naturel de notre point de vue de lecteur de la Black Library, qui a la chance de pouvoir compter sur des cohortes d’auteurs expert ès-Chaos du fait de leur passif d’hobbyiste, mais en 1989, et comme il le révèle dans la chronique qu’il a consacré aux débuts de la GW-Fiction, Warhammer n’était qu’un univers de fantasy parmi d’autres, et tous les auteurs mis à contribution pour les premiers ouvrages de cette gamme n’ont pas pris le temps de potasser leur Realms of Chaos et Slaves of Darkness pour complaire à Pringle et Ansell. Bref, un texte intéressant à plusieurs chefs, que je conseille sans hésitation ni réserve aux lecteurs intéressés par une plongée dans les profondeurs mythiques de l’Oldhammer. Il y a bien pire, croyez-moi.

1 : Probablement le verre d’eau que tous les restaurateurs et taverniers sont obligés de servir gratuitement à quiconque en fait la demande, car notre homme n’est pas du genre à claquer sa paie en mojitos. 

2 : La nouvelle comporte, du fait de son grand âge, son lot de détails fluff incohérents avec le background canon. L’un d’entre eux est l’affirmation que ce serait le Gouverneur d’Erengrad qui aurait vaincu les armées chaotiques lors de la Grande Guerre contre le Chaos.

3 : Et pourtant, elles disposaient d’une épée tronçonneuse (dixit l’auteur en personne, je n’invente rien). Ah, la magie des cross-over…

4 : Les anciens Slanns n’étaient pas du genre à se contenter d’équiper leurs véhicules d’une simple alarme sonore.

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The Ignorant Armies – J. Yeovil :

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Art: Adrian Smith

INTRIGUE:

Depuis dix ans, date du sac du manoir familial, du massacre de ses occupants et de l’enlèvement de son jeune frère Wolf par le Champion du Chaos Cicatrice (qui s’appelle ainsi à cause de… son strabisme appuyé, évidemment), Johann von Mecklenberg piste la bande de sa Némésis, espérant toujours pouvoir tirer son cadet des griffes du pillard balafré. Accompagné par son taciturne et ironique (on le surnomme l’Homme de Fer) tuteur, Vukotich, le jeune noble a traîné ses guêtres chamarrées et sa crinière de feu – si l’on se fie à la vision de John Blanche de son sujet – d’un bout à l’autre du Vieux Monde, et vécut maintes pittoresques aventures au passage, sans pour autant parvenir à refaire son retard sur l’insaisissable Cicatrice. Jusqu’à maintenant tout du moins.

S’étant arrêtés pour la nuit dans une sombre forêt du nord de Kislev, les chasseurs, après avoir achevé l’un de leurs chevaux qui montrait quelques signes de faiblesse, tendent un piège à un quatuor de mutants peu discrets, envoyés par ‘Tris leur régler leur compte. Comme les 798.841 fois précédentes – en dix ans, on a le temps d’en fomenter des embuscades – Jojo et Vuko s’en sortent haut la main, bien que ce dernier ait perdu quelques points de vie au contact du sang contaminé (un scandale !) de l’homme crapaud qu’il vient de mettre en bouteille. Il en faut toutefois plus pour décourager notre paire de choc, Johann bricolant fissa un brancard de fortune pour permettre à son mentor de passer une convalescence relativement confortable au cul de leur dernier cheval. Que demande le peuple. Ayant appris de la bouche l’orifice facial du meneur des traînards, une ancienne connaissance (Andreas) du manoir des von Mecklenberg ayant abandonné ses études de taxidermie pour devenir Élu du Chaos à la suite de la descente de Cicatrice, que ce dernier se dirigeait vers le Nord et un mystérieux champ de bataille, Johann mène ses suivants (je compte le cheval qui aurait dû s’appeler Tsar – it’s complicated –  parmi ces derniers pour pouvoir user du pluriel) dans la direction indiquée, et finit par déboucher sur une plaine jonchée de cadavres en divers états de décomposition.

Un hameau se dresse, de façon incongrue, au milieu du charnier, qui ne peut être que le champ de bataille auquel le moribond a fait référence. Hêlant les habitants du lieu afin d’obtenir l’hospitalité pour la nuit, Johann fait bientôt la rencontre d’une troupe de lunatiques bigarrés mais très cordiaux, qui acceptent sans trop discuter d’accueillir les deux nouveaux-venus dans leurs cahutes. Le dîner qui s’en suit permet au baron déchu de faire la connaissance du Nain Kleinzack, autorité temporelle de la communauté, et dont le mandat de maire n’est en rien perturbé par l’épée qui le traverse de part en part (blessure de guerre). Ce dernier informe obligeamment ses hôtes qu’ils ont bien atteint le lieu où, chaque nuit, les armées du Chaos s’affrontent pour gagner la faveur des Dieux Sombres. L’endroit est un détour obligé pour les Champions avides de faire leur preuve, et il n’est donc pas étonnant que Cicatrice ait emmené sa bande y passer le weekend. Comme en témoigne le vacarme assourdissant qui s’abat bientôt sur le village, la légende est tout ce qu’il y a de plus fondée, et, si le sommeil ne vient pas facilement à nos héros cette nuit là (en même temps, difficile de faire venir la maréchaussée dans le Pays des Trolls pour faire constater du tapage nocturne), ils s’endorment avec la certitude que leur quête est sur le point de s’achever.

3

Art: Adrian Smith

Le lendemain, Johann et Vukotich accompagnent leurs bienfaiteurs à la surface, où ces derniers s’activent à piller les cadavres et à nettoyer le champ de bataille afin que les combattants du soir puissent s’entre-tuer dans des conditions décentes. Demandant à tout hasard à Kleinzack s’il aurait entendu parler de la bande de Cicatrice, dont les guerriers arborent un éclair rouge à travers le visage, les deux voyageurs ont la surprise d’entendre ce dernier leur proposer de les mener jusqu’au chef de guerre en personne. Et en effet, c’est bien cette vieille badingue de Cicatrice que Johann et Vukotich trouvent à l’agonie sur le pré, bien loin de sa prime et terrifiante jeunesse il faut bien le dire. Avant que la mort ne l’emporte (un suicide plein de classe démontrant que, malgré ses méfaits, notre homme avait le cœur sur, ou en tout cas dans, la main), le vieux Champion révèle à un Johann outré s’être fait cruellement navrer par le plus si innocent que ça Wolf. Ce dernier a en effet repris les rênes de la bande depuis deux ans, reléguant Cicatrice à une pré-retraite honorifique, qui s’est donc finie en eau de boudin.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, J&V tombent dans l’embuscade tendue par Kleinzack et ses sbires, que Wolf a payé pour qu’ils leur remettent leurs indéfectibles poursuivants. Malheureusement pour le fourbe nain, son avidité le mènera à sa perte lorsque Johann parvient à se libérer de ses liens alors que le nabot était en train de lui faire les poches. Délesté de son épée au moment de sa capture, Johann se venge en faisant une « Roi Arthur » sur Kleinzack, lui empruntant l’épée qu’il avait en travers du thorax depuis toutes ces années, avec des conséquences fatales pour l’avorton. La nuit étant tombée entre temps, l’affrontement final entre les deux frères peut prendre place, et Johann fait bientôt face à son frangin, qui a acquis la plupart des caractéristiques de son animal totem depuis la dernière fois qu’il se sont vus, il y a dix ans.

Le combat entre les deux von Mecklenberg s’engage donc, tandis que Vukotich corrige les groupies de Wolf à grands coups de hache à l’arrière plan, et, alors que le nouveau chef de guerre semble insensible aux attaques fraternelles, Johann a soudain la bonne idée de viser l’épaule de son adversaire bestial. C’est là que la flèche qu’il avait tirée – comme une patate il faut bien le reconnaître – dix ans plus tôt au cours d’une chasse, avait atteint par erreur Wolf, et contraint ce dernier à retourner au manoir pour se faire soigner, juste au moment où Cicatrice frappait à la porte (pas de chance). Laissée sans traitement pendant une décennie, cette blessure, en tant que seul lien avec son passé « civilisé », constitue le point faible du Champion. Alors qu’il est sur le point de donner le coup de grâce à son frère, Johann est interrompu par le kill-bomb de Vukotich, qui se place sur la trajectoire de la lame et se retrouve prestement embroché. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que l’altruiste mentor a un plan pour inverser la malédiction chaotique ayant transformé Wolf, mais doit pour cela donner de sa personne, et de son sang, plus précisément. S’étant littéralement saigné aux quatre veines tout en marmonnant les incantations consacrées, Vuko’ tombe raide mort, le devoir accompli. Décidément, il ne fait pas bon s’appeler Iron Man. Son sacrifice n’est toutefois pas vain, un Wolf frais comme un gardon émergeant de la sorte de chrysalide magique s’étant refermée sur lui suite à ce rituel impromptu, et que Johann a défendue jusqu’à la levée du jour en bon grand frère protecteur qu’il est. Bref, si vous aviez encore besoin d’être convaincu que le don de sang peut sauver des vies, j’espère que vous êtes maintenant convaincus !

Ignorant Armies - 1

Art: John Blanche

AVIS:

Depuis son titre, d’une classe folle1 et d’un warhammerisme consommé (la véritable nature du Chaos n’apparaît pas à ceux qui se battent en son nom jusqu’à ce qu’il soit trop tard), jusqu’à sa conclusion heureuse-même-si-on-pourrait-arguer-qu-elle-n-est-pas-valide-d-un-point-de-vue-fluffique, The Ignorant Armies est une démonstration de ce qu’une nouvelle WFB devrait être. La quête décennale de Johann et de Vukotich à travers le Vieux Monde, sur les traces de l’insaisissable Cicatrice et sa bande de maraudeurs chaotiques, permet à Yeovil d’aborder tous les grands thèmes de l’univers de Warhammer : l’opposition/complémentarité entre l’ordre et le Chaos (depuis les ravages infligés par Cicatrice à l’Empire, dont il était un des défenseurs autrefois2, jusqu’au village du champ de bataille, « symbiote civilisé » opérant de concert avec l’anarchie de la mêlée perpétuelle qui sévit à sa porte), le grimdark héroïque3 (le cheval qu’on présente en détail avant de l’achever, faisant écho avec le sacrifice ultime de Vukotich à la fin de la nouvelle), l’étrangeté inquiétante et démente de l’univers (à peu près tous les habitants du village, avec des mentions spéciales attribuées à Kleinzack l’embroché et Mischa le polythéiste), sans oublier la nature proprement inhumaine et traître du Chaos, qui finit toujours par se retourner contre ses serviteurs. La description du terrible Cicatrice en vieillard défiguré par les mutations et laissé à l’agonie sur le champ de bataille est très intéressante de ce point de vue, mais l’accrochage avec Andreas en début de nouvelle tombe tout aussi juste.

En plus de faire carton plein sur le fond, Yeovil régale sur la forme, démontrant avec style et brio sa maîtrise de la nouvelle d’aventures. Son usage intelligent de flashbacks en début de récit donne l’impression au lecteur d’évoluer dans un roman de trois cents pages plutôt que dans une nouvelle de cinquante, en plus de donner une profondeur certaine à la traque de Johann et de son mentor. Plutôt à l’aise dans la mise en scène de combats, une composante essentielle du genre, dont il faut savoir user sans en abuser, Jack Yeovil donne au lecteur ce qu’il est en droit d’attendre à ce niveau, mais ce sont bien dans les scènes plus « calmes », qu’il s’agisse de descriptions ou de dialogues, que les talents de conteur de notre homme se révèlent les plus prenants et efficaces.

Lire cette nouvelle, c’est toucher au cœur battant, à la fois pourri et grandiose, du fluff de Warhammer Fantasy Battle, et s’il n’y avait qu’un texte de GW-Fiction à recommander au nouveau-venu désireux de prendre la mesure de cet univers si particulier, The Ignorant Armies serait probablement mon choix.

: Comme l’indiquent les trois vers placés par l’auteur au début de la nouvelle, cette dernière a également été inspirée par le poème ‘Dover Beach’ de Matthew Arnold (1867).

2 : Décidément, Archaon n’a rien inventé.

3 : La notion que les « gentils » ne peuvent triompher sans consentir à de lourds sacrifices, alors que les « méchants » arrivent généralement facilement à leurs fins.

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The Laughter of the Dark Gods – W. King:

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Art: Bob Naismith

INTRIGUE:

Chassé de ses terres par les manigances de sa famille, le noble Kurt von Diehl, accompagné d’un Kislevite chétif nommé Oleg Zaharoff, s’enfonce dans les Désolations du Chaos à la recherche de la puissance nécessaire pour reconquérir son fief. Ayant délesté un guerrier du Chaos malchanceux de ses armes et armures sur la route du trône de Khorne, Kurt progresse chaque jour plus au Nord, combattant les bandes rivales et attirant de nouveaux suivants1 à sa bannière, tandis que les dons du Dieu du Sang remodèlent sa chair selon le bon plaisir de ce dernier. Bien que sortant vainqueur de tous les défis et toutes les batailles croisant sa route, Kurt constate, entre deux crises de démence homicidaire, qu’il est lentement mais sûrement en train de perdre la boule, alors que les souvenirs de sa vie précédente s’effacent les uns après les autres.

La fin arrive lorsque, arrivé à hauteur d’un carrefour à sens giratoire (tout est possible dans les Désolations du Chaos), Kurt s’engueule avec le général de l’ost dans lequel lui et ses serviteurs ont été assimilés. Entre Khorneux, la discussion débouche rapidement sur un affrontement en bonne et due forme, pendant lequel, malgré la puissance apportée par son arbalète laser (lootée sur un Wookie de Khorne – tout est possible dans…) et les pouvoirs régénérants de la grande bannière sur laquelle il parvient à mettre la griffe, Kurt finit tout de même par passer l’arme à gauche. Petite consolation, ou ultime déchéance, le méritant Kurt reçoit une dédicace de Big K. avant de mourir de sa belle mort, son enveloppe charnelle explosant pour donner naissance à un démon. Et paf, ça fait des Chocapics un Buveur de Sang. Ou une Gargouille, ce qui serait moins la classe. Tout est possible… En tout cas, ça fait bien rire ce crâneur de Khorne, pépouze sur son trône. Thank you, next.

AVIS:

Si vous vous demandiez ce à quoi s’occupent les champions, aspirants, et autres stagiaires des Dieux Sombres lorsqu’ils prennent la route du pôle, The Laughter of Dark Gods est la nouvelle parfaite pour vous. Si l’histoire narrée par King n’est pas des plus originales, elle a le mérite de décrire de façon imagée, dérangeante et éminemment sanguinolente la déchéance/ascension (ça dépend du point de vue que l’on prend) d’un guerrier ayant vendu, mis en gage ou prêté pour deux minutes – ce qui revient au même – son âme aux Dieux Sombres. Arrivé dans les Désolations du Chaos avec un projet clair, un fidèle camarade et une apparence que l’on suppose être normale, Kurt von Diehl2 finit son parcours avec des idées très embrouillées, un Skaven de compagnie et la flexibilité plastique d’un Mr Patate démoniaque. Tel est le destin des fous qui succombent aux promesses impies des Fab Four, et si cela va sans doute sans dire pour les lecteurs aguerris de la BL et les hobbyistes vétérans, il faut bien réaliser qu’au moment où King a soumis sa nouvelle, le sujet n’avait simplement pas été couvert du tout dans des textes de fiction.

The Laughter of Dark Gods est donc la pierre fondatrice sur lequel s’est élevé le cairn du corpus chaotique, et, devrait être en conséquence une des premières lectures que le nouveau venu dans les mondes « merveilleux » de GW devrait s’enquiller. Même si ce ne sera pas souvent le cas – pas facile de mettre la main sur une nouvelle publiée en 1989 – ce texte mérite le détour, ne serait-ce que parce qu’il a véritablement réussi à passer à la postérité, et conserve, trente après son écriture, toute sa pertinence et son intérêt. Combien peuvent s’en targuer ? S’il y avait un GW-Fiction Wall of Fame, nul doute que The Laughter… y figurerait en bonne place. Et ça, ça se respecte.

: Parmi lesquels on compte le Prince Deiter le Stable (ou the Unchanging en VO), un aristocrate maniéré mais mortel à l’épée – comme Kurt en fera l’expérience – parlant en vieux françois et rejoignant les rangs des groupies de Kurt Khorben après un millénaire à tergiverser en périphérie des Désolations. Comme quoi, on peut être Deiter et pas déter’. Tout est possible dans les Désolations.

2 : Un descendant de la lignée maudite des von Diehl, dont on croisera d’autres représentants dans une aventure de Gotrek & Felix (du même Bill King), ‘Wolf Riders’.

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Alors, trente ans après, quel jugement porter, et que retirer de ce tout premier recueil de nouvelles made in Games Workshop ? Comme vous pouviez l’imaginer, plusieurs de ces soumissions présentent un caractère suranné, pour ne pas dire daté, qui, s’il peut parfois avoir un certain charme, peut également s’avérer d’une lecture difficile. Les canons narratifs de la BL étant très différents de ceux de son illustre aîné, l’expérience pourrait dérouter le novice. Bien évidemment, le fait que David Pringle ait eu le luxe de mettre à contribution des auteurs confirmés, ayant pour beaucoup développé un style et une approche de la Fantasy propres, et pas forcément en ligne avec les desiderata de la maison mère, explique ce dépaysement. Comme la – relative – rareté de cet opus viendra empêcher qu’il tombe entre les mains de tous les lecteurs, et que ces derniers l’auront très probablement choisi en connaissance de cause, je ne considère pas cette étrangeté comme rédhibitoire, en tout cas pas quand elle se double d’une réflexion et/ou d’un effort d’écriture manifeste. Il est cependant des nouvelles pour lesquelles on comprend en quelques pages que leur auteur s’était mis en stylo automatique, et pour lesquelles on n’aura donc aucune pitié dans l’appréciation. Déjà à l’époque, le cachetonnage pour raisons alimentaires existait, comme l’article de Steve Baxter (un des auteurs dont je pense qu’il a vraiment joué le jeu, à l’inverse) le souligne bien. Cela n’a pas empêché tous les contributeurs de cette anthologie d’avoir fait carrière en tant qu’écrivain – tant mieux pour eux – et il est assez drôle de constater que, si King est probablement l’auteur dont le nom aura le plus de chances d’être familier aux habitués de la BL, sa reconnaissance par le « grand public » de la littérature de genre est au contraire beaucoup plus faible que celle de ses petits camarades (à la niche, le Bill !).

La querelle des Anciens contre les Modernes évoquée et vidée, on peut reconnaître à Ignorant Armies des textes de qualité, si on les compare aux standards actuels de la Black Library. Bien sûr, Geheimnisnacht et The Laughter of the Dark Gods en font partie, ce qui n’est guère étonnant car on peut leur attribuer – en partie – la paternité du « BL-style ». The Star Boat  et Ignorant Armies, les deux nouvelles majeures (en termes de longueur) du recueil, méritent également une lecture, leurs auteurs ayant bien réussi à capter l’atmosphère de Warhammer dans leurs écrits, en plus de proposer des intrigues intéressantes. The Other et A Gardener in Parravon constituent des expériences assez agréables, même si pas transcendantes, et permettent d’appréhender une Fantasy très différente de celle qui finira par faire école chez Games Workshop. Il n’y a guère que The Reavers & the Dead et Apprentice Luck qui, à mon humble avis, ne s’avèrent pas très intéressantes à lire (facteur mon-dieu-ça-ne-ressemble-à-rien-de-ce-que-j-ai-pu-lire-avant évacué).

Autre point notable, et qui dénote du souci de GW de bien-faire, les illustrations pleine page dont le recueil bénéficie (au moins sous son édition GW Books) sont un plus très appréciables. Là aussi, on se retrouve parfois face à des visions d’artistes pas vraiment warhammeresque dans l’esprit et avec le recul (ma préférée restant celle de Geheimnisnacht, avec un Gotrek imberbe et baveur), mais pour certaines de remarquable qualité, et qui agrémentent agréablement la lecture.

Bref, le bilan est plutôt positif pour cette vieillerie (terme affectueusement utilisé ici, l’auteur de ces lignes étant quasiment aussi ancien que l’ouvrage qu’il chronique), que je place certainement dans le top 5 des meilleurs recueils de nouvelles WFB publiés par GW depuis l’origine. Il sera intéressant de comparer les qualités et lacunes d’Ignorant Armies avec celles de ses « frères et sœurs » de rayonnage (Wolf Riders, Red Thirst, et Deathwing), quand cela nous sera possible. D’ici là, bonnes lectures à tous, et à bientôt pour de nouvelles aventures !

REALM OF CHAOS [Recueil WFB]

Bienvenue dans la critique du recueil de nouvelles Realm of Chaos, publié en 2000 par la Black Library et proposant 12 courts formats plutôt centrés sur l’Empire, Kislev et Marienburg (9/12).

Realm of Chaos

Parmi les soumissions dignes d’intérêt, la doublette consacrée par Andy Jones à ses croquignolesques Maraudeurs de Grunnson (Grunnson’s Maraudeurs; Paradise Lost) justifie à elle seule l’achat du bouquin. Dans la même veine sérialisée, la double ration de Bande de Badenov (The Hounds of Winter; Dark Heart) est beaucoup plus quelconque. Enfin, l’inusable Gavin Thorpe nous gratifie du premier texte de la série Time of Legends, sans doute sans en avoir conscience, une bonne décennie avant que le concept ne soit lancé par les pontes de la BL (Birth of a Legend). Quel homme.

Realm of Chaos

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Birth of a Legend – G. Thorpe:

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INTRIGUE:

Birth of a Legend relate un épisode central du background de Warhammer, à savoir le sauvetage du Haut Roi Kurgan par une cohorte d’Unberogens en vadrouille.

Capturé par le Big Boss Vagraz Head Stomper alors qu’il se rendait dans les Montagnes Grises pour un tournoi de belote, notre pauvre nain est sur le point de finir dans la marmite des peaux vertes lorsque ses ravisseurs se font soudainement attaquer par une bande d’humains hirsutes menés par un adolescent très énervé. Ce dernier, bien aidé par le marteau que lui prête obligeamment son nouveau pote barbu, renverse le cours de la bataille en concassant le crâne de Vagraz d’un revers à une main (long de ligne)1. La nouvelle se termine par une présentation en règle des nouveaux BFF, le sauveur providentiel n’étant nul autre que Laurent Delahousse2.

1 : Punk jusqu’au bout, le Big Boss envoie un bon gros fuck des familles à Sigmar juste avant que ce dernier ne l’achève. That’s the spirit.

2 : Bon, ok, en fait c’était ΣR. Il n’y a que Gav pour ménager de telles « surprises » à ses lecteurs.

AVIS:

Dix ans avant le lancement de la collection Time of Legends, Gavin Thorpe se paie donc le luxe de mettre en scène un évènement qui n’était jusqu’alors couvert que dans la partie fluff des livres d’armées de Warhammer. Et force est de reconnaître qu’il s’en tire plutôt honorablement (bien mieux en tout cas que pour Aenarion, methinks), sa version de ce passage marquant de la geste Sigmarienne s’inscrivant dans la droite ligne de ce qu’on savait déjà du personnage, et permettant au fluffiste sommeillant dans chaque lecteur de la BL de grappiller quelques détails supplémentaires sur la vie du Musclor de GW. Je ne suis pas loin de penser que Gav n’est jamais aussi bon que lorsqu’il donne dans le background romancé (surtout quand il y a du nain dedans) plutôt que dans la pure fiction. En fait, je le pense vraiment.

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The Hounds of Winter – J. Green:

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INTRIGUE:

Alors qu’ils étaient tranquillement attablés dans une auberge du Nord du Kislev, Badenov et sa fine équipe sont interrompus en pleine beuverie par Radagast le Brun (comprendre, un sorcier d’Ambre un brin exubérant), qui les avertit que leur lieu de villégiature va bientôt subir l’assaut d’une bande de guerriers du Chaos. Ce qui ne manque pas de se produire (le contraire eut été étonnant). Cependant, conjonction astrale et lieu de pouvoir obligent, nos mercenaires vont participer à une bataille des plus singulières. Qui a mis le mode replay ?

AVIS:

En tant que membre déclaré du non fanclub de Jonathan Green et de Badenov et Cie, je n’attendais pas grand-chose de The Hounds of Winter. À raison. Le peu de pages consacré par l’auteur à cette péripétie mineure (la preuve : personne ne meurt1 chez les gentils) du cycle The Dead and the Damned ne présente en effet ni saveur ni valeur ajoutée.

C’en est tellement fade qu’on en regretterait presque l’absence de vrais beaux gros défauts dans le style de Green, qui s’il ne brille guère par son originalité, démontre toutefois qu’il sait écrire des nouvelles à peu près passables. Bref, le pire scénario possible pour un chroniqueur, puisqu’il n’y a vraiment pas grand-chose à dire, en bien comme en mal, sur ce The Hounds of Winter. À lire et à oublier, ou à oublier de lire. Les deux fonctionnent.

1 : Bon, il y a bien cette fouine d’Oran qui se fait taser par un spectre en pleine baston, mais ça ne compte pas puisqu’il se réveille comme une fleur à la fin.

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Hatred – B. Chessell:

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INTRIGUE:

La vie tranquille de Kurtbad, un village en déréliction situé en plein cœur de l’Averland, est bouleversée par le meurtre de l’un de ses habitants, puis par l’arrivée soudaine d’un chasseur de sorcières mal en point. Alors que la traque du tueur s’organise, la destinée de quatre Kurtbader (-iens? -ois? -ais?) va être changée à jamais.

AVIS:

Hatred s’avère être un huis-clos à l’ambiance particulière et la construction soignée, deux caractéristiques faisant l’originalité et l’intérêt de cette nouvelle de Ben Chessell.

Le style purement factuel déployé par l’auteur pour raconter le drame se jouant à Kurtbad, les vérités énoncées à demi-mot et ne faisant sens que bien plus tard dans le récit, l’inclusion de passages écrits à la première personne depuis le point de vue de l’antagoniste (dont on ignore l’identité jusqu’aux dernières pages) entre le récit des péripéties, ou encore l’approche résolument anticonformiste qu’à Chessell du Chaos et de son effet sur les êtres vivants qu’il touche et transforme, sont autant de raisons de lire et d’apprécier Hatred, qui est assurément l’un des meilleurs « très courts formats » (15 pages) de la Black Library.

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Grunnson’s Marauders – A. Jones:

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INTRIGUE:

Les maraudeurs de Grunsonn (un nain crado, un elfe libidineux, un barbare chermanik et un impérial benêt) sont engagés par un sorcier pour retrouver une relique enchantée, le « mythique » Doigt de Vie (Finger of Life), qui repose sous bonne garde dans une caverne oubliée des Montagnes Grises.

AVIS:

Attention, OVNI. S’il n’est pas rare pour le lecteur de la BL de rire un bon coup en parcourant les textes des contributeurs les moins doués de cette auguste maison d’édition, il est en revanche bien moins courant que cette hilarité ait été sciemment recherchée par l’auteur au moment de l’écriture de son texte.

C’est toutefois indéniablement le cas avec ce Grunsonn’s Marauders, première des deux nouvelles consacrées par Andy Jones (également co-éditeur du recueil Realm of Chaos dans laquelle ce texte a été publié pour la première fois) au plus improbable quatuor de héros de l’histoire de la Black Library. Faisant feu de tout bois, Andy enchaîne dialogues absurdes, comportements parodiques, péripéties grotesques et calembours de comptoir (mention spéciale au barbare de la bande, le bien nommé Keanu the Reaver), pour un résultat dans la droite ligne de bouquins tels que Lord of the Ringards, Bilbo the Postit ou encore La Der des Etoiles. Etant donnée la brièveté de l’opus et son caractère résolument novateur par rapport au med-fan premier degré qui caractérise la BL, la sauce prend toutefois mieux que pour les « chefs d’œuvre » précédemment cités, ce qui n’est pas plus mal.

Bref, Grunsonn’s Marauders est une lecture indispensable pour tous les acharnés de la Black Library, une curiosité tout autant qu’une relique d’une époque où Games Workshop ne se prenait pas encore (trop) au sérieux. Un vrai collector1.

1: Pour la petite histoire, les maraudeurs de Grunsonn étaient les personnages de la bande Heroquest d’Andy Jones et de son cercle d’amis. Ce qui explique beaucoup de choses.

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The Doorway Between – R. Davidson:

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INTRIGUE:

Frantz Heidel, chasseur de sorcières agoraphobe, est engagé par le baron von Kleist pour retrouver le pendentif qui lui a été dérobé par une bande de mutants sur la route de Bechafen. Escorté par un pisteur à tête de fouine du nom de Karl Sassen, notre héros se lance à la poursuite des voleurs dans l’arrière-pays de la capitale de l’Ostermark, sans se douter que son employeur ne lui pas dit toute la vérité au sujet de l’artefact qu’il doit récupérer.

AVIS:

The Doorway Between est un récit très classique (la quête d’un objet magique qui se révèle être maléfique), conduit d’une manière tout aussi classique par Rjurik Davidson. Sans être mauvaise, cette nouvelle est toutefois loin d’être mémorable, et ne mérite au mieux qu’une lecture rapide, tant il est possible de trouver mieux ailleurs dans le catalogue de la Black Library (pour les amateurs de chasseurs de sorcières, la trilogie Mathias Thulmann de C.L. Werner est à mon goût bien supérieure).

Lorgnant sur la fin vers la buddy story, lorsque Heidel et son rival Immanuel Mendelsohn sont contraints de faire équipe pour contrecarrer les plans de leur ennemi commun, The Doorway Between aurait sans doute gagné en intérêt si Davidson s’était davantage écarté des chemins battus de l’heroic-fantasy.

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Mormacar’s Lament – C. Pramas:

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INTRIGUE:

Fait prisonnier par les Elfes Noirs au cours d’une mission d’infiltration à Naggaroth, le Guerrier Fantôme Mormacar profite de l’effondrement d’une galerie dans la mine où il était retenu comme esclave pour se faire la malle, accompagné d’un barbare de Norsca. Leur but est de rallier Arnheim, tête de pont des Hauts Elfes en territoire Druchii, en empruntant le dédale de souterrains s’étendant sous les fondations de Hag Graef. Il leur faudra pour cela se frayer un chemin dans les profondeurs glacées et hostiles de la terre du grand froid, en évitant les patrouilles elfes noires, les expéditions hommes-lézards (eh oui, ils ont dû prendre la mauvaise sortie sur l’autoroute) et les formes de vie les plus agressives de l’écosystème local. Bref, une véritable promenade de santé.

AVIS:

Chris Pramas nous sert un honnête récit d’évasion et d’aventure, dont l’intérêt vient autant du cadre exotique dans lequel il situe son propos que de la vision très sombre qu’à l’auteur du monde de Warhammer1, dans la droite ligne du background officiel. Sans être particulièrement mémorable le duo Mormacar – Einar (le nordique) fonctionne assez correctement, le « choc des cultures » des premières pages se transformant comme de juste en collaboration sincère, puis en amitié réelle.

On peut par contre regretter que les antagonistes, et en particulier le personnage de Lady Bela, sorcière ayant un gros faible pour le cuir et les cravaches, n’aient pas été plus développés, Pramas assurant le service minimum en matière de cruauté et de sadisme druchii. Il y avait sans doute moyen de faire mieux, et de relever du même coup le niveau général de la nouvelle, qui de sympathique aurait pu passer à remarquable.

En résumé, Mormacar’s Lament est une soumission sérieuse et d’assez bonne facture, mais dont les « finitions » auraient gagné à être davantage travaillées par l’auteur.

1 : C’est une constante chez Pramas : les héros de ses nouvelles finissent toujours très mal.

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The Blessed Ones – R. Kellock:

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INTRIGUE:

Truand minable, Jurgen Kuhnslieb se voit forcer d’accepter une mission un peu particulière afin de pouvoir rembourser les nombreuses dettes de jeu qu’il a contractées. Chargé par un jeune noble décadent de voler un tableau dont son propriétaire ne souhaite pas se séparer, Jurgen va rapidement se rendre compte qu’il s’est empêtré dans une affaire aux proportions insoupçonnées, et que ses employeurs ne sont pas du genre à laisser un cambrioleur à la petite semaine se mettre en travers de leur chemin.

AVIS:

The Blessed Ones aurait sans doute gagné à être développé en « moyen format » (50 – 100 pages), plutôt que de se retrouver confiné à la vingtaine de pages de sa version définitive. La banalité de l’intrigue proposée par Rani Kellock, cousue de fil blanc et à la conclusion courue d’avance dès les premières lignes1, aurait pu ainsi être compensée par la mise en place d’une ambiance réellement oppressante, soulignant la traque impitoyable dont Jurgen fait l’objet de la part de ses clients. L’instillation d’une atmosphère de roman noir ne pouvant se faire que sur la durée, la relative brièveté de la nouvelle de Kellock ne lui a pas permis de parvenir à un résultat concluant, ce qui s’avère au final être assez dommageable.

1 : C’est bien simple, si un riche notable engage une petite frappe pour récupérer un artefact d’un genre un peu spécial, il y a environ 143,87% de chances que le commanditaire se révèle être un cultiste du Chaos/nécromancien/membre d’une organisation secrète.

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Dark Heart – J. Green:

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INTRIGUE:

Ayant décidés d’abandonner le Kislev pour tenter leur chance sous des cieux plus cléments, Badenov et sa bande de mercenaires se retrouvent entraînés dans une sombre histoire sur la route de Bechafen. Il semblerait en effet qu’un ancien mal soit en passe de se réveiller dans le petit village d’Ostenwald, forçant notre fine équipe à unir ses forces avec celles d’un jeune noble dont la fiancée vient de succomber à une crise d’anémie aigüe. Vampire, vous avez dit vampire ?

AVIS:

Dans la série des aventures de Torben Badenov et de sa fine équipe de bras cassés, Dark Heart fait figure d’épisode central, car il permet à Green d’introduire le personnage de Pieter Valburg, qui rejoindra la bande à la fin de la nouvelle. J’ai une affection toute particulière pour Pieter, car il n’aura de cesse de miner l’autorité de Badenov auprès de ses comparses, en faisant éclater au grand jour la stupidité crasse et l’amateurisme décomplexé qui caractérisent le « héros » de la série The Lost and the Damned. S’il n’est encore qu’un personnage de second plan dans Dark Heart, Herr Valburg y fait néanmoins des débuts remarqués, et s’affirme d’ores et déjà comme le membre le plus important de la bande, après Badenov bien sûr.

Dark Heart donne également l’occasion à Jonathan Green de dérouler le grand jeu, en gratifiant ses lecteurs d’une narration à double point de vue (celui des mercenaires de Badenov, et celui du vampire comateux traqué par ces derniers), ainsi que d’un petit twist final, deux extras que l’on prendra soin d’apprécier à leur juste valeur (relative hein, parce que dans l’absolu, on est loin du chef d’œuvre).

Malheureusement, ces éléments positifs sont largement marginalisés par le monceau d’approximations, d’incongruités et de carabistouilles que nous sert un Green résolument hermétique à toute tentative de livrer un récit un tant soit peu cohérent à son public. Des villageois courant aussi vite que des chevaux lancés au galop à la décision d’aller affronter un vampire de nuit dans son antre, en passant par l’incroyable capacité de l’auteur à livrer deux versions totalement différentes du même évènement à quelques pages d’intervalle1, ou encore la brillante idée qu’à Badenov d’aller enquêter dans un village dont lui et ses potes viennent de massacrer tous les hommes valides sur un gros malentendu, c’est à un festival d’inepties auquel lecteur a droit. Et dire que ça aurait presque pu être correct…

1 : Le vampire d’Ostenwald a-t-il été originellement vaincu par 1) une troupe de paysans enragés, ou 2) une bande d’aventuriers menés par un prêtre de Sigmar ? Le mystère est encore entier.

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The Chaos Beneath – M. Brendan:

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INTRIGUE:

À la suite d’une cérémonie d’invocation quelque peu salopée par des cultistes amateurs, un Prince Démon de Tzeentch se retrouve coincé dans le corps d’un hôte mort. Assumant l’identité du cadavre qu’il habite, c’est-à-dire celle d’Obediah Cain, chasseur de sorcières un brin malchanceux, le démon convainc Michael de La Lune (si si), apprenti sorcier fraîchement renvoyé du Collège de Magie de Marienburg pour manque d’aptitudes à l’exercice des arts occultes, de lui rapporter une copie du 3ème Tome du Liber Nagash. Cette dernière repose en effet dans une bibliothèque du Collège, protégée par de puissants enchantements que le Prince Démon n’est pas en mesure de briser en son état actuel. Michael va-t-il s’apercevoir des noirs desseins poursuivis par son acolyte avant qu’il ne soit trop tard ?

AVIS:

Encore une déclinaison sur le thème de l’objet magique maléfique que le héros doit rapporter au méchant à son insu. The Chaos Beneath n’est donc pas la nouvelle la plus originale de la Black Library, ni la mieux écrite d’ailleurs : que peut-on donc avancer afin de justifier sa lecture ? Pour être tout à fait honnête, pas grand-chose si ce n’est le ton assez léger employé par Brendan, transformant du même coup le Prince Démon en méchant de cartoon plutôt qu’en implacable antagoniste. Ajoutez une pincée de fluff, et vous aurez fait le tour de tous les points forts de The Chaos Beneath. Ce qui ne fait pas lourd, je vous l’accorde.

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Paradise Lost – A. Jones:

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INTRIGUE:

Nous retrouvons les maraudeurs de Grunsonn dans une bien mauvaise passe : à la dérive au milieu de l’océan sur une coquille de noix, sans eau ni nourriture, et délestés de la cargaison d’or qu’ils avaient soutirée de la cale d’un galion abandonné par un pirate indélicat. Heureusement pour notre quatuor de choc, le salut finit par poindre à l’horizon, sous la forme d’une île où accoster afin de se refaire une santé. Et lorsque les indigènes (une colonie de skinks) se mettent en tête que les maraudeurs ne sont autres que Losteriksson et ses guerriers, revenus après des siècles d’absence régner sur leurs adorateurs à sang froid, il ne fait plus de doute que le temps des vacances a sonné pour nos quatre aventuriers.

AVIS:

Deuxième et dernier épisode de la (courte) saga consacrée par Andy Jones à Grimcrag Grunsonn et ses maraudeurs, Paradise Lost est une soumission sensiblement supérieure à Grunsonn’s Maraudeurs, et ce sur tous les plans. Fidèle à son approche décomplexée du monde de Warhammer, Jones continue en effet sur sa lancée de med-fan parodique, tout en dotant son récit d’une intrigue bien plus charpentée (appréciable attention), et en s’arrangeant pour combler – à sa manière – les blancs laissés dans le background officiel au lieu de chercher à réécrire ce dernier à sa sauce. Autre point positif, l’inclusion de véritables personnages secondaires (shout out à Froggo, le skink de compagnie de Johan Anstein, qui se rêvait méchant de James Bond), permettant à l’auteur de confronter ses héros à des antagonistes à leur hauteur, c’est-à-dire complètement barrés.

Au final, Paradise Lost n’est rien de moins que la tentative la plus aboutie de la part d’un auteur de la Black Library de tourner en dérision l’univers de Battle, et rien que pour ça, cette nouvelle vaut le détour.

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Wolf in the Fold – B. Chessell:

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INTRIGUE:

Le sommeil de l’Archidiacre Kaslain de Nuln est interrompu en pleine nuit par l’arrivée impromptue d’un visiteur de marque, venu chercher l’absolution que seul un haut prêtre de Sigmar peut conférer. Mortellement blessé, l’assassin légendaire connu comme la Guêpe Tiléenne (Tilean Wasp) se vide de son sang dans les appartements privés du prélat, dédiant ses derniers instants au récit du seul crime de sa longue carrière pour lequel il éprouve le besoin de se confesser : l’assassinat d’un prêtre.

AVIS:

Si l’histoire narrée par Ben Chessell dans Wolf in the Fold n’est pas aussi aboutie que son Hatred, et que la conclusion de cette courte nouvelle ne s’avère pas être une grande surprise, sa lecture n’en est pas moins agréable, et ce pour deux raisons principales.

La première, c’est l’audace manifestée par ce novice de la Black Library, qui pour sa deuxième soumission, s’offre le privilège de tuer un personnage nommé (l’archilecteur Kaslain, abordé dans les Livres Armées de l’Empire – c’est était un électeur impérial – et dans quelques suppléments du jeu de rôle). Bon, d’accord, il ne s’agissait pas vraiment d’une figure de premier plan du fluff, mais tout de même.

La seconde, et la plus importante à mes yeux, c’est le complet changement de style opéré par Chessell entre Hatred et Wolf in the Fold, sans que ses talents de conteur ne pâtissent de cette transformation. La grande majorité des auteurs de la BL ayant une patte facilement identifiable (pour le meilleur ou le pire) et abordant toujours leur sujet avec le même angle d’attaque, il est remarquable qu’une plume de cette auguste maison soit d’une « agilité » littéraire suffisante pour proposer deux récits si différents l’un de l’autre que l’on aurait pu sans mal les attribuer à deux contributeurs distincts. Si Hatred possédait une ambiance mélancolique et désincarnée, Wolf in the Fold se caractérise au contraire par un style riche et un goût prononcé pour le détail, assez proche dans l’esprit de celui de Brian Craig.

En conclusion, une autre excellente livraison de la part de Ben Chessell, dont la très courte carrière au sein de la Black Library apparaît décidément comme une de ces injustices dont la vie a le secret.

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The Faithful Servant – G. Thorpe:

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INTRIGUE:

Au sortir d’une bataille perdue par l’Empire contre une armée chaotique dans le nord du Kislev, le prêtre guerrier Markus revient à lui dans un champ de cadavres. Piégé sous la dépouille de sa monture, il ne peut se dérober lorsqu’un guerrier des puissances noires se présente devant lui. À sa grande surprise, son ennemi ne semble pas tant être intéressé par sa vie que son âme, ses sombres maîtres lui ayant promis l’immortalité en échange de la corruption d’un certain nombre d’individus vertueux. Markus pourrait être la dernière victime d’Estebar, le maître du massacre, dont l’ost se débanderait après l’élévation de son général au rang de Prince Démon, épargnant ainsi les vies de milliers d’innocents. Mais notre héros est-il prêt à consentir au sacrifice ultime pour préserver ses compatriotes des ravages des hordes du Chaos ?

AVIS:

La damnation et les chemins, souvent détournés et pavés de bonnes intentions, qui y mènent, font partie des thèmes de prédilection de Gav Thorpe, qui a consacré au sujet sa première trilogie en tant qu’auteur de la Black Library (Slaves to Darkness). The Faithful Servant, publié quelques années avant ces romans, peut donc être considéré comme un galop d’essai de la part du Gav. On retrouve ainsi dans cette nouvelle un héros placé face à un choix cornélien, dont les répercussions ne manqueront pas d’ébranler le Vieux Monde (c’est du Thorpe après tout).

Construit exclusivement comme « écrin narratif » à sa question centrale, The Faithful Servant tient davantage du conte philosophique (même si une telle appellation est un peu galvaudée par son enrobage med-fan) que de la nouvelle de sword and sorcery classique, et ce n’est pas plus mal. Sans s’avérer particulièrement mémorable ni éloquent, le débat opposant Markus à Estebar se révèle être assez plaisant à lire. En choisissant de conclure son propos avant que le prêtre guerrier n’ait fait son choix, Thorpe gratifie de plus sa nouvelle d’une conclusion, que dis-je, d’une ouverture, d’une élégante sobriété (pour changer).

Si elle s’adresse en premier chef aux lecteurs récemment initiés au background de Warhammer (les vétérans n’y trouvant rien que de déjà très connu d’eux), The Faithful Servant est sans doute l’une des meilleures soumissions de Gavin Thorpe.